Bruno Le Maire est le dernier en date à se prononcer pour la suppression de l'ENA. Jusqu'à présent, même le classement de sortie reste intouchable.
Un énarque qui veut supprimer l'ENA. Dans une interview au Parisien , Bruno Le Maire annonce que s'il est élu, « l'ENA sera supprimée et remplacée par une école d'application sur le modèle de l'École de guerre, à laquelle les hauts fonctionnaires les plus méritants pourront avoir accès au bout de dix ans ». Avant lui, d'autres politiques passés par la prestigieuse école s'y sont essayés. Quel échec pour une école créée, à la Libération, pour instaurer la méritocratie, démocratiser l'accès aux grands corps de l'État, jusqu'alors gangréné par le népotisme!
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Le premier ancien élève à partir en guerre contre l'institution est Jean-Pierre Chevènement, qui publie en 1967, avec ses comparses Alain Gomez et Didier Motchane, L'Énarchie ou les mandarins de la société bourgeoise. Quelques années plus tard, le PS inscrit la suppression de l'ENA dans son programme, mais les jeunes experts issus du sérail qui planchent sur les 110 propositions de François Mitterrand ont tôt fait d'enterrer celle-ci, qui n'apparaît plus nulle part en mai 1981. Jacques Chirac, autre ancien, dénonce pendant la campagne de 1995 « le symbole d'une élite qui a failli » sans aller plus loin. Quatre ans plus tard, son collègue de la Cour des comptes François Goulard, député du Morbihan, dépose une proposition de loi pour supprimer l'école. En vain.
Le fait que certaines personnalités de premier plan, telles que Jacques Attali ou Laurent Fabius, tous deux sortis dans les premiers rangs, au Conseil d'État, se prononcent en faveur de la disparition de l'ENA ne change rien à l'affaire non plus.
Les griefs les plus fréquents contre l'ENA sont connus : une obsession de la carrière, qui laisse de côté l'intérêt général, un conformisme qui empêche d'innover, un classement de sortie qui détermine, à l'âge de 20 ans, ceux qui, sortis dans les grands corps, vont diriger le pays pour les décennies à venir, en toute impunité.
Résistance massive
Faute de s'en prendre directement à l'ENA, certains ont voulu en finir avec son classement de sortie. Nicolas Sarkozy par exemple, dont les ministres Éric Woerth et André Santini présentent en mars 2008 un projet de réforme en ce sens. Celui-ci s'ensable pendant plus d'un an, et c'est Jean-Pierre Jouyet, inspecteur des Finances et actuel secrétaire général de l'Élysée, qui est chargé en juin 2009 de piloter un « comité de mise en œuvre de la réforme de l'ENA ». Ce seul intitulé en dit long sur l'impuissance publique concernant ce délicat sujet. Un projet de décret sur la suppression du classement est d'ailleurs rejeté par le Conseil d'État, qui demande de passer par la voie législative. C'est chose faite en avril 2011. Las, plusieurs députés socialistes saisissent le Conseil constitutionnel au motif que cette suppression risque de favoriser le retour au népotisme et au copinage politique. Le Conseil constitutionnel censure en effet, mais pour une autre raison : la mesure lui apparaît comme hors sujet par rapport au texte de loi dans lequel elle figure, ce qu'on appelle un « cavalier législatif ». Le fait que plusieurs membres, ou anciens membres, de Cour des comptes et du Conseil d'État siègent au Conseil constitutionnel n'a officiellement rien à voir avec cette décision !
Au vu de cet historique, en tout cas, la suppression de l'ENA a plus de chance de figurer comme proposition-choc dans le programme d'un candidat que de s'inscrire prochainement dans la réalité.