Revue de presse théâtre
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LE SEUL BLOG THÉÂTRAL DANS LEQUEL L'AUTEUR N'A PAS ÉCRIT UNE SEULE LIGNE  :   L'actualité théâtrale, une sélection de critiques et d'articles parus dans la presse et les blogs. Théâtre, danse, cirque et rue aussi, politique culturelle, les nouvelles : décès, nominations, grèves et mouvements sociaux, polémiques, chantiers, ouvertures, créations et portraits d'artistes. Mis à jour quotidiennement.
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Regarde les hommes tomber –    A propos du "Roi Lear", de Shakespeare, mise en scène André Engel avec Michel Piccoli (2006)

Regarde les hommes tomber –    A propos du "Roi Lear", de Shakespeare, mise en scène André Engel avec Michel Piccoli (2006) | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Lien pour visionner la captation du spectacle : https://vimeo.com/420340417

Article de Thierry Jallet dans Wanderersite, le 25 mai 2020

 


Alors que tout est accompli, que tout a été dévasté autour de Lear, les survivants – ne parlons pas de vainqueurs – sont peu nombreux. Interprété par  Jérôme Kircher, Edgar, le fils héritier de Gloucester vient de sortir. Alors qu’il s’apprête à le suivre, le duc d’Albany – joué par Jean-Michel Cannone – s’arrête après quelques pas. Il est attiré par une lettre opportunément laissée au sol. Il la ramasse et la lit à voix haute. « Et quand il a voulu retourner sur terre […] et il était tout seul […]] et il a pleuré […] et il est toujours tout seul. » Ces quelques mots tirés de Woyzeck qu’André Engel connaît bien pour l’avoir monté en 1998, sont ceux de la Grand-Mère dans le texte de Büchner : ils renvoient à un conte des frères Grimm, sombre et pessimiste. Présage d’une solitude irréversible, du meurtre de Marie, ce court récit métaphorise l’isolement de Woyzeck dans un état d’aliénation totale. Ici, ce bref ajout du metteur en scène semble avoir une autre fonction dans le prolongement de la pièce de Shakespeare : il en devient le point culminant. Le résultat même de la tragédie en quelques mots jetés sur la feuille. Une forme de surimpression intertextuelle insistant une toute dernière fois sur la noirceur absolue qui la recouvre au moment où elle s’achève. Pour autant, Albany ne peut saisir le sens de ces quelques lignes sibyllines. Au milieu de tous les morts, il ne perçoit pas leur sinistre résonance. Sans doute Edgar les comprendrait-il mieux puisqu’il est désormais définitivement seul. Mais il est parti, la pièce est finie et l’on est saisi par les ténèbres qui tombent sur le plateau au son des saxophones.

C’est toujours une gageure que de vouloir mettre une nouvelle fois en scène une pièce de Shakespeare. Celle-ci peut-être plus que les autres par ce désenchantement qui la rend si particulière. Si par exemple Macbeth se finit en fanfare, Le Roi Lear se ferme sur une marche funèbre. Et c’est bien cette tonalité qui domine dans la création d’André Engel qui nous révèle avec beaucoup de justesse la fin d’un monde sans dieux et presque sans hommes, l’espérance absolument vaine en une harmonie perdue après les « désordres destructeurs » qu’évoquent Edmond – exceptionnel Gérard Watkins dans le rôle du bâtard cruel, félon et revanchard.

Il est structurellement question de verticalité dans Lear – comme le suggèrent ici les nombreuses lignes dans la scénographie de Nicky Rieti. Parce que le roi abdique, il provoque sa déchéance. Parce qu’Edmond va tout mettre perfidement en œuvre  pour s’élever, il va finalement déchoir lorsqu’il est confondu. Leurs destinées lointaines suivent la même trajectoire. Tous deux tombent. Tous deux perdent même la vie. Reste après eux, l’horizon plat de la scène. Vide de tout.

Les choix de mise en scène habilement relevés par la réalisation vidéo de Don Kent renvoient au cinéma qui compose un univers référentiel important ici – on n’est jamais très loin de Coppola ou encore de De Palma. André Engel, soucieux de resserrer l’intrigue en un peu plus de deux et demie – comme pour un film, a fait le choix de supprimer certains passages en réduisant par exemple dans l’acte II, le monologue d’Edgar, à une seule phrase. Il a également redimensionné certaines scènes comme la toute première, très cinématographique dans sa dramaturgie précisément. Abandonnant le dialogue initial entre Gloucester et Kent, la pièce ici s’ouvre in medias res dans un décor industriel, caractérisé par de hautes fenêtres d’entrepôt sur lesquelles on découvre écrit en lettres imposantes le nom de Lear. On devine que la figure modernisée du monarque se confond ici avec celle d’un puissant chef d’entreprise à la réussite ostentatoire transposée dans ce vaste dispositif scénique. Mais l’inscription à l’envers inspire d’emblée l’idée d’un pouvoir sur le déclin. Le mouvement descendant se lit dans la forme scripturale inversée. Déjà. De surcroît, la lumière blafarde qui est jetée sur le plateau par les ouvertures laisse voir un espace vide de toute activité, de toute vie. Comme une image prémonitoire de la fin, une fois encore.

Par une porte latérale laissant passer un rai lumineux jaune à cour, Lear – Michel Piccoli entre, manifestement en proie à un malaise. La soirée de fête dont il semble s’être échappé fait entendre sa musique et son tumulte, derrière la porte refermée. Il va s’asseoir et convoquer chacune de ses filles pour leur révéler son intention de se retirer des affaires et de partager son empire entre elles.  Cependant, loin du monarque éclairé et juste, il décide de les installer au cœur d’une concurrence malsaine, expliquant que celle qui lui témoignera le plus fortement son amour aura la plus grosse part. Usant du noir au plateau comme du cut au cinéma, les filles se succèdent devant lui. Les deux aînées d’abord, venimeuses et séduisantes dans des tenues et des postures dignes d’un polar. Anne Sée joue Goneril et Lisa Martino, Régane et les deux comédiennes sont formidables tant les deux sœurs racées apparaissent scélérates, conspirant même l’une contre l’autre. Glaçantes. Oswald, l’intendant de Goneril dont le rôle est tenu par Lucien Marchal, l’est tout autant dans ses manigances servant ses propres intérêts. Lear lui-même semble sans grands états d’âme. N’utilise-t-il pas un magnétophone pour faire entendre à Régane l’entretien qu’il a eu avec Goneril ? Procédé bien douteux pour créer la discorde et développer l’esprit de compétition entre ses propres filles. La loi implacable des affaires s’appliquerait donc jusqu’ici.



Cependant, il reste Cordélia, la dernière et la préférée – Julie-Marie Parmentier lui donne l’authenticité de sa jeunesse. Celle qui est étrangère à toute malveillance, à toute tentation de manœuvre pour son propre intérêt. Contre toute attente, elle se trouve à l’origine de la tragédie du roi Lear. Parce qu’elle ne goûte pas ce jeu déplacé, elle refuse de se prêter à la flatterie afin d’obtenir la moindre grâce. Et lance malgré elle, la machine infernale. Le despotisme capricieux et obstiné de ce père omnipotent et à la fin de sa vie va prendre toutes les allures d’une fin de règne. Il prononce des représailles de condamnation sans appel, éructée contre la plus jeune des sœurs au profit des deux autres, qui entraîne l’effondrement du royaume-empire. Et les effets sonores très cinématographiques également, accompagnent la tragique débâcle, avec des cuivres aux sons graves entre autres.

Michel Piccoli s’est pleinement emparé de Lear. Il le porte magistralement et nous entraîne dans sa chute. La tension qu’elle fait naître est rythmée par les fluctuations de la voix de l’acteur : tantôt dans le murmure tantôt dans le cri. On le suit dans cette aliénation physique – son corps robuste vacille jusqu’à l’immobilité fatale. On le suit dans cette aliénation mentale qui le conduit aux confins de la folie, hors de lui-même, réduit à l’état de misérable créature se dénudant sous la neige. Bien sûr, la chute des flocons évoque celle du personnage. L’intérieur de l’espace industriel de la scénographie transcrit son déséquilibre intérieur, se teinte d’un onirisme à la fois beau et angoissant par son irréalité. La douce folie de Funiculi dans laquelle Jean-Paul Farré excelle, souligne la propre démence de Lear, son irrémédiable vulnérabilité, celle de son monde en perdition. Et ce, malgré la fidèle présence de Kent revenant dissimulé sous des sparadraps sur le visage et remarquablement interprété par Gérard Désarthe. « C’est la misère des temps que les fous aient à conduire les aveugles ». Comme Gloucester – très bon Thierry Bosc –  est privé de sa vue, Lear est privé de sa raison, de sa clairvoyance. Vient donc le temps de l’errance, de la déchéance loin de ses filles ingrates. Jusqu’aux brèves retrouvailles avec Cordélia. Jusqu’à l’extinction finale.

