Un EDF en pleine crise après le départ d’un directeur financier réticent à des investissements trop importants pour ne pas mettre la maison en péril, une SNCF passant des provisions massives qui se traduisent par des pertes record, un Areva à la recherche désespérée de partenaires financiers sans lesquels sa survie serait en jeu. Il y a seulement cinq ou dix ans, un tel scénario aurait fait rire : la France pouvait alors se vanter d’avoir des géants publics entreprenants, respectés et à la solidité financière incontestable. Certes, la SNCF essuyait parfois des pertes, mais raisonnables et explicables par des missions de service public ingrates et coûteuses, et son TGV faisait l’admiration générale. Bien sûr, Areva n’avait pas la rentabilité d’un Apple, mais son dynamisme commercial était flamboyant, ses produits faisaient référence dans le monde, et la maison menait plutôt grand train. EDF, enfin, semblait l’insubmersible géant qui nous garantissait pour l’éternité, grâce à une capacité technique hors-pair, une électricité bon marché.
Ce glorieux passé semble tout à coup bien lointain ! C’est en milliards, parfois en dizaines de milliards que se chiffrent aujourd’hui les besoins de nos géants publics, besoins auxquels l’Etat, lui-même en pleine débâcle financière, serait bien en peine de pourvoir. Qui l’eût cru : seule la Poste, pourtant paradoxalement la plus évidemment excusable tant le numérique dévore son fonds de commerce, semble encore surnager dans cet océan de pertes. Un comble ! Que s’est-il passé ?
Une gestion qui pose question
La gestion de nos géants publics n’est sans doute pas exempte de tout reproche. Celle d’Areva a été montrée du doigt, pas toujours à tort. EDF est, de longue date, très excessivement généreux avec ses personnels, ce qui finit par se payer. Et les patrons successifs de la SNCF ne sont sûrement pas exempts de tout reproche. Mais la vérité est hélas que c’est l’Etat lui-même qui, par ses interventions brouillonnes et inconséquentes, a le plus puissamment contribué à ruiner ses poulains.
Le cas d’EDF est à cet égard parlant. Voilà une entreprise dont l’Etat fixe les prix de vente avec l’obsession de complaire aux électeurs (c'est-à-dire bas) tout en lui imposant le prélèvement sur le dos du consommateur d’une taxe de plus en plus énorme permettant de financer des énergies nouvelles… dont le développement effréné l’obligent par ailleurs à investir massivement dans le réseau et perturbe gravement sa structure de coût. Etonnez-vous qu’il soit difficile à notre électricien de boucler les fins de mois ! Ne parlons pas des diktats sur la fermeture des centrales, ni des déclinaisons économiques d’une politique étrangère plus soucieuse de rayonnement que de bénéfices…
La schizophrénie de l'Etat
Areva, lui, est d’abord et avant tout victime des retombées de l’accident de Fukushima, lequel a ravagé les perspectives de développement du nucléaire. Mais on ne dira jamais assez combien les atermoiements (quand il fallait recapitaliser l’entreprise il y a dix ans, mais aussi quand il fallait donner le feu vert sur des développements miniers qui auraient alors pu se faire à bien meilleur compte) et les oukases (sur la vente de T&D) de l’Etat ont affaibli l’entreprise. Quant à la SNCF, tenue par les combinaisons entre élus de faire rouler des TGV sur des lignes non-rentables et de desservir des gares improbables, elle vit de toute éternité sous une pression politique économiquement insupportable dont l’ouverture de lignes de car qui viennent maintenant la concurrencer sur des lignes déjà exploitées à perte n’est que le dernier avatar.
Jamais autant qu’en ce triste printemps on n’avait vu les effets dévastateurs de la schizophrénie d’un Etat qui, le matin, requiert de ses entreprises publiques une performance que, l’après-midi, il s’échine à détruire (y compris quand il y a fait entrer des actionnaires privés tenus de payer les pots cassés comme chez EDF). La France a hélas déjà vu disparaître une partie de ses très grandes entreprises privées, elle ne se remettrait pas facilement de l’affaiblissement durable de ses géants publics.
Par Philippe Manière