Les banques, championnes de l'opacité | Mediapart #lobbying #corruption #multinationales #secteurbancaire | Infos en français | Scoop.it

On s’en doutait. Mais le rapport de Transparency internationalpublié ce 10 juillet sur les pratiques des très grands groupes ne laisse plus l’ombre d’une illusion : peu de choses ont changé au cours des dernières années, malgré la crise. Les multinationales restent encore trop souvent des boîtes noires.

« Les 105 plus grandes compagnies mondiales valent plus de 11 mille milliards de dollars. Elles influencent la vie des peuples partout dans le monde. Mais que savons-nous de leur impact sur la vie quotidienne ? Trop souvent, les citoyens ne bénéficient que très faiblement de cette activité économique globale, tandis qu’ils doivent supporter les conséquences d’un comportement non éthique de ces grands groupes », pointe l’ONG.

« Les multinationales restent une part importante du problème de la corruption dans le monde », souligne Cobus de Swardt, directeur de Transparency international. « Le temps est venu pour elles de participer aux solutions. Pour cela, elles ont besoin de profondément changer. Elles doivent publier plus d’informations sur les méthodes pour réduire la corruption et aussi s’expliquer sur leur organisation, sur les flux financiers dans les pays où elles travaillent. »

Même si les informations données par les grands groupes sont plus nombreuses que par le passé, il reste d’immenses zones d’ombre. Ainsi, tous ont des dizaines voire des centaines de filiales dans le monde entier, soit parce qu’elles y exercent vraiment, soit pour des raisons fiscales. Suivre les flux financiers permet de se faire une idée de la façon dont ces grands groupes travaillent. Mais manifestement, ceux-ci n’ont guère envie de trop s’étendre sur leurs pratiques : sur les 105 groupes analysés, 78 ne publient pas la liste complète de leurs filiales.

De même, ils se montrent d’une totale discrétion sur leurs activités et leurs flux financiers. Transparency international pointe ainsi que 50 groupes sur les 105 ne publient pas les chiffres d’affaires réalisés dans leurs différentes implantations à l’étranger et que 89 ne donnent pas les impôts payés dans les pays étrangers. Enfin, 39 ne publient même aucune donnée financière dans les pays où ils opèrent.

« Quand ces chiffres ne sont pas publiés, il est difficile de demander des comptes aux gouvernements sur la façon dont ils utilisent les revenus obtenus des multinationales », insiste l’ONG, revenant ainsi au débat très actuel sur la conduite de la crise de l’euro. « Les données des multinationales dans les pays en crise dans la zone euro, par exemple, sont très insuffisantes. 65 des 105 grands groupes que nous avons étudiés, sont implantés en Espagne, mais seulement trois publient les impôts payés dans ce pays. En Grèce, pas un des 43 groupes qui y travaillent ne rend public les impôts payés dans le pays. » Voilà qui sera peut-être une nouvelle source de réflexion pour les responsables européens.

Circuits bancaires opaques
Parce qu’ils ont été sous le feu des critiques ces dernières années, les grands groupes miniers et pétroliers s’astreignent désormais à une meilleure transparence, afin de briser l’image d’opacité et les soupçons de corruption. Le groupe pétrolier norvégien Statoil arrive ainsi en tête pour la qualité de ses informations dans le classement établi par Transparency. Sur les dix premiers groupes, six sont soit miniers, soit pétroliers. Toutefois, Total n'est encore qu’au 46e rang du classement.

À l’autre bout du classement, se retrouve l’ensemble du secteur bancaire et financier. L’étude montre que les banques et les assurances sont les groupes qui délivrent le moins d’informations sur les pratiques et les mesures anti-corruption qu’elles ont adoptées, alors que « les structures opaques ont joué un rôle essentiel dans les récentes crises financières », écrit l’ONG.

Le résultat moyen des programmes anti-corruption dans le secteur est de 56 %, soit le plus bas résultat de tous les groupes, note le rapport. La présence de quatre banques chinoises, qui ne publient rien sur le sujet, explique en partie cette note basse. Mais Transparency montre que les groupes financiers restants sont tous en dessous de la moyenne. « Certaines institutions financières expliquent que ces programmes anti-corruption doivent être gardés confidentiels pour obtenir un avantage compétitif », expliquent les rapporteurs. L’argument ne les a pas convaincus. Et c’est sans doute aussi au nom de la concurrence, que la moitié des établissements financiers ne donnent aucun chiffre de revenus, de bénéfices ou d’impôt dans les pays dans lesquels ils travaillent, préférant noyer le tout dans une masse consolidée.

« Si et quand les institutions financières échouent à s’auto-réguler, les régulateurs gouvernementaux doivent s’impliquer. Et là où les régulations volontaires ou imposées échouent, les enquêteurs et la société civile doivent élever la voix et exiger une plus grande transparence », insiste Transparency.

Mais quelle chance a cette recommandation de voir le jour ? Faible voire nulle, si on en croit une autre étude, publiée lundi par une autre fondation anglaise, the Bureau of investigative journalism, sur les activités de lobbying des banques et de la City pour défendre leur cause. Pour la seule année 2011, l’ensemble du secteur financier britannique ou installé à Londres – car on retrouve parmi les généreux donateurs BNP Paribas ou Deutsche Bank – a dépensé 92,8 millions de livres (117 millions d’euros) dans des activités de lobbying.

Un lobbying financier démultiplié
Plus de 129 organisations, comprenant les banques mais aussi les cabinets d’avocats, des associations, ont été mobilisées. La fondation estime que plus de 800 personnes ont été impliquées d’une façon ou d’une autre pour plaider les causes du secteur financier. A l’autre bout, plus de 120 parlementaires ont des relations directes avec les groupes financiers. Le président de la City of London Corporation, le plus vieux district de la capitale britannique, a été reçu 22 fois en quatorze mois par le ministre des finances, George Osborne, et d'autres responsables gouvernementaux chargés des finances.

Résultat ? Selon la fondation, ces activités de lobbying ont été des plus payantes. Le secteur financier a réussi à abaisser les impôts sur les sociétés, à bloquer les règlements européens sur la spéculation sur les matières premières, à limiter le projet de retraites publiques pour les salariés les moins payés, à enterrer les plans gouvernementaux pour instaurer une nouvelle surveillance sur les sociétés cotées, entre autres. « Dans cette période d’austérité, le lobby financier a été capable d’assurer ses exonérations fiscales et les dispositions législatives qui lui étaient favorables », note le responsable du bureau. Comme chacun peut le constater, les engagements pris par les gouvernements à tous les sommets du G8 et du G20 après le déclenchement de la crise de 2008 sont vraiment respectés : plus rien décidément n’est comme avant.