On a parfois opposé à André Engel des réserves quant à sa mise en scène, sa direction d’acteurs, y compris de Michel Piccoli. Pourtant, tout au long de la pièce, on est subjugué par la puissance de l’acteur, par sa capacité à passer de la fureur à l’anéantissement, de la dignité aux facéties de l’enfance. Et quand les premières notes du thème de Camille dans Le Mépris se font entendre, il s’arrête et fait dire à son personnage que derrière lui, il faut baisser le rideau de fer après qu’il sera avalé par les ténèbres. Étrange mise en abîme.

Ne ménageant pas sa fatigue au cours de la tournée du Roi Lear, l’acteur enthousiaste affirmait dans une interview  que « c’est une telle jouissance, ce métier ». Tout cela dans un sourire inoubliable. Merci, Monsieur Piccoli.

Lien : https://vimeo.com/420340417


 


Légende photo
Cordelia (Julie-Marie Parmentier) Michel Piccoli (Lear) Crédits photo : © Marc Vanappelghem

Cet article a été écrit par Thierry Jallet

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« L'immense Piccoli », immense et pathétique « Minetti »

« L'immense Piccoli », immense et pathétique « Minetti » | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Thibaudat dans son blog Balagan janvier 2009


« Portrait de l’artiste en vieil homme ». C’est le sous-titre que Thomas Bernhard donne à sa pièce « Minetti », nom d’un célèbre acteur allemand du XXe siècle. Et c’est ainsi que la joue Michel Piccoli qui, né en 1925, a, comme on dit, l’âge du rôle.

Un vieil hôtel d’Ostende


Thomas Bernhard n’était pas un proche de l’acteur allemand Bernhard Minetti, il ne le rencontra que brièvement (« trois heures en tout »). Il l’admirait comme acteur. C’est lui qui avait créé sa pièce « La Force de l’Habitude ». Alors il lui avait offert cet écrin baptisé de son nom « Minetti », pièce créée par Minetti lui-même en 1977 (dans une mise en scène de Claus Peymann) avant que Klaus Gruber ne le dirige dans un mémorable « Faust ». La pièce « Minetti » n’est pas plus fidèle à l’acteur Minetti que ne l’est le texte qu’a consacré Valère Novarina à Louis de Funès.

Le Minetti de Bernhard entre dans le hall d’un vieil hôtel d’Ostende, le jour de la Saint-Sylvestre. Il a rendez vous avec de directeur du théâtre de Flensburg pour jouer le roi Lear. Cela fait trente ans qu’il n’a pas joué le rôle titre de la pièce de Shakespeare, trente ans qu’il n’est pas monté sur une scène. Il le dit à une femme ivre et seule (Evelyne Didi), il le redira à une jeune fille sage (Julie-Marie Parmentier) qui écoute son transistor en attendant son fiancé.

Minetti soliloque mieux à deux. Il ressasse sa vie, ses rancoeœurs, ses remords, une page sombre de sa vie et surtout ce rôle de Lear qu’il joua dès l’âge de 18 ans et qui le poursuit de ses répliques (en langue originale).

Du roi Lear au vieux Minetti

Michel Piccoli a, lui aussi, joué Lear, en janvier 2006 au théâtre de l’Odéon, dans une mise en scène d’André Engel. Ce dernier lui avait proposé le rôle quinze ans plus tôt. Piccoli, trop pris par le cinéma sans doute, avait différé l’offre. Il a fini par jouer le vieux Lear, un peu tard peut-être, avec un grand succès (le spectacle a été repris deux saisons de suite). La tentation était trop forte. Engel qui a déjà monté plusieurs pièces de Thomas Bernhard (à commencer par un « Réformateur » avec Serge Merlin) a proposé à Piccoli cette pièce où il est tant question de Lear. Le rôle est moins écrasant que celui du vieux roi, mais Minetti, une fois qu’il est entré en scène, n’en sort quasiment plus. Pour l’essentiel, le spectacle repose sur ses épaules.

Le coffre et les épaules

Celles de Piccoli sont légèrement voûtées. Michel Piccoli -« l’immense Michel Piccoli“- en vieil acteur âgé qu’il est, entre en scène avec tous les rôles de sa vie, synchrone avec ce ‘portrait de l’artiste en vieil homme’ qu’est ‘Minetti’. On le regarde murmurer ces mots d’un personnage de théâtre qui se trouve être un acteur, et c’est comme un léger crépitement familier, une voix amie, un feu de cheminée qui nous réchauffe. On est content d’être là, de suivre les pas de sa haute silhouette qui n’ont plus la vivacité de naguère, mais tout de même. C’est un vieil acteur magnifique.

Et puis, osons le dire même s’il nous en coûte, cela se gâte. Le débit se ralentit, perd de son relief malgré quelques coups de reins salutaires, cela se grippe. C’est presque imperceptible, mais cela va de mal en pis La mémoire -ce muscle et ce démon qui obsède l’acteur et plus encore l’acteur vieillissant-, n’est pas pleinement au rendez vous.

La voix du souffleur

La fatigue ? L’hiver ? L’usure du temps ? Qu’importe. La mémoire, cette traîtresse, fait des siennes. Alors l’acteur, qui a trois quarts de siècle de métier dans son grand coffre, se lève, s’approche d’un rideau, d’une fenêtre et l’air de rien (‘tiens, il ne neige plus’) écoute la voix du souffleur. Et ça repart avant de se gripper derechef. Et le souffleur de remettre ça. La peur, on le devine, habite cette voix qui ouvre sur des gouffres.

Piccoli, l’autre soir, en fit même l’aveu en ajoutant une phrase au texte de Thomas Bernhard : ‘L’art se dégrade facilement mon enfant/ quand l’artiste faiblit/ se laisse détourner/ faiblit ne fût-ce qu’un instant’, dit Minetti, et Piccoli d’ajouter : ‘et ne sait pas son texte’. Il est à lui-même son fantôme.

Dans la salle, comme l’histoire de l’acteur Minetti et celle de l’acteur Piccoli ne sont pas sans points communs (l’âge, Lear, l’aura), beaucoup spectateurs n’y voient que du feu et c’est tant mieux. D’autres souffrent avec lui de le voir chercher son texte et cela fait mal. On voudrait tellement écrire combien ‘l’immense Piccoli’ est magnifique. Il l’est. Mais il est tout autant pathétique.

Le masque d’Ensor

Le coût de production du spectacle est important et une fois la machine à produire lancée, difficile de l’arrêter. Il y a les cinq acteurs et encore plus de figurants qui entourent Piccoli. Il y a l’imposant décor de Nicki Riéti (décorateur attitré d’Engel) d’un académisme accablant qui, même s’il se veut ironique, ajoute à la pesanteur (un tel décor aurait fait se tordre de rire -ou de honte- le même Rieti il y a trente ans).

Il y a encore bon nombre d’autres collaborateurs dont le fidèle ‘dramaturge’ Dominique Müller qui co-signe la version scénique avec Engel. Les deux compères ont supprimé l’épilogue quasi muet où Bernhard, entre Lear et Godot, entraîne son personnage au bord de la mer. Là, guidé par un infirme, ayant revêtu le masque de Lear fait par l’artiste Ensor –natif d’Ostende- dont Minetti parle tout au long de la pièce, il reste immobile jusqu’à ce que la neige le recouvre.

Dans la version d’Engel-Müller, le masque du personnage n’apparaît pas. Les spectateurs peuvent penser que le masque d’Ensor est imaginaire. L’acteur Piccoli s’avance nu, son visage est son propre masque. A la fin, Minetti-Piccoli demeure seul, de dos, dans le hall de l’hôtel, près de sa valise où il a rassemblé les coupures de presse de sa vie. Et l’on entend la voix rayée de nuit de Tom Waits, chantant un air qui, lui, fait écho à un ancien spectacle d’Engel, comme un vieux 33 tours.

