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De combien d’armes les #US ont-ils perdu la trace en #Irak & #Afghanistan ?Des centaines de milliers! - NY Times

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De combien d’armes les #US ont-ils perdu la trace en #Irak & #Afghanistan ?Des centaines de milliers! - NY Times

Source : The New York Times, le 23/08/2016

En début d’année, un utilisateur de Facebook à Bagdad, du nom d’Hussein Mahyawi, a posté la photo d’un fusil d’assaut M4 légèrement usé qu’il mettait en vente. Des vétérans de la dernière guerre d’Irak l’ont immédiatement reconnu. C’était un fusil américain équipé d’un viseur holographique, d’une poignée qui a été fournie par l’armée durant l’occupation et d’un autocollant avec un code QR utilisé par les forces américaines pour le contrôle d’inventaire. A l’exception d’un détail – la crosse ayant été changée, comme c’est souvent le cas avec ce genre d’accessoires par les combattants de cette génération qui veulent personnaliser leurs armes – il s’agit d’une vraie réplique des dizaines de milliers de M4 que le Pentagone a envoyé en Irak aux forces de sécurité et aux milices armées après avoir renversé Saddam Hussein en 2003. Et maintenant, elle se trouve sur le second marché, prête à être vendue.

Est-ce une surprise ? Non. Quatre ans après que les États-Unis se sont retirés militairement d’Irak, et près de deux ans après qu’un petit nombre de troupes américaines a commencé à y revenir pour combattre l’État Islamique, la vente de M4 faisait partie de la routine quotidienne du trafic d’armes irakien. Le fusil de Mahyawi n’est qu’une autre donnée prouvant l’extraordinaire et dangereux échec du contrôle des échanges des armes américaines, signant la fin d’une pratique militaire fondamentale des temps modernes : la traçabilité des armes.

Depuis l’attentat du 11-Septembre, les États-Unis ont livré une vaste quantité, mais impossible à chiffrer, d’armes à feu à leurs partenaires militaires en Afghanistan et en Irak. Aujourd’hui, le Pentagone n’a qu’une idée partielle du nombre d’armes envoyées, et pire encore, ne sait où les localiser. En parallèle, cette abondance d’armes américaines arrivant sans cesse sur le marché noir est l’une des raisons pour lesquelles l’Irak ne se remettra pas, avant longtemps, de ses problèmes post-invasion.

La nouvelle tentative de décompte établie dans un projet dirigé discrètement par Ian Overton donne une idée de l’importance de ces transferts d’armes et de la difficulté à en connaître le volume. Overton, ancien journaliste de la BBC, est aujourd’hui administrateur de Action on Armed Violence (Action contre la Violence Armée), association située à Londres qui effectue des recherches et fait pression pour s’opposer à la prolifération des armes et aux violences faites aux civils. Il est également l’auteur de The Way of the Gun, une étude sans complaisance de quelques-uns des rôles que jouent les armes à feu dans la société moderne. Avec une série de demandes relevant du Freedom of Information Act, il a commencé l’an dernier, avec sa petite équipe de recherche, à compiler 14 années d’informations contenues dans des contrats du Pentagone relatifs aux carabines, pistolets, mitrailleuses et aux munitions correspondantes, aussi bien pour les troupes américaines que pour leurs partenaires et associés. Ils ont comparé les données avec les déclarations publiques. Overton rend publiques aujourd’hui les données et ses analyses. Cela couvre 412 contrats et mérite qu’on prenne le temps d’y réfléchir, alors que les signataires du Traité sur le Commerce des Armes se réunissent cette semaine à Genève. Le traité, qui a pris effet en 2014, et dont les États-Unis sont signataires, a pour but de promouvoir la transparence et les actions responsables sur le commerce des armes conventionnelles et de réduire leur circulation vers des acteurs non recommandés, exactement ce que les États-Unis n’ont souvent pas réussi à faire au cours des guerres récentes.

Overton comptabilise qu’au total le Pentagone a fourni plus de 1,45 millions d’armes à feu à diverses forces de sécurité en Afghanistan et en Irak, dont plus de 978 000 fusils d’assaut, 266 000 pistolets et presque 112 000 mitrailleuses. Ces transferts constituent un assortiment d’armes à feu de diverses époques et types : des fusils d’assaut Kalachnikov résidus de la Guerre froide, des fusils récents de type OTAN M16 et M14 en provenance des usines américaines, des mitraillettes d’origine russe ou occidentale, des fusils pour tireurs d’élite, des revolvers et pistolets de divers calibres et provenances, y compris un large assortiment de pistolets semi automatiques Glock, un type d’arme régulièrement proposé à la vente en ligne en Irak.

Nombre des destinataires de ces armes sont devenus des alliés courageux et importants sur les champs de bataille. Mais bien plus nombreuses encore sont celles qui n’ont pas suivi ce chemin. Prises dans leur ensemble, les armes ont fait partie d’un vaste, et parfois peu contrôlé, flux provenant d’une grande puissance pour aller vers des armées et des milices souvent discréditées par un entraînement de faible qualité, la désertion, la corruption et des comportements non respectueux des Droits de l’Homme. En sachant ce que nous savons de beaucoup de ces forces, il aurait été tout à fait remarquable qu’elles gardent le contrôle de leurs armes. Il n’est pas surprenant qu’elles ne l’aient pas fait.

Une illustration du caractère erratique de la surveillance de la distribution de ces armes : la semaine dernière, cinq mois après que le New York Times a demandé au Pentagone son propre décompte des armes légères fournies aux forces partenaires en Afghanistan et en Irak, la réponse fait état de moins de la moitié du nombre d’armes à feu que les chercheurs ont établi – environ 700 000 en tout. C’est un chiffre, observe Overton, qui « ne tient compte que de 48% du total des armes légères fournies par le gouvernement américain, dont on trouve trace dans les rapports publics. »

L’écart entre les décomptes, selon le Pentagone, provient en partie du fait que tout d’abord les militaires des États-Unis s’efforçaient de répondre à deux gouvernements en situation de guerre. « La vitesse de réaction était essentielle pour équiper les forces de sécurité de ces pays, et pour les entraîner à relever de tels défis. » Mark Wright, un porte-parole du Pentagone, a écrit dans un e-mail : « Il en est résulté l’apparition d’écarts dans les enregistrements de transferts de certaines armes. » Wright a aussi indiqué que les méthodes courantes du Pentagone se sont améliorées pour s’assurer « que l’équipement n’est utilisé que pour des usages autorisés. » Des représentants « inventorient chaque arme lorsqu’elle arrive dans le pays et enregistrent son affectation au pays étranger partenaire. »

