Revue de presse théâtre
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LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
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October 11, 2024 12:24 PM
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Dans les coulisses de la fabrication des décors du « Suicidé » à la Comédie-Française

Dans les coulisses de la fabrication des décors du « Suicidé » à la Comédie-Française | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Reportage de Fabienne Darge dans Le Monde - 11 oct. 2024

 

 

Pendant dix mois, dans les vastes hangars des ateliers de Sarcelles, dans le Val-d’Oise, des dizaines d’artisans spécialisés ont réalisé les éléments de scénographie imaginés par Eric Ruf pour la pièce de Nicolaï Erdman.

 


Lire l'article sur le site du "Monde : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/10/11/dans-les-coulisses-de-la-fabrication-des-decors-du-suicide-a-la-comedie-francaise_6349323_3246.html


Une pièce géniale entre au répertoire de la Comédie-Française : Le Suicidé, satire grinçante et drôle de la Russie stalinienne, écrite par l’auteur Nicolaï Erdman (1900-1970) en 1928. Eric Ruf, l’administrateur de la maison de Molière, qui est aussi scénographe, signe le décor de cette nouvelle création, à voir à partir du vendredi 11 octobre, salle Richelieu, à Paris. Nous avons suivi pendant plusieurs mois la production de ce décor de A à Z, de la conception à l’installation sur le plateau.

 

31 janvier. J − 254. Les joies de la maquette

Un matin froid d’hiver, la Comédie-Française bruisse de l’excitation qui accompagne les nouveaux projets. Sous la coupole de verre et de métal, cocon en plein ciel surplombant la salle Richelieu, l’ensemble des métiers de la maison est réuni pour découvrir la maquette du décor qui sera réalisé pour Le Suicidé, de Nicolaï Erdman, mis en scène par Stéphane Varupenne. La première du spectacle est programmée pour le 11 octobre. « C’est toujours un moment très symbolique, très joyeux », dit Eric Ruf. L’administrateur de la Comédie-Française, en plus d’être acteur et metteur en scène, est aussi un scénographe reconnu, et c’est lui qui a conçu le décor de cette nouvelle production.

 
« Mais c’est aussi un moment important sur un plan beaucoup plus concret, ajoute-t-il. Tout part de la maquette, pour la construction d’un décor, et elle doit être la plus précise possible, sinon on le paie plus tard, avec des retards de production. » Voilà donc l’objet, une boîte noire comme une maison de poupée, qui reproduit, à l’échelle 1/33, les proportions de la cage de scène de la Comédie-Française. Un décor à géométrie variable, avec ses fonds et ses doubles-fonds, dont Eric Ruf manipule les éléments, notamment les pièces de mobilier grandes comme des boîtes d’allumettes, avec un plaisir évident.

A l’heure de la 3D, il fait partie des scénographes qui continuent à fabriquer leurs maquettes eux-mêmes, entièrement à la main. Il les bricole dans son grand bureau d’administrateur général, où s’entassent, dans un coin, colle et peinture en bombe, bouts de bois et de carton, ciseaux et cutters. « J’ai besoin de cette dimension artisanale, sensible, qui s’accorde mieux aux décors que je conçois, qui ont toujours un côté de bric et de broc. Et j’ai besoin de construire la boîte pour prendre la mesure de l’espace à remplir. La 3D est encore peu utilisée pour les maquettes de théâtre : elle est géniale pour les équations techniques, mais peu disante pour les matières et les couleurs. »

 

Dans la conception d’un décor, tout part bien sûr du projet du metteur en scène, de la vision qu’il a de la pièce. « J’ai choisi de situer Le Suicidé à l’époque et dans le contexte où il a été écrit, en 1928 en Union soviétique, explique Stéphane Varupenne. Je ne voulais pas l’inscrire dans le contemporain pour ne pas établir de parallèles trop faciles. On a travaillé sur tout un imaginaire, sur cette ambiance particulière des appartements communautaires dans lesquels vivent les personnages. J’avais cette idée de la poupée gigogne – présente dans tous les intérieurs russes –, d’une boîte dans une boîte dans une boîte. Il y a dans l’écriture d’Erdman une grande netteté par rapport à l’espace, comme s’il était intégré à sa mécanique dramaturgique. Je voulais que l’on puisse jouer avec les faux-semblants, que tout ne soit pas ce qu’il paraît être, aussi bien qu’avec l’esthétique kitsch communiste. On est toujours dans cette pièce sur la frontière entre la réalité et la fiction, entre la vie et la mort, il y a une dimension à la fois très concrète et fantasmatique, kafkaïenne. »

A charge pour Eric Ruf de traduire ces intuitions du metteur en scène en une « boîte à jouer » qui laisse toute leur place aux acteurs et à la fluidité du spectacle. « Un décor à la Comédie-Française, c’est un faisceau de contraintes, explique le directeur technique de la maison, Benoit Simon. En raison du système de l’alternance en vigueur au Français, où plusieurs spectacles sont joués et répétés alternativement au long de la semaine, une scénographie chez nous doit pouvoir se monter et se démonter en une heure, ce qui a de nombreuses implications. »

 

« J’ai un rapport d’acteur avec le plateau de la salle Richelieu, où j’ai beaucoup joué depuis mon entrée au Français, en 1993, et je conçois toujours des espaces dans lesquels j’ai envie de jouer », assure Eric Ruf en manipulant les petites boîtes de son décor gigogne. L’administrateur ne cache pas son goût pour les espaces qui ont l’air d’avoir vécu, sur lesquels s’est déposée la marque du temps, et celui du Suicidé n’échappera pas à la règle, le contexte de la Russie soviétique de la fin des années 1920 étant du pain bénit pour les amateurs d’atmosphère décatie. « On va encore faire des patines formidables à Sarcelles », s’enthousiasme Eric Ruf en concluant cette présentation de décor.

8 mars. J − 218. Dans la caverne d’Ali Baba

Sarcelles ? Les ateliers décor de la Comédie-Française y sont installés depuis 1974, dispatchés entre quatre hangars sur quelque 5 000 mètres carrés. Trente-deux personnes y travaillent en permanence, réparties entre le bureau d’études, les ateliers (menuiserie-construction, décoration-peinture-sculpture, tapisserie et serrurerie), la machinerie et le stockage. Une immense caverne d’Ali Baba, un lieu palimpseste où, sur les hauts murs du bâtiment principal, se côtoient les toiles peintes de précédents spectacles, formant des recompositions mystérieuses.

Après sa présentation à Richelieu, la maquette d’Eric Ruf a migré ici, pour être interprétée, décryptée, mise à l’échelle et en plans par le bureau d’études, que dirige Cyril Thébaud, qui est aussi le directeur technique adjoint de la Comédie-Française. « Nous sommes un des rares bureaux d’études existant dans le théâtre français, explique-t-il. Dans notre cas, c’est indispensable : nous sommes obligés de tout dessiner, tout mettre en plans pour avoir la plus grande précision et la plus grande efficacité possibles. Cette contrainte que nous avons de devoir monter et démonter plusieurs décors par jour en raison de l’alternance ne nous laisse pas le droit à l’erreur. Avant même de se demander comment on va construire, on doit d’abord se demander comment on va ranger ces décors multiples, ce qui a une implication sur le choix des matériaux et sur l’agencement entre les différents éléments d’une scénographie. »

 

En cette journée de mars, Eric Ruf est à Sarcelles pour y choisir les matériaux, les couleurs, les textures, qui seront utilisés pour traduire le décor tel qu’il l’a rêvé. Sur les grandes tables de bois tachées de peinture sont posés de multiples nuanciers de couleurs, et de gros cahiers sortis de la « matériothèque », où sont conservés des échantillons de toiles des précédents spectacles. Il faut deux heures au patron de la Comédie-Française pour choisir, parmi les propositions faites par ses équipes, le bon plancher – « un sol à l’ancienne de salle de sport ou de danse » –, le bon torchis pour figurer un mur mangé par le salpêtre, le verdâtre peu ragoûtant souhaité pour un carrelage, ou la matière et la couleur d’un rideau de douche. Sans compter le cercueil qui est un des éléments-clés de la pièce : faut-il le fabriquer pour l’ajuster à la taille du comédien – Jérémy Lopez – qui va interpréter Sémione Sémionovitch, l’antihéros du Suicidé, ou en sortir un des réserves, et le customiser ? Doit-il être en bois brut, avec les implications dramaturgiques que cela suppose ? Faut-il le capitonner ?

 

« Le choix des matériaux est complexe, détaille Benoit Simon. Les décors doivent être légers, solides et facilement manipulables. Au théâtre, rien n’est ce qu’il a l’air d’être, et nos artisans sont des maîtres en matière de trompe-l’œil : une poutre métallique va être faite en bois, de même que pour des éléments de carrelage, le verre est proscrit, et va être figuré par du Plexiglas ou du cristal… Les choix se sont complexifiés depuis quelques années, avec la multiplication des normes écologiques et de sécurité : tous les textiles et les bois doivent être ignifugés, et il n’est pas toujours évident de trouver des colorants et des matériaux plus naturels qu’avant. »

« Avec les décors d’Eric Ruf, on s’amuse beaucoup, se félicite Thérèse Perrot, la cheffe de l’atelier décoration-peinture. Il veut toujours que ses espaces aient l’air d’avoir vécu, on a donc un gros travail de patine, que l’on doit réinventer à chaque fois, en concevant de nouveaux mélanges et de nouveaux outils. On fait du vieux avec du neuf… »

25 juin. J − 107. Le carrosse et la citrouille

Du vieux avec du neuf ? En cette journée de juin, le chantier est entré dans une nouvelle phase. Ça ponce, ça pique, ça coud, ça cloue, ça agrafe, ça boulonne et ça reboulonne de partout, dans une ambiance de ruche. « On va y arriver, mais on n’est pas en avance, soupire Cyril Thébaud. Avec Eric Ruf, il y a toujours beaucoup de travail, beaucoup de surfaces à traiter. » La plupart des éléments de base sont désormais construits, à l’image des murs à cour et à jardin, du mur de face, et du petit théâtre dans le théâtre, monté sur une estrade, qui est au cœur du décor pendant les deux premiers actes.

 

Mais Eric Ruf, passé la veille, a trouvé le décor « trop propre, trop lisse ». Branle-bas de combat. « Il veut que tout soit beaucoup plus cracra », résume Cyril Thébaud. Dont acte. Marion Dassonville, peintre à l’atelier décoration, va ainsi passer son après-midi à « salir » le carrelage de la salle de bains du kommunalka (appartement partagé). Sur un échafaudage sont disposés des seaux remplis de différents « jus », très dilués, à base de peinture acrylique, qu’elle projette et travaille ensuite à l’éponge, au chiffon ou à la brosse pour figurer les couches de crasse. « On peut y aller, affirme-t-elle. C’est comme le maquillage : au théâtre, les lumières écrasent ce qui peut paraître trop appuyé vu de près. » « Marion, c’est Cendrillon à l’envers : elle transforme le carrosse en citrouille », la chambrent ses collègues, laissant la jeune femme imperturbable dans son travail pour créer de toutes pièces la saleté déposée par le temps.

 

Pendant ce temps-là, Cyril Thébaud doit faire face à un autre problème. Dans un coin du décor, Eric Ruf a prévu un tas de planches et de gravats, un bête tas de bricoles que personne ne va remarquer, mais qui va participer à la perception de la vie sous la Russie stalinienne. Or, le tas ne peut en aucun cas être réassemblé tous les jours, dans le cadre d’un montage de décor qui doit avoir lieu en moins d’une heure. Il faut donc le construire. Cyril Thébaud se gratte la tête. « Je ne vais quand même pas faire un plan pour un tas ? Allez, on le fait en direct. » Et le voilà, avec trois de ses collègues, en train d’assembler, de clouer et de fixer la chose.

Dans le même après-midi, sont validés un certain nombre d’accessoires, comme le cheval d’arçons du gymnase qui apparaît au troisième acte, ou le calicot de la salle des fêtes. Aucun détail de texture ou de couleur n’est laissé au hasard, sous la houlette de Dimitri Lenin (un nom prédestiné pour travailler sur une pièce sur la Russie stalinienne), l’assistant à la scénographie d’Eric Ruf. « Tous ces détails, le spectateur n’en aura pas conscience directement, mais ce sont eux qui, touche après touche, vont créer une atmosphère », justifie le jeune homme, qui a constitué de gros mood boards en allant se plonger dans les archives russes pour trouver des photos d’époque, et « nourrir l’imaginaire » de l’ensemble de l’équipe.

Pour autant, et c’est là la noblesse paradoxale de leur métier, assurent-ils, les techniciens des ateliers n’interprètent pas les propositions du scénographe. « Ils restent, par fonction, dans le suivi scrupuleux et opiniâtre de sa volonté et des plans fournis par le bureau d’études. Leur véritable signature est l’absence de signature, elle est dans l’art de se fondre, de se conformer, d’épouser fidèlement. Cette vertueuse discrétion n’a pourtant rien d’une simple et arrangeante soumission et dépend d’une remise à niveau constante. Il faut beaucoup d’art pour ne pas le manifester, il faut une main très sûre pour ne pas laisser voir son geste. Nombre de techniciennes et de techniciens des ateliers de construction emploient la moindre heure perdue pour ne pas “perdre la main”, pour donner forme à ce qui n’a pourtant pas vertu à être regardé », écrivait Eric Ruf dans une note de présentation des ateliers en 2021.

4 octobre. J − 7. « Vas-y, charge ! »

9 heures du matin, salle Richelieu à la Comédie-Française. Le grand plateau de 19 mètres sur 16 est vide. La salle aussi, dans la magie de ses fauteuils de velours rouge et de ses ors, rendus à leur dimension un peu fantomatique. A 8 heures, le décor du Malade imaginaire, qui jouait la veille au soir, a été démonté. La cage de scène à nu laisse voir les niches qui, au fond et sur les côtés de la scène, servent à ranger les décors des différents spectacles qui jouent en alternance. Sur une des porteuses, ces longues perches de métal accrochées dans les cintres, qui servent à descendre et à remonter les éléments de décor, est accrochée une toile peinte représentant un paysage des Alpes suisses – vestige d’un autre spectacle, L’Avare, vu par Lilo Baur.

Il s’agit maintenant de monter le décor du Suicidé, pour la répétition de l’après-midi. « Vas-y, charge ! », lance un technicien. « Charger », dans le jargon du théâtre : faire descendre des décors ou des accessoires des cintres. Les deux murs latéraux de la boîte conçue par Eric Ruf descendent, suivis par le mur de face, qui pèse plus de 1 tonne, et mesure 15 mètres sur 7. « A Richelieu, nous disposons de cinquante-deux porteuses, qui peuvent porter chacune 800 kilos, explique Balthazar Lesage, le régisseur général, à la tête d’une équipe de trente machinistes pour ce montage. Elles sont maniées par les cintriers avec un boîtier électronique, et elles peuvent bouger à une vitesse de plus de 2 mètres par seconde. Pour le mur de face de ce décor, on utilise en plus ce qu’on appelle un “ponctuel”, un autre appareil de levage qui a une capacité de 500 kilos. »

« Vas-y, charge ! » – on entendra l’expression tout au long des deux heures que durera le montage. « On est encore en rodage, mais quand on l’aura dans les pattes, on le montera en dix minutes, ce gros machin », blague Balthazar Lesage. Une « ferme » – c’est-à-dire un élément de décor entier – en forme de poutre métallique descend et vient s’encastrer impeccablement entre les deux murs à cour et à jardin. Peu à peu, les éléments s’emboîtent les uns dans les autres, comme dans une maison de poupée géante.

Le petit théâtre dans le théâtre situé sur l’avant-scène, qui pèse 850 kilogrammes, a, lui, été mis sur des élingues (des sortes de câble) qui sont actionnées par des poulies, pour pouvoir le faire glisser dans les coulisses de fond de scène à la fin du deuxième acte, où il disparaît du décor. Une fois tous les éléments en place, les accessoiristes entrent en scène. Ils forment une équipe de huit personnes, installée à Richelieu, et qui dispose de sa propre caverne d’Ali Baba, située dans les sous-sols de la maison. « Pour cette production, on a eu beaucoup de matériel à réunir, à chiner, à récupérer dans les réserves et souvent à retransformer, raconte Christophe Demoulin, qui dirige l’équipe. Beaucoup de valises, de boîtes, de cadres, de photos, de bibelots, pour arriver à rendre cette atmosphère russe un peu vieillotte, que l’on a travaillée avec Dimitri Lenin. On cherche souvent sur Leboncoin pour trouver des objets qui ont une patine, à l’image des poupées russes installées sur l’étagère de Sémione Sémionovitch. »

A 11 heures, tout est en place, à quelques détails près. Deux heures auparavant, il n’y avait rien, et là tout un monde se déploie, qui vous emmène dans un autre temps. Deux heures, et plus d’un an de travail, depuis les premiers moments où Eric Ruf a rêvé, dessiné et construit la maquette de son décor. Une centaine de personnes à l’œuvre à tous les niveaux artistiques, techniques et administratifs de la maison. Un budget de 60 000 euros pour les matériaux. La Comédie-Française est une exception, une des rares maisons à pouvoir encore se permettre ce genre d’aventures, pour créer le sentiment du temps, le mentir vrai du théâtre. Une illusion consentie et éphémère, qui en fait toute la beauté.

 

Fabienne Darge / Le Monde

 

Légende photo : L’installation des décors du « Suicidé », dans la salle Richelieu, à la Comédie-Française, à Paris, le 4 octobre 2024. NICOLAS KRIEF POUR « LE MONDE »

 

https://www.comedie-francaise.fr/fr/evenements/le-suicide-2425

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October 9, 2024 9:20 AM
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Tiens ton cœur, texte et mise en scène de Kouam Tawa

Tiens ton cœur, texte et mise en scène de Kouam Tawa | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Philippe du Vignal dans Théâtre du blog - 8 oct. 2024

 

 

Les Francophonies en Limousin /  Les Zébrures d’automne

Tiens ton cœur, texte et mise en scène de Kouam Tawa

 Une jeune femme, Marianne va devoir quitter une concession : c’est à dire, la propriété de sa belle-famille qui l’accuse d’avoir été responsable de la mort de son mari malade. Elle l’avait emmené à l’hôpital, et non chez un médecin traditionnel africain,comme le voulait ses beaux-parents. Et elle a été répudiée à l’issue d’une palabre, c’est à dire une sorte de réunion où elle n’a pas eu le droit d’assister.

 

Cela se passe dans une cour au sol couvert d’une poussière ocre;  une douzaine de grands et pagnes en coton rouge foncé à motifs géométriques  sèchent tout autour sur des fils. Au centre, Marianne interprétée par Ane Lorvo, excellente et radieuse,.
Elle dit la langue française avec une justesse et une diction impeccable et très vivante à la fois, que bien des actrices et acteurs sortis du Conservatoire National peuvent lui envier.

Une langue qui pénètre aussitôt le public souvent habitué à un dire approximatif et peu audible…

 

 

Cette jeune veuve revient dans son pays qu’elle avait quitté, pensait-elle, à jamais, et s’explique longuement sur la pénible histoire qui lui est arrivée. Elle dit aussi adieu à Sikali, son Ami, un personnage énigmatique qui pourrait avoir aussi été son mari et elle enfile une combinaison bleue de travail pour incarner celui parti au loin mais revenu au pays, parmi les siens.

 


Ana Lorvo est bien dirigée et mise en scène par l’auteur. Quand on a vécu en Afrique comme nous, cette cour est d’une vérité absolue. Kouam Tawa parle bien du quotidien au Cameroun, son pays celui des pauvres villages en brousse loin des grandes villes. Et il réussit à «donner à voir, à entendre, mais aussi à sentir, l’ambiance d’une palabre-qui est partout en Afrique-un vecteur essentiel du dialogue social, de sorte que les spectateurs arrivent à la vivre de l’intérieur, à se sentir parties prenantes, à devenir comme dirait Augusto Boal: des « spect-acteurs ». Je souhaite que cette palabre sur la scène puisse être entendue (…) par ceux qui n’ont pas l’habitude des spectacles de théâtre et ceux qui jamais n’ont pris part à une palabre… »

 

Ce récit à la première personne est soutenu par la belle musique d’Abraham Neri Kwemy,  mais aussi une sorte de fable, pas si loin des contes de Charles Perrault, avec une jeune épouse trop vite devenue veuve et héroïne, malgré elle d’un drame familial. Aucun doute là-dessus, Ana Larvo est exceptionnelle de vérité, même si vers la fin, la fable a tendance à faire du sur-place. Il faudrait que ce spectacle soit repris et si vous le pouvez, allez-voir ce Tiens ton cœur , une étonnante prise de parole.