Une table, un texte, un acteur

Longtemps l’immense Alain Cuny resta sans remonter sur une scène. Ce n’est pas qu’il ne le souhaitait pas jouer, mais sa mémoire ne suivait pas. Et puis un jour Cuny eut l’idée lumineuse de s’asseoir à une table dressée sur une scène et de lire des textes aimés comme ceux d’Antonin Artaud. C’était impressionnant, magistral
En sortant du Théâtre de la Colline, c’est à cela que l’on rêvait. Que l’on foute en l’air ce décor, tout ce cirque autour du vieil acteur, qu’il soit seul assis à une table, le texte devant lui, qu’il lise magnifiquement ‘Minetti’ avec une voix débarrassée de la peur du par cœur, que l’on retrouve, tel qu’en lui-même, ‘l’immense Michel Piccoli’.

 Minetti Théâtre de la Colline - jusqu’au 6 février 2009 - mar 19h30, mer, jeu, ven, sam 20h30, dim 15h30 - 13 à 27€ - Tél. : 01 44 62 52 52 - puis tournée jusqu’en mai : Reims, Genève, Berlin, Villeurbanne, Grenoble, Lille, Lausanne, Toulouse.

Photo : Michel Piccoli dans ’Minetti’ (Richard Schroeder).


Jean-Pierre Thibaudat

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Sa passion pour le théâtre ne s’est jamais éteinte

Sa passion pour le théâtre ne s’est jamais éteinte | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Jean-Pierre Léonardini dans L'Humanité -  Mardi19 Mai 2020


SA PASSION POUR LE THÉÂTRE NE S’EST JAMAIS ÉTEINTE

Après avoir écumé toutes les scènes parisiennes dans une multitude de rôles, Michel Piccoli, dans sa maturité heureuse, a séduit de grands metteurs en scène de la fin du XXe siècle, de Patrice Chéreau à Robert Wilson en passant par Peter Brook. Il a triomphé en interprétant les plus grands textes.

Au théâtre, Michel Piccoli a tout fait. Sa brillante carrière au cinéma ne l’en a jamais éloigné. Il ­commence, comme à peu près tout le monde à l’époque, par le cours Simon, après avoir appris les rudiments du métier auprès de Georges Douking, ancien de la troupe de Gaston Baty. Dès les ­années 1950, Michel Piccoli est choisi par des metteurs en scène de renom dans le théâtre privé : Michel de Ré, Jean-Pierre Grenier, Jacques Mauclair, Georges Vitaly, Jean-Marie Serreau, Raymond Gérôme, Jean-Louis Barrault, André Barsacq, Roland Monod… Il joue aussi bien dans Penthésilée, de Kleist, sous l’œil vigilant de Claude Régy (1954), que dans Phèdre, mise en scène de Jean Vilar (1957). Il a été de l’aventure du Vicaire, pièce de l’Allemand Rolf Hochhuth, sous la direction de François Darbon, à l’Athénée, qui fit scandale jusqu’à Paris, dans la mesure où y était mise en cause, avec force, l’attitude du pape Pie XII face aux nazis et à la déportation des juifs.

Durant un demi-siècle, il couvre l’éventail des possibles
De Courteline à Audiberti, de Jacques Deval à Georges Schehadé et Anouilh, de Strindberg à Pirandello et Claudel (dans Protée) en passant par Ugo Betti, Louis Calaferte ou Primo Levi, Michel Piccoli a donc couvert durant un ­demi-siècle l’éventail des possibles proposé par les scènes parisiennes. On doit inclure sans hésiter, dans ce palmarès hâtif, bien qu’il s’agisse de télévision, son rôle-titre dans Dom Juan ou le Festin de pierre, de Molière, tourné de main de maître par Marcel Bluwal en 1965 : un classique de l’intelligence lorsqu’elle avait encore droit de cité dans ce qui était alors l’ORTF. Quatre ans plus tard, Bluwal et Piccoli étaient à nouveau réunis dans le Misanthrope, au Théâtre de la Ville.

Un retour sur les planches dans les années 1980
Après la grande parenthèse cinématographique, qui ­l’intronise sans coup férir dans l’histoire du cinéma, Michel Piccoli revient au théâtre - dans les années 1980 – par la grande porte ouverte dans le théâtre public par des artistes d’envergure, tenants de la mise en scène comme art supérieur. En 1983, c’est à Nanterre-Amandiers, dont Patrice Chéreau assume la ­direction, le coup d’éclat mémorable de Combat de nègre et de chiens de Koltès. Piccoli y joue Horn, contremaître ­perdu-éperdu sur un chantier en Afrique. Plus tard, en 1988, toujours avec Chéreau, ce sera le Retour au désert, où Michel Piccoli, en bourgeois aux pieds nus, affronte sa sœur pétardière de retour d’Algérie (Jacqueline Maillan).

Il y eut aussi, avec Chéreau encore, la Fausse Suivante. Avec Luc Bondy, ce fut Terre étrangère, de Schnitzler, le Conte d’hiver, de Shakespeare, et John Gabriel Borkman, d’Ibsen. Peter Brook confie à Piccoli le rôle de Gaïev, propriétaire terrien bon enfant au bord de la ruine (la Cerisaie, de Tchekhov). Souvenir impérissable. Dans la Maladie de la mort (1997), de Duras, Robert Wilson a pu changer Michel Piccoli en statue dansant à point nommé… Avec André Engel, ce sera le Roi Lear (2006) puis Minetti, de Thomas Bernhard. 

Jean-Pierre Léonardini


Légende photo : Sur les planches avec Julie Parmentier, dans le Roi Lear, mis en scène par André Engel. © Marc Vanappelgheim

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Michel Piccoli, être acteur - Vidéo archive INA

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Michel PICCOLI sur le métier d'acteur : une possibilité de s'évader, surtout quand on a la possibilité de choisir avec qui on veut travailler. Il faut que l'acteur soit un peu auteur. (TV 1973)

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Michel Piccoli :  Au théâtre, un boulimique multicartes

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Par Anne Diatkine dans Libération   — 18 mai 2020 

 


Chéreau, Brook, Bondy, Vilar… Piccoli aura accompagné tous ceux qui ont forgé l’art théâtral au XXe siècle.


Tous les acteurs le disent : partager le plateau avec Michel Piccoli était enthousiasmant. Nul autre que lui ne savait rendre son partenaire meilleur, le sauver en cas de défaillance, lui prêter secours, mais surtout lui donner des ailes. Cependant, lorsqu’il évoquait sa «carrière» au théâtre, mot qu’il n’employait d’ailleurs pas, il se contentait de dire qu’il avait eu de «la chance». La chance de travailler avec «des êtres d’exception», c’est ainsi qu’il qualifiait Peter Brook, Patrice Chéreau, Luc Bondy, Klaus Michael Gruber, Bob Wilson, et bien sûr André Engel, sans compter celle d’avoir débuté avec Jacques Audiberti, Jean Vilar, Jean-Marie Serreau, c’est-à-dire tous ceux qui ont forgé en France l’art théâtral du XXe siècle. Lorsqu’il égrenait ces noms, ce qui frappait, c’est que ces rencontres avaient créé, le plus souvent possible, un compagnonnage qui donnait lieu à de nombreuses explorations, plusieurs mises en scène et surtout une amitié. Michel Piccoli était à la recherche de maisons-théâtres, de lieux dont la fonction excédait celle de la seule représentation, ce qu’il trouva aux Bouffes du Nord où il joua une Cerisaie montée par Peter Brook qui fit date en 1981, ou encore au théâtre de Nanterre-Amandiers, refondé et dirigé par Patrice Chéreau et Catherine Tasca dans les années 80, sa «maison» avait-il confié à Libération. Où, sous la direction de Patrice Chéreau, il créa aussi bien Combat de nègre et de chiens, de Bernard-Marie Koltès, que la Fausse suivante de Marivaux, avec une Jane Birkin débutante sur les planches, ou encore Terre étrangère d’Arthur Schnitzler, alors rarement monté et mis en scène par un jeune metteur en scène quasi inconnu en France, et révélé par ce spectacle : Luc Bondy.