Comment le décompte et l’enregistrement des numéros de série et des destinataires ont-t-ils pu être vus comme une perte de temps qui aurait ralenti la guerre ? Cela n’est pas clair. Quiconque a servi dans une unité militaire sait que l’enregistrement de qui a reçu quelle arme est à la fois une tâche de base et une habitude qui s’inscrit dans une routine. Cela ne prend pas plus de temps que de fournir un uniforme à un soldat ou de lui servir un repas. Mais souvent le Pentagone n’exigeait pas ces étapes. Toutefois Wright note qu’une fois une arme fournie à une autre force, « il est de sa responsabilité de tenir le compte de cette arme. »

Comme Overton avait déjà travaillé plus tôt cette année sur son propre recensement, je demandai à Nic Marsh, chercheur au Peace Research Institute d’Oslo, de recouper ce décompte, mais en utilisant d’autres sources, plus particulièrement les données d’exportation de l’Union européenne et les rapports américains de l’inspecteur général militaire. L’approximation totale de Marsh pour les deux guerres a également dépassé le Pentagone d’une grande marge. En examinant les transferts d’armes déclarés de l’Europe, il a trouvé des totaux officiellement déclarés de plus de 465 000 armes à feu fournies par le Pentagone en Afghanistan depuis 2001. Marsh a déclaré que les exportations comprenaient des armes de l’Albanie, la Grande-Bretagne, Bulgarie, Canada, Croatie, République tchèque, Allemagne, Hongrie, Italie, Monténégro, Pakistan, Pologne, Roumanie, Russie, Serbie, Slovaquie, Slovénie et les États-Unis. Il a également trouvé au moins 628 000 autres armes à feu exportées vers l’Irak de 2003 à 2014, à partir de la même liste de nations, plus la Bosnie, l’Estonie, la France, la Lettonie et la Turquie. Son décompte pour l’Irak n’inclut pas près de 300 000 armes à feu supplémentaires qu’il soupçonne d’y avoir été déplacées pour le Pentagone, mais pour lesquelles les enregistrements ne sont pas tout à fait clairs. « Le nombre est beaucoup plus grand » que 628 000, a-t-il dit, « mais nous ne sommes pas certains du nombre exact exporté de Bosnie. »

Les armes envoyées de l’Europe vers l’Irak, et les caisses de munitions nécessaires pour les alimenter, ont rempli des avion-cargo, bien que Marsh ait mentionné que les données disponibles ne disent pas non plus combien ont été directement financées par les États-Unis, par opposition à celles achetées par les ministères irakiens avec des fonds de donateurs américains, ou celles données par les pays se débarrassant de leur vieux stock. Cette observation est importante, parce que les deux dernières catégories – cadeaux État à État par l’intermédiaire de gestionnaires américains ou autres, et armes à feu achetées directement par l’Afghanistan ou l’Irak – ne sont probablement pas dans le décompte final d’Overton. Ceci est l’une des nombreuses raisons de soupçonner que les 1,45 millions de ce décompte pourraient sous-estimer la quantité réelle d’armes octroyées pendant les nombreuses années où le Pentagone a joué en Afghanistan et en Irak le rôle du fournisseur d’armes légères. « Cela pourrait être deux fois plus, pour autant que nous sachions, » a déclaré Overton vendredi dernier, sans plaisanter tout-à-fait.

L’analyse d’Overton ne tient pas compte non plus de nombreuses armes fournies par l’armée américaine aux forces locales par d’autres moyens, y compris le recyclage d’armes saisies, qui était une pratique courante et largement non documentée.

Ajoutant à la suspicion que le nombre est encore plus grand, Overton est certain que son total a ignoré des expéditions, parce que les données que le Département de la Défense a mises à sa disposition étaient incomplètes ou entachées de contradictions difficilement conciliables. Par exemple, les contrats étudiés faisaient état de plus de 6,5 ou 7 millions de dollars, selon l’année. Overton soupçonne que cela cache de nombreux achats plus petits. Et les données contractuelles libellent souvent vaguement les achats, rendant parfois difficile de déterminer exactement ce qui a été acheté, encore moins pour qui. Les données du Pentagone, en bref, ne déclarent pas beaucoup de ce que le Pentagone a effectivement acheté.

Un point est incontestable : beaucoup de ces armes ne sont pas restées longtemps en possession du gouvernement après leur arrivée dans leurs pays respectifs. Dans l’un des nombreux exemples, un rapport de 2007 du Government Accountability Office a constaté que 110 000 fusils d’assaut Kalachnikov et 80 000 pistolets achetés par les États-Unis pour les forces de sécurité irakiennes ne pouvaient pas être recensés – plus d’une arme à feu pour chaque membre de l’ensemble de la force militaire américaine en Irak, quel que soit le moment de la guerre. Ces défaillances documentées de comptabilité avaient lieu avant la simple évaporation de divisions irakiennes entières du champ de bataille, comme ce fut le cas de quatre d’entre elles après que l’État islamique ait emporté Mossoul et Tikrit en 2014, comme l’indique une demande de budget de l’Armée 2015 pour acheter plus d’armes à feu pour les forces irakiennes pour remplacer ce qui a été perdu.

Ces pertes spectaculaires représentaient le pire des disparitions en augmentation progressive observées d’abord par de nombreux vétérans de ces guerres, y compris des escroqueries comme ces nouvelles recrues de l’Armée nationale Afghane se présentant à l’entraînement puis disparaissant après la distribution des fusils. Les soldats ont suspecté qu’ils sont partis pour vendre leurs armes. Sur les avant-postes où les troupes américaines, afghanes et iraquiennes travaillaient ensemble, les unités locales se retrouvaient souvent avec seulement une fraction des effectifs connus, diminués à mesure que les officiers de police nationale et les soldats disparaissaient ou désertaient avec leurs armes. L’armement américain des rebelles syriens, à la fois par la CIA et le Département de la Défense, a également été perturbé par des questions de responsabilité et de vol pur et simple, dans une guerre où le champ de bataille est incertain, avec des djihadistes alignés avec al-Qaïda ou combattant sous la bannière de l’État islamique.

Durant cette année, de nombreux marchands d’armes en ligne, y compris sur Facebook, ont colporté un assortiment inépuisable d’armes de toute évidence américaines, incluant le M4 proposé par Hussein Mahyawi, lequel se décrit comme designer d’intérieur sur son profil Facebook. En avril, après avoir été approché par le New York Times et un examen des données par l’Armament Research Services, une société privée de consulting et d’enquêtes sur les armes privées, Facebook a fermé de nombreux comptes au Moyen Orient qui servaient de bazars à armes, y compris des comptes en Syrie et en Irak, où des armes provenant du Pentagone représentent une grande part du marché visible. Le compte d’Hussein Mahyawi disparut. Mais de nombreux nouveaux comptes Facebook vendant des armes ont depuis surgi, et qui sont selon leur propre description, des marchés virtuels opérant depuis Bagdad et Karbala. Le business continue.

