Espagne:  Rajoy  ( @MarianoRajoy ) en plein déni de réalité | Mediapart | Infos en français | Scoop.it

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De notre envoyé spécial à Madrid. 16 JUIN 2012 | PAR LUDOVIC LAMANT

Si l'euro finit par voler en éclats, comme le prétendent de plus en plus de Cassandre, il faudra bien sûr, pour expliquer ce fiasco, décrire les déséquilibres macroéconomiques entre Nord et Sud de l'Europe, rappeler l'absence d'une politique budgétaire, qui accompagne la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE), ou encore critiquer, au choix, l'égoïsme de Berlin ou la corruption des élus grecs. Mais il ne faudra pas oublier de mentionner la responsabilité, aussi, de certains dirigeants politiques de premier plan, totalement dépassés par la situation.

C'est l'impression que donne ces jours-ci Mariano Rajoy, le chef du gouvernement espagnol, qui traverse un impressionnant trou d'air depuis qu'il a cédé, in extremis, aux pressions de l'Europe, et accepté, samedi dernier, un plan d'aide au secteur bancaire. Au-delà du montant de ce méga-prêt («100 milliards d'euros»), qui a fait les gros titres de la presse, les Espagnols n'en savent toujours pas beaucoup plus, sept jours plus tard, sur les détails de l'opération.

Un plan de sauvetage? Mais quel plan de sauvetage? Depuis une semaine, Rajoy est en plein déni de réalité. Le Galicien refuse même d'utiliser ne serait-ce que le mot de «rescate» (sauvetage, en espagnol), et s'exprime par des périphrases qui frôlent le ridicule. Atterrée, la blogosphère se moque en particulier de l'expression que le dirigeant conservateur avait utilisée au lendemain de l'annonce du plan, évoquant «lo de ayer» (ce qu'il s'est passé hier), sommet de flou pour un chef de l'exécutif censé passer l'intégralité de ses journées à travailler sur le dossier…

Depuis, pour éviter le ridicule, Mariano Rajoy a tout simplement choisi d'éviter les micros. D'ordinaire déjà discret et peu charismatique, il s'est désormais terré dans un ténébreux silence. Les journaux télévisés espagnols diffusent en boucle des scènes où les journalistes tentent d'obtenir ne serait-ce que qu'un début de phrase du chef de gouvernement sur l'état du pays, avant que celui ne s'engouffre, muet, dans une voiture officielle. A l'écran, les bandeaux des JT défilent, évoquant en lettres capitales «les silences de Rajoy».

C'est donc le ministre de l'économie, Luis de Guindos, qui s'occupe des basses œuvres - en l'occurrence du minimum syndical avec la presse -, et tente de ramener la confiance. Pendant ce temps-là, Rajoy fait comme si de rien n'était. Il se refuse à annuler ses déplacements à l'étranger. Il s'est ainsi rendu en Pologne, pour assister à un match de l'Euro de football. Il est censé se rendre en fin de semaine prochaine, à Rio, pour parler environnement. Sans surprise, cette stratégie s'avère contre-productive. Incomprise à Madrid, elle irrite au plus haut point les partenaires européens.

L'affaire, pour les Espagnols, rappelle un précédent de sinistre mémoire: José Luis Rodriguez Zapatero, le prédécesseur de Rajoy, avait mis de longues semaines, en 2009, avant de reconnaître que son pays était tout simplement en crise. En quelques mois, il avait ainsi perdu tout crédit aux yeux des économistes et d'une bonne partie de la population, affirmant coûte que coûte que l'Espagne était épargnée par les soubresauts de la crise des «subprime»…

A l'époque, le Parti populaire (PP) de Mariano Rajoy s'en était donné à coeur joie, estimant qu'un tel aveuglement de Zapatero allait compliquer la sortie de crise. Aujourd'hui, la situation s'est inversée, et c'est le chef de l'opposition socialiste, Alfredo Perez Rubalcaba, qui tire la sonnette d'alarme. Il a exhorté jeudi Mariano Rajoy à «donner des explications», et se montrer plus transparent dans la gestion de crise.