Muet.
Il n’aimait pas les «cabots», mais il disait qu’il pouvait l’être, et le dire suffisait à lui interdire de tomber dans ce travers. Il pouvait tout jouer et il s’en amusait. Et sa polyvalence était tout sauf une évidence. Enfant, avait-il confié dans J’ai vécu dans mes rêves, un livre sous forme de lettres coécrit avec Gilles Jacob, il était muet. Cet enfant muet découvrit le théâtre dans un pensionnat près de Compiègne, classiquement grâce à des représentations de fin d’année, où il joua l’un des tailleurs des Habits neufs de l’empereur du conte d’Andersen. «Tout d’un coup, je me suis senti comme un poisson dans l’eau. Je racontais des histoires devant des gens qui m’écoutaient en se taisant.»

S’il n’a pas de doute sur sa vocation, il attend d’avoir 18 ans avant d’en faire part à ses parents, bourgeois artistes et musiciens, mais pas bohèmes du tout. On imagine une enfance triste, aussi triste qu’il devint un homme joyeux, grâce à la scène, disait-il. Il débute dans l’immédiat après-guerre alors que de nouvelles salles ouvrent et que le théâtre met toute son énergie à devenir un art populaire, aussi nécessaire «que le gaz et l’électricité» disait Jean Vilar. Sous la direction de Jean Vilar, justement, il joue Phèdre. Se brouille avec lui, car il n’hésite pas à se produire également dans un théâtre privé. Les deux hommes se réconcilieront plus tard.

Adieux.
Un sentiment d’euphorie et une énergie sans limite poussent parfois Michel Piccoli à jouer six pièces la même année. Si on ne doit garder qu’un seul nom de ces années 50, ce serait celui de Jean-Marie Serreau, le fondateur du Babylone, qui ouvre son théâtre avec deux pièces de Pirandello interprétées par Piccoli et Eléonore Hirt, avec qui l’acteur se mariera. Mais dans les années 60, c’est la France entière qui découvre que Dom Juan a ses traits mis en scène et filmé par Marcel Bluwal. De fait, chaque décennie, de nouvelles générations de spectateurs découvrent Michel Piccoli comme un acteur absolument contemporain, né aujourd’hui à l’art de la scène, même lorsqu’il jouait le Roi Lear, l’un de ses derniers rôles, dans une mise en scène d’André Engel, qui fut un succès considérable. Il avait pourtant résisté, affirmant que rien n’était plus pathétique qu’un vieil acteur faisant ses adieux ainsi. Son dernier rôle fut celui de Minetti dans la pièce du même nom de Thomas Bernhard, qui raconte justement l’histoire d’un acteur qui refuse absolument d’interpréter des classiques, même et surtout Lear.

Anne Diatkine

 

Légende photo : Le Conte d’hiver, aux Amandiers, en 1988. Photo J. Ber. CHRISTOPHEL 

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Michel Piccoli s'est « régalé » toute sa vie

Michel Piccoli s'est « régalé » toute sa vie | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Colette David  dans Ouest-France le 28 octobre 2015 

Ce duo lettré et farceur s'échange des lettres. Intimité et distance : Jacob s'autorise à questionner frontalement l'ami, l'immense artiste qui craint de paraître prétentieux.

« Joyeux et coquin »
Piccoli a été à l'affût des meilleurs rôles offerts par les metteurs en scène les plus inventifs. Au théâtre : Brook, Chéreau, Bondy, Wilson… Au cinéma : Buñuel, Sautet, Ferreri… « Vous vous trompez, cher Gilles, quand vous dites qu'un film repose sur l'art du comédien. L'art du cinéma, c'est celui du réalisateur. C'est lui qui donne la partition de jeu. »

Qu'est-ce qui distingue le grand acteur d'un bon interprète ? Pour Piccoli, il faut travailler beaucoup, puis se lâcher « avec une énergie brute qui ne sente pas le labeur ». Et parvenir, « le plus difficile, à écouter son partenaire sans le dévorer ». Surtout, il faut rester « joyeux et coquin ». Lui s'est « régalé ». Il a pris le contre-pied de ses parents, un violoniste et une pianiste « qui jouaient bien, mais sans plaisir ». Enfant né « par compensation », après la mort du premier fils, il a déniché lui-même des complices pour partager ses enthousiasmes.

Il évoque les femmes aimées, l'argent, la ruine en tant que producteur, les hontes tenaces, les rendez-vous manqués. Avec Vilar, puis les Renaud-Barrault et leurs « sourires éternels qui cachaient un autoritarisme excessif, une grande suffisance ». Il salue « Mastroianni, modèle absolu », et les comédiens italiens d'alors pour « leur manière exemplaire de s'admirer ».

Piccoli, si élégant, trop lucide. Il a 89 ans, la mémoire qui flanche, et cette fatigue désormais… Médecins et assurances rechignent à le voir jouer à nouveau : « Certains de mes films vont rester, mais je ne reste plus. Je voudrais ne pas mourir. »

J'ai vécu dans mes rêves, Grasset, 160 pages.

Dom Juan, 1965
Le 6 novembre, l'ORTF diffuse une splendeur de Marcel Bluwal. Piccoli dans le rôle-titre et Claude Brasseur évoluent dans des décors naturels : les austères salines d'Arc-et-Senans, une plage déserte d'Hardelot… Ni perruque, ni rubans, un dépouillement qui sied à cette confrontation entre un homme et Dieu. « Douze millions de personnes l'ont vu ce soir-là. Le chef-d’œuvre de Molière a été vu par plus de spectateurs qu'il ne l'avait été depuis sa création. »

Le Mépris, 1963
« Ce film m'a donné parmi les plus beaux moments que j'aie pu vivre. Jean-Luc Godard était le patron, avec une grande autorité. Nous travaillions dans la joie, dans une concentration et une sévérité exceptionnelles. Godard pouvait être dur mais il était très émotionnel, il avait une grande tendresse pour les acteurs et les techniciens. Dans la scène de nu (« Et mes seins, tu les aimes ? »), il avait mis un livre sur les fesses de Bardot. J'ai osé lui dire que là, il exagérait. Il a dû penser que oui, c'était une image vulgaire. Il a retiré le livre. Bardot, la star qui faisait fantasmer le monde entier, avait une énergie formidable, toujours de bonne humeur. Fascinée par cette œuvre remarquable et cet épouvantable Godard qu'elle admirait, qui donne quelque fois aux acteurs le sentiment qu'ils doivent se débrouiller seuls. Elle m'épatait. »

Une étrange affaire, 1981
Dans ce film de Pierre Granier-Deferre, Piccoli campe un chef d'entreprise qui prend possession d'un subalterne. Il charme sa proie, l'abrutit de travail, s'immisce dans sa vie privée. Piccoli tout en finesse en pervers effrayant. « J'ai beaucoup joué les bizarres, pas les voyous. Je n'avais qu'une idée : ne jamais faire la même chose. Je cherchais à découvrir. Très important, soigner l'apparence : les vêtements, la démarche ; faire entendre les voix du personnage… »

 

 

Légende photo : Dans J'ai vécu dans mes rêves, que publient les éditions Grasset, Michel Piccoli poursuit la conversation débutée à l'hiver 1968 avec Gilles Jacob (ex-président du Festival de Cannes).

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Michel Piccoli, la consécration par le théâtre

Michel Piccoli, la consécration par le théâtre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Brigitte Salino dans Le Monde, le 18 mai 2020

 

Quand Michel Piccoli, mort le 12 mai 2020, à l’âge de 94 ans, évoquait son parcours, il disait : « C’est magnifique, non ? » Il fut le seul comédien de sa génération à avoir mené une carrière aussi belle au théâtre qu’au cinéma.


Il aura été l’homme d’une double vie : Michel Piccoli est le seul comédien de sa génération à avoir mené une carrière aussi belle au théâtre qu’au cinéma. Si l’écran lui a apporté la renommée, il a été consacré par le théâtre, où il a forgé son talent, dans les années 1950, et où il est revenu, dans les années 1980. Quand il évoquait ce trajet, Michel Piccoli disait : « C’est magnifique, non ? ». Là, il y a un arrêt sur image : on revoit le comédien en train de parler, avec son sourire éclatant d’appétit, son élégance affable, son maintien au débraillé seigneurial et son visage plein, un brin romain, sur lequel le temps avait peu de prise.