Les nouvelles données suggèrent aussi les façons dont le combat au sol pour les troupes américaines a fait rage et a changé au cours de la dernière décennie et demie. Selon son décompte, l’armée américaine a émis des contrats d’une valeur potentiellement supérieure à 40 milliards de dollars pour des armes à feu, des accessoires et des munitions depuis le 11-Septembre, y compris les améliorations aux usines de munitions nécessaires pour maintenir la production. La plupart de ces dépenses étaient affectées aux forces américaines, et les détails racontent l’histoire de deux guerres qui ne se déroulent pas comme prévu. Plus de 4 milliards de dollars de contrats ont été émis pour des armes de petit calibre, y compris des pistolets, des mitrailleuses, des fusils d’assaut et des fusils de sniper, et plus de 11 milliards de dollars ont été émis pour l’équipement connexe, des canons de rechange de mitrailleuses aux lunettes de fusil de sniper, selon le décompte d’Overton. Une somme beaucoup plus importante, près de 25 milliards de dollars, a été affectée aux munitions ou aux mises à niveau des usines de munitions pour ces armes à feu. Ce dernier chiffre est en accord avec ce que la plupart des vétérans du combat terrestre en Irak et en Afghanistan pourrait vous dire – les troupes américaines ont été impliquées dans un nombre vertigineux de fusillades depuis 2001, brûlant des montagnes de munitions en cours de route.

Certaines lignes des tableaux d’Overton dénotent de profonds changements tactiques. L’armée américaine est entrée en Afghanistan en 2001 avec un petit contingent de troupes, qui a écarté les talibans du pouvoir en manœuvrant avec des alliés locaux soutenus par la puissance de feu navale et aérienne. Elle a envahi l’Irak en 2003 avec des colonnes mécanisées protégées par un déploiement écrasant de puissance de feu, y compris des frappes aériennes, des missiles de croisière, des bombes incendiaires et des sous-munitions. La manœuvre a rapidement chassé les forces conventionnelles de l’Irak. Puis vinrent les années d’occupation forcée et les efforts de reconstruction et d’édification de la nation à travers une géographie immense. Les rotations de soldats et de marines se sont enlisées dans l’étendue des missions et se sont retrouvées face aux menaces familières de la guérilla réapparue : bombes, embuscades et (en Irak, en particulier) snipers.

Les données montrent d’importants achats de mitrailleuses lourdes et de canons. Ceci est l’indice du passage de nombreuses unités américaines de pédestre à motorisée, parce que les hommes entassés dans des camions blindés avaient besoin d’une puissance de feu sur tourelle pour se défendre – une adaptation de matériel forcée par les embuscades et les bombes improvisées, les armes bon marché harcelant l’armée la plus chère du monde.

Maintenant, détournons-nous un instant de ces données pour réfléchir à ce qu’elles taisent. Le Pentagone a fourni à Overton des informations sur les contrats d’armes légères jusqu’à un calibre de 30 millimètres. Cela signifie que certaines catégories d’armes d’infanterie ne sont pas incluses, parmi lesquelles des mortiers, des lance-roquettes à tir épaulé et des puissants lance-grenades automatiques Mark 19 montés sur de nombreux véhicules américains et également utilisés pour la défense de postes avancés. Cette omission signifie que les données n’offrent aucun aperçu d’un aspect étonnamment risqué de l’armement par le Pentagone des forces locales avec des armes d’infanterie : la distribution à grande échelle d’armes anti-blindés, y compris RPG-7, communément appelés lance-grenades propulsées et des armes sans recul, y compris le SPG-9. Chacun de ces systèmes tire des projectiles hautement explosifs (et souvent perforants), et chacun a été couramment utilisé par les insurgés dans les attaques. Après les premières semaines de chaque guerre, les seuls véhicules blindés, quel que soit le champ de bataille, étaient américains ou associés à des unités gouvernementales alliées et locales, ce qui rendait énigmatique la pratique du Pentagone de fournir des armes perforantes aux forces de sécurité afghanes et irakiennes. Pourquoi auraient-ils besoin d’armes perforantes alors qu’ils n’avaient aucun blindé à combattre ? Pendant ce temps, des roquettes ont été plus ou moins mystérieusement tirées sur des convois et des patrouilles américains dans chacune des guerres.

Ensemble, le volume des dépenses, la confusion permanente sur les totaux et les multiples pressions pour minimiser les stocks se combinent pour dresser le portrait du Pentagone sabotant le rôle déjà embarrassant qu’il s’est choisi lui-même – celui de marchand d’armes et édificateur d’État, rôle qui a conduit régulièrement à des missions en nette opposition les unes aux autres. Tout en faisant face à deux guerres en évolution rapide, l’armée américaine a essayé de créer et de renforcer de nouvelles démocraties, des gouvernements et des classes politiques ; recruter, former et équiper les forces de sécurité et de renseignement sur un calendrier serré et de vastes échelles ; réparer et sécuriser l’infrastructure de transport ; encourager la diffusion ou le rétablissement de services juridiques et de services publics ; et laisser derrière elle quelque chose de plus acceptable et robuste que la règle des voyous.

Chacun de ces efforts serait difficile à lui seul. Mais les États-Unis ont essayé toutes ces choses à la fois, tout en achetant et expédiant dans les deux pays une quantité prodigieuse d’armes militaires légères, et en les distribuant à la population locale et à des groupes qu’elle connaissait à peine. Les destinataires étaient souvent manifestement corrompus et parfois en liens étroits avec les mêmes milices et insurgés qui tentaient de chasser les États-Unis et de faire en sorte que son projet complet d’édification de la nation ne résiste pas. Il ne devrait pas être surprenant que les unités américaines dans les provinces et quartiers hostiles, et leurs partenaires, puissent essuyer des coups de feu à la moindre occasion.