 

 

Philippe du Vignal / Théâtre du blog 

 

 

Spectacle vu le 2 octobre à L’Espace Noriac, Limoges ( Haute-Vienne).



 

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October 8, 2024 1:09 PM
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Ukraine, femmes de combat

Ukraine, femmes de combat | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Yonnel Liégeois pour le site Chantiers de culture publié le 8 oct. 2024

 

 

Directeur de la revue Frictions/ Théâtres-Écritures, Jean-Pierre Han s’interroge. Quel spectacle aurait mérité de faire l’ouverture du festival d’Avignon ? Mothers, A song of Wartime, assurément… De Paris (15 au 19/10) à Lyon (les 24 et 25/10), un chœur antique plongeant dans le présent de la lutte pour notre survie.

 

Si les responsables du Festival avaient voulu faire preuve d’audace, c’est sans doute le spectacle de Marta Gornicka, Mothers, A song of Wartime, qu’ils auraient programmé en ouverture du Festival dans la Cour d’honneur du palais des Papes en lieu et place du faible Dämon d’Angelica Liddell. Et plutôt qu’un morne et lugubre Funeral de Bergman, nous aurions eu de très combatifs chants d’espoir et de vie de la part de vingt et une femmes (et une enfant) : une toute autre dynamique en ouverture aussi vers une autre forme de théâtre chanté et chorégraphié.

 

Une ouverture dans tous les sens du terme, même brève (trois représentations qui auraient ainsi été données comme une sorte de manifeste) et il importe peu que Marta Gornicka, née en Pologne, ne réponde pas aux critères de langue que le festival s’impose désormais chaque année, l’espagnole pour la présente édition. D’une certaine manière, elle fait voler en éclats toutes ces règles. Donnant son spectacle en polonais, en ukrainien et en biélorusse, nous faisant plonger dans le présent de la lutte pour notre survie.

 

Le titre, d’abord, est on ne peut plus parlant : Mothers, A song of WartimeUne chanson de temps de guerre, car nous y sommes bien déjà. Et c’est cela que le festival nous aurait offert. Dispositif bien en place : Marta Gornicka est au centre de la salle et dirige le chœur des femmes de tous âges, de 9 à 72 ans. Car oui, il s’agit bien d’un chœur, à la semblance enrichie d’un chœur antique, celui des tragédies grecques. C’est au départ en formation militaire de combat, en triangle, que toutes ces femmes, ces survivantes de guerre, vont chanter, scander tout un répertoire puisé dans le folklore et les chansons populaires venues d’Ukraine. Une formation de combat qui va s’ouvrir telle une fleur, dessiner différentes figures géométriques dues à Evelin Facchini dans le balancement entre la célébration de la vie, individuelle et collective, et le témoignage de ce que la guerre détruit au jour le jour.

Le tout en 60 minutes, sans aucun pathos. Une leçon de courage et de résistance. Jean-Pierre Han, photos Christophe Raynaud de Lage

 

 

Mothers. A song for Wartime, de Marta Gornicka : le spectacle fut présenté en juillet dans la Cour d’honneur du Palais des papes d’Avignon. Du 15 au 19/10 au théâtre du Rond-Point à Paris, les 24 et 25/10 au TNP de Lyon.

 

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Frictions, la revue qui démange

Dans sa dernière livraison (N°38, été 2024, 171 p., 15€), une nouvelle fois la revue Frictions frappe fort ! Outre les contributions toujours percutantes de Robert Cantarella, Eugène Durif ou Olivier Neveux, Jean-Pierre Han consacre son long éditorial à l‘État des lieux, une analyse nécessaire [de la réalité théâtrale]. S’appuyant, dans son propos, sur l’ouvrage de Jean Jourdheuil, Le théâtre, les nénuphars, les moulins à vent.

 

« Raconter sur le mode de la chronique et du témoignage, poser les jalons d’une histoire du théâtre », écrit le metteur en scène et dramaturge, « raconter afin de rendre intelligibles les origines du marasme actuel, sans craindre d’entrer dans les détails » : au regard des débats actuels sur un éventuel élitisme culturel, un livre d’une haute pertinence critique !

 

En 2020, le Prix de la meilleurs publication de l’année sur le théâtre fut décerné à Frictions par le Syndicat de la critique. Un grand moment de lecture, une revue aussi riche dans sa forme que sur le fond à découvrir et à soutenir… Chantiers de culture ne peut que souhaiter plein succès et bel avenir à ces démangeantes frictions ! 

 

Yonnel Liégeois / Chantiers de culture

 

 

Frictions/ Théâtres-Écritures : 50€ pour 4 nos/an, 8 nos pour 80€. 22 rue Beaunier, 75014 Paris (Tél. : 01.45.43.48.95).

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October 7, 2024 7:42 AM
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Une Trilogie new-yorkaise, d’après Paul Auster, (Editions Actes Sud), adaptation et mise en scène Igor Mendjisky, à L’Azimut

Une Trilogie new-yorkaise, d’après Paul Auster, (Editions Actes Sud), adaptation et mise en scène Igor Mendjisky, à L’Azimut | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Louis Juzot dans le blog Hottello - 4 oct. 2024

 

 

 

Igor Mendjisky a réalisé sans doute l’un de ses projets aussi cher qu’audacieux en adaptant La Trilogie new-yorkaise de Paul Auster au théâtre. L’écrivain avait lu cette adaptation quelques mois avant sa mort et après un échange de correspondances avec le metteur en scène. 

 

 

Le défi était de taille car, comme le dit Igor Mendjisky : « La trilogie prend une allure de quête métaphysique et la ville, illimitée, insaisissable, devient un gigantesque échiquier où Paul Auster dispose ses pions pour mieux nous parler de dépossession ». Comment rendre au théâtre les deux thèmes qui irriguent le roman? L’identité, la création et la dépossession de soi par l’écriture d’une part, la géographie d’une ville-monde d’autre part, décrite par des lieux et des trajets minutieusement reportés.

Il fallait aussi retrouver cette ambiance de film noir, de ce thriller intello qui verse dans l’autodérision et l’absurde beckettien. Tout cela est bien là dans cette adaptation qui respecte l’œuvre, la suit dans ses méandres improbables, fidèlement, en essayant d’approcher la quintessence d’un style d’écriture.

 

 

Dans la Cité de verre, Thibault Perrenoud est Quinn écrivain dépressif, marqué par la perte de sa femme et de son fils, fabriquant des polars à la chaîne, détective par  hasard téléphonique. Il est  flanqué de son héros de papier le détective Max Work qui pour les besoins de l’adaptation théâtrale est incarné par Lahcen Razzougui. Ce dernier pousse en avant son créateur dé-socialisé et solitaire vers une intrigue nouée autour des relations père et fils. Pascal Greggory joue avec maestria les inquiétants  père et fils Stillman. Une  femme apparait, Ophélia Kolb, épouse et mère, trouble  commanditaire de la mission confiée à Quinn,  puis Paul Auster lui-même, le vrai faux auteur, joué classe et distancié par Gabriel Dufay.

 

 

New-York et la filature de Stillman à travers gares, rues, parcs et  immeubles, sont évoqués  par des effets vidéos distillés avec soin, un décor frontal et étagé qui permet de créer des petits espaces ( l’appartement de  Quinn, une cabine téléphonique) et de rendre les murs de la ville dans des tons rougeoyants, décrépits et enténébrés, consubstantiels au genre polar. Première chanson interprétée par Rafaela Jirkovsky, l’incontournable « Walk on the wide side » de Lou Reed.

 

 

Dans Revenants, c’est Félicien Juttner qui incarne un autre double ou avatar du démiurge auteur, dénommé Bleu. Nerveux, emporté, il observe Noir, énigmatique, qui écrit et quitte de temps en temps sa table de travail- quoi et pourquoi, nul ne le saura. Réapparition d’autres fantômes en rappel du  premier volet, sous d’autres identités: la femme de Bleu, Brun comme Noir. L’ambiance est lourde, s’épaissit dans ce jeu entre écriture et voyeurisme où les projections fluo des notes répétitives de Bleu dans son carnet de filature saturent l’espace.

 

 

Dernier volet où Igor Mendjisky, un rien narcissique, descend dans l’arène pour incarner le «  je » de La Chambre dérobée. Il jouait dans les premiers volets un animateur radio lançant les récits comme un maître des horloges. Il a transformé le texte écrit en texte proféré, c’est un passeur, un double de théâtre de Paul Auster .

Le dernier volet est celui d’une forme de réconciliation de l‘auteur après un combat avec cet autre avatar Fanshawe dont il déchire finalement  le carnet rouge, cet autre carnet rouge acheté par Quinn, rempli minutieusement par Bleu,  cet autre avatar dont il épouse la femme et adopte le fils. Enfin réconcilié avec lui-même. 

Rafaela Jirkovsky entonne mélodieusement le Because des Beatles en guise d’épilogue dans un wagon où toutes les créatures de roman-théâtre sont embarquées. Adieu à l’auteur.

 

 

Finesse d’analyse, théâtralité et fables pleinement maitrisées malgré la complexité  et l’écheveau des situations et des personnages, incarnations savoureuses, Igor Mendjisky et sa troupe rendent un bel hommage à Paul Auster qui aurait sans doute apprécié leur travail.

 

 

Louis Juzot

 

 

Du 3 au 6 octobre à L’Azimut/ Antony, Théâtre Firmin-Gémier/Patrick Devedjian. Du 15 au 16 octobre, Scène nationale du Sud-Aquitain. Le 18 octobre au Parvis Scène nationale de Tarbes-Pyrénées. Le 7 novembre Théâtre  Edwige Feuillère Vesoul. Du 14 au 30 novembre au Théâtre de la Ville Paris. Les 3 et 4 décembre au Théâtre de Sénart- Scène nationale. Le 6 décembre Espace Marcel Carné – Saint-Michel-sur-Orge. Le10 décembre au Théâtre de Meudon.

 

Une Trilogie new-yorkaise, d’après Paul Auster, (Editions Actes Sud), adaptation et mise en scène Igor Mendjisky, dramaturgie Charlotte Farcet, vidéo Yannick Donet, animation 2 D Cléo Sarrazin, scénographie Anne-Sophie Grac, musique Raphaël Charpentier, lumières Stéphane Deschamps, costumes Emmanuelle Thomas. Avec Gabriel Dufay, Pascal Greggory, Rafaela Jirkovsky, Ophelia Kolb, Igor Mendjisky, Thibault Perrenoud, Lahcen Razzougi, Félicien Juttner.

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October 6, 2024 6:25 AM
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A Toulouse, l’opéra urbain «la Porte des ténèbres», jugé «sataniste», suscite l’ire de la cathosphère 

A Toulouse, l’opéra urbain «la Porte des ténèbres», jugé «sataniste», suscite l’ire de la cathosphère  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Stéphane Thépotcorrespondant de Libération à Toulouse -  4 oct. 2024

 

 

Le nouveau spectacle de rue de François Delarozière, dont le premier acte avait rassemblé 900 000 spectateurs en 2018, suscite l’indignation  des catholiques intégristes et de l’Eglise de la Haute-Garonne.

 
 

Vade retro Lilith ! Va-t-on voir à nouveau les robes de bure des capucins intégristes, tonsuré et barbus, venir «exorciser» un spectacle jugé blasphématoire à la fin du mois d’octobre ? Treize ans après les prières de rue organisées contre la pièce Golgota Picnic au théâtre Garonne en novembre 2011, Alain Escada se lance dans une nouvelle croisade contre une création culturelle à Toulouse. Le fondateur belge du mouvement politique intégriste d’extrême droite Civitas International, dont la branche française a été officiellement dissoute par Gérald Darmanin en 2023, dénonce sur les réseaux sociaux le prochain grand spectacle de rue de la compagnie la Machine de François Delarozière, du 25 au 27 octobre. Une pétition en ligne lancée par Pro-Europa Christiana, qui se présente comme une fédération d’une dizaine d’associations catholiques «attachées aux valeurs chrétiennes traditionnelles»,  invite les fidèles à écrire au maire de la ville, Jean Luc Moudenc, pour exprimer leur indignation face à ce «défilé satanique». Une poignée d’évangélistes américains fondamentalistes installés à Toulouse mêlent leurs voix à ces cris d’orfraie.

Odeur de soufre

Catholique bon teint, l’édile (ex-LR) de Toulouse se déclare «très étonné» par cette polémique qui monte dans la cathosphère. Elle est même déjà attisée par le souverainiste et complotiste François Asselineau sur le réseau social X. Moudenc fait valoir que le premier acte de cet opéra urbain avait rassemblé près de 900 000 spectateurs autour du Minotaure géant imaginé par François Delarozière en 2018, sans paraître «maléfique» aux yeux de la foule. L’odeur de soufre dénoncée par les extrémistes de Civitas semble toutefois être remontée jusqu’aux narines du clergé catholique local. Simon d’Artigue, curé de choc des paroisses du centre-ville, a commencé par remettre en cause cet été l’affiche du spectacle. Elle est signée par l’artiste Stéphan Muntaner, vieux complice marseillais de Delarozière, illustrateur de toutes les productions de la Machine à Toulouse, Nantes ou Calais. Le prêtre influenceur, très présent sur les réseaux sociaux, y a vu des églises incendiées. Pas Moudenc, qui observe au contraire que les édifices religieux semblent épargnés par les flammes.

 

Après cette exégèse graphique à la loupe, les critiques ont porté sur le livret de la pièce écrite par François Delarozière. L’artiste a imaginé un récit mythologique en trois actes pour mettre en scène la déambulation de ses créatures mécaniques géantes dans le dédale des rues de la ville. Il a été contraint de s’expliquer devant trois responsables religieux, dont un éminent prêtre et enseignant de l’Institut catholique de Toulouse et un pasteur protestant, sur l’introduction de sa nouvelle création, baptisée Lilith. Cette femme scorpion de 38 tonnes a fait ses premiers pas au Hellfest cet été. Elle doit rejoindre le fameux Minotaure, conçu spécialement pour la ville de Toulouse, et l’une des deux araignées de la ménagerie fantasmagorique de la Machine. La «Gardienne des ténèbres», tout droit venue d’un festival de heavy metal, doit jouer le rôle-titre du nouvel opus de la compagnie de théâtre de rue dans la ville rose.

 

Une cérémonie pour éloigner les démons

«Je ne cherche en aucun cas le blasphème, c’est un mot qui n’appartient pas à mon vocabulaire», assure Delarozière. A demi rassurées, les autorités ecclésiastiques du diocèse ont toutefois prévu une cérémonie pour éloigner les démons. L’archevêque doit «consacrer» la ville le 16 octobre dans l’église du Sacré-Cœur afin de «guérir, vivifier et sanctifier les habitants de la ville et du diocèse», selon un communiqué de l’Eglise catholique de la Haute-Garonne.

 

Sous la façade d’une obscure dispute mêlant légendes mythologiques et credo théologiques, c’est bien une nouvelle offensive politique qui se trame contre l’alliance inattendue entre le maire de la ville et François Delarozière. L’artiste post-punk s’était amusé à faire rôtir un autobus à la broche dans les années 80 à Toulouse, sous l’ère Baudis. L’audace avait valu une «excommunication» pour la troupe du Royal de Luxe, partie s’installer à Nantes. Son souvenir reste manifestement vivace dans la mémoire de certains vieux électeurs et fidèles de droite.

 

Stéphane Thépotcorrespondant de Libération à Toulouse

 

Légende photo : La nouvelle création de François Delarozière, une femme scorpion de 38 tonnes baptisée Lilith, a fait ses premiers pas au Hellfest cet été. (P. David/Cie La Machine)

 
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October 5, 2024 4:17 PM
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Julien Gosselin : «Il faut que partout en Europe on puisse se dire que l’art théâtral le plus vivant est à l’Odéon» 

Julien Gosselin : «Il faut que partout en Europe on puisse se dire que l’art théâtral le plus vivant est à l’Odéon»  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sonya Faure et Anne Diatkine dans Libération - 3 oct. 2024

 

 

Nommé fin juin à la tête du théâtre de l’Odéon, le metteur en scène déroule son projet pour l’institution parisienne, qui connaît des difficultés économiques. Au programme : promouvoir une création jeune et courageuse, renouveler les formes et ouvrir ses portes aux débats comme à la fête.

 

 
 
 

Julien Gosselin est enthousiaste – et ne serait pas loin de nous entraîner dans sa cavalcade. A 37 ans, sans jamais avoir dirigé aucun théâtre, le voici à la tête de l’Odéon et ses deux salles, celle à l’italienne du VIe arrondissement de Paris, et les très beaux Ateliers Berthier à proximité de la porte de Clichy. Mais aussi de son budget de fonctionnement de 19,2 millions d’euros en 2024, son déficit prévisionnel de 800 000 euros, son équipe de 130 salariés. Julien Gosselin connaît bien la maison pour y avoir joué une demi-douzaine de ses créations, dès ses débuts à 26 ans. Il a choisi son adjoint, Antoine Mory, énarque, ancien conseiller de Gabriel Attal, d’Elisabeth Borne, et avant cela, bras droit de Jean-Marc Dumontet, producteur et directeur de théâtres privés, qui fut aussi ancien administrateur du Théâtre national de Strasbourg. Pour Julien Gosselin, les défis – économiques et artistiques – sont titanesques. Stéphane Braunschweig, son prédécesseur, a jeté l’éponge au printemps faute de moyens. Gosselin, lui, n’irait pas jusqu’à nous dire que «tout va bien» mais il distille une joie communicative en dépit de son inquiétude. Il y a quelque chose d’étrange à le voir, lui, si attaché au rôle social et politique des théâtres, dans le bâtiment si imposant du cœur de la capitale. Certes sans cravate, mais en costume.

 

Que représente le Théâtre de l’Odéon pour vous ? Vous souvenez-vous des premiers spectacles que vous y avez vus ?

 

Je ne suis pas parisien et il est bien possible que la première fois que j’y suis venu c’était pour y jouer ! Comme tous les artistes, j’avais l’impression d’être présenté dans un très grand théâtre face à un public exigeant. C’est ce que j’ai dit à l’équipe à mon arrivée : si je compte montrer davantage d’artistes jeunes, ou radicaux, ça ne changera pas ce qu’est l’Odéon, un lieu où les spectateurs viennent voir le meilleur du théâtre français et étranger. L’Odéon est d’abord et avant tout une maison qui consacre. Qui dit : cet artiste est important.

 

 

Justement, on ne vous attendait pas à la tête d’un des lieux les plus institutionnels du théâtre français…

 

Moi non plus au fond…

 

 

Pouvez-vous nous détailler votre projet ?

 

L’idée fondamentale est que l’Odéon, c’est le théâtre de l’Europe et j’aimerais qu’on appelle ce théâtre ainsi. Depuis 2016, Stéphane Braunschweig et son directeur de la programmation Didier Juillard ont fait un travail extraordinaire de coproductions grâce auxquelles ils ont soutenu les compagnies françaises. Si aujourd’hui on peut tous se féliciter d’avoir autant de jeunes femmes metteuses en scène sur les plateaux, si la scène française est désormais sans doute la plus vivante d’Europe, avec la génération des Sylvain Creuzevault, Tiphaine Raffier, Caroline Guiela Nguyen, Lorraine de Sagazan… c’est en partie grâce à l’Odéon de Stéphane Braunschweig. On va poursuivre ce travail en insistant sur des formes nouvelles, des équipes plus jeunes. A côté des grands maîtres du théâtre européen, comme le Polonais Krystian Lupa ou l’Allemand Thomas Ostermeier, il existe en Europe des expériences menées par des artistes qui ont entre 30 et 45 ans, adeptes de formes plus performatives. J’ai envie de montrer cette génération-là, d’abord et avant tout. Je souhaite montrer des spectacles qui provoqueront du débat parmi les spectateurs.

 

Des exemples ?

 

J’aimerais programmer la jeune compagnie espagnole El Conde de Torrefiel ou Florentina Holzinger qui est considérée comme une immense artiste en Autriche ou en Allemagne. Je veux que Carolina Bianchi [metteuse en scène de Bonne nuit Cendrillon, où elle avale des comprimés de «drogue du violeur» sur scène, qui a marqué le Festival d’Avignon en 2023, ndlr] puisse être présentée dans la salle du VIe arrondissement. Ces spectacles disent quelque chose du théâtre aujourd’hui, du rapport à l’écriture, à la mise en scène, à l’art contemporain à la performance. Il y a à l’Odéon une petite salle de 230 places qui n’est plus exploitée depuis des années, où Claude Régy a joué, on pourrait à nouveau l’utiliser pour des formes plus performatives. J’aimerais par exemple accueillir l’artiste trans finno-égyptienne Samira Elagoz, qui mène un travail très pointu sur la transidentité. Il faut que partout en Europe on puisse se dire que l’art théâtral le plus vivant est ici. Que les artistes les plus importants d’Europe sont ici.