Quand on lui faisait remarquer qu’il avait eu de la chance, Michel Piccoli ne démentait pas, mais corrigeait en précisant qu’il avait surtout eu beaucoup de discipline. Cette discipline lui venait de l’enfance, où il avait mesuré, auprès de ses parents musiciens, ce que l’art doit à la répétition. Il en avait aussi tiré une leçon : il ne serait pas comme eux, restés dans l’ombre d’un orchestre, pour son père violoniste, ou soumise à ses élèves, pour sa mère professeure de piano. Ce désir d’être dans la lumière, Michel Piccoli le tenait secret, comme ses gouffres. Et, comme il se savait lent, il a pris son temps.

 

 

Lire aussi  Michel Piccoli, légendaire acteur de cinéma et de théâtre, est mort

Paris sort de la seconde guerre mondiale quand il fait ses débuts. Le théâtre renaît, des salles ouvrent, des auteurs apparaissent : c’est une époque faste, surtout rive gauche, où en 1952, Jean-Marie Serreau inaugure le Babylone avec deux pièces de Luigi Pirandello jouées par Michel Piccoli et son épouse, Eléonore Hirt.

 

Un an plus tard, assis dans la salle, le comédien assiste à la création de En attendant Godot, de Samuel Beckett : « J’avais lu la pièce, et je dois avouer très honnêtement que je comprenais rien, tellement c’était nouveau », se souvenait-il. En 1983, il dira la même chose de Combat de nègre et de chiens, de Bernard-Marie Koltès, qu’il créera dans la mise en scène de Patrice Chéreau.

 

Jusqu’en 1965, où la France entière le découvre à la télévision dans Dom Juan filmé par Marcel Bluwal, Michel Piccoli joue une cinquantaine de pièces. Soit parfois cinq ou six par an. Soit de nombreux auteurs oubliés qui ont eu leur heure de gloire, comme Jacques Deval ou Ugo Betti, et des metteurs en scène eux aussi oubliés, comme Georges Vitaly ou Michel de Ré. Mais le temps retient Jean Vilar (Phèdre, de Racine, en 1957), Jean-Louis Barrault (La Nuit a sa clarté, de Christopher Fry, en 1962), et surtout Peter Brook avec la création du Vicaire, qui fait scandale, en 1963. Michel Piccoli y interprète Gerstein, le SS qui révèle l’existence des camps d’extermination au prélat du pape Pie XII. La police se tient devant le Théâtre de l’Athénée, où la pièce se joue, pour contenir les opposants à toute critique de l’attitude de l’église catholique pendant la seconde guerre mondiale.

 

 

Dix-huit ans plus tard, en 1981, c’est avec Peter Brook que Michel Piccoli revient au théâtre, avec La Cerisaie de Tchekhov, aux Bouffes du Nord. Il a 56 ans, et l’expérience lui a appris à être son propre Gepetto : il tire les fils du personnage qu’il joue, et qu’il prend soin de tenir à distance. C’est sa créature, son « Pinocchio », mais ce n’est pas lui, comme certains comédiens peuvent l’être. Cet art, qui puise dans une légèreté virtuose, fait merveille dans l’interprétation de Gaïev, le vieil enfant de La Cerisaie qui passe son temps à jouer au billard : comme sa sœur Lioubov, il ne veut pas admettre que leur domaine est menacé, et que les temps changent.

Lire aussi  Michel Piccoli à propos de ses réalisateurs : « J’ai souvent été un double »

Aux Bouffes du Nord, il y a pour décor des tapis sur le sol. A Nanterre-Amandiers, en 1983, une autoroute émerge d’un brouillard de chaleur : nous sommes en Afrique, et Michel Piccoli joue Horn, ingénieur sur un chantier où les Noirs sont exploités, quand ils ne sont pas tués. A cet homme tragique, misérable et complexe, succède en en 1984 l’homme d’affaires cynique et jouisseur de Terre étrangère, la pièce d’Arthur Schnitzler qui révèle le metteur en scène Luc Bondy en France. Aujourd’hui encore, on entend le bruit mat des balles de tennis sur le terrain du décor inoubliable où des hommes et des femmes désinvoltes oublient un monde courant vers la mort. De Michel Piccoli, Colette Godard écrit dans Le Monde qu’« il n’a peut-être jamais été aussi fantastique, tant il est fort, impitoyable, odieux, et quand même séduisant. » Tout est dit.

 

 

Ces années 1980-1990 sont un festival : La Fausse suivante, de Marivaux et Retour au désert, de Bernard-Marie Koltès, sous la direction de Patrice Chéreau. La Maladie de la mort, de Marguerite Duras, transfigurée par Robert Wilson. Les Géants de la montagne, de Pirandello, magnifiés par Klaus Michael Grüber. Le Conte d’hiver, de Shakespeare et John Gabriel Borkman, d’Ibsen, mis en scène par Luc Bondy. Là encore, il y a un arrêt sur image : pendant douze minutes, au début de la représentation, Michel Piccoli est seul sur le plateau, de dos, juché sur une échelle, silencieux. Et chacun dans la salle est fasciné. Quel comédien peut rester ainsi sans perdre de sa puissance ? Lui seul, qui à la fin s’éloigne sous la neige, voûté, vers la mort, comme Le Roi Lear que Michel Piccoli joue, sous la direction d’André Engel, en 2006. Il est grandiose – un homme et un comédien au bout du chemin de la vie et de l’art. C’est d’ailleurs avec une pièce sur le théâtre et la vie qu’il tire le rideau, en 2009 : il joue Minetti, de Thomas Bernhard. « C’est magnifique, non ? »

Brigitte Salino

 

 

Légende photo : 
Danièle Lebrun et Michel Piccoli jouent dans « Le Misanthrope », de Molière, en 1969, au Théâtre de la Ville, à Paris. STRINGER/AFP

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Rencontre avec Michel Piccoli - theatre-contemporain.net

Rencontre avec Michel Piccoli - theatre-contemporain.net | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Rencontre Arts et Humanités avec Michel Piccoli et animée par Gérald Garutti

Langue : français
Durée : 1 heure 23 minutes 15 secondes
Lieu : ENSATT   - Copyright : ENSATT
Ajoutée le 20/03/2009

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Michel Piccoli, une vie pour le théâtre

Michel Piccoli, une vie pour le théâtre | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Armelle Héliot dans Le Figaro -  19 mai 2020

 

 

Dès son adolescence, ce fils d'un violoniste et d'une pianiste, a aimé jouer. Malgré sa formidable carrière au cinéma, il n'a quasiment jamais quitté les planches


Un homme debout. Grand et droit. Avec un dos large. Des épaules à porter des tourments. Un front haut que dégagent les cheveux bruns et denses et que barrent deux sourcils noirs qui approfondissent le regard. Toujours été le même, Michel Piccoli qui s'est éteint à 94 ans. Les cheveux avaient grisonné, étaient devenus moussus sur les côtés. Mais il était tel qu'en 1945, lorsqu'il avait débuté. Un beau ténébreux tout enveloppé du charme de son ascendance italienne, mais surtout un très jeune homme de vingt ans, discret, timide, peu sûr de lui. Cependant porté par la certitude que le théâtre était sa patrie.

 

 

Au collège d'Annel, à Compiègne, lors de la première apparition sur les planches du tout jeune adolescent de 10 ans – on est un enfant en 1935 - un adulte s'était écrié : « Mais il existe, ce petit ! »

Jamais, pourtant, Michel Piccoli ne fit autre chose, au théâtre sa passion fondatrice, comme au cinéma, son allégresse enchantée, que de mettre à l'épreuve son talent, son métier, ses certitudes. Il avait une formule : « Que le jeu de l'acteur ne soit plus la peinture de nos hypocrisies, qu'il en soit le scalpel. » Elle était empruntée à l'un de ses maîtres. Il n'aurait pas imaginé ne pas aller vers ses aînés. Se plier à leurs disciplines. Au cours de Madame Bauer-Thérond qui se soucie d'articulation et de grands textes et que fréquentent Maria Casarès et Luis Mariano, histoire d'amender leurs accents, le jeune Piccoli rêve de Jacques Copeau, du Cartel. Jouvet, Baty, Pitoëff. Et Dullin, bien sûr, qu'il voit un jour sur un quai de métro, frêle et aigu. Une image qu'il gardera comme un talisman et dont il parlait souvent. En Georges Douking, comédien, metteur en scène, décorateur, homme de théâtre complet et personnalité hors normes, il va trouver l'idéal d'une relation de maître à élève et aller d'engagement en engagement dès 1945. Il travaille alors avec toute la jeune création de l'époque. Georges Vitaly, Michel de Ré, Jean-Pierre Grenier, Jacques Mauclair, Jean-Marie Serreau, Claude Régy, Jean-Louis Barrault, Raymond Gérôme, Jean Mercure, Jacques Deval.