Le processus d’achat et de distribution d’armes s’est poursuivi jusqu’à aujourd’hui, avec d’autres acteurs concernés, comprenant l’Iran vers ses alliés en Irak et divers « donateurs » aux combattants kurdes. En mars, la Russie a annoncé qu’elle a donné 10 000 fusils d’assaut Kalachnikov à l’Afghanistan, l’une des régions sur terre déjà les plus saturés en Kalachnikov. Si l’on en croit une analyse produite par l’Inspecteur général spécial des États-Unis pour la reconstruction de l’Afghanistan, ou SIGAR, l’Afghanistan n’en avait même pas besoin. En 2014, l’inspecteur général a annoncé qu’après la décision des États-Unis de remplacer les Kalachnikov de l’armée afghane par des armes au standard de l’OTAN (une aubaine pour les fabricants d’armes avec un avantage beaucoup moins évident pour les forces afghanes déjà largement équipées), l’armée afghane s’est retrouvée avec un surplus de plus de 83 000 Kalachnikov. Les États-Unis n’ont jamais tenté de récupérer l’excédent ainsi créé, donnant au bureau de l’inspecteur général de bons motifs de crainte à long terme. « Sans préjuger de la capacité du gouvernement afghan à prendre en compte ou utiliser correctement ces armes, dit-il, le SIGAR est inquiet sur le fait qu’elles pourraient être récupérées par des insurgés et entraîner des risques supplémentaires pour les civils. »

Au final, les décomptes par Overton de la diffusion des armes mettent en lumière le décalage institutionnel fondamental entre ce que le Pentagone impose à ses troupes et ce qu’il s’impose. Dès leurs premiers jours sous l’uniforme, les recrues de l’Army et des Marines sont conditionnées par une approche presque sacrée de leur arme. Ils apprennent rapidement qu’aucun autre objet de leur équipement ne sera mieux suivi par les routines de contrôle et que des inspections interviendront tout au long de leur carrière. Leurs armes doivent être gardées parfaitement lubrifiées et propres. Les armes doivent toujours être à portée de main. Les canons doivent être pointés uniquement là où ils doivent être pointés. Les armes ne peuvent pas être perdues. Toute pièce dans l’armurerie et dans toute patrouille doit être comptabilisée, encore et encore, et encore toujours, afin que tout le monde, du soldat jusqu’au commandant, sache que rien n’a été égaré et que les armes sont toujours prêtes à toute éventualité. Cet état d’esprit est si poussé que de nombreux vétérans, des années après avoir rejoint la vie civile, sont toujours capables de réciter les numéros de série des armes qu’ils ont portées. Certains se surprennent à chercher leur arme à n’importe quel moment de la journée.

Quand les militaires ont distribué des armes en Afghanistan et en Irak, une dynamique différente était en jeu. C’était rarement la priorité de garder la trace des armes de manière fiable, en tenant la liste de qui en a reçu, de ce qui a été livré, et où. Aujourd’hui c’est impossible. Et ainsi personne ne sait où se trouvent de nombreuses armes, jusqu’au jour où elles apparaissent sur un média social ou se font remarquer sur des scènes de combat ou de crime, par le crépitement des tirs en rafale, en souvenir des dizaines de milliards de dollars partis dans des pays où la violence et le terrorisme perdurent. Que faire ? Comme d’habitude, l’une des solutions des États-Unis, une fois de plus, sera d’envoyer plus d’armes.

C. J. Chivers est reporter pour The Times.

Source : The New York Times, le 23/08/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

 

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Que fuient les Afghans ?  39 mn - France Culture #réfugiés #Afghanistan #US #MSF #humanitaire #OTAN #NATO

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Que fuient les Afghans ?  39 mn - France Culture #réfugiés #Afghanistan #US #MSF #humanitaire #OTAN #NATO

Intervenants

  • Ahmad Mahjoor : sociologue, conseiller spécial du parlement afghan, auteur de L'Afghanistan en transition. Une approche politique (L'Harmattan, juin 2013)
  • Gilles Dorronsoro : Professeur de science politique à l'Université de Paris 1- Panthéon-Sorbonne
  • Mathilde Bethelot : Responsable des programmes MSF en Afghanistan

Ils sont nombreux mais on ne les voit plus vraiment : les Afghans restent la 2e communauté de réfugiés à tenter leur chance en Europe. Au total, ils sont plus de 2.7 millions à avoir choisi l’exil, plutôt que de rester vivre dans un pays, l’Afghanistan, toujours en guerre.

Si les Syriens sont aujourd’hui les plus nombreux à venir chercher refuge en Europe, ils ne sont pas les seuls, loin de là. On finirait presque par les oublier, mais les Afghans représentent la deuxième communauté d’exilés. Une histoire qui dure depuis 35 ans, et qui n’est pas près de se terminer. L’an dernier, ils étaient 200 000 Afghans à faire une demande d’asile à l’un des pays de l’Union : six fois plus que l’année précédente.

C’est que l’Afghanistan reste, aujourd’hui encore, un des pays les plus dangereux au monde. Les talibans n’ont pas été vaincus : ils combattent à nouveau pour s’emparer du pouvoir. Face à eux, une armée souvent démunie, qui ne peut plus compter sur le soutien des troupes de l’OTAN : celles-ci ont quitté le pays fin 2014. L’Afghanistan, pays instable, et qui peine donc à se reconstruire, malgré les moyens importants octroyés par les Etats-Unis depuis 2001 et le début de leur intervention militaire. Selon le Haut commissariat de l’Onu aux réfugiés, plus de 2 millions 700 000 Afghans vivent aujourd’hui en dehors de leur pays, au Pakistan et en Iran pour la plupart.

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Tuerie d' #Orlando: l'expert #JacquesBaud parle d' #uberisation du #terrorisme et rappelle vraie raison de ces attentats

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Tuerie d' #Orlando: l'expert #JacquesBaud parle d' #uberisation du #terrorisme et rappelle vraie raison de ces attentats (à savoir, "nos" bombes qui tuent des milliers de civils à travers le Moyen-Orient depuis le début de la guerre contre le "terrorisme" initiée par Bush et que Daesh a chaque revendication rappelle .. ce que nos médias relaient très peu )

L'agence de presse du groupe Etat islamique, Amak, a annoncé dimanche que le groupe fondamentaliste sunnite était responsable de la tuerie qui a fait 50 morts et 53 blessés dans une discothèque gay de Floride. Faut-il pour autant accorder totalement crédit à cette hypothèse? Interview de Jacques Baud, spécialiste du renseignement et d'analyse stratégique.

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#Afghanistan  Un #drone #US tue 15 civils selon l' #Onu - #DroitALaViolence #Sanctions ?

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#Afghanistan  Un #drone #US tue 15 civils selon l' #Onu - #DroitALaViolence #Sanctions ?

Au moins 15 civils ont été tués et 13 autres blessés par une frappe de drone américain dans l'est de l'Afghanistan, a déclaré jeudi soir la Mission d'assistance

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L’armée #US a « manipulé les #renseignements pour atténuer la menace représentée par l’ #EI » - AFP - #daech

L’armée #US a « manipulé les #renseignements pour atténuer la menace représentée par l’ #EI » - AFP - #daech | Infos en français | Scoop.it

L’armée #US a « manipulé les #renseignements pour atténuer la menace représentée par l’ #EI » - AFP - #daech

L’armée américaine a « manipulé les renseignements pour atténuer la menace représentée par l’EI »
Par AFP le 15 août 2016
 
 
 

Selon un rapport intérimaire du Congrès américain, l’armée a développé une vision « significativement plus positive » des efforts américains contre l’État islamique, ce qui pourrait avoir mis en danger des soldats.

