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Article d'archive du journal #LeMonde janvier 2014 : A #Nice, souriez vous êtes filmés #surveillance #Estrosi

LE MONDE | 24.01.2014 à 08h41 • Mis à jour le 24.01.2014 à 16h00 | Par Vanessa Schneider (Nice, envoyée spéciale)

Ici, au centre de supervision urbain, Christian Estrosi est dans son royaume. Les policiers esquissent un salut militaire lorsqu'ils le croisent dans les couloirs et lui donnent du « bien entendu, monsieur le maire », dès qu'il demande quelque chose. C'est lui qui a créé, en 2010, ce premier complexe de « vidéoprotection » en France.

Un bâtiment entièrement consacré à l'observation, au recueil, au traitement et à l'archivage des images issues des 915 caméras de surveillance disséminées dans la ville. Soixante-dix policiers municipaux y sont affectés. Ils dissèquent les images à la recherche d'un fait anormal, répondent aux appels des citoyens qui leur signalent des incidents ou les alertent sur un comportement suspect, sont en lien avec la police nationale et la justice.

Dans la salle de commandement, face à son portrait qui décore le mur, M. Estrosi montre, sur un écran géant, quelques-unes des prouesses effectuées par ses équipes grâce aux caméras de surveillance. Comme dans un film de gangsters, nous voilà donc à la poursuite de deux petits voyous à scooter. L'image est en couleur et haute définition. Le passager vole une sacoche contenant plusieurs milliers d'euros dans une camionnette dont la fenêtre est restée ouverte. Le scooter s'enfuit à vive allure dans les rues de la ville.

On le suit de rue en rue, de caméra en caméra, sur huit kilomètres, sans jamais perdre sa trace. Plusieurs minutes plus tard, les voleurs, se croyant à l'abri, quittent la voie rapide en faisant des zigzags de joie sur la route. Au bout, trois voitures de police les attendent pour les arrêter. Christian Estrosi n'est pas peu fier de sa démonstration. A le croire, « la police a un taux d'élucidation de 36 % grâce aux caméras. Sept cent vingt flagrants délits ont été établis l'année dernière. Sans la vidéoprotection, on ne les obtient pas ».

« C'EST PLUS SEXY QUE LA CULTURE »

Le hic, c'est que, à en croire les statistiques du ministère de l'intérieur, les chiffres de la délinquance à Nice sont mauvais. En matière de sécurité, la ville détient trois records : celui du plus grand nombre de caméras de surveillance de France (une pour 360 habitants), celui des plus gros effectifs de policiers municipaux (380, un pour 902 habitants) et… celui des résultats les plus décevants. Selon le classement publié par L'Express fin novembre 2013, Nice arrive ainsi en 401e position sur 408 en matière d'atteintes aux biens et en 389e en matière de violences aux personnes.

En 2008, pour ravir la mairie à Jacques Peyrat, M. Estrosi avait fait campagne sur le thème de la sécurité. « Pour se faire élire ici, c'est plus sexy que la culture », reconnaît son ancien adjoint devenu son adversaire, Olivier Bettati. Sur ces questions, le candidat Estrosi avait des arguments à faire valoir : proche de Nicolas Sarkozy, ancien spécialiste de ces questions à l'UMP, il avait, en outre, fait financer la construction d'un commissariat à l'ouest de la ville pour 27 millions d'euros par le conseil général qu'il présidait. Cerise sur le gâteau, il s'est alors adjoint les services d'un professionnel, Benoît Kandel, ancien colonel de gendarmerie, qui a une bonne réputation en matière de lutte contre la délinquance.

Une fois élu maire, M. Estrosi a fait de la sécurité un de ses chantiers prioritaires. Sous son mandat, le nombre de caméras de surveillance a triplé pour un coût de 14 millions d'euros et celui des policiers municipaux a augmenté de 100 en trois ans (53 millions d'euros de fonctionnement). Les policiers municipaux sont équipés de Taser et répartis en différentes brigades (parcs et jardins, VTT, canine, moto, anti-tags…). La municipalité a également mis en place un réseau de « voisins vigilants », 520 personnes dont la moralité a été vérifiée et qui ont reçu une formation par les policiers municipaux pour repérer les agissements suspects et alerter les forces de l'ordre par SMS. Un réseau de commerçants a aussi été organisé pour que chacun d'entre eux ait un référent au sein de la police municipale.