 

C’est quoi, un «artiste important» ?

 

Le renouvellement des formes est pour moi le critère le plus crucial, et il s’accompagne logiquement d’un renouvellement de la pensée. Aujourd’hui ce qui se fait de mieux en Europe, c’est nécessairement ce qui se fait de plus courageux.

 

Le courage comme programme pour l’Odéon ?

 

Oui, c’est fondamental. L’une des raisons qui m’a fait prendre la direction de cette institution, c’est mon expérience de jeune metteur en scène au Festival d’Avignon, en 2013. Avec Hortense Archambault et Vincent Baudriller, j’y ai rencontré des gens qui m’ont donné du courage. Et plus que ça, m’ont fait comprendre que ce que je pensais être des prises de risque n’en était pas encore assez, qu’il fallait pousser le bouchon plus loin. Si un jeune artiste se sent plus courageux à la fin du spectacle que quand il y est entré, alors j’aurais réussi mon pari. J’enseigne en ce moment au Conservatoire et à la rentrée j’ai demandé aux élèves d’aller voir à l’Odéon Dämon d’Angélica Liddell, qui est à mon avis ce qui se fait de plus grand au théâtre aujourd’hui. Certains ne connaissaient pas son existence. C’est ça, pour moi, le théâtre public, ce qui le démarque du théâtre commercial ou patrimonial : on y découvre ce dont on n’avait pas idée. Mes plus grandes expériences de spectateur touchent à cette révélation formelle, une sensation ou une émotion qu’on n’a jamais perçue, qui ne peut donc pas être calquée sur un modèle.

 

 

Vous nous aviez confié en 2016 que dans un théâtre, ce qui se passe avant et après un spectacle, est aussi important que le spectacle lui-même. Allez-vous appliquer ce principe à l’Odéon, un lieu pas forcément adapté ?

 

Ça va vous paraître un détail mais pour moi c’est fondamental : on vient d’arrêter les pots de première fermés [collations réservées aux professionnels et journalistes à l’issue de la première représentation d’une pièce]. Les soirs de premières, on offrira désormais un verre à tout le monde – ce qui nous coûtera la même somme. On a l’impression qu’il n’y a jamais de jeunes dans le public de l’Odéon. C’est faux, il y a 30 % de jeunes aujourd’hui [moins de 28 ans, étudiants et public scolaire], et j’ai assez peu de doute que cette proportion augmentera sous mon mandat avec la programmation que je prévois. A la première d’Angélica, parmi les spectateurs restés boire un verre, il y avait 200 jeunes, fous de joie, découvrant ce lieu extraordinaire qu’est l’Odéon. Pour la première de Parallax, mis en scène par Kornél Mundruczó, on aura un DJ et ça va être la teuf, je le dis aussi simplement que ça. On va commencer dès la saison prochaine à avoir des concerts de musique électronique de manière régulière, on y réfléchit déjà avec la programmatrice musicale de la Volksbühne à Berlin. J’ai envie qu’on ait un autre public. Non pas que je veuille me passer du public actuel de l’Odéon, absolument pas, d’autant qu’il est extrêmement attaché aux grandes formes théâtrales et c’est une chance. Mais j’aimerais qu’on ouvre le bar tous les soirs, même si ça ne se fait pas tout de suite, qu’on invite des penseurs, des militants, des artistes. Pourquoi aime-t-on aller au Festival d’Avignon ? Parce qu’on aime s’engueuler après les spectacles. Mais si on n’a pas de lieux pour débattre ?

 

Vous auriez aimé diriger un théâtre avec une école. Comment allez-vous combler ce désir-là à l’Odéon ?

 

Je rêve de créer d’ici quelques années une «académie» autour de la performance. Avoir à demeure sept ou huit jeunes artistes internationaux – chorégraphes, musiciens, acteurs, auteurs… tous mettant en jeu leur propre corps, ça irriguerait toute la maison.

 

Stéphane Braunschweig a dit qu’il quittait la direction de l’Odéon essentiellement pour des questions économiques. Avez-vous eu des garanties de la part du ministère avant d’accepter le poste ?

 

Non. En revanche, j’ai été très clair dans les différentes notes et lors des discussions que j’ai eues avec le ministère sur la nécessité d’un soutien particulier de l’Etat. En 2023, l’Odéon a fait 800 000 euros de déficit. L’idée pour nous c’est de limiter ces prochaines années le plus possible ce déficit, avec l’aide du ministère de la Culture. Est-ce que ça sera simple ? Non.

 

Sur quels leviers allez-vous jouer ?

 

Nous travaillons sur la mise en place de collaborations européennes. Il faut qu’on puisse produire davantage de spectacles qu’on pourra emmener en tournée.

 

Mais les tournées sont chères ?

 

Ce sont des discussions que nous avons en interne. Comment collaborer davantage avec le réseau européen pour qu’il contribue à financer nos créations ? Comment créer des spectacles qui soient à la juste taille pour arriver à tourner sans que ça nous coûte de l’argent, voir nous en rapporte ? Nous continuons à travailler sur le taux de remplissage des salles, qui est déjà plutôt bon, à plus de 83 % de public payant. Il faut également élargir notre cercle de mécènes. Il n’y a pas de solution unique mais une série d’efforts qui, mis bout à bout, permettent d’avancer.

 

Allez-vous remettre en cause la convention collective de l’Odéon et ses annexes (qui régissent notamment le temps de travail, les primes, les catégories d’hôtel lors des tournées) ?

 

Je ne suis pas venu pour casser la convention. On s’attelle plutôt à questionner les usages millénaires de l’Odéon, voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne plus. On essaie de tout mettre à plat pour observer ce qu’on peut changer sans rien dégrader, en confiance, avec les différentes équipes. C’est peut-être un peu grandiloquent de le dire ainsi, mais on a tous envie de sauver ce théâtre.

 

Quand vous avez présenté à la ministre de la Culture votre projet, a-t-elle en retour exigé des contreparties ?

 

Non, il n’y a pas eu de demandes particulières de Rachida Dati qui ne seraient pas inscrites dans ma lettre de missions. Laquelle tient sur une page. Son axe : faire rayonner l’Odéon comme un grand théâtre européen tout en tenant la comptabilité de la maison.

 

La ministre a-t-elle des demandes particulières à propos des pièces de répertoire ?

 

Je n’ai pas à vous faire part de mes discussions avec la ministre ! Mais j’aimerais bien savoir ce qu’on appelle le théâtre de texte. Depuis que je fais du théâtre, on m’explique que le texte va disparaître. Angelica Liddell, c’est un texte. Je mets au plateau des romans de Thomas Mann et Thomas Bernhard. Donc, oui, il va y avoir de la littérature dans plein de spectacles sur les différents plateaux de l’Odéon. Par ailleurs, quand je suis appelé pour faire des mises en scène dans des théâtres en Europe, on m’appelle, pourquoi ? Parce que je suis l’un des seuls metteurs en scène contemporains à faire encore du théâtre de texte ! De quoi parle-t-on ?

 

On tente juste de savoir si dans votre programmation, il y aura également de la place pour le répertoire théâtral du XXe et des siècles précédents !

 

Oui ! Ce ne sera pas pour rassurer le public, mais parce que je crois en la littérature. L’opposition entre le théâtre de texte et sans texte est vide de sens. Si on en est encore là maintenant, c’est un motif de plus pour faire bouger ces lignes.

 

Comment accéder à un public le plus diversifié possible, quand on est situé dans le VIe arrondissement parisien, à la population on ne peut plus homogène ?

 

La question de la diversification des publics et de l’accès aux œuvres : ce sont les missions d’un directeur de théâtre et je les endosse. J’ai envie qu’on aille chercher les jeunes gens pour leur montrer ce que peut être cet art bizarre dont ils n’entendent parler qu’à l’école, et dont les sujets et les formes peuvent les bouleverser. Mais je n’irai pas demander aux artistes de devenir des êtres stratégiques. J’ai envie qu’ils creusent leur sillon vers le plus de profondeur possible, qu’ils soient en capacité de rater leur spectacle, d’échouer… et pas qu’ils entreprennent des spectacles pensés pour séduire soi-disant un maximum de gens.

 

Quel rôle peut tenir l’Odéon dans ce climat populiste, où l’extrême droite prend le pouvoir ?

 

Les théâtres sont des endroits de bataille, des lieux de résistance. D’autant que les salles subventionnées sont les premiers lieux attaqués quand l’extrême droite est au pouvoir. On le voit avec Meloni en Italie. C’est l’une des raisons qui me pousse à accueillir des artistes internationaux. Aujourd’hui, un artiste italien doit attendre de la France et d’autres pays européens d’être repérés. Sans l’aide de l’Europe, il n’y parvient pas. Ce n’était pas le cas avant. Je viens de Calais, où l’ancienne direction du Channel, scène nationale de Calais, a été débarquée par la municipalité LR. Je sais ce qu’est un théâtre qui navigue dans une forme de résistance. Je suis inquiet, mais cette inquiétude met les directrices et directeurs de théâtre toujours en éveil.

 

 

 

Légende photo : Paris, le 1er octobre 2024. Portrait de Julien Gosselin. (Marie Rouge/Libération)

 
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October 3, 2024 3:10 AM
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Sidney Ali Mehelleb, de l'écriture à la scène

Sidney Ali Mehelleb, de l'écriture à la scène | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Olivier Frégaville Gratian d'Amore pour l'Oeil d'Olivier - 28 sept. 2024

 

Du thriller existentiel de Baptiste Amann, qui se joue actuellement au Théâtre Public de Montreuil, à sa propre prose ancrée dans un réel à peine dystopique, mise en scène par Aurélie Van Den Daele, le comédien navigue comme un poisson dans l’eau entre réalité et fiction.

 

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?


C’était un concert d’été gratuit à Marseille, sur les pelouses des plages du Prado. Il y avait plusieurs groupes qui jouaient, mais je me souviens uniquement du moment où les Rita Mitsouko sont montés sur scène. C’était dingue. Catherine Ringer et Fred Chichin ont absolument retourné la foule présente et tout particulièrement les jeunes ados que nous étions. C’était mon premier concert. Je n’avais jamais écouté leur musique avant. J’étais plutôt Hip Hop, funk, soul, R’n’B. J’étais adolescent et c’est, je pense, la première fois que mes parents me laissaient sortir le soir avec des potes du collège. Je ne comprenais rien à ce qu’il m’arrivait, secoué par tous ces corps qui faisaient la fête grâce à un groupe de musique en live.

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière d’artiste ? 
New York, New York, le film de Martin Scorsese. Plus particulièrement,  la scène d’ouverture où les soldats américains fêtent la victoire des USA sur le Japon à grands coups de confettis et champagne. Puis cet enchainement de scènes entre Liza Minelli et Robert De Niro sont à couper le souffle, de liberté de jeu, d’échanges savoureux, drôles et pitoyables. Un pur bonheur. La musique également, les plans de caméra, c’est une réalisation hors cadre qui ne passerait pas sur les plateformes aujourd’hui. Des scènes et des plans longs qui prennent le temps de nous mettre dans l’ambiance de leur relation dans cette ville monstre. Je me suis dit qu’il fallait que je prenne des cours de théâtre pour apprendre à faire tout ça !

 

 

Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien, auteur et metteur en scène ?


J’avais plein de rêves en solitaire étant jeune, mais très peu de réflexion et de motivation personnelle pour les mener jusqu’au bout. Pendant pas mal de temps, je me suis dit que j’allais être basketteur, mais j’ai compris vers mes dix-huit ans que je ne le serai jamais — pas assez bon. Puis sociologue, prof de sport, journaliste. Je me suis retrouvé à vendre des baskets. Bref, tout ça pour dire que rien ne m’attirait vraiment. Mais cette grande errance m’a laissé du temps pour regarder beaucoup de films, de séries. Je ne lisais rien à l’époque. Je passais parfois des journées, des nuits dans des salles de cinéma. Je me faisais des marathons. C’était ça dans les années 90. On n’avait pas les ordis dans le lit et pas d’ordis tout court. Mais en voyant New York, New York dont je parlais plus haut, je me suis tout de suite dit qu’il fallait que je prenne des cours de théâtre pour jouer comme De Niro. Je n’avais pas du tout envie de passer des castings — peut-être l’intuition qui m’a le plus aidé depuis. C’est donc ce chemin-là de réflexion — longue, très longue — qui m’a amené à choisir la navigation entre l’interprétation, l’écriture et la mise en scène. Même si depuis quelques années j’ai mis de côté la mise en scène pour me consacrer aux deux autres. C’est déjà beaucoup. Pour l’écriture, le déclencheur a été de ne pas trouver dans la littérature théâtrale des histoires qui parlent d’où je viens et des histoires surtout qui pourraient toucher ma famille et mes amis de Marseille, pour qui le théâtre n’est pas du tout une priorité, pour le dire gentiment. 

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
En 2002, La Cuisine d’Arnold Wesker dans la mise en scène de Jean-Louis Martin Barbaz qui était mon professeur et directeur d’école. Je suis rentré au Studio Théâtre d’Asnières comme élève en 2001. Pendant ma première année de formation, j’ai eu la chance de faire partie de l’énorme distribution de ce spectacle. Nous étions trente sur scène. Donc j’allais en cours et je prenais du temps de jeu avec une équipe de pros que je regardais et avec qui je jouais en répétitions, puis en représentations. Je jouais un rôle avec peu de texte mais j’étais tellement heureux car je passais pratiquement 2h30 sur le plateau à vivre, à respirer, à être disponible et autonome en tant qu’interprète sans la pression d’un rôle à grosses responsabilités dans l’histoire. Je faisais la plonge, j’essuyais, comptais, rangeais les assiettes, les verres, je prenais de la fumée dans les narines, je passais la serpillière mais j’ai tellement appris. J’arrivais à peine à Paris dans le métier avec mon fort accent marseillais que j’avais du mal à maîtriser à ce moment-là, cette expérience m’a donné du temps de jeu et de la confiance sur ma capacité à traverser une histoire avec une équipe. Comme dans un match. Puis je me souviens qu’on transpirait beaucoup. Comme dans un match. J’ai donc eu la sensation que le théâtre m’apportait autant que le sport. J’ai senti que j’étais à ma place.

 

 

Votre plus grand coup de cœur scénique ? 


C’est dur. Il y en a plusieurs. Mais si je dois faire un choix pour ici, le spectacle qui reste gravé dans mes cellules est Tambours Battants d’Arne Sierens, que j’ai vu au théâtre de la Bastille en 2005 il me semble. Je ne vous raconte même pas l’état de mon t-shirt à la fin de ce spectacle. Trempé jusqu’aux os j’étais. En transe. Il y avait l’histoire évidemment. Mais tout. La musique, un groupe rock en live. Avec la batterie comme élément de base car cet instrument était au cœur de l’histoire. Et le jeu des acteurs et actrices ! Eux aussi étaient trempés. C’était total ! 

 

Mais je ne peux pas m’empêcher de dire que j’ai été aussi totalement fasciné par Médée mise en scène par Déborah Warner à Chaillot avec l’immense Fiona Shaw, la création d’Incendies de Wajdi Mouawad [au Théâtre 71 Malakoff en 2005], par Thyeste de Simon Stone, le travail de la Cie de danse-théâtre hollandaise T.R.A.S.H. et plus récemment, One Song de Miet Warlop !  Il y a en a tellement ! 

Quelles sont vos plus belles rencontres ? 


En CE1, un intervenant dont je n’ai malheureusement plus le nom, qui venait nous apprendre à jouer aux échecs. Je m’en souviendrai toute ma vie. Puis, tellement de personnes avec qui j’ai joué au basket pendant plusieurs années et qui m’ont transmis la rigueur, la discipline et le plaisir du jeu. Et ces dernières années, Aurélie Van Den Daele [metteuse en scène et directrice du Théâtre de l’Union, CDN du Limousin] ainsi que Caroline Marcilhac [directrice de Théâtre Ouvert] : elles m’ont énormément aidé à assumer mon écriture et me déployer dans le jeu sur plusieurs spectacles. 

 

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?


Je dirais surtout qu’aujourd’hui jouer et écrire m’aident à transformer beaucoup de colère en poésie. D’en faire une arme miraculeuse, comme dirait Aimé Césaire. D’être aux aguets, à l’affût de tout ce qui se passe, d’être disponible au monde au maximum. Également de me remettre en question en tant qu’être humain et artiste lorsque je rencontre de nouvelles personnes.

 

Qu’est-ce qui vous inspire ?


La rue, les espaces, les autres, tous les autres. Les vivants et vivantes. Pas uniquement les homo sapiens. J’ai grandi dans des barres HLM donc dans une grande connaissance du béton et des odeurs de la misère. Heureusement qu’il y avait la mer pas trop loin. Petit à petit, je m’habitue à la verdure. Et quand je regarde, je sens cette verdure, je ne peux pas m’empêcher d’être très en colère contre un système qui a fait du béton son crédo et du pillage en règle de la biodiversité son quotidien. Donc la colère, forcément, se révèle une source d’inspiration. D’autant qu’en grandissant, on arrive à jouer avec elle pour la charger de poésie. Puis une inspiration profonde depuis enfant pour les immigrés de France, ma famille algérienne et puis toutes les nationalités des quartiers. Puis nous, enfants d’immigrés qui habitent mes textes en ce moment. 

 

De quel ordre est votre rapport à la scène ?


Il n’y a pas à dire, c’est l’effort, l’effort physique. La transpiration. La vibration de la transpiration. La connexion commune à travers la transpiration. L’engagement de la transpiration. Le maillot ou la chemise, tout est trempé. La transpiration est politique et poétique. Un effort de tous les instants pour ne pas être complaisant ou dans l’entre-soi. C’est aussi clairement un endroit qui permet le rassemblement. Qui permet de ne pas être seul. 

À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ? 


Les pieds. D’ailleurs, je les masse souvent mais pas assez. Ils me portent tous les jours. Je pourrais même dire plus largement les jambes. J’ai une grande fascination pour les appuis au sol. Je pense souvent à ça quand je travaille ou quand je vois d’autres artistes travailler. Comment ils et elles bougent. Comment les jambes et le haut du corps suit ou pas. C’est hyper beau de regarder ça.

 

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
J’aimerais tellement jouer avec tous les artistes québécois avec qui j’ai passé du temps pendant les trois festivals du Jamais Lu auxquels j’ai participé. J’aimerais beaucoup jouer avec Catherine Vidal qui est metteuse en scène et vient de prendre la direction du Quat’sous à Montréal ! 

 

J’aimerais énormément retravailler avec Adama Diop, mais un peu plus longtemps et jusqu’au bout d’un projet. J’ai eu la chance de le connaitre car il devait jouer dans une de mes pièces, Babacar, mais quelques temps avant la création il a été pris par Julien Gosselin sur 2666. Je ne pouvais pas rivaliser, hein ? Alors cette fois-ci, ce serait jouer avec lui. Ce serait foufou cette affaire ! Si tu lis ça Adama, tu vas rire frérot ! Mais pourquoi pas ? Je crois qu’on a beaucoup de choses à raconter ensemble !

 

J’aimerais aussi tellement jouer avec Miet Warlop. J’ai découvert son One Song au Festival d’Avignon en 2022, énorme claque ! 
Puis rapper avec Kae Tempest et Little Simz, franchement on pourrait faire des cross anglais français ensemble. Ce serait dingue ! Et pourquoi pas jouer dans une série ou film avec Michaela Coel et Paapa Essiedu. Enfin, j’aurais tellement voulu travailler avec Abdelkader Alloula, Kateb Yacine et Marcel Pagnol. Bon bref, la liste est longue !

 

À quel projet fou aimeriez-vous participer ? 


Je crois que théâtralement, j’ai eu la chance et je l’ai encore, de participer à des projets fous comme 1200 Tours que je termine d’écrire en ce moment. Mais je crois qu’ici j’aimerais parler de cinéma mais complètement fou. J’aimerais bien participer en tant qu’interprète à un projet de film complètement fou comme Victoria, du réalisateur allemand Sebastian Schipper. Un plan séquence de plus de 2h30 dans Berlin entre quatre et sept heures du matin. J’avoue que ça, ce serait incroyable. 