D’après le rapport, les dirigeants du CENTCOM ont « violé l’éthique professionnelle » pour dresser un portrait flatteur des efforts américains.
 

Des dirigeants militaires américains ont dressé un tableau trop optimiste des efforts américains pour lutter contre le groupe État islamique (EI) en Irak et en Syrie, selon un rapport du gouvernement publié jeudi.

Le rapport intérimaire provient d’un groupe de travail du Congrès américain qui enquête sur les allégations faites par des lanceurs d’alerte et selon lesquelles des responsables du renseignement triaient sur le volet des informations qui minimisaient le risque représenté par l’État islamique, tout en exagérant les efforts déployés par les Américains pour former les forces locales à la lutte contre les militants.

« De la mi-2014 à la mi-2015, les chefs du renseignement les plus haut placés du Commandement central des États-Unis [CENTCOM] ont manipulé la production de renseignements du commandement pour atténuer la menace représentée par le groupe État islamique en Irak », a affirmé dans un communiqué Mike Pompeo, membre républicain du Congrès.

« Résultat : ceux qui se servaient de ces renseignements ont eu constamment une vision un peu trop « rose » des succès opérationnels américains contre l’État islamique », a-t-il ajouté, soulignant que cela avait « très bien pu » mettre en danger des soldats américains.

Les enquêteurs du groupe de travail ont interrogé des dizaines d’analystes du CENTCOM, dont beaucoup ont considéré leur encadrement à l’époque comme toxique.

« 40 % des analystes ont répondu qu’ils avaient subi des pressions pour déformer ou supprimer des renseignements au cours de l’année écoulée », souligne le rapport.

En outre, le CENTCOM a diffusé des communiqués de presse et fait des déclarations publiques présentant une situation « significativement plus positive » qu’elle ne l’était en réalité, ont découvert les enquêteurs.

Des dirigeants de haut rang du CENTCOM ont « violé les réglementations, les normes en matière de techniques [d’espionnage] et l’éthique professionnelle » en modifiant les renseignements pour présenter des évaluations excessivement positives des efforts américains initiaux pour former les forces de sécurité irakiennes à la lutte contre l’État islamique.

L’inspecteur général du Pentagone mène actuellement une enquête interne sur ce sujet ; ainsi, les responsables n’ont pas été en mesure de formuler des commentaires sur le rapport publié jeudi.

« La communauté du renseignement donne régulièrement un vaste éventail d’évaluations basées sur des données multidimensionnelles liées à l’environnement sécuritaire actuel », a déclaré le lieutenant-commandant Patrick Evans, porte-parole du Pentagone.

« Ces évaluations et les experts qui les effectuent revêtent un caractère absolument essentiel pour nos efforts, étant donné en particulier la nature incroyablement complexe des combats menés actuellement sur plusieurs fronts en Irak et en Syrie. »

« Les experts sont parfois en désaccord sur l’interprétation de données complexes ; la communauté du renseignement et le département de la Défense sont très ouverts à un dialogue sain sur ces sujets vitaux de sécurité nationale. »

Le membre du Congrès Brad Wenstrup a souligné qu’il était encore difficile de déterminer pourquoi ces renseignements avaient été déformés.

« Nous ne comprenons toujours pas complètement les raisons et les motivations sous-jacentes à cette pratique, pas plus que nous ne savons à quelle fréquence les analyses exclues se sont en fin de compte avérées correctes », a-t-il déclaré.

Les responsables du CENTCOM doivent rendre des comptes s’ils ont fait pression sur des analystes pour qu’ils déforment les informations sur la lutte contre l’État islamique, a demandé la sénatrice républicaine Kelly Ayotte, qui siège à la commission des forces armées du Sénat.

« Une stratégie réussie pour vaincre le fléau du terrorisme islamiste radical doit être fondée sur des faits, et non sur des évaluations flatteuses manipulées pour soutenir un récit politique », a-t-elle déclaré dans un communiqué.

Le CENTCOM est responsable des opérations militaires à travers le Moyen-Orient et en Afghanistan.

AFP | 12 août 2016
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Pascal Canfin : «Nous avons normalisé les relations entre la France et l'Afrique» | Mediapart

Pascal Canfin : «Nous avons normalisé les relations entre la France et l'Afrique» | Mediapart | Infos en français | Scoop.it

C'est un des nouveaux visages du gouvernement, qui a été choisi pour incarner une rupture, celle d'avec la Françafrique du vieux ministère de la coopération. À 37 ans, l'écologiste Pascal Canfin est bien loin de ces réseaux. Ancien journaliste àAlternatives économiques, ancien député européen spécialiste de la régulation financière, il œuvre désormais comme ministre délégué au développement. Avec une mission : mener, au-delà du symbole, un changement de politique à l'égard des pays du Sud. En 1981, François Mitterrand avait échoué : en 2012, la récente visite d'Ali Bongo à Paris constitue une première mise à l'épreuve. Entretien.

Vous êtes ministre depuis deux mois. Le changement de l’intitulé de votre ministère, de la coopération au développement, fait partie des symboles de la présidence Hollande. Comment cette rupture s’est-elle concrètement incarnée ?

Elle s’incarne en effet dans le nom du ministère, mais aussi dans mon profil et dans la dissolution de la cellule Afrique de l’Élysée, qui a été intégrée dans la cellule diplomatique. Quand François Hollande a reçu un certain nombre de chefs d’État africains, il leur a parlé sans tabou. Tous les sujets sont évoqués dans le cadre des relations bilatérales normales. Nous avons normalisé les relations entre la France et l’ensemble des Etats concernés, en Afrique et ailleurs. Et je m’occupe du développement en Afrique et ailleurs.

C’est une nouvelle étape qui correspond aux aspirations de tout le monde, à celles des Français, à celles des populations concernées et à celles des chefs d’État. On me compare souvent avec le changement opéré en 1981 par François Mitterrand, avec la nomination de Jean-Pierre Cot (resté à peine quelques mois). Mais le monde a changé depuis 1981. En Afrique, on n’est plus du tout dans une situation où les anciennes puissances coloniales ont leur champ réservé. La Chine, l’Inde, la Turquie, l’Afrique du Sud y sont actives. On va en Afrique anglophone, les Anglais vont en Afrique francophone. La France s’adapte, enfin, à cette nouvelle donne.

À l’inverse, quelle est la réaction des chefs d’État africains qui voient disparaître ce qui était pour eux un canal d’accès bien pratique au gouvernement français ou au chef de l'Etat?