 

Évidemment, sa route croise celle de Jean Vilar. Des années plus tard, lorsqu'il évoquait cet épisode assez violent – mais oui, violent - on le sentait encore désarmer devant l'intransigeance du fondateur du Festival d'Avignon, malgré l'humour avec lequel il le racontait. C'est en 1957. Il a trente-deux ans. Un long parcours. Et au cinéma aussi. Le maître du TNP monte Phèdre : Maria Casarès, Alain Cuny dans Thésée. Vilar lui-même s'est réservé le rôle de Théramène et demande à Piccoli du jouer Hippolyte. Mais le metteur en scène ne semble pas passionné. Il réprime des bâillements sans ambiguïté…Quant au jeune Piccoli, il trouve son costume, une ample robe rouge, tout simplement ridicule. Casarès et Cuny : ce sont déjà des monstres sacrés, mais il espère, après la création à Strasbourg, rendre son rôle. Vilar refuse. Mais le jour de la générale, il le remplace. Il ne veut plus lui adresser la parole…

Ils se retrouveront bien plus tard, au moment du Dossier Oppenheimer. Discuteront. Confronteront leurs points de vue. Mais pour un être aussi détaché, aussi généreux que Michel Piccoli, l'âpreté vilarienne était assez difficile à comprendre.

Michel Piccoli est enfant de la balle. Les grands-parents, les grands oncles étaient qui officier, qui sénateur, qui gouverneur du Niger, qui industriel. La guerre de 14 a balayé les fortunes mais pas les sensibilités. Son père est violoniste. Un poème d'homme. Très petit, fragile d'apparence. Des années et des années plus tard, il fera des apparitions au cinéma, chez Jacques Tati et Marco Ferreri. Sa mère est pianiste et donne des leçons dans leur appartement du XIII ème arrondissement. Elle a souffert. Perdu un enfant, un petit garçon né avant Michel. Longtemps il n'en parla pas. Ce n'est que bien plus tard qu'il s'analysait parfois comme «un enfant de remplacement », lui à qui on avait donné comme prénom celui de cet aîné. Mais il fut Michel et non Jacques, et non Daniel. Et avec ce petit frère, ce petit blond diaphane, il dialoguait avec lui. Et cherchait dans la vraie vie, un frère, un autre frère.

 

 

Sa voix douce, au timbre feutré, cette voix très tendre, presque féminine – il devance Depardieu - cette voix subtilement musicale –qui ne l'empêche pas de tonner, d'exploser : nul n'oublie les déjeuners des amis…- cette voix traduit l'essence même de ce grand caractère. Il n'a eu dans sa vie que des femmes belles et à la personnalité puissante, d'Éléonore Hirt (ils ont une fille, Anne-Cordelia), à Ludivine Clerc en passant par Juliette Gréco. Des amitiés fortes, des admirations. Romy Schneider, Bulle Ogier. Des années durant il a pris la route en compagnie de Dominique Blanc pour célébrer René Char. Souvent Paul Veyne se joignait à eux. Et Marie-Claude Char écoutait, inlassable, ce trio d'exception.

Il serait prétentieux, tant il a tourné, joué, de prétendre ici résumer ce chemin formidable. Comédien, il était ultra-sensible, très imaginatif, très complexe. Il se réinventait sans cesse. Il a attendu d'avoir près de soixante-dix ans pour tourner ses premiers films. Il y a perdu beaucoup d'argent. Mais on les aime, ces films. Il avait été à l'école de Luis Bunuel avec qui il a beaucoup tourné. Ils étaient en dialogue ouvert, tous les deux. Michel Piccoli a également aimé travailler avec Manoël de Oliveira, et souvent on pense à l'enchanteur lusitanien lorsque l'on voit les films de Michel Piccoli : Train de nuit, Alors voilà, La Plage noire, C'est pas tout à fait la vie dont j'avais rêvé. On pense au cinéma de l'Est, la Pologne de ses deux enfants les plus jeunes, et aussi à Raul Ruiz.

 

Un grand homme et un homme simple. Un homme qui ne méprisait pas le monde, mais qui n'aurait jamais prétendu changer la face de la planète. Il était un esprit engagé. Il avait des convictions humaines, politiques. Mais il n'avait pas la manie de la pétition.

 

On pense à lui qui n'a jamais fait défaut à un ami pour l'aider, coproduire des longs-métrages non assurés de sauter en haut du box-office. Il s'est ruiné, parfois. Avec Mastroiani. Il s'amusait, Piccoli, devant les journalistes : Marcello, une star, moi, un comédien. Mais il testait les teneurs de micros. Pour renflouer les caisses du producteur, il tournait des publicités. Les esprits forts ironisaient. Michel Piccoli les ignorait, ces juges, du haut de son mètre quatre-vingt-quatre.

Il savoura ses heures de maturité. Avec Peter Brook qu'il avait retrouvé, en 81, pour une inoubliable Cerisaie ; avec Patrice Chéreau, avec qui il inaugura en 1983 le règne des Amandiers de Nanterre en jouant avec Philippe Léotard, Sidiki Bakaba, Myriam Boyer, Combat de Nègre et de chiens, avant, entre autres, Le Retour au désert ou l'entrée de Jacqueline Maillan dans le monde de Bernard-Marie Koltès. Auparavant, il avait été un merveilleux jongleur de sentiments dans La Fausse suivante de Marivaux. Il y côtoyait sa chère Jane Birkin, amie indéfectible, elle aussi.

Avec Luc Bondy pour qui il joua Terre étrangère, d'Arthur Schnitzler et obtint le prix du syndicat de la critique comme meilleur acteur. Avec lui, il fut aussi le roi cruel et malheureux du Conte d'Hiver et l'impressionnant John Gabriel Borkman d'Ibsen. C'était en 1993. Le rideau se levait sur un homme immense, de dos, accroché à une échelle, devant une monumentale bibliothèque.

 

Il était prêt pour un Robert Wilson épuré : La Maladie de la mort d'après Marguerite Duras, avec Lucinda Childs et pour s'aventurer, en toute confiance, comme un Petit poucet rêveur, en compagnie de Klaus Michael Grüber dans les mystères envoûtants de la magie et des Géants de la montagne de Luigi Pirandello. À Catane, où il avait joué alors qu'il recevait le prix Europa du Théâtre, il apparaissait entre les plis du rideau de velours si haut, si large, de l'opéra, visage illuminé, dominant son monde : une salle magnifique.

 

 
 

À l'orée des années 2000, Bernard Murat l'avait conduit jusqu'à Sacha Guitry. Il s'amusait, il était heureux dans un monde un peu différent, et dans les répliques ciselées de La Jalousie. Son cher Peter Brook lui fit signe encore pour Ta main dans la mienne de Carol Rocamora, une manière de retrouver Tchekhov.

Enfin deux personnages à sa mesure se présentèrent. Deux rôles-titres. Le Roi Lear qu'il interpréta sous la direction d'André Engel, aux Ateliers Berthier, en 2005 et 2006. Là encore, on le revoit de dos, immense, pris dans la tempête de la nature déchaînée et de la folie. Bouleversant. Et puis Minetti, à la Colline et en tournéeEncore la neige, encore la tempête, encore Lear. Mais version Thomas Bernhard.

 

Une vie pour le théâtre. Une vie de théâtre. C'était le titre de la pièce de David Mamet traduite par Pierre Laville que Michel Piccoli mit en scène aux Mathurins en 1988. Après, il s'essaierait à la réalisation… On n'avait jamais oublié, et lui non plus, mais il s'en moquait ces dernières années, comment la critique arrogante l'avait accueilli, en 1971, lorsqu'il avait créé la pièce de Pierre Louki, Allo ! C'est toi Pierrot ? Un si méchant accueil qu'il s'arrêta dix ans durant.

