"La trahison des clercs", tribune de #SergeHalimi | #LeMedia - #gauche

 

Le directeur du « Monde Diplo », Serge Halimi, publie aujourd’hui une version actualisée de « Quand la gauche essayait » aux éditions Agone. Avec son aimable autorisation, « Le Média » en livre aujourd’hui des extraits inédits, concernant la mutation de l’intelligentsia et des éditorialistes sous François Mitterrand. Après 1981, tout ce petit monde est mûr pour assimiler antitotalitarisme, défense de l’Occident et célébration du marché. L’enterrement du socialisme et de la lutte des classes est en marche.

Une faible poussée et une forte résistance : des partis de gauche en touche, des syndicats en retraite, des patrons dont dépendent les espoirs socialistes en matière d’investissement et de création d’emplois ; cette gravure d’époque annonce bien le risque de la solitude pour un gouvernement de gauche tenté par une « rupture » avec le passé. Mais il y a pire. Il ne pourra ni s’appuyer sur un corps de hauts fonctionnaires ouvertement sceptiques, ni compter sur les avis et le soutien des leaders d’opinion. La désertion des intellectuels sera à la fois dérisoire et décisive. Dérisoire par son expression. Décisive par ses effets.

Il faut relire le projet socialiste. Publié en 1980, il diagnostiquait une suite d’infirmités que la gauche entendait guérir avant qu’elles ne se généralisent. Quelques décennies plus tard, la dénonciation, à l’époque proche de l’outrance, a acquis valeur quasiment prophétique. Car ce qui est vrai du chômage et des inégalités sociales l’est aussi de la culture et de la pensée. Dans leur projet, les socialistes accusent :

« Une entreprise d’homogénéisation des mentalités, une standardisation des esprits et des visions du monde, l’imposition, à travers une véritable normalisation culturelle à l’échelle du monde occidental des schémas de la rationalité capitaliste, […] l’invasion de la télévision française par les sous-produits du grand bazar des industries culturelles américaines, dont le contenu s’inscrit toujours dans le champ social, moral et politique de l’idéologie dominante, une véritable police des esprits, le conformisme [qui] façonne une France décérébrée pensée au centre. Ainsi se dessine progressivement le visage d’une société virtuellement totalitaire, et le moindre paradoxe n’est pas que cette société soit en train de s’installer au nom(..)