photo de Olivier Maire pour le Temps
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interview de Christiane Pasteur à l'immense, un héros des temps modernes, Jean Ziegler, parue dans Le Courrier le 16.04.2013
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Jean Ziegler: «Cahuzac, c’est l’écume sur la mer»
PARADIS FISCAUX - Jean Ziegler dénonce le rôle mortifère joué par certaines banques suisses dans l’évasion de capitaux en provenance des pays du tiers-monde.
Les médias et l’opinion publique focalisent aujourd’hui leur attention sur quelques éminentes personnalités ayant profité de la Suisse, ou d’autres paradis fiscaux, pour échapper à l’impôt dans leur pays. Un système que dénonce Jean Ziegler dans ses livres depuis plus de trente ans. Mais il y a plus grave, estime le sociologue et vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies: la complicité de certaines banques suisses dans l’évasion de capitaux en provenance du tiers-monde. Entretien.
Que la Suisse joue le rôle de «receleur» en recueillant des capitaux étrangers, leur permettant ainsi d’échapper au fisc de leurs pays d’origine, vous le dénonciez en 1976, déjà, dans Une Suisse au-dessus de tout soupçon.
Jean Ziegler: Avec La Suisse lave plus blanc en 1991 et La Suisse, l’or et les morts en 1997, ces trois livres ont été des best-sellers internationaux. Ils m’ont valu neuf procès dans cinq pays, tous perdus, avec des millions de dommages et intérêts à la clé, ainsi que l’opprobre total. Au Conseil national, même des socialistes, à un moment donné, ne me parlaient plus. J’ai été diffamé, les miens ont été menacés. Pourtant, tout y était: l’argent des dictateurs et de la mafia, le rôle de certains banquiers dans le détournement des fonds juifs, etc.
Tout le monde vous donne raison désormais, cela vous fait-il plaisir?
Un intellectuel tout seul ne peut rien. Ce qui a été décisif, ce sont les contradictions objectives à l’intérieur même du système capitaliste. Par exemple, lorsque les Américains attaquent leurs concurrents pour faire sauter le mur de l’«in-transparence».
On nous annonce la fin du secret bancaire, vous y croyez?
Ce n’est pas vrai du tout. Par la pression, les pays capitalistes alentour ont obtenu via l’OCDE de petits progrès: de nouveaux traités de double imposition ont dû être négociés, qui considèrent de la même façon évasion et fraude fiscales.
Pourquoi n’est-ce pas suffisant, selon vous?
Quelque 4,9 milliards de personnes vivent dans l’un des 121 pays dits du tiers-monde. La plupart de ces Etats ne bénéficient pas de traités de double imposition. J’étais dernièrement au Congo, à Goma, au Nord-Kivu, une ville deux fois plus grande que Zurich: dans les hôpitaux, il n’y a pas un antibiotique! Parce que Kabila et ses complices pillent le trésor public. Leur argent se trouve essentiellement en Suisse, notamment à Genève. C’est l’argent du sang. Pratiquement toutes les banques possèdent des divisions chargées d’organiser l’évasion des capitaux, elles démarchent dirigeants, ministres et députés, leur ouvrent des comptes, s’occupent de tout. Nombre de banquiers suisses sont les complices actifs de ce meurtre de masse. Car les milliards qui reposent sous la Corraterie ou la Banhofstrasse se paient par les souffrances des enfants qui n’ont accès ni à l’école, ni à la nourriture, ni aux soins.
Quelle est la spécificité de Genève?
Carla del Ponte (ancienne procureure de la Confédération, ndlr) m’a dit que 80% des fonds qui y sont déposés sont constitués d’argent illégal: fraude fiscale, argent de la mafia, argent du sang. Ce chiffre me paraît réaliste.
Qu’on retrouve une multitude d’avocats genevois dans le registre commercial du Panama n’est guère une surprise pour vous...
Au Panama, à Guernesey, aux Bahamas... Il y a 1200 avocats à Genève. Nombre d’entre eux n’ont jamais plaidé un divorce ni un contrat commercial. Leur travail? Tout à fait légal. D’une part, l’optimisation fiscale. C’est-à-dire chercher les moyens, pour leurs clients, surtout étrangers, mais aussi locaux, de ne pas payer d’impôt. Cela passe essentiellement par l’offshore. La France perd 80 milliards d’euros par an de revenus fiscaux, la Suisse entre 30 et 40 milliards. Autre occupation de nombre d’avocats genevois, qui s’apparente parfois à du sabotage: empêcher le fonctionnement normal de l’entraide judiciaire. La procédure pour la restitution – très partielle – des fonds Marcos a duré douze ans, cinq ans pour Abacha. Et jusqu’à présent, quatre procédures sur cinq n’aboutissent tout simplement jamais au vu du nombre de recours interjetés.
Quel regard portez-vous sur l’affaire Cahuzac?
C’est l’écume sur la mer qui couvre des abîmes. Un cas classique. On va sans doute retrouver les 15 millions d’euros mentionnés par les médias sur un compte offshore puisque la justice française semble enfin se réveiller. Falciani (l’ex-informaticien de la banque HSBC à Genève, ndlr) a livré 9000 noms français, documentés, aux parquets de Nice et de Paris. Jusqu’à maintenant, seules douze enquêtes ont été ouvertes, aucune ne s’est soldée encore par une condamnation. De la même façon, Mme Bettencourt a avoué avoir déposé clandestinement 100 millions en Suisse, elle n’a subi jusqu’ici aucune sanction pénale.
Justement, n’êtes-vous pas choqué par cette absence de sanctions?
D’accord, il y a des truands qui pillent leur pays, la France. Les prestations chômage diminuent, la misère augmente. Mais personne ne meurt de faim. Que nombre de banques de notre pays soient les complices actifs de ces prédateurs n’est évidemment pas glorieux. Mais l’argent du sang constitue un scandale autrement plus effrayant que la fraude fiscale française. Car il tue chaque jour des milliers de personnes, surtout des enfants, dans des pays de l’hémisphère Sud.
article source : http://www.lecourrier.ch/107780/jean_ziegler_cahuzac_c_est_l_ecume_sur_la_mer