 

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ? 
To be or not to be d’Ernst Lubitsch. Déjà parce que c’est mon top one dans tous les films du monde entier. Puis parce qu’il y a tout dans ce film : la comédie, l’engagement politique, la révolte, la naïveté, la lutte et l’espoir.

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Lieux communs de Baptiste Amann
Création le 4 juillet 2024 au Festival d’Avignon
Durée 2h30

Tournée
24 septembre au 10 octobre 2024 au Théâtre Public de Montreuil, Centre dramatique national
16 et 17 octobre 2024 au Zef, Scène nationale de Marseille
27 au 29 novembre 2024 à La Comédie de Béthune, Centre dramatique national
5 au 8 février 2025 au Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine
13 et 14 février 2025 au Théâtre de l’Union, Centre dramatique national du Limousin, Limoges
18 au 21 février 2025 à La Comédie de Saint-Étienne, Centre dramatique national

mise en scène de Baptiste Amann assisté de Balthazar Monge, Max Unbekandt
Avec Océane Caïraty, Alexandra Castellon, Charlotte Issaly, Sidney Ali Mehelleb, Caroline Menon-Bertheux, Yohann Pisiou, Samuel Réhault, Pascal Sangla 
Scénographie et lumière de Florent Jacob
Son de Léon Blomme
Costumes d’Estelle Couturier-Chatellain, Marine Peyraud

Légende photo : Sidney Ali Mehelleb - Crédit : © Marjolaine Moulin

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October 2, 2024 10:58 AM
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Cyril Teste : « Platonov est un matériau brut, une œuvre faite d’énergie pure  »

Cyril Teste : « Platonov est un matériau brut, une œuvre faite d’énergie pure  » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore  - 1er oct. 2024

 

Poursuivant son exploration de l’univers tchekhovien, le metteur en scène, fondateur du collectif MXM, rêve un Platonov intangible autant que fantasmé, un homme tout juste esquissé lors d’une soirée de village.

1 octobre 2024
Après La Mouette en 2021, vous vous attaquez au tout premier texte de Tchekhov, Platonov. Pourquoi ?  
Cyril Teste : De manière très accidentelle. Je n’avais pas l’intention de me frotter à nouveau à l’univers du dramaturge russe. J’avais d’autres idées en tête. Puis un soir, fatigué par le Covid, que je venais d’attraper, j’ai commencé à chercher dans mes livres une aventure de troupe. J’ai fini par tomber sur Platonov, que je n’avais pas encore lu. J’ai été fasciné par ce texte écrit à dix-sept ans, où sa patte n’est pas encore là. On sent qu’il se cherche, qu’il y a dans cette œuvre un goût d’inachevé.

Je trouvais drôle et passionnant de monter un autre Tchekhov, celui de sa jeunesse — à peine 17 ans —, après avoir mis en scène ce qui est à mon sens sa pièce phare, La Mouette. C’était d’autant plus intéressant qu’il y a des résonnances entre ses deux textes. L’un est le pendant de l’autre. Platonov est de la même famille que Treplev. 

Qu’est-ce qui vous a tant plu dans cette œuvre de jeunesse ?

Cyril Teste : Justement, sa fragilité, le fait qu’elle soit en quelque sorte assez déconstruite. Platonov n’est pas une pièce de théâtre, mais plutôt un matériau, une base pour la suite de ses écrits. Et puis je trouvais beau de terminer mon cycle sur Tchekhov après d’autres projets sur les prémices du grand dramaturge en devenir. Il y a dans tout cela quelque chose de très intuitif. 

Contrairement à votre travail sur La Mouette qui suit la trame de la pièce, ici, on est plutôt sur une évocation de l’œuvre.
Cyril Teste : Comme je l’évoquais juste avant, Platonov n’est pas une pièce mais un matériau brut. Le texte n’est pas paginé, on pourrait dire qu’il n’a pas eu temps d’exister en tant qu’œuvre révolue. C’est un essai, une esquisse. Il y cartographie une série de personnages plus âgés que lui. Tout est très horizontal, sans véritable trame. Je me suis plongé dans le texte originel et dans les différentes traductions qui ont été faites. Ce qui m’a fasciné, c’est qu’il y a quelque chose de primitif.

Je n’avais pas envie de tricher avec cela. J’ai donc fait le choix de ne garder que les souvenirs qu’il m’en restaient après l’avoir traversé. C’est un projet à la fois fragmentaire et kaléidoscopique. Je n’ai conservé que l’énergie folle, sauvage presque, qui s’en dégage. Platonov, c’est une sorte de Frankenstein littéraire, on y voit les cicatrices, les coutures du jeune auteur qui se cherche. C’est un patchwork qui va de Shakespeare au naturalisme en passant par un peu de réalisme. Rien n’est ancré dans un style, bien au contraire. 

Vous parlez d’énergie… 

© Simon Gosselin
Cyril Teste : À la différence de La Mouette, où tout est vers, dans Platonov, il n’y a pas à mon avis une approche littéraire. Tchekhov a dix-sept ans, c’est un gamin. Il est dans l’énergie pure. D’ailleurs, je trouve que la manière dont il dessine les personnages fait penser aux œuvres de Michel-Ange ou de Rodin. C’est-à-dire qu’à certains endroits, il n’y a que des silhouettes, à peine une esquisse. Les traits ne sont pas finis, juste croqués sans atteindre vraiment une profondeur de caractère. 

Dans cette mise en scène, vous faites appel à des amateurs pour figurer cette fête, qui est finalement le constat de nombreux échecs… 


Cyril Teste : C’est presque l’origine du projet. Au départ, j’avais même envisagé que chaque représentation serait une fête à laquelle on inviterait les spectateurs à boire et danser avec les comédiens qui performeraient au milieu d’eux. L’idée était même de jouer ailleurs que dans un théâtre. C’est l’essence même du film, qui est l’autre pendant essentiel de ce diptyque. La pièce et le long-métrage sont complémentaires. L’une ne va pas sans l’autre. Pour tout comprendre de ce projet, il faut absolument voir les deux. La fête, qui est au cœur de tout cela, nous l’avons vécue comme un instant d’épiphanie. C’est ce qui transparaît dans le film, sorte de long travelling d’une nuit. 

Ce moment magique, j’ai souhaité le reproduire sur scène, du moins m’en servir pour construire la pièce. C’est pour cela que nous invitons des spectateurs au plateau, pour qu’ils soient dans le cadre, qu’ils voient de l’intérieur ce qui anime les personnages. Pour le coup, c’est une vraie volonté de ma part de créer du lien aussi avec les théâtres, parce que c’était un joli prétexte pour retrouver le chemin des salles. Partant de là, ce que je trouve formidable, c’est que chaque soir est très différent. Parfois l’ambiance prend, d’autre fois c’est plus poussif. Je trouve cet aléa, qui exacerbe le vivant de ce spectacle, assez beau, parce que cela m’échappe et que le geste reste brut. C’est une expérience. 

Souvent, vous évoquez la vidéo comme votre pinceau pour peindre vos mises en scène…


Cyril Teste : C’est vrai que c’est essentiel dans ma démarche. Mais pour ce projet, j’ai aussi eu le besoin, l’envie de m’en détacher, de m’en défaire. Les tente dernières minutes de Sur l’autre rive, je ne fais plus intervenir aucun écran, aucune caméra. Je crois que mes deux derniers spectacles, finalement, et c’est assez étrange, cartographient l’histoire de mon collectif, tant au niveau des dispositifs que j’utilise que des recherches artistiques que je poursuis. La caméra est au point. Petit à petit, on entre dans le cinéma, puis on finit par s’en éloigner pour arriver à un théâtre brut, élémentaire. La vidéo fait partie intégrante de mon œuvre, cela fait partie de ce geste dont j’ai besoin pour écrire. Elle peut m’enfermer, me rendre libre. Elle est l’un des médiums qui me permettent de m’exprimer. C’est mon stylo, ma plume.

Vous disiez que Sur l’autre rive, le film qui sera disponible dans quelques jours sur Arte, est essentiel à la compréhension de votre geste. Pouvez-vous nous en dire plus ?


Cyril Teste : Partout où nous allons jouer la pièce, le film sera visible en salles non loin. Dans les cas où ce ne sera pas possible, il sera toujours disponible sur la plateforme d’Arte. À Nanterre, une soirée diptyque a été organisée. Les retours que nous avons des spectateurs confirme l’intérêt de voir les deux. C’est même fondamental. Ce sont deux objets qui n’en font qu’un. On ne peut comprendre l’un sans l’autre. C’est en tout cas le point de vue que je souhaite défendre. 

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore 

 


Sur l’autre rive d’après Platonov d’Anton Tchekhov (diptyque – second volet diffusé dur Arte le 13 octobre à minuit et à voir dès le 6 octobre sur arte.tv)
spectacle vu le 30 mai 2024 à Amphithéâtre d’O – Festival le printemps des Comédiens


Durée 1h50 environ

Tournée
27 septembre au 13 octobre 2024 au Théâtre Nanterre-Amandiers, centre dramatique national (92)


17 et 18 octobre 2024 à l’Espace des Arts, scène nationale de Chalon-sur-Saône (71)


8 au 16 novembre 2024 au Théâtre du Rond-Point, Paris (75)


26 novembre 2024 à l’Equinoxe, scène nationale de Châteauroux (36)


5 et 6 décembre 2024 à la Maison de la Culture d’Amiens, Pôle européen de création et de production (80)


11 au 13 décembre 2024 aux Quinconces, scène nationale du Mans (72)


18 et 19 décembre 2024 à La Condition Publique, Roubaix, dans le cadre de la saison nomade de La Rose des vents, Scène nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq (59)


15 au 17 janvier 2025 au Théâtre des Louvrais, Points Communs, scène nationale de Cergy-Pontoise/Val d’Oise (91)


22 et 23 janvier 2025 à la Comédie de Valence, centre dramatique national Drôme-Ardèche (26)


30 janvier au 8 février 2025 aux  Célestins, Théâtre de Lyon (69)


18 et 19 mars 2025 au Tandem, scène nationale, Douai (59)


26 au 28 mars 2025 au Théâtre Sénart, scène nationale (77)

Mise en scène de Cyril Teste assisté de Sylvère Santin
Traduction d’Olivier Cadiot
Adaptation de Joanne Delachair et Cyril Teste 
Avec  Vincent Berger, Olivia Corsini, Florent Dupuis, Katia Ferreira, Adrien Guiraud, Emilie Incerti Formentini, Mathias Labelle, Robin Lhuillier, Lou Martin-Fernet, Charles Morillon, Marc Prin, Pierre Timaitre, Haini Wang
Collaboration artistique – Marion Pellissier
Dramaturgie de Leila Adham
Scénographie de Valérie Grall
Costumes d’Isabelle Deffin, assistée de Noé Quilichini
Création lumière de Julien Boizard
Création vidéo de Mehdi Toutain-Lopez
Images originales : Nicolas Doremus et Christophe Gaultier
Musique originale : Nihil Bordures et Florent Dupuis

Olivier Frégaville-Gratian d'Amore / L'Oeil d'Olivier


Crédit photo © Simon Gosselin

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September 30, 2024 11:37 AM
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«Les Grands Sensibles» d’Elsa Granat, parentalité à la Shakespeare 

«Les Grands Sensibles» d’Elsa Granat, parentalité à la Shakespeare  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

par Sonya Faure dans Libération - 30 sept. 2024

 

Au TGP de Saint-Denis, la metteure en scène donne un Romeo et Juliette revisité, où des enfants trop vieux observent avec sévérité leurs parents immatures. Un spectacle fourmillant d’idées mais aussi de temps morts.

 
 

On y serait de toute façon allé rien que pour le titre. Les Grands Sensibles, ou la déconstruction /reconstruction, façon jeu de cubes, de Romeo et Juliette. Un Shakespeare mâtiné de Mary Poppins et de Maria Montessori : dans le dossier de presse, la metteure en scène Elsa Granat dit avoir été en résidence dans une école maternelle pour y relever les mots et la manière de toucher des enfants.

 

 

«Alors on est venu voir le chaos ?» provoque cette femme en peignoir, face public (Elsa Granat elle-même), qui se présente immédiatement : «Je suis mariée à Capulet.» Ici, les mères, globalement, ne vont pas bien. Frère Laurent est naturopathe et Roméo tient les murs avec Hamlet et Ophélie. Ils s’étonnent quand parfois de la «littérature leur sort de la bouche». Il y a beaucoup de générations sur cette scène, et cela, c’est beau : les parents et les jeunes Montaigu et Capulet donc, mais aussi des vieilles (actrices amatrices) qui passent en fauteuil roulant, brandissant des pancartes : «J’entends rien», et les enfants venus d’une classe du Conservatoire municipal de Saint-Denis. Une bande de putti et de pucks qui vient gaiement et régulièrement troller le spectacle.

Dans ce remake de Romeo et Juliette, des enfants trop vieux observent des parents immatures. Un fil narratif qui deviendra peut être un genre en soi, tant les œuvres sur les parents irresponsables se multiplient en ces temps de quel héritage-avons-nous-laissé-à-nos-enfants. Dans un moment creux du spectacle (il y en a) on a pensé au roman de Lydia Millet, Nous vivions dans un pays d’été. Là aussi, dans une bâtisse fin de siècle en voie d’écroulement, des ados regardent sévèrement leurs géniteurs boire et bavasser quand la planète sombre. Mais dans les Grands Sensibles, la charge politique est faible, et les récriminations des adolescents envers leurs parents sont plutôt de l’ordre de l’intime – ce que reproche surtout Hamlet à sa mère, c’est de coucher avec son oncle. Tandis que les parents, eux, plaident leur cause : n’ont-ils pas tout fait pour que leurs enfants n’aient pas d’allergie au gluten, pour retirer avant qu’ils ne puent les maillots de bain mouillés des sacs de piscines, bref, pour que leurs enfants «se réalisent» ?

 

 

On ne peut vraiment pas dire que le spectacle d’Elsa Granat manque d’idées, et les meilleures donnent lieu à des images éclatantes et folles. Mais les Grands Sensibles est un spectacle décousu avec un peu trop de vide entre les fils. Hyperactif et dissipé, que nous dit-il au final à part qu’il serait bon que chacun retrouve sa part d’enfance ? A la volée on gardera les adresses drôles au public, une vieille nourrice délectable (Bernadette Le Saché), les mères aussi défaites que leurs cheveux (Elsa Granat et Hélène Rencurel). Et leurs mots pour dire le manque terrible qu’elles ont de leurs enfants qui pourtant se tiennent devant elles, enfants qu’elles aiment à la folie mais à qui elles reprochent d’être là (pour tout ce que leur présence a fait à leur vie) et de ne déjà plus y être.

 

 

Les Grands Sensibles, ou l’éducation des barbares d’Elsa Granat, au TGP de Saint-Denis jusqu’au 6 octobre, puis en tournée à Thionville, Limoges, Dijon, Quimper…

 

 

 
 
Légende photo : La metteure en scène Elsa Granat dit avoir été en résidence dans une école maternelle pour y relever les mots et la manière de toucher des enfants. (Christophe Raynaud de Lage)
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September 26, 2024 12:47 PM
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«Sur tes traces» au théâtre de la Bastille, d’une voix l’autre

«Sur tes traces» au théâtre de la Bastille, d’une voix l’autre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Sonya Faure dans Libération / 26 septembre 2024

 

 

Amis et artistes, Gurshad Shaheman et Dany Boudreault se sont lancés dans une double quête, chacun revenant sur les lieux de la vie de l’autre, de l’Iran au Canada. Deux récits auxquels le spectateur a accès à travers un casque audio.

 

 

Gurshad Shaheman et Dany Boudreault ont grandi à des milliers de kilomètres l’un de l’autre, l’un en Iran l’autre au Canada. Les deux artistes se sont rencontrés quelque part en France, on ne se souvient plus bien dans quel théâtre et dans quelle ville, c’est le risque de ce spectacle aux règles inhabituelles : les détails de ce qu’on y a entendu sont parfois brumeux, exactement comme les souvenirs de notre propre vie et ça n’a pas beaucoup d’importance. Pendant des années, de Bruxelles à Montréal ou à Sarajevo, les deux comédiens et performeurs se croisent et décident finalement de croiser leur travail. Le projet est beau : se lancer dans une double quête. Chacun partira sur les traces de l’autre, rencontrera ses proches, parents, amis, arpentera ses lieux, du Kurdistan au lac Saint-Jean, de la maison de la mère à celle de l’ancien amant. Chacun écrira et dira sur scène la vie de l’autre. «Je veux que tu entres en moi» dit Gurshad. «J’entre et je sors de tes souvenirs comme on entre au bordel, sans cérémonie» dit Dany.

Une performance d’écriture

Sur scène justement, le dispositif est intrigant. Deux corps qui vivent leur vie, et parfois se croisent, dans un décor d’appartement ou de chambre d’hôtel assez neutre. Leurs lèvres bougent sans qu’on distingue ce qu’elles disent, Gurshad et Dany parlent tout bas dans des micros HS. Chacun dit son texte, deux flots de parole qui se recouvrent, se chevauchent ou s’enchaînent, deux monologues en même temps – mais dans ce cas parle-t-on encore de monologues ? Aux spectateurs, on a distribué à l’entrée de la salle un casque audio. C’est par lui que nous serons reliés aux acteurs : un bouton permet de passer d’un canal à l’autre, de la partition du premier à la partition du second, de l’histoire de Gurshad à celle de Dany. Au tout début une voix féminine dans le casque nous a mis dans le bain : «La frontière peut être franchie à tout moment à votre guise. Vous êtes seul capitaine à bord. Bonne traversée.» D’une voix l’autre.

 

 

On se souvient de la formidable pièce What if They Went to Moscow ? de Christiane Jatahy où le public était séparé en deux groupes, le premier voyant les acteurs en chair et en os en train d’être filmés, le second découvrant le film projeté à l’écran en direct. Mais Gurshad Shaheman introduit ici le manque. Les récits de Gurshad et Dany seront forcément tronqués. Nous manquera toujours un bout, ce qui sera perdu de la vie de Gurshad en quittant son récit pour écouter l’histoire de Dany sera perdu pour toujours. Pourtant deux lignes de vie se dessinent et se font écho, l’homosexualité, la joie, la violence, la peur de chuter, les fidélités multiples. Le prologue est à ce titre une performance d’écriture : alors que nous appuyons frénétiquement sur le bouton de notre casque pour passer de l’un à l’autre et ne rien rater (on se détendra au fil du spectacle), les paroles pourtant parallèles se répondent magiquement. Malheureusement l’enchantement n’opère pas aussi puissamment jusqu’au bout de la pièce, les mêmes moments de vie racontés par différents proches se répètent et le morcèlement des récits, contenu dans le principe même du spectacle, finit par menacer le lien qui unit les deux hommes, ces deux corps qui se rencontrent et partagent finalement si peu sur scène. Sans doute est-ce aussi en lien avec le troublant constat que fait Gurshad Shaheman à la toute fin du spectacle, celui que malgré la quête de l’autre, on perd toujours quelque chose, qu’il manque toujours et qu’aucune vie ne peut être dite, même par des vois multiples, pour ce qu’elle est – «ce qu’on m’a dit de toi ne te contient pas.»

Sur tes traces, de Gurshad Shaheman et Dany Boudreault, jusqu’au 4 octobre au théâtre de la Bastille. Dans le cadre du Festival d’Automne. Puis en tournée.

 

Sonya Faure / Libération 

Légende photo : Sur scène, le dispositif est intrigant : deux corps qui vivent leur vie, et parfois se croisent, dans un décor d’appartement ou de chambre d’hôtel assez neutre. (Emily Coenegrachts)

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September 25, 2024 8:14 AM
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Le théâtre populaire, un idéal qui brûle les planches 

Le théâtre populaire, un idéal qui brûle les planches  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération - 20 sept. 2024

 

Comment aller à la rencontre d’un public divers, sans renoncer à proposer des pièces exigeantes ? Depuis des années, nombre de directions et d’artistes s’efforcent de rendre plus accessible l’expérience «irremplaçable» du spectacle vivant.

