La justice américaine et le FBI vont enquêter sur Areva - leJDD.fr | Think outside the Box | Scoop.it

La mine d'uranium d'Arlit, dans le nord du Niger, en 2013, rachetée avec Uramin.

 

 

Areva n'en a pas fini avec le scandale Uramin, l'entreprise minière canadienne acquise en juillet 2007 pour 2,5 milliards de dollars (1,8 milliard d'euros). Après la justice française qui a ouvert deux instructions judiciaires, dont une concerne directement l'affaire Uramin, c'est au tour de la justice américaine de s'intéresser au dossier. Selon nos informations, le département de la Justice (DoJ) a demandé, en fin d'année dernière, au FBI d'enquêter sur cette opération qui pourrait tomber sous le coup de la loi contre la corruption internationale (FCPA).

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Un dossier éligible à la loi anticorruption américaine

Tout est parti d'un rapport remis par Marc Eichinger aux autorités américaines à l'automne dernier. Cet enquêteur français indépendant, ancien financier, avait rédigé, en 2010, un premier rapport sur l'acquisition d'Uramin à la demande du service de sécurité d'Areva. Il concluait à une possible escroquerie et recommandait à son client de saisir les autorités de tutelle. Son nom sera ensuite jeté en pâture par Anne Lauvergeon, l'ancienne présidente du directoire d'Areva, pour dénoncer les enquêtes illégales dirigées contre elle et son mari, Olivier Fric. Ayant gagné les procès intentés par "Atomic Anne" contre lui, Marc Eichinger a continué, pour son propre compte, à enquêter sur cette opération qui a fait perdre au géant du nucléaire quelque 3 milliards d'euros (investissements compris), expliquant en partie sa quasi-faillite.

 

«Poursuivre les présumés coupables où qu'ils se cachent»

Son nouveau rapport est explosif pour le groupe français. "J'ai pu prouver, sur la base de documents juridiques incontestables, que le dossier Uramin était éligible à la loi anticorruption américaine, connue sous l'acronyme FCPA. Elle a l'avantage majeur de s'appliquer hors des frontières des États-Unis et de poursuivre les présumés coupables où qu'ils se cachent", explique l'enquêteur. C'est en application de cette loi qu'Alstom avait été condamné, en décembre 2014 à payer une amende de 772 millions de dollars pour avoir versé des pots-de-vin pour gagner des contrats dans différents pays.

 

Des responsabilités en chaîne

Areva pourrait se retrouver, à son tour, devant un tribunal américain, avec la perspective catastrophique de se voir demander le remboursement intégral du montant de l'OPA, selon Marc Eichinger. La responsabilité de l'entreprise ne serait pas la seule engagée. Les signataires du document émis le 25 juin 2007 pour formaliser l'offre publique d'achat d'Uramin pourraient aussi être mis en cause : Gérald Arbola, alors numéro 2 du directoire d'Areva, Daniel Wouters, le négociateur du groupe nucléaire, ou Olivier Mallet, qui agissait comme président de CFMM Développement, la filiale chargée de réaliser l'OPA.

 

«Vous pouvez avoir la certitude qu'elle va balayer jusqu'au moindre détail»

La mise en route de la machine judiciaire américaine constitue une très mauvaise nouvelle pour Areva, au moment où il espère finaliser son sauvetage financier. Après avoir vendu son activité réacteurs nucléaires (Areva NP) à EDF, Areva a logé ses activités "saines" (mines, fabrication du combustible et retraitement) dans une nouvelle filiale baptisée Areva NewCo. L'État doit maintenant recapitaliser l'ensemble, après le feu vert conditionnel donné par Bruxelles, à hauteur de 4,5 milliards d'euros, un consortium japonais apportant 500 millions supplémentaires. Une somme qui pourrait se révéler insuffisante si la justice américaine a la main lourde.

 

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Deux autres risques américains identifiés

Le risque est d'autant plus grand que les juges américains s'intéressent à un autre dossier : Areva s'est peut-être mis dans l'illégalité au regard de la législation sur le nucléaire aux États-Unis. Pour gagner, en 1999, un contrat pour une usine de transformation du plutonium militaire en combustible nucléaire, Areva a dû s'associer à un partenaire local, le groupe d'ingénierie Shaw, à travers une coentreprise détenue à 30% par le français et à 70% par l'américain. Or depuis le rachat en 2013 de Shaw par son concurrent américain CB & I, ce dernier indique, dans ses documents financiers, ne détenir que 52% de la coentreprise et Areva 48%. Ce changement n'aurait pas été soumis aux autorités de contrôle et serait contraire à la réglementation.

Autre problème juridique auquel Areva doit faire face : la livraison de pièces potentiellement défectueuses, fabriquées par son usine du Creusot, à 17 centrales nucléaires américaines. En France, l'Autorité de sûreté nucléaire a déjà indiqué que cette usine avait falsifié certains dossiers de fabrication, ce qui a entraîné l'ouverture d'une enquête préliminaire. Là aussi, la justice américaine pourrait également être saisie. "À partir du moment où l'administration américaine travaille sur un cas aussi important, vous pouvez avoir la certitude qu'elle va balayer jusqu'au moindre détail", conclut Marc Eichinger. 

 

Thierry Gadault - Le Journal du Dimanche