Ils n’étaient qu’une poignée à le faire ! On ne peut pas résumer l’Afrique à quelques chefs d’État qui avaient leurs habitudes et ceux-là ont réagi en prenant acte du fait qu’ils devaient désormais s’adresser à la filière normale du Quai d’Orsay et de la cellule diplomatique de l’Élysée. Cela n’empêche pas qu’il y ait toujours une réunion hebdomadaire sur l’Afrique à l’Élysée à laquelle je participe parce que c’est une zone où la France est active, où elle a des intérêts et où il y a des crises, comme au Mali. Ce suivi est nécessaire, mais les procédures sont désormais normalisées.

On a pourtant vu défiler à Paris certains chefs d’États africains qui incarnent la vieille « coopération ». François Hollande devait-il recevoir Ali Bongo, sans recevoir les représentants de l’opposition ou de la société civile gabonaises ?

Les ONG gabonaises ont dit de cette visite, et je trouve cela assez positif, qu’elle était l’occasion de dire en face à Ali Bongo un certain nombre de choses. Le président de la République a saisi cette opportunité pour parler des droits de l’Homme, des élections et de la démocratie. La question est de savoir quel mode de relation est efficace avec des pays qui n’ont pas d’organisation démocratique. Parce que là, on parle de l’Afrique, mais on pourrait aussi parler de la Chine par exemple. Si on est dans le boycott, on n’a aucun levier et cela ne correspond pas à la réalité du monde. Si on est dans la surenchère et la polémique permanentes, on n’a aucun moyen de pression. Doit-on plutôt utiliser la relation bilatérale pour dire en privé ce qu’il faut dire ? Je pense que c’est la bonne ligne.

Vous avez vu les présidents sénégalais, Macky Sall, et guinéen, Alpha Condé. Vous aviez pourtant dit que vous ne verriez pas chefs d’État…

Mais de quoi ai-je parlé avec Macky Sall et Alpha Condé ? De sujets de développement. Quand je les ai rencontrés, il y avait aussi leur ministre des finances pour évoquer, par exemple, l’annulation des dettes, les projets que la France peut soutenir… C’est de ma responsabilité.

Mais vous n’avez pas vu Ali Bongo et votre cabinet a reçu des représentants d’ONG gabonaises… Pourquoi ?

Il n’a pas demandé à me voir et je ne l’ai pas non plus sollicité, parce qu’il y a effectivement un problème spécifique avec le Gabon. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas avoir de discussions. Par exemple, nous en avons d’assez poussées sur la protection de la forêt. Au nom des droits de l’Homme qui ne sont pas respectés dans ce pays, doit-on renoncer à travailler sur les questions forestières ? Je pense qu’il faut avoir, en privé, un discours ferme sur les droits de l’Homme et, par ailleurs, travailler ensemble sur certains dossiers. Je pousse aussi pour que les entreprises françaises agissent de manière transparente et qu’elles soient encadrées. C’est tout l’objet du texte discuté actuellement au niveau européen pour imposer la transparence aux grandes entreprises. Quand Aung San Suu Kyi est venue à Paris, elle a délivré deux messages principaux : “Venez investir pour conforter la transition démocratique, mais faites-le dans un cadre totalement transparent pour éviter les dérives”.

Pour éviter ce qui a pu se passer avec le groupe Total, accusé par plusieurs ONG d’exécutions, de travail forcé et de soutien à la junte militaire ?

Pour éviter les dérives. C’est une bataille extrêmement importante qui est en cours, celle de la transparence du cadre d’intervention des entreprises européennes. Elles n’y sont d’ailleurs pas toutes opposées : car la transparence protège celles qui ne veulent pas recourir à des pratiques opaques. Cela donne aussi une assurance pour tous les pays africains qui ne sont plus dans cette logique de mauvaise gouvernance et de corruption.

Le texte est actuellement en discussion à Bruxelles, mais c’est une directive qui ne sera pas opérationnelle avant un an et demi, deux ans…

Le texte est sorti il y a six mois. Il est actuellement en négociation au Parlement européen, et la négociation finale avec les États aura lieu à partir de la rentrée de septembre.

Mais peut-on imaginer d’ici là une loi française ?

Ce ne serait pas plus rapide que d’attendre la directive européenne ! Il faut au contraire se battre pour que celle-ci soit la plus ambitieuse possible. La position française est extrêmement claire : nous voulons un texte qui s’applique au maximum de secteurs économiques possibles, idéalement à l’ensemble des secteurs.

Cette directive permettra-t-elle de voir si une entreprise installée dans un pays verse des pots-de-vin ? Les flux financiers sont pourtant très complexes, avec les paradis fiscaux, les sociétés-écran...

Cette directive est un point d’appui. Je ne dis pas que, demain, en claquant les doigts, la corruption et les paradis fiscaux vont disparaître. Par ailleurs, cette discussion sur la transparence montre bien que la politique du développement ne se réduit pas à l’aide publique au développement. Pour moi, il s’agit aussi de regarder l’ensemble des flux financiers entre le Nord et le Sud. Ceux qui sortent de manière opaque voire illicite, dans le cadre de l’optimisation fiscale et des paradis fiscaux, représentent 10 fois le montant de l’aide publique au développement des pays de l’OCDE ! Si on n’élargit pas le champ du développement à ces questions qui n’étaient pas suivies par le ministère de la coopération, on passe à côté d’un enjeu essentiel.

Le récent rapport de la Cour des comptes sur la politique de développement montre que la France a de plus en plus souvent recours à des prêts – et de moins en moins à des dons, ce qui contribue à alourdir la dette des pays du Sud. Allez-vous renverser cette évolution ?

La part de l’aide qui passe par les ONG va doubler, c’est un engagement du président de la République et il sera tenu. Il s’est aussi engagé à revenir au niveau des dons de 2007. On le fera. Faut-il aller encore plus loin et modifier plus profondément la répartition entre les prêts et les dons ? Le sujet est plus complexe qu’il n’y paraît. Faire des prêts non concessionnels [des prêts sous conditions – ndlr] pour une centrale à gaz au Kazakhstan a un intérêt relativement limité pour une politique publique de développement. Mais il faut inventer, et on y travaille, des mixages entre les prêts et les dons.

Prenons l’exemple des infrastructures énergétiques : une de mes priorité absolues est de trouver les modalités pour soutenir massivement le développement des énergies renouvelables, comme le solaire en Afrique. Cela ne peut pas se faire uniquement par des dons car cela coûterait extrêmement cher au budget de l’État. Mais il ne peut s’agir non plus uniquement de prêts, car ces infrastructures ne peuvent pas encore être viables économiquement sans subventions.

Mais on a vu l’Agence française de développement (AFD)prendre des participations dans des sociétés détenues par les proches de dictateurs. Comment l’empêcher ?