 

 
 
 
 

C’est une question entêtante qui revient avec une acuité renouvelée et rallume, à chacun de ses surgissements, des joutes verbales d’une violence qui n’a rien de factice. C’est quoi, le théâtre populaire ? A quoi le reconnaît-on ? Les directions de lieux et artistes ont-ils le droit d’y renoncer ? Pourquoi est-ce un enjeu capital pour les arts vivants, qui traverse de manière bien moindre les autres disciplines, y compris lorsque pour exister elles dépendent de subsides publics ? Et le théâtre populaire, s’il existe, se confond-il avec la nécessité de plaire au plus grand nombre au risque de devenir, ô dévoiement, noyade dans une eau tiède, consensualité ?

 

 

 

Cette année, c’est Ariane Mnouchkine qui a rallumé le brasier au moment de la dissolution de l’Assemblée par le président Macron, en évoquant la rupture éventuelle des artistes et du peuple, dans une tribune parue dans Libération«Je n’ai jamais abandonné l’idée d’un théâtre populaire», nous confiait par ailleurs la metteuse en scène qui répète en ce moment son prochain spectacle, Ici sont les dragons, présenté sur le site du théâtre du Soleil comme «un grand spectacle populaire». L’épithète a ricoché tout au long de la dernière édition du Festival d’Avignon, où elle a été utilisée pour louer en particulier Lacrima, la nouvelle création de Caroline Guiela Nguyen singulièrement rassembleuse, mais aussi certaines propositions frontales en langue hispanique. De son côté, le directeur du Festival d’Avignon Tiago Rodrigues n’a eu de cesse, toujours en regard de la menace tangible d’une victoire du Rassemblement national, de relier le festival «service public» à l’héritage de son fondateur Jean Vilar, qui écrivait que «l’art populaire du théâtre est comme la santé des hommes, toujours menacé». Et menacé par quoi, selon Vilar ? Par le conformisme, la répétition des mêmes formes, l’incapacité de montrer les tracas et remous du monde, disait-il en substance, et surtout par le poison mortel de l’entre-soi. Contre l’idée courante, Vilar estimait qu’aucun rival ne pouvait atteindre l’art de la scène, pas même les mots croisés dans les années 50 et les combats de gladiateurs au temps des Romains, mais qu’il pouvait mourir, «malgré des salles pleines», s’il perdait contact «avec ceux qui travaillent».

Des flèches percutant des préoccupations partagées

Pourquoi appeler à la rescousse Vilar aujourd’hui alors même qu’on ne vit plus dans le même monde et que les questions devraient en principe se poser de manière complètement différente ? «Si être dans la tradition de Vilar, c’est monter des classiques sur des tréteaux, je ne suis pas du tout dans cette filiation, explique l’autrice et metteuse en scène Clara Le Picard, qui vit et travaille à Marseille. Mais si cela consiste à inventer des dramaturgies et un langage théâtral qui soit au cœur de nos tourments et réfléchir à leur adresse, alors, oui, je m’inscris dans une démarche vilarienne.» Populaire, le travail de Clara Le Picard le serait donc non en raison d’une diffusion large ou d’une notoriété qu’il n’aura jamais, mais par la structure même de ses projets, conçus comme des flèches ici et maintenant venant percuter des préoccupations partagées. Petite forme, petite jauge où acteurs et spectateurs partagent la même lumière, respirent le même air, et bouleversement maximal : sa dernière création Changer le cadre n’a pas pour vocation de sortir des classes en lycée pro ou général dans lequel il se donne, ce qui réduit drastiquement son public. En premier lieu parce que cette fiction théâtrale sur l’empowerment et les violences sexistes et sexuelles, et dans laquelle les élèves interviennent durant la représentation et infléchissent ainsi le déroulement de la courte pièce, suppose un groupe déjà en confiance. Mais aussi car la metteuse en scène souhaite toucher un public qui pourrait être rebuté par la solennité du bâtiment et «surtout la concentration exigée». Ce que permet cette histoire d’agression lambda qui fait à chaque fois pousser aux adolescents des cris d’effroi alors qu’ils sont habitués à des scènes bien plus violentes via leurs écrans, c’est d’être confrontés ensemble au même moment à une question qui taraude filles et garçons. Trente-deux minutes de représentation, vingt minutes de discussion, la proposition aux effets didactiques n’a cependant rien à voir avec une conférence qui place les élèves dans une situation qu’ils connaissent bien : celle du cours. Clara Le Picard précise : «Je ne dis pas qu’ils se précipiteront le lendemain voir l’intégrale du Soulier de satin. Mais dans leur univers ultra connecté et très solitaire, c’est une expérience du commun qu’ils n’ont plus l’occasion de vivre, et cependant irremplaçable.»

 

Irremplaçable : le mot est lâché qui justifie les tentatives d’hyperdécentralisation que mènent nombre de scènes subventionnées dans leur combat pour multiplier les publics – comme, celles très réussies, à la Comédie de Valence dans la Drôme, notamment. Mais cette foi dans le caractère irremplaçable du théâtre exige que la proposition scénique soit réellement remarquable. On garde le souvenir cuisant dans le Nord de la France d’une représentation devant des résidents en Ehpad dans un village, dont le but inavoué semblait surtout de faire faire des économies à la Sécurité sociale tant les spectateurs s’écroulaient un à un, assassinés par l’ennui. De plus, l’extrême segmentation des publics s’oppose à la définition du populaire, tel que le concevait Jean Vilar et le pensent encore nombre de directions de scènes et d’artistes : atteindre non pas telle ou telle catégorie ou communauté mais à l’inverse qu’elles se rejoignent et transcendent, le temps de la représentation, leurs différences. Vaine utopie alors que, comme le rappelle la sociologue Marjorie Glas (1), les classes populaires ne représentent plus qu’un pourcentage infime des spectateurs y compris dans les salles les plus emblématiques de la décentralisation ?

Accepter d’éprouver l’effroi de l’incertitude

Pour la metteuse en scène Caroline Guiela Nguyen, à la tête du Théâtre national de Strasbourg (TNS) depuis un an, on ne peut pas décemment s’intéresser à la composition d’une salle, si on ne se questionne pas sur la diversité sur le plateau et dans les écoles de théâtre. «J’ai besoin de corps, de visages, de trajectoires de vie très différents. Les tout premiers moments de répétitions sont rarement fluides car il nous faut construire cet objet commun qu’est la pièce, alors même que les membres du groupe ne se seraient jamais rencontrés sans elle.» C’est l’ancrage précis et singulier de ses récits qui assurent leur portée «populaire». A ses débuts, il y a une quinzaine d’années, se souvient-elle, «la notion de théâtre populaire était entachée de suspicion, tout comme de s’interroger sur l’adresse des spectacles». Aujourd’hui, c’est une question qu’elle pose d’emblée aux artistes : «Qui souhaiteriez-vous voir absolument dans la salle ?» Quitte à aller chercher la part de ce public manquant, non pas en autobus comme le faisait Vilar à la sortie des usines dans les années 50, mais partout dans la ville, afin, et c’est la grande différence avec l’époque vilarienne, qu’il enrichisse aussi de son expérience ce qui est montré. Hatice Ozer, qui a créé au TNS le Chant du père avec son propre père immigré turc ouvrier et chanteur, a ainsi fait le tour des kebabs à Strasbourg pour qu’il y ait des personnes qui parlent turc dans la salle. L’une des pistes de la directrice du TNS afin que chacun puisse se sentir à sa place «dans l’établissement public à visée républicaine qu’est le théâtre», est notamment «qu’on puisse parler sur scène le turc, le kurde, le vietnamien, l’arabe». Encore faut-il disposer du budget pour sous-titrer les spectacles. Un autre levier est la durée des séries. «C’est l’une des raisons qui m’ont fait postuler au TNS : les spectacles y sont joués longtemps. Les salles bougent beaucoup dès lors qu’un bouche à oreille peut s’instaurer.»

 

On le voit, pour les artistes et les directions, le théâtre populaire n’est pas une forme dégradée ou moins exigeante à laquelle s’opposerait «la Culture». A l’inverse, des formes dites populaires comme le stand-up se théâtralisent à vitesse grand V. En témoigne Cécile, mise en scène de Marion Duval avec Cécile Laporte, performance inclassable de trois heures, invitée par le Festival d’automne et largement diffusée dans le circuit des scènes publiques cette saison. Le montrent aussi nombre de bals menés par des artistes et sur des thématiques spécifiques qui allient savoirs traditionnels et invitations chorégraphiques. Evidemment, plus le lieu du bal s’inscrit dans la mémoire des habitants, plus le bal a des chances d’être ouvert à tous et le théâtre de devenir réellement un lieu populaire. C’est le cas à Clermont-Ferrand où une partie du bâtiment du théâtre a été érigée juste après le confinement à la place de l’ancienne gare routière, ô combien fréquentée. Sous l’égide de Céline Bréant, la programmation POP, acronyme de «Projet ouvert aux populations», peut donc espérer s’incarner et revendiquer un caractère véritablement «populaire» sans pour autant multiplier les têtes d’affiche. A la tête de l’emblématique MC93 à Bobigny, Hortense Archambault, elle aussi, distingue la popularité de la notoriété. «Si être populaire, c’est être connu, le théâtre ne peut l’être, il n’est pas un art de masse. Si on estime que cela signifie travailler à rendre le théâtre accessible en pratiquant des prix très bas, en assurant des médiations, en mettant le public à l’aise, en proposant des sujets contemporains, alors la MC93 l’est.» Aujourd’hui, le public de la MC93 est constitué à 60% d’habitants de Bobigny. Hortense Archambault parle également d’irremplaçable pour qualifier ce que permet le théâtre. Encore faut-il avoir envie de se déplacer pour voir ce qu’on ne connaît pas déjà, et accepter d’éprouver l’effroi de l’incertitude. Serait-ce la raison pour laquelle les femmes et hommes politiques sont si rares à se rendre au théâtre ? Ça n’aurait aucune espère d’importance, si comme nous le disait le comédien Nicolas Bouchaud, ils ne perdaient toute idée de l’utilité du théâtre «service public».

 

Anne Diatkine / Libération 

 

(1) Quand l’art chasse le populaire. Sociohistoire du théâtre public depuis 1945 (Agone, «L’Ordre des choses», 2023).

 
 
Légende photo : «Lacrima» de Caroline Guiela Nguyen, directrice du Théâtre national de Strasbourg. (Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon)
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September 24, 2024 3:42 AM
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«La France, empire» de Nicolas Lambert, subjectif passé 

«La France, empire» de Nicolas Lambert, subjectif passé  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Lara Clerc dans Libération - 23 sept.2024

 

Nicolas Lambert démonte le récit colonial français au fil de sa propre histoire dans un seul en scène au théâtre de Belleville.

 
 

C’est ce qu’il appelle du «théâtre d’investigation». Et pour le mettre en scène, Nicolas Lambert prend un style faussement conférencier, pour finalement retracer sa propre histoire. Celle d’un enfant né en Picardie, un petit garçon qui aime les bandes dessinées et jouer à la guerre, et qui trouve sur son chemin des traces des guerres passées. Puis d’un adulte qui découvre l’histoire de son pays, du rôle de la colonisation et de l’Empire français. Qui cherche sans relâche à comprendre ces histoires qu’on ne lui avait pas racontées, jusqu’à la désillusion.

 

Car, comme de nombreux Français, il a grandi entouré des noms Gallieni, Faidherbe, Lyautey… Mais qui connaît les crimes que ces hommes ont commis ? Qui a désappris ce que l’on nous avait enseigné à l’école, comme le fait que «la France est en paix depuis 1945», quand bien même les guerres d’Indochine ou d’Algérie avaient lieu ? Qui connaît la longueur de la liste des «Opex» (pour «opération extérieure») menées par la France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ?

 

 

Sur un plateau nu, le comédien imite tour à tour les différents présidents de la Ve République, l’animateur de télévision Maître Capelo, les membres de sa famille, Marianne qui s’analyse sur le divan d’un psychologue… Sans rendre son discours excessivement didactique, Nicolas Lambert «déraconte» la colonisation française. Petit à petit, c’est le portrait d’une France qui ne connaît pas assez sa propre histoire qui prend forme. Celle d’un «secret de famille», comme Lambert aime à l’appeler.

La France, empire. Un secret de famille national écrit, mis en scène et joué par Nicolas Lambert, jusqu’au 28 octobre au Théâtre de Belleville à Paris.

 

Légende photo : Sur un plateau nu, Nicolas Lambert adopte un style faussement conférencier.

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September 23, 2024 6:02 AM
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"Ici sont les dragons", la nouvelle création collective du Théâtre du Soleil par Ariane Mnouchkine

"Ici sont les dragons", la nouvelle création collective du Théâtre du Soleil par Ariane Mnouchkine | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Texte de présentation d'Hélène Cixous, publié dans Sceneweb le 19 sept. 2024

 

Nous qui sommes le public de l’an 2024, nous sommes datés. Quand a commencé notre Histoire? Il y a 3000 ans, hier, par une guerre. L’Histoire-Légende aura toujours commencé par une guerre, une révolution, la fin d’un monde, le commencement d’un monde. La Guerre de Troie et la guerre mondiale. Laquelle ? La première, la seconde, la troisième ? Un empereur massacre un peuple. Un peuple se soulève, fuit. On tue un roi. Un Français ? Ou un Russe ? Ou un Grec ? Avant. Demain matin.

 

De ton temps, Shakespeare, c’était comment ?

 

Selon Shakespeare, nous sommes des mouches pour les dieux. As flies to wanton boys are we to the gods. Ils nous tuent pour s’amuser. Vus par le Théâtre nous sommes des pions sur l’échiquier des Dieux : des soldats et des généraux, des rois, des esclaves, des prophètes, des mères et des orphelins, des ogres et des gibiers humains, des…


L’Histoire est un cauchemar qui nous dépose sur la rive d’un autre rêve. La plupart du temps millénaire, ce nouveau rêve est un cauchemar qui répète son scénario de fatalités et de résurrections. Les continents sont baignés de sangs. Il y a toujours de nouveaux personnages mythologiques, les masques changent, les férocités se modernisent.


Qui sont ces dieux bouchers ? Non, ce ne sont pas seulement des « garçons espiègles », ces hommes qui tuent pour démontrer leur violente divinité. Tous les jours nous prononçons leurs noms avec effroi et stupéfaction. Tous des Personnages hurleurs, sous leurs noms de masques, ces orateurs diaboliques s’enivrent de leurs propres paroles incendiaires. Dictateurs, chefs, tyrans totalitaires, mangeurs d’humains, cyclopes aveugles, peintres ratés, faux poètes, grands seulement par leur ambition illimitée, ils ont les armes, champions olympiques dans la pratique du Mensonge.

Aujourd’hui nous les appelons l’un Poutine, ou l’autre Dragon là-bas, vous savez, Trump ? Ah, Trump oui, et celui-là ? C’est Hitler.

Crois-tu vraiment, Shakespeare, qu’ils ne nous tuent que pour s’amuser. Ils veulent nous exterminer. Nous effacer de la Terre et de la mémoire. Car ces monstres sanguinaires, ce sont des hommes, c’est incroyable.

 

C’est pour ça qu’ils nous fascinent. Ils sont incroyables et ils sont toujours là, les Grands Cruels, les Führer, Lénine, Staline, -tine, -nine, -line, -tine. Ce sont des mortels et ils veulent notre mort ! Nous ne comprenons pas pourquoi, comment, quel est le secret de leur pouvoir. Seuls, mais entourés de fascinés.


Comment un homme seul peut s’emparer des âmes, comment il parle de haut tandis que les peuples en bas, se rendent au maître, lui qui se tient au-delà du bien et du mal, enchanteur, despote absolu, grand prêtre de son propre culte, créateur d’abattoirs pour troupeaux humains, fondateur du laboratoire des poisons, inventeur du totalitarisme, avaleur de continents,

 

« Quand sa moustache rit, on dirait des cafards »


« Les petits chefs grouillent autour du grand chef – la nuque frêle. Lui, parmi ses nabots, se joue de tant de zèles »


Ainsi parle une mouche poète, une étincelle, le poète Mandelstam, et aussitôt on lui arrache les ailes.


Et pendant ce temps, à Berlin
Qu’ont-ils en commun, ces dragons, chefs des nations hostiles ? Ceux qui se partagent la haine du prochain et l’impitié pour les millions de leurs victimes ?
La Cruauté.


« De tout supplice sa lippe se régale ».


Avec ou sans moustache, c’est toujours le même fauve forcené.


Alors, tout est fichu ?

 

 

Mais dans chaque pièce s’avance le miracle, là où règnent les Grands Mégalomanes se dresse un tout petit poète, un soldat de la vie, un géant par l’esprit, un fidèle au génie du droit humain, un sans peur et sans hésitation, les héros à l’humour tout-puissant, les Churchill et autres Inébranlables, et ce sont eux qui écrivent l’Histoire vraie des vainqueurs de la haine. Et dans la Voix du Théâtre, après l’asphyxie et le poison, résonnent leurs voix.

 

Hélène Cixous, 28 juin 2024

Ici, sont les dragons
Un grand spectacle populaire inspiré par des faits réels – En plusieurs époques
Création de la Première Époque le 15 novembre 2024

Une création collective du Théâtre du Soleil
dirigée par Ariane Mnouchkine,
en harmonie avec Hélène Cixous

 

 

Première Époque
1917 : « La victoire était entre nos mains

 

En coproduction avec le TNP – Villeurbanne
Avec un soutien exceptionnel, à l’occasion de la célébration des 60 ans du Théâtre du Soleil, de la Région Île-de-France, du Ministère de la Culture et de la Ville de Paris

 

 

Théâtre du Soleil
représentations à partir du 15 novembre 2024
du mercredi au vendredi à 19h30
le samedi à 15h
le dimanche à 13h30
ouverture lundi 14 octobre 2024

 
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October 10, 2024 3:05 AM
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«Face à la mère» de Jean-René Lemoine, sienne de vie 

«Face à la mère» de Jean-René Lemoine, sienne de vie  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Anne Diatkine dans Libération - 8 oct. 2024

 

Avec son texte magnétique mis en scène par Guy Cassiers, l’auteur, seul sur scène, parle de la mort violente de sa mère, et nous plonge dans ses perceptions les plus intimes de son histoire familiale entre Haïti et Congo.

 
 

Cela a lieu dans la nuit, la nuit du deuil et de l’effroi, et c’est le portrait d’une femme, d’un pays, et d’une relation filiale, qui s’esquisse dans la pénombre, durant cette heure et demie de représentation. Cela fait découvrir une écriture à la beauté inédite, et que ce récit intime soit porté par l’auteur lui-même, n’est pas pour rien dans la réussite de ce spectacle. Noir, le plateau vide, sous forme de damier miroitant, avec l’acteur, dramaturge, auteur Jean-René Lemoine en son centre. Comme aimanté par le sol, il ne quittera jamais cette place, ne serait-ce que d’un pas. Francs, les rais de lumière des projecteurs qui l’enserrent dans un triangle. La figure géométrique du triangle équilatéral répond par ailleurs à la réussite formelle de la pièce où la mise en scène de l’Anversois Guy Cassiers accompagne autant le texte qu’il est saisi par le protagoniste, sans que jamais l’un des trois piliers ne prenne le pas sur les deux autres.

Scansions longues et précises

Une femme a été assassinée en Haïti, elle est donc la mère de Jean-René Lemoine. Les circonstances de cette mort sont dans un premier temps inconnues du spectateur. Cette mère pourrait être le public, que Jean-René Lemoine convie à un «rendez-vous» pour lui parler «d’amour» avec l’espoir qu’elle fasse «un petit signe – un bruissement de robe, un soupir» afin d’être certain de ne plus parler au vent et qu’elle-même le retrouve au terme d’un parcours labyrinthique. La langue de Jean-René Lemoine enveloppe. Il est difficile de ne citer qu’une bribe de phrase sans avoir le sentiment de cisailler son étoffe. Une étoffe faite de scansions longues et précises, bandages qui protègent et qu’il s’agit de retirer pour «gratter la mémoire jusqu’à l’os», lutter contre des souvenirs qui se révèlent cruellement lacunaires, dès lors que l’autre n’est plus là pour répondre aux questions devenues sans réponse. Une tension étreint. Elle est due au riche dépouillement de la mise en scène tandis que la langue ravive le souvenir de paysages de Haïti, terre de naissance et du premier exil pour Coquilhatville au Congo, quand Jean-René Lemoine a 2 ans.