Vide politique
Car l'annonce du plan d'aide n'a rien réglé. L'Espagne continue de se débattre, chaque jour un peu plus proche du knock-out. La liste des coups durs de la semaine donne une idée du climat. Moody's a encore dégradé de trois crans la note de la dette espagnole. Les taux d'emprunt sur les obligations espagnoles à dix ans a frôlé la barre des 7%.

Joaquin Almunia, le commissaire européen espagnol, a laissé entendre qu'une autre banque s'apprêtait à faire faillite dans le pays. Et le Fonds monétaire international (FMI) s'est à nouveauinvité dans le débat, estimant qu'il fallait que Madrid relève à présent sa TVA, s'il voulait convaincre les marchés… Difficile de minimiser la situation, comme tente de le faire Rajoy, dans ces conditions. Le ministre de l'économie a reconnu, jeudi, que la situation, avec des taux à 7%, n'était «pas soutenable».

A la Moncloa, les conseillers du chef de gouvernement font le pari suivant: les pressions sur les marchés s'apaiseront après les élections grecques de dimanche. Et répètent toujours le même message: le plan de sauvetage n'aura non seulement aucun impact sur le déficit public du pays, mais il ne sera assorti que d'une batterie de conditions qui porteront sur le secteur bancaire. Rien à voir avec les prêts concédés à la Grèce ou à l'Irlande, qui ont dû lâcher une partie de leur souveraineté. Bref, pour Madrid, c'est une très bonne affaire. C'est même une victoire. Fin du message.

Seulement, tout laisse penser que ce message est doublement faux. En début de semaine, Eurostat, l'office de statistiques européen, a prévenu que les taux d'intérêt liés au remboursement du prêt (dont on ignore jusqu'à présent le montant) seront bien comptabilisésdans le déficit public. Pour Rajoy, qui se bat pour respecter les objectifs fixés par Bruxelles en la matière, c'est un coup très dur. Surtout, les sorties se multiplient, à Bruxelles comme à Francfort, siège de la Banque centrale européenne (BCE), pour expliquer qu'il y aura bien des conditions imposées à Madrid en matière, notamment, de fiscalité… Il faut «élargir» les conditions fixées à l'Espagne, plaide vendredi, dans un entretien à El País, Jens Weidmann, l'influent patron de la Bundesbank, la banque centrale allemande.

Il va donc falloir que Rajoy en dise plus pour convaincre. La presse spécule sur une intervention, qui ne serait pas prévue avant début juillet, dans la foulée du Conseil européen de Bruxelles. C'est très loin. D'ici là, le chef du gouvernement risque bien de perdre encore un peu du crédit qui lui reste. Sur fond de crise, le paysage politique espagnol évolue donc à toute vitesse. Le PSOE de Zapatero et Rubalcaba? Toujours autant discrédité par les deux dernières années du règne Zapatero. Le PP de Rajoy, quasiment hégémonique à Madrid comme dans les communautés espagnoles? Il bat des records d'impopularité, pour un exécutif arrivé au pouvoir il y a peine six mois.

Le scénario ressemble, de loin, à la configuration grecque: les deux partis hégémoniques, qui se sont partagés le pouvoir depuis la sortie de la dictature, se sont fait avaler par la crise. A Athènes, Syriza incarne le changement. A Madrid, ce sont les indignés qui ont surgi… Ils refusent, jusqu'à présent, de se lancer dans la course politique. Les écolo-communistes d'Izquierda Unida, ou les verts du nouveau petit parti Equo, peinent à s'imposer dans le débat. UPyD, le parti centriste de la populaire Rosa Diez, pourrait être une alternative à terme. Mais le vide politique qui se dessine, sur fond de tensions sociales de plus en plus vives, n'est pas rassurant.