Jusqu’à présent, l’Agence française de développement avait une tutelle de l’État assez éloignée. C’est d’ailleurs ce que dit le dernier rapport de la Cour des comptes. Ma responsabilité en tant que ministre du développement est d’exercer cette tutelle, c’est-à-dire avoir un regard politique et obtenir une transparence sur tous les projets. Ce n’est pas une logique de reprise en main mais d’exercice légitime de la tutelle sur un opérateur de l’État, dont la mission sociale est d’exercer la politique publique de développement. L’AFD n’est pas une banque privée autonome. Son directeur général est d’ailleurs satisfait de voir l’État parler de nouveau d’une seule voix dans ce domaine.

Faut-il changer l’actuel directeur général de l’AFD, Dov Zerah ? Au-delà de sa personne, il incarne une certaine pratique de la Françafrique avec laquelle vous voulez rompre.

Je ne me prononce pas sur sa personne. Sa politique, c’est celle de l’agence et de la tutelle. L’essentiel, c’est que l’on puisse travailler ensemble. Ce qui me poserait problème, ce n’est pas ce qu’il a fait dans le passé, mais ce qu’éventuellement il ne ferait pas dans le futur.

Quelles sont les priorités en matière de développement que vous souhaitez instaurer ?

La France est un des premiers bailleurs au monde dans le domaine de la santé, avec un budget d’un milliard d’euros par an. Il faut en faire une évaluation, notamment dans la lutte contre le sida, voir si la priorité aujourd’hui ce doit être les brevets, la distribution, ou bien l’aide à la création de systèmes de santé dans les pays concernés. Il ne s’agit pas de faire moins mais d’évaluer ce qui est le plus pertinent.

Viennent ensuite les enjeux de développement durable : l’aide publique au développement doit s’intégrer totalement dans la recherche d’un nouveau mode de développement dans le monde. Aujourd’hui 1,3 milliard d’humains vivent dans la pauvreté absolue et nous devons pouvoir vivre sur une planète aux ressources limitées à 9 milliards d’ici 2050. Pour l’instant, nous manquons d’une feuille de route mondiale, comme l’a montré l’échec du sommet de Rio. En même temps, pour la première fois, et c’est sans doute le principal acquis de ce sommet, on a créé des Objectifs du développement durable qui doivent aboutir d’ici 2015. Il faut maintenant les faire vivre pour que, dans trois ans, la communauté internationale se fixe pour la première fois des objectifs chiffrés, en matière d’énergie ou d’eau par exemple. Je compte bien apporter ma pierre à cet édifice.

Est-ce qu’il y a des priorités de développement géographiques, notamment autour de la Méditerranée ?

Dans les prochains mois, nous devrons trancher la question de l’élargissement du nombre de pays dans lequel l’AFD peut intervenir. À ce stade, je n’ai pas de religion sur le sujet. Je constate que, dans un contexte limité budgétairement, nous n’avons pas intérêt à diluer nos interventions. Mais j’entends aussi ceux qui disent que la France doit être universelle et intervenir partout.

Pour l’instant, là où la France a un vrai impact, c’est le sud de la Méditerranée et l’Afrique. Cela ne veut pas dire que l’on va s’interdire d’aller dans certains États – je pense à la Birmanie – qui connaissent une évolution à accompagner. Il faut être capable d’être flexible pour accompagner les nouvelles donnes politiques.

François Hollande a dit à plusieurs reprises qu’il voulait affecter la taxe sur les transactions financières au développement. Dans quelle proportion ?

Il est impossible de répondre précisément à cette question aujourd’hui, car cela dépend d’une négociation européenne. La France est sans doute l’État en Europe qui pousse le plus pour qu’une partie de la taxe sur les transactions financières reste affectée au développement, alors que d’autres pays n’y voient qu’une ressource pour leur propre compte. Quel sera le compromis final : 10 %, 15 %, 30 % ? Je n’en sais rien.

10 %, 15 %, 30 % : cela reste faible par rapport à l’ambition de départ.

Dans l’absolu, je suis d’accord avec vous. Sauf qu’aujourd’hui, pour que cette taxe voie le jour, il faut une coalition politique. Il faut agréger à cette coalition des gens qui pensent que cette taxe peut être utile pour diminuer leur déficit, ou contribuer au budget européen. C’est la réalité du monde ! Soit on dit : “On ne fera une taxe sur les transactions financières que si elle est affectée à 100 % au développement”, et il ne se passera rien. Soit nous faisons cette taxe avec trois objectifs : le budget européen, les budgets nationaux, et le développement. La répartition entre les trois émergera de la négociation.

Au sein de gouvernement français, notamment du côté de Bercy, il semble que l’on veuille affecter cette taxe à la résorption des déficits. Quel est l’état des débats au gouvernement ?

La priorité de Bercy est de réduire les déficits, mais ce n’est pas Bercy qui fait toute la politique du gouvernement français. Il faut attendre la fin de la discussion budgétaire. Je suis assez optimiste.

La procédure qui a été choisie pour mettre en place cette taxe sur les transactions financières est celle de la coopération renforcée. Or, elle est très longue. Il est difficile d’imaginer que cela aboutisse d’ici 2013.

Pas forcément. Il y a quand même eu une directive de la Commission européenne, basée sur des études de faisabilité et d’impact. Tout le travail technique a déjà été fait. La question est de savoir s’il y aura la volonté politique d’aller vite de la part des neuf pays (au minimum) qui choisiront la coopération renforcée. On peut penser que oui.

Pour caricaturer un peu, avec le retrait des soldats français d’Afghanistan, vous allez récupérer le bébé de l’implication française dans ce pays. Laurent Fabius a annoncé une aide de 230 millions d’euros sur cinq ans pour l’Afghanistan. C’est moins que ce que désiraient les Américains, mais c’est plus que ce que des conseillers de François Hollande souhaitaient durant la campagne.

Le retrait militaire d’Afghanistan ne signifie pas un désengagement politique. Cela passe donc par un renforcement de la coopération civile. C’est un renforcement non négligeable par rapport aux chiffres actuels de la coopération française en Afghanistan. Nous sommes en dessous d’autres États et il y avait une pression pour que l’on augmente notre participation, mais nous avons des contraintes budgétaires.

Cependant, si nous sommes disposés à participer à l’effort de la communauté internationale, nous avons des conditions pour que cette aide soit efficace. La première condition, c’est la sécurité. On ne peut pas dire : c’est trop dangereux pour nos militaires, mais ce n’est pas dangereux pour des enseignants, des magistrats, des archéologues, des infirmiers, etc. Une partie des opérations civiles est aujourd’hui sécurisée par l’armée française. Le jour où l’armée française n’est plus là, qui sécurise ces opérations civiles ? L’armée afghane ? D’autres ? Voilà la discussion que nous avons. Nous sommes en train de regarder précisément quels sont les projets qui peuvent continuer sans sécurisation de l’armée française.