Netteté tout provisoire

Ce qu’imbrique le texte est à la fois la catastrophe d’un pays et d’une famille déjà détruite de l’intérieur, dialogues avec des absents. Le temps du texte, l’imparfait ou passé simple, n’empêche pas l’incursion du présent, et du sentiment que l’acteur découvre en lui-même ce qu’il s’apprête à narrer. Au fond du plateau, un grand écran sur lequel sont parfois projetés quelques mots tels «Prendre son souffle», et des photos grand format en noir et blanc et opaques, floues, jusqu’à ce que la mémoire parvienne à faire le point. Belle idée que de nous plonger dans les perceptions les plus intimes de l’auteur-acteur et la difficulté d’acquérir une netteté toute provisoire. Le son, lui aussi, semble résonner de l’intérieur, jusqu’à provoquer des hallucinations auditives – bruit d’os qui s’entrechoquent discrètement dans les travées. «Vivante‚ je m’étais exilé de vous. Morte‚ vous redessiniez mes frontières‚ comme un indiscernable océan. Je vous avais connue sainte‚ je vous retrouvais martyre. Alors‚ puisque vous ne me laissiez pas de répit‚ puisque je ne pouvais plus prendre le large pour fuir votre absence infinie‚ j’ai décidé de partir à votre recherche et de me rapprocher de vous.»

 

Jean-René Lemoine, auteur de plus d’une dizaine d’écrits dédiés à la scène, avait une première fois joué son propre texte en le mettant en scène lui-même en 2006 dans ce même théâtre, la MC93. C’est sa directrice Hortense Archambault qui a suscité cette création en faisant lire à l’inventeur d’images Guy Cassiers ce texte magnétique pour une nouvelle mise en scène. Bien plus qu’un écrin, elle en dévoile la quintessence.

Face à la mère de Jean-René Lemoine mise en scène Guy Cassiers à la MC93 à Bobigny jusqu’au 19 octobre.

Anne Diatkine / Libération

 

 

Légende photo : L'auteur Jean-René Lemoine lit son texte au centre d'un plateau vide, sous forme de damier miroitant. (Alexis Cordesse/Alexis CORDESSE)

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October 8, 2024 7:18 PM
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Au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, à Paris, Catherine Hiegel fait de « la servante aimante » une redoutable machine de guerre

Au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, à Paris, Catherine Hiegel fait de « la servante aimante » une redoutable machine de guerre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Joëlle Gayot dans Le Monde - 8 oct. 2024

 

Isabelle Carré fascine dans le rôle-titre de la pièce de Goldoni, « La Serva amorosa », qui bouscule les règles d’un jeu social et genré.

 

Lire l'article sur le site du "Monde" :
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/10/08/au-theatre-de-la-porte-saint-martin-a-paris-catherine-hiegel-fait-de-la-servante-aimante-une-redoutable-machine-de-guerre_6346721_3246.html

La Serva amorosa ou La Servante aimante ? Le titre ne claque pas en français. Il s’affiche donc en italien au fronton du Théâtre de la Porte-Saint-Martin, à Paris, où Catherine Hiegel met en scène avec fermeté et clairvoyance la pièce de l’auteur vénitien Carlo Goldoni (1707-1793). Dans ce spectacle où les rires ne dévaluent pas la portée politique du propos, Coraline n’a rien d’une « servante aimante ». D’ailleurs, Isabelle Carré, qui interprète le rôle-titre, est moins une soubrette habile qu’une redoutable machine de guerre dont le projet est énoncé dès ses premières répliques : « Le plus beau pied de nez que vous puissiez faire à vos ennemis, c’est de souffrir avec constance, de rire avec indifférence et de leur montrer que vous savez et que vous pouvez vous passer d’eux », affirme en préambule programmatique, celle qui, trois actes plus tard, conclura seule face au public : « Vive notre sexe. Et que crève sur l’heure qui ose en dire du mal. »

 

 

Lire le portrait (en 2023) : Article réservé à nos abonnés Catherine Hiegel, clown, magicienne et sorcière, la femme aux cent visages
 

Entre ces deux tirades offensives se tient une comédie passionnante qui, sous le couvert de raconter un imbroglio familial sur fond d’héritage spolié, anticipe l’heure des grandes révolutions. En 1762, dix ans après avoir créé sa pièce, Goldoni s’installe en France. 1789 approche. Le pressentait-il ? Sur le plateau, l’ancrage historique n’est pas escamoté, mais il reste discret. Couleurs pâlies des façades, intérieurs défraîchis des maisons, la scénographie est un vestige assumé du XVIIIe siècle. L’espace n’est pas naturaliste mais mental. L’action qui se trame n’existe que dans la tête de Coraline. Une femme qui aurait pu faire la révolution mais se contente de remettre de l’ordre dans le chaos. Chaque chose en son temps, semble indiquer la représentation de Catherine Hiegel.

Que se passe-t-il ? Le jeune Florindo a été chassé de chez lui par sa belle-mère Béatrice (Hélène Babu), seconde épouse de son père, Ottavio, un riche négociant de Vérone. La marâtre convoite pour elle et son propre fils, Lélio, l’héritage de la maison. Il faut aimer l’argent, se dit-on, pour supporter la vie avec un vieillard sénile qu’incarne, avec force bafouillements (subis ou choisis ?), le comédien Jackie Berroyer. Drapée dans ses robes corsetées, ses pieds glissant sur le plancher avec une habileté de serpent, Hélène Babu a de ces regards noirs qui foudroient sur place l’adversaire. A son crédit, un sens tactique diabolique face auquel les hommes ne font pas le poids. Même détestable, elle en impose. Seule une femme parvient à la mettre en échec. C’est Coraline, servante, suivante, domestique, soubrette, bref, subalterne ici érigée au rang d’alter ego des puissants.

La révolution comme option

Avec ce personnage quasi futuriste pour l’époque, Goldoni change les règles d’un jeu social et genré que même Molière (1622-1673) n’avait pas osé bousculer à ce point. Le pouvoir n’est plus le privilège du masculin ou du nanti. Il est celui de cerveaux qui fonctionnent vite et bien. Et Coraline, qui est intelligente, pourrait être un homme que ça n’y changerait rien. La preuve : Isabelle Carré termine la représentation revêtue d’un costume noir unisexe, son œil posé sur des partenaires emportés vers les coulisses. S’ils quittent le théâtre pour se fondre dans le noir, elle, elle reste à demeure. Les acteurs passent, les héros trépassent, mais les auteurs, et leurs visions, survivent aux siècles. Coraline, c’est moi, aurait pu écrire Goldoni.

 
Lire le décryptage : Article réservé à nos abonnés Dans le théâtre privé, à Paris, les actrices se donnent le beau rôle
 

Catherine Hiegel connaît ce rôle par cœur pour l’avoir incarné, en 1992, à la Comédie-Française sous la direction de Jacques Lassalle. Trente-deux ans plus tard, elle y revient. Les temps ont changé, elle le sait. Sans se noyer dans un féminisme démonstratif ni se perdre dans la lutte des classes, elle va à l’essentiel : la révolution est une option toujours active.

 

Dans un décor qui se plie et se déplie selon que l’action se passe chez Ottavio ou chez Florindo, « la servante aimante » devient un centre de gravité dont la stabilité rassure alors que, pourtant, malgré stratagèmes, mensonges et manipulations, rien n’arrête cet esprit cérébral. Surtout pas des traditions usées ou des conventions démodées. Une scène d’amour entre deux jeunes tourtereaux ? Elle plie la séquence au pas de charge. Elle a mieux à faire : rétablir la paix dans un foyer qui s’autodétruit, épouser le valet alors que le jeune maître la voulait pour femme, calmer ces riches qui s’agitent. Et préparer le grand soir. Elle ne s’en est pas cachée : « Le plus beau pied de nez que vous puissiez faire à vos ennemis, c’est (…) leur montrer que vous savez et que vous pouvez vous passer d’eux. »

 

Ce projet politique noue une représentation où l’actrice principale, Isabelle Carré, avec un talent éclatant, fait scintiller les possibles de son personnage. Froide, calculatrice, raisonneuse, stratégique, distante et, avec ça, drôle et généreuse, la comédienne est fascinante. Qu’elle fasse ou pas la révolution, on la suivra. Jusqu’en enfer si nécessaire.

 

 

La Serva amorosa, de Goldoni. Traduction : Ginette Herry. Mise en scène : Catherine Hiegel. Avec Isabelle Carré, Hélène Babu, Jackie Berroyer, Olivier Cruveiller, Antoine Hamel, Jeremy Lewin, Tom Pezier, Jérôme Pouly, Stanislas Stanic. Et les apprentis du Studio-ESCA : Ombeline Guillem et Victor Letzkus-Corneille. Théâtre de la Porte-Saint-Martin, Paris 10e. Jusqu’au 4 janvier 2025.

 

 

Joëlle Gayot / Le Monde 

Isabelle Carré et Jackie Berroyer, dans « La Serva amorosa », de Goldoni, mis en scène par Catherine Hiegel, au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, à Paris, le 20 septembre 2024. JEAN-LOUIS FERNANDEZ

 

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October 7, 2024 10:20 AM
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A la Comédie-Française, «Contre» et légendes de Cassavetes et Rowlands 

A la Comédie-Française, «Contre» et légendes de Cassavetes et Rowlands  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Laurent Goumarre publié dans  Libération - 6 oct. 2024

 

La mise en scène de Constance Meyer et Sébastien Pouderoux explore les relations critique-artiste à travers le couple mythique, sans verser dans l’hagiographie ni le déboulonnage.

 

«Qu’est-ce qui peut bien se passer de tellement grave dans la vie de quelqu’un pour qu’il devienne critique ?» balance Sébastien Pouderoux en John Cassavetes à Dominique Blanc dans le rôle de Pauline Kael, critique de cinéma viscéralement opposée au cinéaste. Le ton est donné : Contre, la création écrite et mise en scène par le couple Constance Meyer et Sébastien Pouderoux, sera l’histoire passionnante des liens «contre» et tout contre entre pensée critique et création artistique.

 

 

Le choix de la distribution bipolaire pose d’emblée ce double point de vue pour une pièce où chaque interprète joue «contre» soi : Dominique Blanc sera donc tour à tour Pauline Kael et Lelia Goldoni, l’actrice de Shadows, Nicolas Chupin passe de Peter Falk à Alain Lartisan, admirateur du réalisateur rebelle, et Marina Hands de Gena Rowlands à Eloïse Cornet, critique cérébrale acquise à la cause cassavettienne.

Coup de force dramatique

Tous jouent double jeu, à l’exception de Sébastien Pouderoux, au rôle unique, parce que c’est celui d’un homme entier : John Cassavetes, réalisateur/acteur, ne se partage pas, rempli de son art au risque de s’isoler dans une posture «contre». Pouderoux le travaille en vrai personnage de théâtre à la colère parfois comique d’un nouveau Misanthrope, mâle alpha. C’est lui contre le cinéma hollywoodien, qui veut un début un milieu une fin, et un message clairement politique s’il vous plaît. Contre les producteurs qui bien sûr ne comprennent rien : ils ont adoré le premier montage de Husbands ? Le cinéaste revoit entièrement sa copie pour une version moins consensuelle. Contre les journalistes qu’il ridiculise et violente ici dans un affrontement physique au scénario pervers narcissique entre le cinéaste et son ennemie critique – aux sérieux arguments – génialement défendue par Dominique Blanc.

 

Il est le seul et l’unique, dans une pièce où les autres sont divisés, et c’est là le coup de force dramatique de cette pièce qui, pour le coup, contre magistralement la dérive biopic, tendance «Casavettes-Rowlands, leur vie leur œuvre». En désaxant le couple star John et Gena, sur l’attelage acteur /critique, Pouderoux & cie balaient toutes les balourdises de ces pièces-images d’Epinal sur des personnages ayant existé, forcément élevés au rang de modèles, qui commencent à sacrément alourdir les scènes théâtrales après avoir plombé les productions romanesques et cinématographiques.

Force documentaire

Pas d’hagiographie sur le mode artiste révolutionnaire et génie incompris, ni déboulonnage d’un type manipulateur qui a le coup de poing facile et l’ironie péniblement adolescente, la pièce explose les cadres dans un espace unique, suffisamment ouvert pour être à la fois le lieu d’une scène de tournage d’Une femme sous influence, une émission de critiques «Pour ou contre Cassavetes», et un bureau de commissariat où tout le monde va défiler pour témoigner à la suite d’une plainte contre le cinéaste déposée par son chef op.

 

 

Et c’est là, à cour, dans ce bureau à l’arrière-plan, que va se jouer le plus bel hommage du théâtre au cinéma. Les acteurs, techniciens, Cassavetes, Rowlands sont filmés gros plan face caméra, leurs Faces surdimensionnées envahissent l’espace. Chacun répond aux questions, dépose son récit «contre» ou tout contre le réalisateur. Seule Marina Hands se tait et projette une vision éclairante de sa Gena Rowlands. Son visage immobile est un spectacle inouï ; imperceptiblement travaillé de micro-mouvements, il devient une master class, le portrait d’une actrice dont on comprend la force documentaire. La Rowland de Hands est une machine célibataire, une femme à la fois actrice et metteuse en scène, qui connaît son rythme, le temps qu’il faut pour imprimer son image aux spectateurs. Et la pièce de révéler une femme «contre» l’influence.

Contre, mise en scène Constance Meyer et Sébastien Pouderoux, au Vieux Colombier-Comédie Française (75006) jusqu’au 3 novembre.
 
 
Légende photo : Tous les acteurs jouent double jeu, à l’exception de ­Sébastien Pouderoux, qui interprète un homme entier : John Cassavetes. (Christophe Raynaud de Lage/Comédie Française)
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October 7, 2024 7:25 AM
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Jean-René Lemoine face à Guy Cassiers 

Jean-René Lemoine face à Guy Cassiers  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 3 oct. 2024

 

Jean-René Lemoine a écrit « Face à la mère », texte aussi magnifique que bouleversant, texte qu’il avait déjà joué et monté. Il y revient sous la direction de Guy Cassiers et son équipe. Éblouissant à en trembler

 

Bien qu’il soit seul sur la scène et de surcroît l’auteur du texte, Jean-René Lemoine ne l’est pas. Il est entouré de spectres, d’ombres, de non dits, d’une scène d’horreur jamais refermée. La douceur de ses mots, leur débit calme jusqu’à l’inéluctable, tout nous enserre dans ses rets, doucement pour mieux cerner l’inéluctable terreur. Le fils parle à sa mère morte, assassinée. Il est enfin en mesure de lui parler, au-delà de la peur et des larmes

Jean-René Lemoine avait mis en scène et joué  Face à la mère en 2006 à la MC93, il y revient aujourd’hui, au même endroit ; non plus en solitaire, mais en confiant sa pièce et son jeu à un metteur en scène puissant Guy Cassiers (la directrice de la MC93 Hortense Archambault ayant joué le rôle de marieuse).

 

Dès lors , la pièce se trouve comme amplifiée, et la dimension autobiographique peut accomplir son chemin de deuil depuis la terrible nouvelle, puis le retour provisoire au pays (Haïti) où la mère avait fini par revenir, l’enterrement où le fils se tient auprès de sa sœur , la maison de famille (qui appartenait déjà aux grands-parents) et ses balises de souvenirs puis le départ, encore une fois, de ce pays qu’il avait quitté enfant dans les bras de sa mère pour rejoindre le père en Afrique, puis plus tard, la séparation, ses années en Europe avec sa mère (sans le père vivant çà Kaboul avec une autre) avant que, plus tard, la mère ne décide à revenir à Haïti, un pays de plus en plus meurtri, de plus en plus ruiné que le fils voyait à chaque retour de plus en plus espacé auprès de sa mère « descendre dans l’abîme ».

 

Le fils se remémore tout avec un douceur extrême, apaisante et vibrante comme une caresse. Les larmes et l’encre s’entremêlent, le temps de l’adieu appelle celui des retrouvailles par delà la mort, mot que le texte de Jean-René Lemoine, entre blessure et baume, ignore.

 

Tout avait commencé par une scène de théâtre. Jean René Lemoine répétait avec ses camarades un scène de Richard III quand sa sœur l’appelle  au téléphone: leur mère était morte, assassinée. Il est comme foudroyé, le sol se dérobe sous ses pieds. Face à la mère, c’est le titre , on n’en imagine pas de plus beau, dit cela. Un homme qui tombe et se relève comme il peut, bientôt aidé par l’écriture, ce bâton de survie « Je vous écris dans la chaleur de l’été parce que je ne peux pas ne pas vous écrire.Parce que j’ai besoin de vous ». Alors des lumières créent autour de lui comme des halos affectueux, alors son visage et celui de sa mère peut-être se fondent en un dans des formes informes, grises et tremblées. Un saisissement.

 

Jean René Lemoine avait besoin de la force scénique de Guy Cassiers pour donner à son récit, sa délicate ampleur, ce balancement du qui-vive qui l’anime et l’habite. Le metteur en scène a su s’entourer de collaborateurs aussi créatifs que complices : Jercen Kenes au son, Zélie Champeau à la lumière, Stéphane Rimasauskas à la vidéo. Merci à tous.

 

 

MC93 du mer au ven 19h30 sf jeu 17 à 14h30, sam 18h30, dim 15h30, jusqu »au 19 oct. Puis tournée : festival du Caire les 25 et 26 oct, MC d’Amiens les 6 et 7 nov, le Volcan au Havre les 12 et 13 nov, le Phénix de Valenciennes dans le cadre du festival Next, le 18 nov, CDN Orléans les 5 et 6 fév, Scène nationale de l’Essonne à l’agora Desnos les 20 et 21 mars, Bonlieu, scène nationale d’Annecy du 16 au 18 mai, CDN de Valence les 6 et 7 mai.

 

Jean-Pierre Thibaudat

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October 5, 2024 4:42 PM
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Jean-Claude Bourbault, tout pour les autres

Jean-Claude Bourbault, tout pour les autres | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans son blog - 3 oct. 2024

 

Comédien au Théâtre du Soleil, héros du film La Palombière, il aura beaucoup joué sur les planches et tourné, avant de se consacrer à la création et à l’animation d’un festival au Val-de-Reuil, dans l’Eure. Il s’est éteint lundi 1er octobre, vaincu par un cancer. Sa famille et ses amis lui diront adieu mardi matin, 8 octobre, lors d’une cérémonie à la Coupole du Père-Lachaise.

 

Le premier mot qui revienne est « générosité ». Tous ses amis les plus proches, ses potes de Marseille, le disent. Philippe Caubère comme Maxime Lombard : c’est l’amour des autres qui attisait  la lumière qui émanait de tout son être. Jean-Claude Bourbault était un coeur rare, un homme tout entier tourné vers autrui. Citons, d’entrée, Marc-Antoine Jamet, maire de Val-de-Reuil, cette ville nouvelle édifiée dans l’Eure et où Jean-Claude Bourbault mena une action exemplaire. « Jean-Claude généreux, courageux, bienveillant. Jean-Claude qui ne pouvait voir un enfant sans l’aider, qui m’a tellement donné et appris. Jean-Claude que nous aimions. Acteur, artiste, ami, Jean-Claude de tout le monde. Jean-Claude Bourbault s’en est allé. Deuil et chagrin ».

Jean-Claude Bourbault, né le 17 février 1945, à Saint-Julien-du-Sault, en Bourgogne, s’est éteint ce 1er octobre, vaincu par un cancer, contre lequel il aura lutté sans jamais se plaindre, accompagné par sa femme, comédienne d’une haute délicatesse, Christine Brucher, et Sacha, fils de Christine, qu’il avait adopté, à la demande du tout jeune homme.

 

Pourquoi le Val-de-Reuil ? Par fidélité et amitié. Marc-Antoine Jamet, maire de la ville et forte figure du PS, est le fils de Françoise Jamet, comédienne du Théâtre du Soleil, et de Dominique Jamet, écrivain et journaliste. Sans doute le lien s’est-il tissé ainsi. En tout cas, plus de vingt ans durant, Jean-Claude Bourbault aura été l’animateur, d’un festival qu’il avait créé et qui réunit et éclaire. Il se donnait tout entier à sa fonction, mais il allait bien au-delà, car il aimait les gens, il soutenait les plus faibles, aidait, ne lâchait jamais.