 

Un grand homme et un homme simple. Un homme qui ne méprisait pas le monde, mais qui n'aurait jamais prétendu changer la face de la planète. Il était un esprit engagé. Il avait des convictions humaines, politiques. Mais il n'avait pas la manie de la pétition. Il ne s'engagea qu'avec sincérité et puissance. Loyauté. Il était demeuré réservé comme lorsqu'il était jeune. Il ne jugeait pas les personnes sur leurs préférences. Il les écoutait. C'était l'un des hommes les moins sectaires qui soient.

 

Avec Ludivine Clerc, il pénétra dans le monde des chevaux lui qui avait été l'inoubliable Dom Juan à cheval de Marcel Bluwal, ce film du Dom Juan de Molière, avec Claude Brasseur en Sganarelle. Il aimait les chevaux. Il aimait la discipline des cavaliers. Un jour, il prit un coup de tête et une méchante fracture du crâne s'en suivit. Un vrai grave accident. Il en parlait plus tard avec son cher Bartabas. Il n'aurait jamais raté un spectacle. Il admirait. Il riait. Il avait un grand rire d'enfant et d'ogre. Il avait de l'appétit pour la vie. Un homme grand.

 

Armelle Héliot / Le Figaro

 

À lire : « Dialogues égoïstes » de Michel Piccoli, Grand Document, Marabout.

 

 

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Piccoli à propos de son interprétation de Jean Genet - Vidéo

Piccoli à propos de son interprétation de Jean Genet - Vidéo | Revue de presse théâtre | Scoop.it
Michel PICCOLI parle de son rôle de Jean GENET dans le film de Nico PAPATAKIS "Les équilibristes". Il donne les raisons qui lui font accepter des rôles provocateurs.
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Michel Piccoli : "C'est très amusant d'avoir le culot de se retrouver devant dix-sept ou mille spectateurs"

Michel Piccoli : "C'est très amusant d'avoir le culot de se retrouver devant dix-sept ou mille spectateurs" | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Par Vincent Josse sur le site de son émission sur France Inter 18 mai 2020

 

Michel Piccoli est monté sur scène pour la dernière fois en 2009 pour jouer Thomas Bernhard dans une mise en scène d'André Engel. Vincent Josse l'avait reçu alors pour parler de cette pièce, mais aussi de son travail au théâtre et au cinéma, devant et derrière la caméra.

 

Ecouter l'intégralité de l'entretien :
Michel Piccoli avec Vincent Josse
Par France Inter  (8 min) 

Piccoli faisait peur, a priori. Dans le métier, on racontait ses colères, les caméras de TF1 qu'il pouvait envoyer paître durant un tournage, boutant Bouygues hors du plateau. Mais une fois devant lui, qu'il soit dans sa peau de réalisateur ou de comédien, toute crainte s'effaçait. L'homme était doux et souvent drôle. 

Je me permets de livrer ici un extrait de l'interview qu'il m'avait accordée le 15 janvier 2009, il avait 83 ans. Il jouait Minetti de Thomas Bernhard dirigé par André Engel, son dernier rôle au théâtre. L'entretien fut diffusé dans Esprit Critique, sur France Inter. 


J'ai fait deux métiers. Comédien au théâtre et comédien au cinéma. Faire deux métiers au lieu d'un, c'est plus amusant et plus rassurant. 
"Deux métiers différents, oui. Au cinéma, les techniques, les rapports avec le réalisateur n'ont rien a voir avec le métier d'acteur au théâtre qui est présent du début à la fin des répétitions et devient le maître de tout, une fois qu'il joue. Mais avant cela, on répète un texte pendant un mois ou deux dirigé par un metteur en scène et sous l'oeil d'un partenaire. C'est très important, le partenaire (...) 

Beaucoup d'acteurs n'ont pas eu la chance de tomber sur le bon metteur en scène et les bons partenaires. Alors, ils n'ont pas fait carrière. 
Je n'ai jamais eu peur de monter sur scène. Je monte sur scène depuis l'âge de neuf ans. J'ai extrêmement peur pendant les répétitions. Dès qu'elles sont terminées, quand je suis soi-disant prêt à exécuter, tout va très bien. Le public m'amuse et ne m'angoisse pas. 

C'est très amusant d'avoir le culot de se retrouver devant dix-sept ou mille spectateurs, oui, vraiment, ça m'amuse! 
Etre là devant des gens muets et raconter à haute voix une histoire que je crois extraordinaire et les voir fascinés. C'est amusant aussi d'apercevoir ceux qui sortent de la salle pendant la représentation! Non, ça ne me vexe pas! De quel droit me vexerais je? Et par quel chemins me glorifierais-je d'être devant une salle pleine ou les gens se taisent, muets admiratifs et finissent par applaudir"? 


 


Photo :  Michel Piccoli © Getty / Christophe d'Yvoire

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Michel Piccoli, l'intégrale en cinq entretiens (2006)

Michel Piccoli, l'intégrale en cinq entretiens (2006) | Revue de presse théâtre | Scoop.it

Laure Adler s'entretient avec Michel Piccoli dans cinq "A voix nue", une série diffusée en 2006 sur France Culture

 

 

Ecouter les entretiens (5 x 25 minutes) sur le site de France Culture

 

 

Dans ces cinq  entretiens de la série "A voix nue" diffusée en 2006, le comédien Michel Piccoli dit faire très attention aux textes, "on peut être le diseur, le haut-parleur" de textes "merveilleux" et "alors il n'y a plus besoin de jouer la comédie" affirme-t-il.

 

Piccoli insiste sur cette "beauté du métier d'acteur" qui est " de ne pas révéler justement qui on est mais de révéler qui est celui que l'on invente, ou plutôt que l'auteur a inventé et que l'on invente avec l'auteur":

Il faut essayer complètement d'oublier qu'on est acteur quand on est acteur.

Michel Piccoli dit regretter que le théâtre soit "devenu, dans nos sociétés, un art destiné aux intelligents, et non pas aux populaires."

 
 

On ne devrait pas s'habituer à vivre, on devrait être étonné tous les jours. [...] Mais moi je suis un peu étonné tous les jours quand même. Il y a tous les jours quelque chose qui m'étonne.

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Michel Piccoli, le théâtre lui allait si bien

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Par Brigitte Hernandez     Publié  dans Le Point.fr le 18/05/2020  

 

Il fut l'immense Lear, le douloureux Léonid, joua sous la direction de Brook et Chéreau. « Le théâtre, j'y reviens toujours », disait le comédien, décédé le 12 mai. 


En 2006, Michel Piccoli interprétait le roi Lear de Shakespeare, le rôle qui couronne la carrière de tout acteur, dans cette pièce étrange et vagabonde où le souverain n'est plus qu'un mendiant, chassé par ses filles qui se disputent son héritage. Piccoli, en vieil industriel des années 1930 dans la mise en scène d'André Engel au théâtre de l'Odéon, fut surprenant ; homme en colère, homme en rage.

 

En 2006, Michel Piccoli interprétait le roi Lear de Shakespeare, le rôle qui couronne la carrière de tout acteur, dans cette pièce étrange et vagabonde où le souverain n'est plus qu'un mendiant, chassé par ses filles qui se disputent son héritage. Piccoli, en vieil industriel des années 1930 dans la mise en scène d'André Engel au théâtre de l'Odéon, fut surprenant ; homme en colère, homme en rage.

Trois ans après, il retrouvait Lear, cette fois dans le rôle d'un acteur qui a consacré sa vie à Shakespeare et qui croit avoir rendez-vous avec un metteur en scène pour parler du rôle. Mais le pauvre homme, dans cette pièce signée du dramaturge autrichien   Thomas Bernhard, divague. Il est encore plus égaré que Lear sur sa lande. Là aussi, Piccoli fut remarquable. Parce qu'il était un très grand acteur et que cette mise en abyme lui permettait d'interroger, à travers ce rôle de Lear, ce qu'est être un grand acteur.

Les rôles extrêmes, Piccoli aimait s'y frotter, s'y confronter en « revenant au théâtre » comme on revient à la source. Depuis quelques années, les assurances refusaient qu'il se produise au théâtre. Le souvenir de lui sur scène – sa voix un peu sourde, son grand corps imposant – imprègne toute l'histoire du théâtre français. Piccoli, contre son gré, était une légende, un monstre sacré. Il n'aimait pas parler de lui mais acceptait les interviews par peur d'être présomptueux.