La deuxième condition, c’est la capacité d’évaluer à quoi sert cette aide. Dans le passé, nous avons eu des mauvaises surprises. Envoyer de l’argent sur un territoire sans être capable d’évaluer à quoi il sert pose un problème de légitimité. Nous sommes donc en train de regarder quels sont les projets et les secteurs qui répondent aux deux conditions.

Est-ce que cela signifie que ce chiffre de 40 millions d’euros par an pourrait finalement s’avérer bien moindre ?

Nous sommes prêts à mettre ce montant, mais on ne le mettra pas n’importe comment et n’importe où. Aujourd’hui, personne ne le sait, mais l’Union européenne et les États européens sont le premier bailleur de coopération civile de l’Afghanistan, devant les États-Unis, avec 1,2 milliard d’euros par an. L’aide publique au développement représente 90 % du PIB de l’Afghanistan. C’est déjà massif. Il s’agit donc d’utiliser cet argent au mieux et de s’assurer qu’il ne se perd pas dans des tuyaux qui n’ont pas été prévus pour cela. Cela me semble plus important que de dire : “On va mettre 10 ou 20 millions additionnels chacun.”

Nous faisons le pari du renforcement de l’État afghan et de ses institutions. C’est pour cela que l’on peut imaginer davantage de coopération : l’hôpital français de Kaboul qui a mis en place des services de télémédecine particulièrement innovants, mais aussi la formation de juges, de douaniers, d’enseignants. Là, on construit du capital humain dans un cadre institutionnel. C’est extrêmement important pour la consolidation de l’état de droit.

Votre parti, Europe Écologie-Les Verts, fait partie de ceux qui ont défendu l’annulation de la dette de certains pays, notamment la Tunisie et l’Égypte. C’est un sujet que vous n’avez pas évoqué depuis que vous êtes ministre. Est-ce que la France milite pour l’annulation de la dette de ces pays ?

Il n’y a pas de position officielle qui consiste à aller plus loin que les engagements déjà pris dans le passé. En revanche, il y a un engagement très clair pris à l’égard des biens mal acquis, qui sont une petite partie, mais très symbolique, de cette question. Il n’y aura plus d’intervention particulière dans les procédures judiciaires, ce qui est un changement important avec les pratiques antérieures.

Vous étiez pourtant favorable à l’annulation de certaines dettes. Vous avez même signé des textes dans ce sens…

Oui, mais il y a une position interministérielle. Cela pose la question de notre rôle en tant qu’écologistes dans ce gouvernement. Nous faisons avancer des dossiers qui n’avanceraient pas, ou avanceraient moins, si nous n’étions pas là. Nous apportons une vision, mais nous ne sommes pas majoritaires dans ce gouvernement. C’est la réalité de la démocratie française. Le moment venu, nous ferons le bilan de savoir si nous avons plus réussi à pousser nos idées que ce que nous avons dû céder sur un certain nombre d’arbitrages.

C’est trop tôt pour faire un bilan de la participation des écologistes au gouvernement ?

Bien sûr ! Et il ne faut pas oublier toutes les décisions déjà prises par ce gouvernement, qui vont exactement dans le sens que nous, écologistes, souhaitons : augmentation de l’allocation rentrée scolaire, fin de la double peine pour ceux qui ont commencé à travailler jeune et qui ne pouvaient plus prendre leur retraite à 60 ans, blocage des loyers, mis en œuvre par Cécile Duflot, suppression du Cruiser insecticide, responsable de la disparition progressive des abeilles, etc. Et dans le collectif budgétaire, je retrouve une grande partie de notre projet fiscal : augmentation de l’impôt sur la fortune, modification des règles sur les prix de transferts pour éviter les abus dûs à l’optimisation fiscale des multinationales…

Pourtant, lors du remaniement, la seule décision majeure concernait le ministre de l’écologie, qui a changé d’affectation suite à des problèmes sur des permis de forages au large de la Guyane.

Ce que nous voulions obtenir concernant les forages, c’était la réforme du Code minier, une réforme indispensable pour modifier les conditions d’attribution des permis et d’exploitation des ressources. On va l’avoir. Cette histoire a été perçue comme une défaite de l’écologie, mais on a gagné la réforme du Code minier !

Laurent Fabius a parlé de sa volonté de promouvoir la diplomatie économique. De quoi s’agit-il ?

Nous avons un problème de déficit commercial. Il n’est donc pas illégitime que la diplomatie française travaille à le réduire. La mauvaise façon de le faire serait, en ce qui concerne le champ dont j’ai la responsabilité, de lier les aides publiques au développement à l’obtention de marchés pour les entreprises françaises. Mais si l’on peut développer notre aide dans des secteurs où il existe un savoir-faire français, comme l’assainissement ou les services urbains, avec des entreprises comme Alstom, qui construit des tramways, Veolia, ou Poma, qui construit des cabines de téléphériques à Rio ou en Colombie pour désenclaver les favellas, c’est une bonne chose. Ces réalisations sont utiles pour les gens, et il se trouve que ce sont des entreprises françaises qui les fabriquent. On ne lie pas les deux, mais il peut y avoir une cohérence sur laquelle je ne m’interdis pas de travailler.

Vous vous voyez partir en déplacement dans un pays étranger avec le PDG de Veolia ou d’Alstom ?

Si le service rendu correspond aux objectifs politiques que je défends, pourquoi pas ? Mais il ne faut pas se focaliser seulement sur les grandes entreprises, il faut aussi considérer les petites. J’ai demandé à ce qu’on me fasse remonter toutes les PME qui ne sont pas forcément connues par la diplomatie française, et qui sont capables d’offrir un service en phase avec les grandes orientations politiques que je défends en matière de villes durables, de développement agricole écologique, d’énergies renouvelables, etc. À partir du moment où la technologie et le savoir faire humain n’existent pas dans le pays où l’on intervient, il n’est pas honteux que cela soit une entreprise française qui s’en charge.

Vous savez bien que le vrai problème ce sont les conditions d’intervention de certaines entreprises françaises, le manque de transparence, etc. Par exemple, Alstom est impliquée dans plusieurs procédures judiciaires en Suisse par rapport à ses activités en Afrique.

C’est pour cela que l’on revient à la question de transparence. Si vous vous placez dans une perspective d’une offre économique favorable à un développement plus écologique, que vous ajoutez la transparence, et que vous n’impliquez pas seulement les grandes entreprises mais aussi les PME, cela fait un bloc cohérent en terme de valeur ajoutée pour les gens aidés et pour l’économie française. L’énergie, il faut bien la produire ! Si, localement, personne ne maîtrise le savoir-faire, ou si l’on peut avoir des accords de transferts de technologie, c’est une bonne chose que cela soit fait par des entreprises françaises. Par contre, il ne faut pas se retrouver dans la situation inverse où l’on bloquerait des projets parce que l’on n’aurait pas le savoir-faire, par exemple en matière d’énergies renouvelables.

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