ARRÊTÉS MUNICIPAUX ANTIBIVOUAC, COUVRE-FEU...

Pour compléter son arsenal, le maire a aussi pris toutes sortes d'arrêtés municipaux (contre les activités d'épicerie de nuit, contre la consommation d'alcool dans la rue, antimendicité agressive, antiregroupement, antibivouac, couvre-feu) censés lutter contre la délinquance. Et peu importe si ceux-ci sont inutiles et régulièrement cassés par le tribunal administratif, il tient à faire savoir à la population qu'il prend ses inquiétudes à cœur.

« Il est dans une stratégie de visibilité, analyse Laurent Mucchielli, directeur de l'Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux en région PACA. Il a affaire à une population qui demande une grosse présence sur la voie publique et il cherche à y répondre. Il s'agit avant tout d'une posture politique. Tout ce déploiement n'a provoqué aucun changement, aucun saut qualitatif, on est dans l'ordre apparent. »

Pour M. Kandel, qui a géré le dossier pour le maire pendant plus de quatre ans, avant d'être évincé et de soutenir M. Bettati, les mauvais chiffres à Nice sont inévitables : « Nice sera toujours mal classée, c'est structurel. On compare le nombre des crimes et délits au nombre d'habitants recensés par l'Insee, or nous accueillons chaque année entre cinq et six millions de touristes. Il faudrait prendre en compte la vraie population pour avoir les vrais chiffres. » Les touristes sont en effet des cibles prisées. Autre facteur qui explique les médiocres résultats : les fortes inégalités sociales entre des quartiers difficiles et des résidents très fortunés.

« UNE SEULE CHOSE INTÉRESSE ESTROSI : PASSER À LA TÉLÉ »

Pour ses adversaires, c'est surtout la politique du maire qui ne fonctionne pas. « Depuis qu'il a viré Benoît Kandel, tout est désorganisé, assure M. Bettati. Une seule chose intéresse Christian Estrosi : passer à la télé. » Le meurtre d'un braqueur par un bijoutier de la ville en septembre 2013 lui en a donné l'occasion, en affirmant que le commerçant était la « première victime » de ce fait divers.

« Les effectifs sont mal utilisés, regrette, pour sa part, Patrick Allemand, son adversaire socialiste. Il n'y a pas assez de personnel devant les caméras de surveillance. Un tiers d'entre elles ne sont jamais surveillées. » Il déplore, par ailleurs, que « tout soit axé sur la répression, rien sur la prévention ». Faux, répond le maire, qui assure « faire beaucoup de prévention ». Et de citer la mise en place de médiateurs de nuit dans deux quartiers difficiles et les 350 000 euros de subventions accordées aux associations dans le cadre de la politique de la ville.

Pour M. Estrosi, les mauvais chiffres s'expliquent surtout par le faible nombre de policiers nationaux (un millier) : « C'est insuffisant au regard de l'évolution de la population et de la législation. » La gauche au pouvoir en porterait, selon lui, une grande responsabilité. « A partir de mai 2012, nous avons fait les frais d'une réorganisation de l'action de la police. Maintenant, il faut se battre pour obtenir le renfort d'une ou deux compagnies de CRS de Marseille dans les périodes où notre population double », assure-t-il.

Le préfet des Alpes-Maritimes, Adolphe Colrat, ne fait pas tout à fait la même analyse. « Nice connaît un point haut au 1er janvier 2009 avec 1 083 policiers de la sécurité publique, puis une érosion les quatre années suivantes avec un point bas au 1er janvier 2013 (1 000), tributaire à l'évidence des mesures budgétaires prises sous le précédent quinquennat. » Celui de Nicolas Sarkozy.