Les algorithmes dangereux pour le débat démocratique | Think outside the Box | Scoop.it
Les réseaux sociaux nous ciblent de façon toujours plus pointue et ne nous font parvenir que les informations qui nous conforteront dans nos propres opinions. Des moyens pour lutter contre simplifications et désinformation existent.
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    Les algorithmes dangereux pour le débat démocratique

Quel rôle Facebook a-t-il joué dans le référendum sur le Brexit et les élections américaines ? De nombreuses études montrent l’influence qu’ont les algorithmes de recommandation des médias sociaux et ce, via deux canaux principaux.

 

Comme l’outil d’Amazon qui nous suggère des produits en fonction de notre historique de recherches et d’achats («les clients ayant acheté cet article ont également acheté…»), les algorithmes des médias sociaux cherchent à nous catégoriser, nous classer dans un groupe d’individus aux goûts similaires. Il s’ensuit que les informations qui nous sont diffusées deviennent toujours plus spécialisées. C’est le phénomène de polarisation qui nous amène à ne recevoir que ce qui nous renforce dans nos opinions : je ne suis, par exemple, très certainement pas le seul en France à n’avoir reçu aucune recommandation pro-Trump au cours des dernières semaines dans mon fil Facebook ou Instagram.

 

Par ailleurs, les informations reçues via les médias sociaux pèchent par absence de hiérarchisation et, donc, d’évaluation de la qualité de leur contenu. Les articles écrits par les journalistes les mieux informés sont souvent au même niveau que ceux des blogueurs les moins crédibles. Les rumeurs, idées simplistes ou fallacieuses peuvent donc se répandre.

Deux pistes pour rehausser la qualité de l’information.

La polarisation des médias américains et l’émergence de chaînes de télévision ultra-partisanes (Fox News ou MSNBC) ont été rendues possible lorsque la Commission fédérale des communications dirigée par un proche conseiller de Ronald Reagan a aboli, en août 1987, «la doctrine d’impartialité des diffuseurs». Il s’agissait d’un principe établi en 1949 qui imposait aux médias de traiter les sujets d’actualité controversés et de présenter des arguments contrastés. Il serait facile d’imposer un tel principe de diversification aux algorithmes des médias sociaux. C’est sans doute essentiel d’ailleurs. En effet, dans tout système dynamique, des états transitoires peuvent devenir pérennes à cause de forces de rappel extérieures. De même, les citoyens peuvent s’attacher à des solutions démagogiques qui, au lieu d’apparaître progressivement pour ce qu’elles sont, se voient crédibilisées par leur répétition constante et non critique sur les réseaux sociaux.

 

De plus, pour pallier le nivellement de l’information et réintroduire la qualité des sources dans les algorithmes, il est possible d’utiliser un classement relativement objectif des journaux. De tels classements non doctrinaires existent pour les revues académiques (par le CNRS) lesquelles sont hiérarchisées en fonction des citations réciproques de leurs auteurs. Les dépêches de l’AFP pourraient ainsi être jugées de haute qualité car nombreux sont les médias qui les reprennent. Un média qui n’est cité par aucun autre est sans doute moins bien informé. Bien sûr ceci peut entraîner des biais mais l’utilisation d’une telle hiérarchisation dans les recommandations algorithmiques pourrait éviter la propagation des rumeurs et améliorer la qualité du débat : il ne s’agirait plus simplement de «faire le buzz» par une information provocante mais de piètre contenu.

A l’heure où le Parlement débat de la liberté, de l’indépendance et du pluralisme des médias, il faut très certainement élargir la question à l’ensemble des diffuseurs «algorithmiques» d’information afin d’améliorer la qualité du débat démocratique.

 

Guillaume Chevillon Professeur en économétrie et statistiques (Essec Business School)