 

Ainsi va une vie. Grandi en Bourgogne, il arrive à 14 ans à Marseille. C’est à Aix-en-Provence qu’il va rencontrer Philippe Caubère. « On s’est connus en 1968, à Aix. Je venais de jouer dans une pizzeria, quand il est arrivé et s’est présenté. » Un nom romanesque, de l’allure. Ils ne se quittent plus et vont élaborer, avec l’ami Maxime Lombard, en 1971, La Commune, cette célébration du centenaire de l’insurrection révolutionnaire qui les conduira jusqu’à la Cartoucherie. « Nous avions joué à Lyon, tout près du chapiteau d’Ariane Mnouchkine. Elle s’est intéressée à nous », précisent en substance et Philippe Caubère et Maxime Lombard. « Nous avons également joué à Avignon, avec beaucoup de succès –Lucien Attoun nous avait consacré un article enthousiaste. Le hasard de l’empêchement de l’un de nous, a fait que Pierre Tailhade nous a proposé de le remplacer. Il était l’un des cofondateurs du Soleil… »

 

« Les Marseillais », ainsi que les surnomme la troupe, arrivent à la Cartoucherie. Du sang vif. Laissons Philippe Caubère et Maxime Lombard, deux destinées singulières, dessiner leurs chemins. Ils sont connus. Paradoxalement, Jean-Claude Bourbault est moins repéré par le grand public. Pourtant son chemin est remarquable. Dès ses années marseillaises, il s’est formé auprès d’Antoine Bourseiller, jouant notamment dans Oh ! America. Ariane Mnouchkine l’engage dans la reprise de 1789, dans 1793, pour un commis boucher, dans L’Age d’or où il est Démosthène et le gros professeur Amadeus.. Dans le film Molière, il est Louis Béjart. Mais il y a surtout Méphisto, d’après Klaus Mann, en 1979. Il y a deux rôles principaux. Gérard Hardy et lui, Jean-Claude Bourbault. Il est Otto Ulrich/Hans Otto.

 

Un peu après Philippe Caubère, il quitte à son tour le Soleil. Des grands stages de renouvellement ont lieu. Ce seront les légendaires « Shakespeare ». Les Marseillais n’y participent pas. Mais John Arnold, lui, oui. Sa mère est la marraine de Jean-Claude Bourbault. John Arnold, 16 ans, est arrivé dans le bois de Vincennes  pour participer à la peinture de la fresque de Méphisto.  Brûlons les étapes : Ariane le remarque et l’engage comme comédien. Lui aussi évoque le profond altruisme de Jean-Claude Bourbault. Son souci des autres. Sa rayonnante générosité.

A peine quitté le bois de Vincennes, Jean-Claude Bourbault monte des spectacles, avec le soutien de l’AFAA (Agence française d’action artistique), au Vietnam, au Honduras, etc.  Il tourne avec Claude Lelouch dans Les uns et les autres, Edith et Marcel. Mais rien, pour sa reconnaissance, qui ne vaille La Palombière, en 1983. Un film de Jean-Pierre Denis, avec une toute jeune Christiane Millet. Un miracle de film, très subtil et émouvant, dans lequel il a le premier rôle.

 

On ne fera pas ici tout le recensement de ses rôles, au théâtre, à la télévision, au cinéma. Retenons Minuit chrétien de Tilly, mis en scène par ses soins en 1999. Christine Brucher et lui y incarnaient un coupe d’affreux, à mille années-lumière de leur vérité.

On pourrait détailler plus longuement le beau parcours de cet artiste, photographe, musicien aimant la clarinette et la trompette. Mais un seul mot suffit : l’amour. Des siens, des autres, du théâtre.

 

Armelle Héliot

 

 

Légende et crédit photo :  Le comédien français Jean-Claude Bourbault à Paris en 1993, France. (Photo by Michele LAURENT/Gamma-Rapho via Getty Images)

 
 
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October 5, 2024 7:36 AM
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Julian Vogel casse les assiettes et la baraque aux Subs de Lyon

Julian Vogel casse les assiettes et la baraque aux Subs de Lyon | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Rosita Boisseau (Lyon) dans Le Monde - 4 octobre 2024

 

 

L’artiste de cirque suisse a travaillé la céramique pour créer la sculpture « Crescendo » et un spectacle, « Ceramic Circus », qui joue avec l’art de la catastrophe.

Lire l'article sur le site du "Monde : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/10/04/julian-vogel-casse-les-assiettes-et-la-baraque-aux-subs-de-lyon_6343919_3246.html

Les cylindres en céramique grise flottent, accrochés à une immense structure métallique qui semble parée à décoller. Cette sculpture monumentale de 9 mètres de haut sur 70 mètres de long, baptisée Crescendo, porte 1 700 kg de céramique. Imaginée par l’artiste de cirque suisse Julian Vogel, elle occupe, depuis le 2 mai, l’esplanade du lieu culturel des Subs, à Lyon. Elle sera démontée le 6 octobre. « On se prépare déjà à sa disparition, car on va avoir un coup de blues, s’exclame Stéphane Malfettes, directeur des Subs. C’est le principe de ces installations que nous programmons depuis quatre ans, et qui sont nées d’un désir de transformer l’usage de cette cour de 1 000 mètres carrés. Avec cette œuvre, qui accueille des performances, des bals et des concerts pendant tout l’été, il y a des interactions avec le public et cela donne un sens à l’espace. » Elle est devenue aussi le terrain de jeu spontané des enfants, qui y vadrouillent.

 

 

Crescendo, qui a vu défiler 80 000 visiteurs, fait écho à la pièce Ceramic Circus, présentée mercredi 2 octobre. Dans les deux cas, Julian Vogel a lui-même fabriqué pendant trois mois les 95 tubes en céramique dans l’usine EKWC, à Oisterwijk (Pays-Bas). Curieux délire pour un jongleur. « C’est le hasard qui m’a amené à cette idée, lorsque j’étudiais, en 2019, à l’école de cirque de Tilbourg, au Pays-Bas, raconte-t-il. Je pratiquais le diabolo, qui est, en quelque sorte, constitué de deux bols inversés. Cela m’a donné envie de m’amuser avec ces éléments que l’on trouve dans la cuisine. La céramique s’est ensuite imposée et, avec elle, une réflexion sur la fragilité. Une fois son agrès cassé, que se passe-t-il pour un jongleur qui se confronte en permanence au risque de la chute ? »

Show de l’urgence

Autour de cette interrogation, Julian Vogel a d’abord créé China Series (2019-2023), une collection de performances, de sculptures-mobiles et de vidéos autour de diabolos en céramique. Dans la foulée, Ceramic Circus revisite la technique des assiettes tournantes chinoises, livrant au passage un message d’amour au cirque traditionnel. Crépitements de tambour pour dresser le poil, numéro de vélo où la maladresse fait bonne figure en flirtant avec l’exploit, et c’est parti pour une course contre la montre. Après avoir dressé cinq cannes à pêche, Julian Vogel y pique ses plats en céramique. De l’une à l’autre, il court et vole, relance et rattrape, évite une sphère qui s’affole au-dessus du plateau pendant que les bruits de casse de la vaisselle scandent son manège infernal.

Les motifs du cercle et de la giration surfilent cette pièce. De la piste à la caisse claire, en passant par les roues de la bicyclette et celles des rollers chaussés par Vogel, ça roule rond. Sauf que l’art de la catastrophe, motif récurrent dans le cirque contemporain depuis quelques années, fiche la panique. Sur une crête fine entre fiction et réalité, l’effondrement programmé du décor (batterie, pancarte, système de suspension…) percute le fracas des assiettes qui s’entassent au sol. Plus rouge vif que son débardeur à paillettes, Vogel fait du chaos un show de l’urgence.

 

Avec des dates de représentation prévues déjà jusqu’en 2025, Julian Vogel a 800 assiettes dans ses malles. Elles ont été conçues par la maison Revol, entreprise historique fondée en 1768 et située à Saint-Uze (Drôme). Créatrice de l’iconique gobelet Froissé, au début des années 2000, cette manufacture a relevé le défi de cette collaboration artistique avec les Subs. « C’est la première fois que nous travaillons sur un projet aussi atypique, commente Antoine Béchu-Pochez, chef de marque chez Revol. Cela nous a même fait sourire. Nous cherchons à créer des objets qui durent le plus longtemps possible et là, il faut qu’ils se cassent facilement ! »

 
Ce paradoxe a entraîné de longues recherches techniques et de nombreux prototypes testés par Vogel. Fabriquées à partir de pâte à céramique recyclée, les assiettes ne terminent pas à la poubelle. En mille morceaux, elles sont renvoyées à l’usine pour en produire de nouvelles. Une chaîne de création et de réparation qui tourne joliment bien.
 
 

Ceramic Circus, de Julian Vogel. Jusqu’au 6 octobre, Les Subs, Lyon 1er. Le 12 octobre au Lissiaco, à Lissieu (Rhône) ; les 23 et 24 octobre, Tilbourg (Pays-Bas) ; le 24 janvier 2025, Espace Germinal, à Fosses (Val-d’Oise) ; du 28 février au 1er mars, Théâtre d’Orléans ; les 6 et 7 mars, Le Sablier, à Ifs (Calvados). Toutes les dates sur Cieunlisted.ch

 

 

Rosita Boisseau  /  Le Monde

 

 

Légende photo : « Ceramic Circus », de Julian Vogel, aux Subs, à Lyon, en mai 2023. JONA HARNISCHMACHER

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October 2, 2024 11:16 AM
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Dolorosa, trois anniversaires ratés, un spectacle réussi

Dolorosa, trois anniversaires ratés, un spectacle réussi | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Marie-Céline Nivière dans L'Oeil d'Olivier - 2 oct. 2024

 

Le nouveau directeur du Quai à Angers, Marcial Di Fonzo Bo met en scène remarquablement la pièce de Rebekka Kricheldorf, une magnifique variation contemporaine autour des Trois sœurs de Tchekhov.

 

Avec Dolorosa, trois anniversaires ratés, la dramaturge allemande,  Rebekka Kricheldorf et le metteur en scène Marcial Di Fonzo Bo dépassent le simple exercice de style. En s’appuyant sur l’œuvre du dramaturge russe, et en la transposant à notre époque, ils les font brillamment dialoguer pour explorer ce qui ne change pas : l’espoir ! L’être humain est-il capable de trouver sa place dans un monde qu’il rêve de voir un jour, meilleur, sans toutefois agir  pour cela ?

« Un temps viendra, tout le monde comprendra à quoi ça sert, tout ça… mais, pour l’instant, il faut vivre… »

La pièce de Tchekhov s’ouvrait sur la fête de l’anniversaire d’Irina. La petite dernière de la famille Prozorov. Celle de Rebekka Kricheldorf démarre de même. Pour inscrire le temps qui passe et dérègle cette famille dominée par l’ennui, le Russe faisait défiler les militaires. L’Allemande va, elle, enchaîner trois anniversaires d’Irina, ses 28, 29 et 30 ans. Trois fêtes qui sont immanquablement et prodigieusement ratées. L’idée est ingénieuse, car ces périodes charnières dans une vie permettent de bien marquer le temps qui file et les rêves qui s’effilochent. D’autant plus qu’Irina ne semble pas très motivée pour entrer enfin de plain-pied dans la vie active. Car pour cela il faut travailler et aimer ses congénères !

Olga, Irina, Macha et Andreï Freudenbach sont des gosses de riches qui vivent dans « une ville,…, grossière et arriérée » d’Allemagne. Ils portent ces prénoms parce que leurs parents « étaient des snobs cultureux » ! Ces derniers sont morts dans un accident de voiture, leur laissant, non pas un « tas de pièces d’or comme Picsou », mais uniquement une maison qui tombe en ruine, la villa Dolorosa. Comment peut-on vivre heureux dans un lieu baptisé Douleur ?

« D’ici à deux cents, trois cents ans, la vie sur terre sera incroyablement belle, éblouissante. »

Comme chez Tchekhov, l’éternelle célibataire Olga (éblouissante  Marie-Sophie Ferdane) travaille dans l’enseignement et s’étiole au fil des ans. L’autrice opère un petit changementavec les deux autres sœurs. Macha (incroyable Elsa Guedj) devient la benjamine qui, par peur de la solitude, a épousé un homme qu’elle n’aime pas et que l’on ne verra jamais. Irina (étonnante Camille Rutherford) devenue la cadette, est une éternelle adolescente qui ne parvient pas à achever ses études. Quant à Andreï (truculent Alexandre Steiger), l’aîné choyé par ses sœurs, il a juste tronqué son violon pour l’écriture.

 

 

De tout le petit monde qui traînait dans la maison des Prozorov, il n’en restent que les avatars de Natacha et d’Alexandre Ignatievitch Verchinine. La première apparaît sous les traits de Janine (cocasse Juliet Doucet) la fille du coin, timide et vulgaire, qui en épousant Andreï change de condition sociale. Et le second revient dans le fidèle ami Georges (émouvant Jean-Christophe Folly) qui se pointe à chaque anniversaire. Dispensant ses visions de l’avenir, il aime philosopher sur l’avenir et tombe amoureux de Macha qui sait l’écouter.

Une belle célébration

Marcial Di Fonzo Bo s’est emparé avec maestria de l’œuvre de Rebekka Kricheldorf. Cet héritier des « Argentins de Paris » (CopiJorge LavelliAlfredo AriasMarilù Marini) possède un sacré sens d’analyse des relations humaines et de leurs dysfonctionnements. En plaçant l’action dans l’immense pièce principale, qui se vide un peu plus chaque année, pour finir en salle de jeu pour les enfants, le metteur en scène inscrit bien cet « incendie » qui a consumé les espérances des personnages.

En ouvrant et en refermant la pièce, avec des passages de la pièce originale, Di Fonzo Bo fait ressortir toute la puissance de l’univers de la dramaturge. Il laisse aussi aux spectateurs, le plaisir exquis de jouer avec ce vertigineux jeu de miroirs ! Sa direction d’acteurs fait vraiment feu de tout bois. Tel un chef d’orchestre, il s’est servi des corps et des voix bien particulières de ces comédiennes et comédiens. Ces formidables instruments qui forment un ensemble choral font vibrer la partition de cette œuvre magnifique. Après Angers (Le Quai), où il reviendra, le spectacle passe par Bordeaux (TnBA), Paris (Le Rond-Point) et Rennes (TNB). À vos agendas !

Marie-Céline Nivière – Envoyée spéciale à Angers

Dolorosa, trois anniversaires ratés de Rebekka Kricheldorf
Le Quai – CDN Angers Pays de la Loire
Cale de la savatte
49100 Angers

création du 1er au 4 octobre 2024
durée 2h environ

Tournée
6 au 8 novembre 2024 au TnBA – Théâtre national Bordeaux Aquitaine

25 au 28 février 2025 au Quai CDN Angers Pays de la Loire
5 au 15 mars 2025 au Théâtre du Rond-Point, Paris

19 au 27 mars 2025 au Théâtre National de Bretagne, Rennes


Mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo assisté de Margot Madec
avec Juliet Doucet, Marie-Sophie Ferdane, Jean-Christophe Folly, Elsa Guedj, Camille Rutherford, Alexandre Steiger
Traduction de Leyla-Claire Rabih, Frank Weigand, et André Markowicz, Françoise Morvan pour les passages d’Anton Tchekhov
Scénographie de Catherine Rankl
Dramaturgie de Guillermo Pisani
Musique d’Étienne Bonhomme
Costumes de Fanny Brouste
Lumières de Bruno Marsol
Conseil à la distribution – Richard Rousseau
Régie technique – Olivier Blouineau, Rachel Brossier, Jean-Philippe Geindreau, François Mussillon
Réalisation du décor – Ateliers de décors de la Ville d’Angers

 



Crédit photo : © Pascal Gély

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October 2, 2024 10:19 AM
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Contre, d’après la vie et l’oeuvre de Cassavetes et Rowlands, mise en scène Constance Meyer et Sébastien Pouderoux, au Vieux-Colombier. 

Contre, d’après la vie et l’oeuvre de Cassavetes et Rowlands, mise en scène Constance Meyer et Sébastien Pouderoux, au Vieux-Colombier.  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Véronique Hotte dans son blog Hottello - 2 oct. 2024

 

L’icône de l’art du cinéma John Cassavetes (1929-1989) n’incarne pas tant le « cinéma expérimental » ou d’avant-garde, que l’indépendance face à la façon dont le « système industriel fabrique les produits-films », à Hollywood et ailleurs. 

 

« Cassavetes n’a réalisé que ce qu’il a voulu et écrit lui-même, comme il l’entendait, avec ses proches. Il prenait le temps nécessaire au tournage, recommençant parfois ce qu’il jugeait raté et surtout au montage, le tout pouvant parfois durer des années : Faces (1968) représente ainsi six mois de tournage, 136 heures de rushes, trois ans de montage. » (Joël Magny, John CassavetesEncyclopedia Universalis). 

 

 

Le cinéaste, acteur célèbre de théâtre, s’auto-finançait via ses cachets à la TV, des séries « Alfred Hitchcock présente »…, et grâce aux cachets de son épouse Gena Rowlands.

 

 

Contre est un portrait libre et documenté du couple mythique Gena Rowlands/John Cassavetes; celui-ci, artiste iconique, seul contre tous, fidèle à ses principes – le portrait d’un génie isolé et incompris largement, entouré de ses amis, rebelle et rétif aux postures conventionnelles et conformistes, auprès d’une actrice rare, géniale aussi et complice. 

 

 

Passionnés pareillement, Constance Meyer et Sébastien Pouderoux se penchent de leur côté sur cet amour pour le 7ème art, à travers interviews, documents, archives, émissions TV. Contre interroge par la même occasion l’art de la critique dans le jeu d’émissions avec la critique Pauline Kael, grande opposante au cinéaste: Dominique Blanc – sûre de son goût pour les mots – est pleine d’humour, d’ironie, de dérision – le verbe acerbe et mordant.

 

 

Sur l’écran vidéo du lointain scénique, a lieu, dans un bureau de police, l’enquête sur une plainte pour coups et blessures déposée contre le cinéaste par un chef opérateur. A la fois plainte fictive et réalité des conflits récurrents suscités par la personnalité de Cassavetes. Soit l’appréciation de la dimension parfois grotesque des rapports d’ego, et le tragi-comique afférent. Les scènes de déposition rythment le spectacle, instillant dès le début une réflexion distancée sur la question du point de vue et du regard. Gravité et ’humour.

 

 

John – Sébastien Pouderoux plutôt calme et bienveillant dans le rôle du maître intraitable – et Gena  – Marina Hands -, à la fois discrète et intensément présente – vivent entourés d’artistes, dont Peter Falk – irrésistible en Colombo interprété par Nicolas Chupin – même goût du jeu et même humour détaché et provocateur. Sont là techniciens et producteurs, à l’orée de la préparation et du tournage agité dUne femme sous influence, un film-culte et une œuvre honnie en son temps. En majesté et sous-entendue, l’observation de la place de l’artiste dans la société, les limites de l’irrévérence et de la transgression – cinéma et manière d’être privilégiant les émotions et les tremblements ingouvernables dans le récit. 

 

L’ espace est unique – lieu de vie, de travail, de fête avec sa table de formica, de déposition policière, d’émission critique… Les interprètes allègres et facétieux, même à l’intérieur de la mélancolie, s’amusent en invitant les spectateurs à les suivre dans des cheminements sinueux – scène de cinéma tournée en direct, scènes quotidiennes de joie folle et instants amers de colère, entre plages d’apaisement et réveils vifs et intempestifs.

 

Jordan Rezgui, assistant stagiaire ou animateur télévision, Rachel Collignon, policière, et Blanche Sottou, assistante et serveuse, et encore Antoine Prud’homme de la Boussinière, critique éveillé de cinéma, diffusent dans l’implication scénique un beau souffle solidaire.

 

Un théâtre évocateur en même temps de l’art du cinéma et de la quête existentielle.

 

Véronique Hotte

 

Du 25 septembre au 3 novembre 2024, mardi à 19h, du mercredi au samedi à 20h30, dimanche à 15h, au Théâtre du Vieux-Colombier de la Comédie-Française, 21 rue du Vieux-Colombier 75001 – Paris. Tél: 01 44 58 15 15, comedie-francaise.fr 

https://www.comedie-francaise.fr/fr/evenements/contre-2425#

 

 

Contre, d’après la vie et l’oeuvre de John Cassavetes et Gena Rowlands de Constance Meyer, Agathe Peyrard et Sébastien Pouderoux, mise en scène Constance Meyer et Sébastien Pouderoux, avec la Troupe de la Comédie-Française Sébastien Pouderoux, Dominique Blanc, Marina Hands, Nicolas Chupin, Jordan Rezgui, les comédiennes de l’académie de la Comédie-Française Rachel Collignon, Blanche Sottou et Antoine Prud’homme de la Boussinière. Dramaturgie Agathe Peyrard, scénographie Alwyne de Dardel, costumes Isabelle Pannetier, lumières Juliette Besançon, vidéo Gabriele Smiriglia, son Clément Vallon.

