Ne pas confondre prévention et précaution | Re Re Cap | Scoop.it

Les débats autour de la chloroquine démontrent une parfaite méconnaissance (de bonne ou mauvaise foi) autour des concepts de prévention et de précaution. Mon tweet du 20 mars, qui visait simplement à interroger sur la manière dont la proposition du professeur Raoult avait été reçue par l’administration française (qui comptabilise plus de 150 000 impressions…), a fait l’objet d’un certain nombre de critiques. Certains me reprochant de ne pas être médecin – mais je ne me suis jamais pris pour tel – d’autres dénonçant ma méconnaissance des principes de base des essais de médicaments. Même si je ne suis qu’une juriste, je sais parfaitement ce qu’est une autorisation de mise sur le marché, ce que sont des études à comité de lecture et quelles sont les procédures à suivre pour obtenir le droit d’utiliser une molécule. Je sais aussi que la guerre entre laboratoires pharmaceutiques et instituts pour être les premiers à trouver la molécule et la mettre sur le marché est sans limite.

C’est la raison pour laquelle il convient de mettre un peu de rationalité sur le sujet. Ceux qui de bonne foi rappellent les effets secondaires de la chloroquine ont raison : ils existent (risque de cécité, risque cardiovasculaire, risque sur le foie et les reins) et sont parfaitement connus puisque le produit est utilisé dans la lutte contre le paludisme depuis 20 ans. Ceux qui doutent de l’effet thérapeutique concernant le Covid-19 dans tous les cas de figure ont peut-être également raison. Tout comme ceux qui mettent en lumière que la procédure normale de reconnaissance du produit pour cette pathologie n’a pas été suivie et qu’il faut plusieurs semaines pour qu’elle le soit.

Mais Là n’est pas le sujet. Il ne faut pas confondre prévention et précaution.

On rappellera une fois encore que la prévention vise à éviter un risque identifié dont la probabilité est connue. Le risque lié au Covid-19 l’est de plus en plus ; il est mortel à hauteur de 15 % pour les personnes âgées et peut faire des ravages dans toutes les populations.

La précaution vise à prévenir un risque incertain, aux effets qui pourraient être très graves mais dont la réalisation est incertaine.

Il faut bien entendu se préoccuper de la prévention avant de se préoccuper de la précaution, en essayant évidemment de faire en sorte que les deux puissent être traités convenablement. C’est précisément parce que l’on privilégie la prévention sur la précaution que l’on accepte de vacciner malgré des risques d’effets secondaires ; c’est précisément parce que l’on privilégie la prévention sur la précaution que l’on utilise pour lutter contre le cancer des médicaments dont les effets secondaires peuvent se révéler redoutables.

En l’espèce, comme le rappelle Président de la République, nous sommes en état de guerre. Cela signifie que nous devons tout faire pour lutter contre ce virus et en réduire aussi vite que possible la pandémie. À ce jour, il semble qu’il n’existe rien d’autre que la chloroquine. Personne n’a proposé de l’utiliser de manière préventive et la question de son usage dépend bien entendu du choix du médecin en fonction de l’état du patient. Mais si le risque est un risque mortel, il est clair que la prévention doit l’emporter sur la précaution et que l’utilisation de ce médicament doit être possible, même s’il présente des risques d’effets secondaires. C’est du reste la position extrêmement prudente prise par le conseil scientifique et annoncée le 23 mars.

Il est vrai qu’il est dangereux de déroger aux règles habituelles de mise sur le marché des produits médicamenteux. Mais, nous sommes dans des circonstances exceptionnelles, ou pour reprendre les termes juridiques en état d’urgence sanitaire. Nous n’avons pas le temps de passer par les protocoles habituels pour un produit utilisé depuis 20 ans et très bien connu des praticiens. L’utilisation grandeur nature, que fait aujourd’hui à Marseille et qui se généralise dans le sud-est, permettra très vite de savoir si le traitement fonctionne. La petite ouverture- qui sera sans doute  jugée par certains médecins comme trop modeste, est également intéressante pour les patients traités et pour la collectivité.

Cette controverse démontre la difficulté d’adapter le droit et les principes qui le sous-tendent en période exceptionnelle. Le pragmatisme, l’humilité devant la nouveauté et l’ampleur de la crise, l’humanisme sont des vertus cardinales.

Voilà 25 ans que je défends le principe de précaution, je n’ai nullement l’intention d’arrêter. Mais, il s’agit ici de le combiner avec le principe de prévention qui est premier. La décision du Conseil scientifique est un premier pas. S’il s’avère concluant, il reste un problème majeur : disposerons-nous de tous les cachets nécessaires ? Ce médicament coûte très peu cher, ce qui explique sans doute la violence d’un certain nombre de réactions venues d’amis de laboratoires qui sont engagés dans des processus visant à mettre en place de nouveaux médicaments. Mais, encore faut-il qu’il soit fabriqué et, la position prise par Donald Trump pour en acquérir des centaines de milliers voire des millions risque de rendre beaucoup plus difficile l’accès des autres malades, dont les nôtres, à cette molécule.

Espérons que cette fois-ci, nous aurons pris la précaution de faire fabriquer massivement et suffisamment vite ce médicament qui, s’il fonctionne permettra de réduire le temps de la maladie et donc le nombre de malades à terme.

 

Corinne LEPAGE

Ancienne ministre de l’Environnement

Avocate à la cour

Huglo Lepage Avocats