 
« Le premier choc fut théâtral »
 

De ses débuts à ses dernières années, il a joué : le théâtre était son alpha et son oméga. Il faisait tout pour y revenir lorsque le cinéma l'accaparait. « Petit garçon, je ne voyais pas de films. Le premier choc fut théâtral. » À 9 ans, en pension, « secret, muet, enfermé », il se retrouve sur scène lors d'une fête de fin d'année. « Ça s'est déclenché là. J'ai voulu devenir acteur. Je ne savais pas ce que c'était. Je suis allé dans les cours et ensuite j'ai eu la chance de tomber sur ceux que je devais rencontrer De Rey, Vitali, Vilar… »

Sa première fois, en 1945, à 20 ans, sera Le Jugement dernier sous la direction de Georges Douking au théâtre Pigalle : il interprétait à la fois un vieillard et un jeune chômeur. Les Dullin, Jouvet, Pitoëff lui avaient montré la voie royale, mais ce chemin, peut-on dire, s'est construit au hasard des rencontres. Piccoli ne cherchait rien mais « tomba » tout au long sur « ceux qui comptaient ». En 1969, lorsqu'il travaille avec Marcel Bluwal au Misanthrope de Molière (en costume Mao), il a déjà joué plus de cinquante pièces en dix-huit ans et déclare à notre consœur Danièle Heymann, de  L'Express,  dans un long entretien : « S'il n'y avait pas eu ce Misanthrope, j'aurais arrêté le cinéma. Si j'ai pensé à changer de métier ? Je suis discret, méticuleux. Je cire très bien les chaussures. Je serais devenu valet de chambre. »

 

Jamais l'acteur n'oublia le comédien. « Je ne veux pas qu'on oublie que je suis homme de théâtre ; disons que je joue ici pour me rafraîchir. Entre théâtre et cinéma, la vraie satisfaction sera toujours le théâtre ; on y est plus responsable, physiquement et moralement ; au cinéma, à la télévision, on doit s'incliner devant une machinerie. » Et encore : « Je ne peux pas rester des années sans remonter sur scène. Le théâtre, c'est mon premier métier. »

Face à lui-même

Ainsi, entre ses succès au cinéma, au fil des ans, il remonte sur les planches, ne craignant jamais de risquer son nom sur des pièces inconnues. Mais pas de boulevard « trop facile » ! Sortir de la facilité, se confronter aux visions de Peter Brook, Chéreau, Bondy, Engel… Dans La Cerisaie de Tchekhov, mise en scène par Brook en 1981, il joue Léonid, le maître de la Cerisaie, symbole de leur société qui meurt. Piccoli s'y révéla bouleversé et bouleversant. Ce frère un peu faiblard, bien conscient de sa faiblesse et qui s'en excuse avec ses blagues, il le portait à un niveau d'émotion tel que la salle frissonnait. « Un éternel enfant et un vieux garçon », disait-il de Léonid. Encore un homme acculé à lui-même, comme il en a interprété souvent au cinéma et sur scène.

 

Bondy lui offrira Terre étrangère de Schnitzler, un choc dans le monde du théâtre. L'année précédente, il avait joué Koltès dans Combat de nègres et de chiens sous la direction de Chéreau. Ces années 1980 lui portent chance au théâtre. Chaque pièce révéla un autre lui, donnant le sentiment que son talent était un diamant aux facettes démultipliées. À la fin des années 1990, Bob Wilson le dirigea dans La Maladie de la mort de Marguerite Duras, aux côtés de la hiératique chorégraphe Lucinda Childs. Wilson le vêtit de noir comme un homme d'Église, ses mains et son visage se détachent, éclaboussés de lumière, comme dans un rêve. Quelque chose de sépulcral, de sacré se détachait de Michel Piccoli, acteur à jamais magistral.

 

 

Légende photo : Le comédien français Michel Piccoli dans la pièce "Ta main dans la mienne" d'Anton Tchekhov, mise en scène par Peter Brook, en octobre 2003 à Paris.   © MARTIN BUREAU / AFP

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Les précieux souvenirs de Michel Piccoli

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Michel Piccoli, qui fête ses 90 ans le 27 décembre, publie un petit livre de confidences, "J'ai vécu dans mes rêves" (Grasset), avec l'ancien président du Festival de Cannes, Gilles Jacob. Un témoignage inestimable pour un acteur de légende qui confie avoir "la mémoire trouée". Dans cet ouvrage, Michel Piccoli revient sur son enfance, ses débuts au théâtre et au cinéma, ses amitiés et ses amours. Voici une petite sélection de confidences par l'AFP. Enfance "Pendant toute mon enfance, resté fils unique, il y avait un fantôme avec moi", dit l'acteur, né après la mort d'un frère ainé chéri par sa mère. Il garde le souvenir de parents musiciens "sans passion", qui lui ont "toujours servi de contre-modèle". Débuts "Le théâtre, ce fut d'abord le désir de fuir pour aller respirer ailleurs", confie-t-il. "J'ai eu le don de savoir me poster devant toutes les portes où il fallait frapper pour trouver du travail, que ce soit pour jouer des oeuvres sublimes, des classiques ou des nouveautés, ou pour présenter des spectacles humoristiques". Il a raté sa rencontre avec Jean Vilar et la Compagnie Renaud-Barrault, "une troupe merveilleuse, mais où les sourires éternels cachaient un autoritarisme excessif et une grande suffisance". "Le Mépris" "À ce moment-là, au début des années 1960, je n'existais pas, j'étais un jeune acteur peu connu (...) Le Mépris m'a donné parmi les plus beaux moments que j'aie pu vivre avec mon réalisateur et mes partenaires. Tous, Fritz Lang, Bardot, l'équipe des techniciens, nous travaillions dans la joie, mais aussi avec une sévérité exceptionnelle. Il est rare qu'un film suscite à la fois autant de joie et de concentration." Brigitte Bardot "Je n'avais jamais rencontré Bardot avant le tournage (du Mépris) et j'ai été ébloui par son innocence et sa spontanéité. (...) Elle était devant les caméras comme dans la vie, une actrice très simple qui ne faisait pas du tout la star. Elle était très disciplinée dans son travail. Elle était à l'heure. Elle connaissait son texte (...) Ce n'était pas une diva prête à faire tous les caprices auxquels on aurait pu s'attendre (...) Même si elle s'étonnait quelquefois d'avoir accepté de tourner dans ce film, elle était fascinée par cette oeuvre remarquable et par cet épouvantable Godard qu'elle admirait." Romy Schneider Ils se sont rencontrés sur les "Choses de la vie" en 1969, début de sa longue collaboration avec Claude Sautet. "Elle était radieuse et magnifique. Je l'appelais +la chleuh+. Elle savait que j'aimais me moquer d'elle et elle aimait ça (...) L'ai-je aimée? Non, je n'ai jamais été amoureux de Romy, mais je l'ai bien connue. J'ai vite compris qu'elle n'arrivait pas à être heureuse, qu'elle ne savait pas ce qu'il fallait faire pour l'être." Juliette Gréco Rencontrée dans une soirée, elle a été sa deuxième épouse, après Eléonore Hirt. En "quelques mots pudiques", il évoque leur coup de foudre. "Je me disais : que se passe-t-il ? Étonnant ! Merveilleux !" (...) Un jour elle m'a dit : Va-t-en. Presque de cette façon. Ça a été douloureux, de mon coté en tout cas." Gérard Depardieu "Quel acteur sublime que Depardieu ! Quel génie ! Quel inventeur !" Ils ont partagé l'affiche de "Vincent, François, Paul et les autres". "Il n'avait pas un rond, il buvait comme un fou. D'ailleurs il est fou. C'est sans doute sa force." Marcello Mastroianni Pour Piccoli, qui "craint d'être prétentieux", l'acteur "modèle" c'est Mastroianni. "Il l'a dit souvent devant moi : +Être acteur ? Il n'y a pas besoin de se gargariser, il n'y a qu'à faire et puis voilà+" Regrets Sa santé l'empêche aujourd'hui de travailler : "On voudrait que ça ne s'arrête jamais et cela va s'arrêter (...) c'est très difficile (...) La mémoire se dégrade. Et je suis victime de cette catastrophe pour un acteur (...) Parfois je me sens très bien et je suis indigné de ne plus jouer parce que les médecins et les assurances rendent la décision de me choisir compliquée." Disparu "J'aurais plutôt désormais tendance à être... disparu. (...) J'aimerais ne pas mourir
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