 
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September 27, 2024 11:12 AM
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« Sur l'autre rive » : la Platonov Party de Cyril Teste

« Sur l'autre rive » : la Platonov Party de Cyril Teste | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Philippe Chevilley dans Les Echos - 27 septembre 2024

 

Le metteur en scène-réalisateur transforme la pièce de jeunesse de Tchekhov en fête débridée où s'expriment toutes les frustrations et les angoisses d'une génération désenchantée. Entre cinéma et théâtre, entre éclats de musique et éclats de voix, ce spectacle original découvert au Printemps des Comédiens, débarque à Nanterre aux Amandiers, puis au Rond-Point Paris.

 

Dans « La Mouette » qu'il a mise en scène en 2021, l'attention des personnages est attirée un instant par une fête qui a lieu « sur l'autre rive »… C'est sur cette autre rive fantasmée que Cyril Teste situe son « Platonov », adaptation contemporaine et très libre de la première pièce de Tchekhov (1878).

 

Ecrite à 17 ans, refusée par l'actrice à laquelle elle était destinée, remaniée à l'envi puis rangée dans un tiroir avant de ressurgir plusieurs années après la mort de l'auteur russe, cette comédie dramatique part dans tous les sens, forte d'une vingtaine de personnages à cran. L'essentiel de son action se passe lors d'une fête d'été fortement alcoolisée. Alors le metteur en scène-réalisateur a décidé d'en faire une fête, une fête d'enfer avec Platonov (Micha) et ses ami(e)s.

 

Présentée fun mai en ouverture du 38e Printemps des Comédiens à Montpellier , « Sur l'autre rive » débarque ces jours-ci près des rives de la Seine : aux Amandiers de Nanterre dès la fin septembre, puis au Rond-Point Paris en novembre. Le spectacle prend la forme d'une méga partie jouée-dansée-filmée où s'expriment les contradictions et les frustrations d'un petit monde provincial en mal d'idéal, d'amour et/ou d'argent.

 
In vino veritas… et la musique aidant, les figures universelles du Russe, réincarnées en bobos, banquiers ou escrocs d'aujourd'hui, se mettent à nu et hurlent à la lune. Pas sûr qu'on y retrouve tout à fait l'âme russe mais on ne perd pas pour autant son Tchekhov. L'esprit sarcastique de l'écrivain, mêlé de tendresse pour les faibles humains, est porté avec fougue par les excellents acteurs du collectif MxM filmés en gros plans dès qu'ils s'expriment au milieu de la foule de danseurs.

Virtuosité

On retrouve dans ce spectacle la virtuosité du metteur en scène qui, à l'aide de plusieurs écrans mobiles, mêle cinéma et théâtre dans une enivrante sarabande. Il parvient à conjuguer la bande-son d'une soirée dansante et les répliques enfiévrées des personnages . L'arrogance désespérée de Platonov qui s'emploie à pourrir la soirée, les affres pécuniaires d'Anna, l'hôtesse de la fête, veuve d'un général qui lui a laissé ses dettes en héritage et la rage des fils « sans pères » se révèlent en des flashes fulgurants. Ainsi concassée et filtrée, la pièce un peu folle de Tchekhov s'accorde avec les codes modernes du théâtre de plateau. L'impression de spontanéité est renforcée par la figuration d'une vingtaine de spectateurs invités sur la scène.

 

La singularité de cette adaptation, coécrite avec Olivier Cadiot, repose aussi sur un troublant effet de mise en scène. Au moment du feu d'artifice (joliment figuré) qui clôt la fête, le spectacle tire brutalement un trait sur la technologie. C'est sur le plateau nu, éclairé de quelques bougies, sans caméra ni écran que se déroule le dernier acte. Une ultime séquence où les volte-face amoureuses et la fin de Micha sont représentées en mode express, façon vaudeville clownesque. Le résultat est très étrange, perturbant, mais cet épilogue onirique presque surréel convoque tout l'équivoque tragicomique du théâtre de Tchekhov.

Un film sur Arte

« Sur l'autre rive » se termine ainsi dans une forme de pur théâtre magnifié entre autres par le jeu incandescent de Vincent Berger (attachant Platonov), d'Olivia Corsini (déchirante Anna) et d'Emilie Incerti Formentini (renversante femme-médecin). Mais le projet de Cyril Teste ne se borne pas à un spectacle. Avec la même équipe, le metteur en scène a préalablement tourné un film qui sera diffusé à l'automne sur Arte - une forme d'hommage à Patrice Chéreau qui avait fait de même avec « Hôtel de France ». L'histoire d'amour de Cyril Teste avec Tchekhov, amorcée pendant le confinement, est visiblement une histoire qui dure… On ne s'en plaindra pas.

SUR L'AUTRE RIVE

d'après « Platonov » d'Anton Tchekhov

Mise en scène de Cyril Teste

Créé à Bonlieu Scène Nationale Annecy.

A Nanterre - Les Amandiers

du 27 septembre au 13 octobre

Espace des Arts, scène nationale de Chalon-sur-Saône

les 17 et 18 octobre

Paris, Théâtre du Rond-Point

du 8 au 16 novembre 2024 :

 

 

Philippe Chevilley /Les Echos

 

Légende photo : Concassée et filtrée, la pièce un peu folle de Tchekhov s'accorde avec les codes modernes du théâtre de plateau. (© Simon Gosselin)

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September 26, 2024 3:24 AM
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Wajdi Mouawad : cinq possibilités d’une vie 

Wajdi Mouawad : cinq possibilités d’une vie  | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog - 24 septembre 2024

 

 

Le directeur du Théâtre de la Colline remet le couvert de sa pièce fleuve « Racine carrée du verbe être ». Six heures de théâtre à travers le monde et le prisme d’une famille qui prend racine dans l’histoire de sa propre famille. Même distribution qu’à la création il y a deux ans. Même triomphe côté public.

 

A quoi tient le cours d’une vie ? Un jour d’août 1978, alors que le Liban est meurtri par une guerre civile qui voit le pays se détériorer chaque jour un peu plus, le père de Wajdi Mouawad envoie le frère de ce dernier à l’agence retirer des billets pour le premier vol atterrissant à Rome ou à Paris. Prévoyant, le père avait fait en sorte que les visas de la famille soient renouvelés. Le père a un faible pour l’Italie, son fils le sait mais le premier vol est pour Paris. Ils partent pour la France. Wajdi va apprendre le français. Cependant, en France, la famille se heurte à un problème administratif concernant l’un de ses membres. Faute de pouvoir aller aux États-Unis, ils partent pour le Québec.

 

Et si cela avait été Rome ? Et si Wajdi était devenu italien ? Et si famille avait été au Texas ?... Racine carrée du verbe être, pièce forcément au long cours (plus de six heures), déploie ces possibilités de vie en s’appuyant aussi sur la physique quantique selon laquelle une présence au point A n’ est possible que par sa présence simultanée au point B. Ce faisant, l’auteur organise un époustouflant tourniquet identitaire et géographique dramatiquement concentré, quarante deux ans après l’exil, dans les six jours qui suivent le mardi 4 août 2020, jour où explosa le port de Beyrouth.

 

 

Deux acteurs, Wajdi Mouawad et Jérôme Kircher, au physique presque interchangeable grâce aux costumes ( Emmanuelle Thomas) et aux maquillages (Cécile Kretschmar) se partagent le rôle de Talyani Waqar Malik aux multiples figures. Ils sont exceptionnels et entourés d’une troupe nombreuse (sans compter de multiples enfants) et performante où seuls Norah Krief et Raphael Weinstock, interprètent avec maestria un seul rôle au visage changeant, ceux respectivement de Layla et Nabil , la sœur et le frère de Talyani, les trois oscillant entre la cinquantaine et la soixantaine tout comme l’auteur.

 

 

Une noria de personnages dans une noria de lieux dont la scénographie tout en ruse et souplesse d’Emmanuel Clolus et la mise en scène au rythme soutenu y compris dans les passages où l’écriture souvent tendue de Wajdi Mouawad cède parfois à la facilité, se conjuguent et savent ruser pour éviter toute pesanteur en ne s’attardant pas. D’un rien ou presque, on passe de Rome à Wellington, du Québec à une bourgade française. En Italie, Talyani est devenu un neurochirurgien imbus de lui-même accro aux jeunes putes d’une agence ; au Québec c’est un artiste peintre (comme l’est par ailleurs Mouawad) aussi doué que torturé ; en France, c’est un chauffeur de taxi affable qui accompagne les clients et sympathise avec eux ; aux États-Unis,c‘est une homme qui attend dans un prison texane d’être exécuté pour avoir tué à bout portant un couple dans une voiture.

 

 

Jour après jour après l’explosion, du lundi au samedi, on s’enfonce dans ces histoires et leurs ramifications. Tel, Wyoming Monroe, l‘enfant américain du couple assassiné devenu journaliste qui vient voir Talyani dans sa cellule de condamné à mort et finit par lui avouer son identité Il rencontre la sœur du condamné qui espère un recours que son frère ne veut pas, c’est lui, Wyoming, qui, dans une des dernières scènes de la pièce, finira par persuader Talyani d’engager un recours. Tel encore le Talyani resté à Beyrouth dans les décombres de son atelier de jeans qui raconte à Hirâm et Hind, ses enfants jumeaux de vingt cinq ans, comment la nuit même où Layla et Nabil sont partis en avion, lui et son épouse les ont conçus « sous une nuit psychédélique ». Au lieu de cela, leur dit-il, «  on serait arrivés en Floride , on aurait attendu d’être installés et ça aurait été un autre enfant qu’on aurait eu au lieu de vous avoir vous. Et comment je fais moi pour imaginer la vie sans vous ? ».Tel, en France, le botaniste Gilles Parent qui, conduit en taxi par Talyani, se bat contre le maire du village de Féricy (qui veut un parc de loisirs) pour qu’on n’abatte pas des arbres, cinq ginkgos (des cyprès chauves) devenus énormes, plantés en 1811 à la naissance de son fils par Napoléon. Tel, à Montréal, le saccage des toiles de Talyani et ce qui s’en suivit. Tel, en Italie, la prostituée albanaise mineure mais se disant majeure qui meurt dans un accident de voiture auprès de Talyani. La Ferrari est amochée, lui est indemne, la Police vient l’interroger. Etc...

 

 

Le rythme toujours soutenu de l’ écriture hormis quelques facilités (scènes de baise) et la force collective de la distribution, entraînent les spectateurs dans ce voyage au sein d’une famille éclatée qui tôt au tard, ne serait-ce que par un détail, croise celle des spectateurs dont l‘empathie est contagieuse. Comme à la création de la pièce il y a deux automnes, le public, à l’heure des saluts se lève. Voir ce spectacle aujourd’hui alors que le Liban connaît d’autres sortes d’explosions est d’autant plus troublant.

 

 

Théâtre de la Colline, jeu et ven à 17h30, sam à 16h, dim 13h30 (six heures dont deux entractes de 30 mn), jusqu’au 22 déc (relâche durant les vacances scolaires du 21 oct au 6 nov).

La pièce est publiée aux éditions Leméac/Actes sud-Papiers

 
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September 25, 2024 5:19 AM
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Théâtre : “Nageuse de l’extrême”, immersion bouleversante dans le combat de deux jeunes femmes

Théâtre : “Nageuse de l’extrême”, immersion bouleversante dans le combat de deux jeunes femmes | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Kilian Orain dans Télérama :- 23 sept. 2024

 

 

D’un côté une nageuse en eau glacée ; de l’autre une femme plus âgée, malade. Une pièce, de et avec Elise Vigier, qui retrace le parcours de deux héroïnes du quotidien.

 

Trois blocs de sièges enserrent en U la scène, figurant les rangées de chaises d’une salle d’attente lambda. C’est dans cet environnement froid et inhospitalier que se croisent deux femmes apparemment sans lien. L’une est jeune et sportive, spécialiste de la nage en eau glacée ; l’autre est une patiente plus âgée. On comprend rapidement que la maladie les a fait se rencontrer. Le spectacle débute par une difficile traversée, celle de la Manche, que s’est donnée pour défi la plus jeune. Difficile traversée aussi pour l’aînée (incarnée avec grande sensibilité par Élise Vigier), qui chemine avec un cancer. L’autrice et metteuse en scène a choisi un dispositif narratif simple mais efficace, parfois artificiel mais qui distille l’essentiel d’un parcours de malade. Les trajectoires des deux protagonistes existent ainsi en parallèle, sans fusionner. C’est sans doute l’écueil du spectacle.

 

L’ouverture d’une « troisième voie » où les deux héroïnes seraient pleinement réunies aurait apporté davantage de matière à la pièce. Laquelle a germé après une rencontre avec la nageuse de l’extrême Marion Joffle, 25 ans. Le soir de la première, l’athlète était présente dans la salle, puis a rejoint la scène. Elle aussi a combattu un cancer, enfant. Et s’est relevée. Bouleversantes histoires.

 

Kilian Orain / Télérama 

 

Nageuse de l’extrême. Portrait d’une jeune femme givrée. 

Jusqu’au 28 septembre, Théâtre ouvert, Paris 20e ; du 7 au 9 octobre, Comédie de Caen (14) ; du 24 au 28 février et du 13 au 16 mai, Le Quai-CDN d’Angers (49) ; du 2 au 4 avril, Théâtre du Point du Jour, Lyon (69).

Légende photo : Léna Bokobza-Brunet, dans un rôle inspiré par la nageuse Marion Joffle. Photo Christophe Raynaud de Lage
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September 23, 2024 6:49 AM
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Ni une ni deux, les sœurs Hilton vues par Christian Hecq et Valérie Lesort

Ni une ni deux, les sœurs Hilton vues par Christian Hecq et Valérie Lesort | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Fabienne Darge dans Le Monde - 23 sept. 2024

 

 

La destinée tragique des célèbres siamoises anglaises inspire au duo de comédiens et metteurs en scène un nouveau spectacle inventif sur les thèmes de la normalité et du monstrueux.

 



Lire l'article sur le site du "Monde" : 
https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/09/23/ni-une-ni-deux-les-s-urs-hilton-vues-par-christian-hecq-et-valerie-lesort_6328997_3246.html

Les photos que l’on trouve sur Internet les montrent comme deux ravissantes fillettes que rien ne distingue, en apparence, des enfants de leur époque – les années 1910, en Angleterre –, avec leurs nœuds en satin dans les cheveux et leurs robes à dentelles. Sauf que… De photo en photo, Daisy et Violet Hilton figurent toujours ensemble, collées l’une à l’autre, dans la même position. Et pour cause : liées l’une à l’autre, elles l’étaient, irrémédiablement, puisque nées siamoises, rattachées par le bas de leur colonne vertébrale.

 

 

 

Leur histoire, extraordinaire, ne pouvait qu’attirer le duo d’acteurs-auteurs-metteurs en scène formé par Christian Hecq et Valérie Lesort, avec leur goût pour le monstre et l’étrange, les êtres en marge, rejetés par la société. La destinée des sœurs Hilton est donc au cœur de leur nouveau spectacle, créé au Théâtre des Célestins à Lyon avant de partir en tournée un peu partout en France.

 

Et comme cette destinée est également emblématique de la société du spectacle qui se développe au début du XXe siècle, avec l’essor du cirque, du cabaret, de la comédie musicale et du cinéma, elle est aussi l’occasion pour l’inénarrable duo d’un jeu avec les formes comme ils les aiment, transgressant allègrement les frontières du bon et du mauvais goût : un théâtre monstre.

Exhibées dès l’âge de 3 ans

Monstres de foire, Daisy et Violet l’ont été d’emblée, puisqu’elles ont été exhibées dès l’âge de 3 ans, à des fins mercantiles, par leur mère adoptive, Mary Hilton. Et dès lors elles n’ont plus quitté l’univers parallèle du spectacle, Moloch qui les a attirées puis sacrifiées, dans cette Amérique qu’elles rejoignent dès le milieu des années 1910. Elles savaient chanter et danser, elles étaient jolies, et elles ont eu un succès fou d’abord dans les cirques itinérants, puis sur les scènes de Broadway, avant que Tod Browning (1880-1962) ne les fasse tourner dans son célèbre film Freaks (La Monstrueuse Parade), en 1932.

 

 

L’histoire est évidemment du pain bénit pour Valérie Lesort et Christian Hecq, qui l’installent, de tableau en tableau, dans un univers de cirque et de cabaret où les personnages semblent taillés directement dans les rideaux de velours rouge qui enveloppent la scène. Le ton est donné d’emblée par les deux Monsieur Loyal qui ouvrent la représentation, frères jumeaux qui installent le thème du double, qui courra tout au long du spectacle.

 

Et comme toujours avec eux, les idées ne manquent pas et les surprises sont là à foison. Théâtre d’ombres, objets animés, comédie musicale, strip-tease, magie, codes du cinéma muet et des films d’horreur… Christian Hecq et Valérie Lesort réinvestissent tout un folklore du cirque et du spectacle forain, d’autant plus qu’ils ont été rejoints par un autre grand inclassable de la création scénique contemporaine, le magicien et clown Yann Frisch.

 
 
Lire le portrait (en 2018) : Article réservé à nos abonnés Le magicien Yann Frisch rebat les cartes
 

Tout se mélange, en des jeux d’illusion aussi séduisants que troublants, une illusion qui semble l’état d’existence même de personnages que le réel a rejetés hors de sa sphère : homme-tronc, Hercule de foire, vrai-faux (?) numéro de lanceur de couteaux aussi hilarant qu’inquiétant, apparition du célèbre magicien Houdini, qui apprend aux sœurs Hilton à « se dissocier mentalement ». Christian Hecq réhabilite même une discipline oubliée et qui faisait fureur, mais oui, en ces temps pas si anciens : la pétomanie.

Mimiques délirantes

On voit par là que le spectacle, comme tous ceux que le duo crée depuis dix ans (20 000 lieues sous les mers, La Mouche, Le Voyage de Gulliver), est intimement travaillé par la question de la normalité, de ce qu’il en est d’être un monstre dans le regard de l’autre. Et cette question s’incarne directement dans ce qu’ils sont comme acteurs, avec les partenaires qu’ils se sont choisis. Quoi de mieux que le jeu hyperexpressif, grotesque, de Christian Hecq pour faire virer cette apparence de normalité ? Si ses mimiques délirantes ravissent autant les spectateurs, entre rire et inquiétante étrangeté, c’est bien parce qu’elles tordent le masque social que chacun se sent obligé de porter.

 

Dans le registre de l’étrangeté, Yann Frisch n’est pas en reste, en artiste qui semble avoir la capacité de se faire disparaître lui-même. Les sœurs Hilton, elles, sont jouées par Valérie Lesort et Céline Milliat-Baumgartner : collées ensemble grâce aux costumes signés par Vanessa Sannino, elles donnent toute leur dimension humaine à l’histoire de Daisy et Violet. Comment vivre, avoir une vie amoureuse, une individualité, quand on est deux personnes indissociables ? Est-on une en deux, ou deux en une ? Comment se supporter quand on ne peut pas se séparer ? La pièce s’offre aussi, en creux, comme un miroir déformant du couple Valérie Lesort-Christian Hecq, hydre à deux têtes vivant par et pour le théâtre.

 

 

 

Alors même si le spectacle n’avait pas encore tout à fait trouvé son rythme lors de la création à Lyon, on en sort avec les questions, vertigineuses, posées par la destinée des sœurs Hilton, qui ont fini leur vie dans la misère, en 1969. La société du spectacle, qui dévore et recrache les « monstres », a-t-elle pour finalité de nous reconduire dans notre normalité bien-pensante, dans notre satisfaction de ne pas être l’« autre », celui que le sort a frappé de difformité ? Quand Les Sœurs Hilton aura huilé tous ses rouages, il sera totalement à même de déployer sa parade à la fois joyeuse et grinçante.

 

 

Les Sœurs Hilton, de Valérie Lesort. Mise en scène : Christian Hecq et Valérie Lesort. Théâtre des Célestins, Lyon, jusqu’au 29 septembre. Puis tournée jusqu’en février 2025. Théâtre des Bouffes du Nord, Paris 10e, du 10 octobre au 3 novembre.

 

 

Fabienne Darge (Lyon, envoyée spéciale pour Le Monde)

 

 

Légende photo : Valérie Lesort, Céline Milliat-Baumgartner et Yann Frisch dans « Les Sœurs Hilton », de Christian Hecq et Valérie Lesort, durant la générale au Théâtre des Célestins, à Lyon, en septembre 2024. FABRICE ROBIN

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