Avec le programme Make our planet great again, Emmanuel Macron et Frédérique Vidal se vantent de mettre la recherche française au premier plan. Et d’annoncer ainsi douze nouveaux recrutements de chercheurs venus de l’étranger. Cela peut-il faire oublier la baisse historique du niveau de recrutement au CNRS ? Avec 250 postes seulement cette année, contre 400 en 2010. Dont 50 postes en moins sur décision brutale de la ministre Frédérique Vidal, imposée à Antoine Petit, le PDG du CNRS, qui prétend l’avoir demandé en public, un mensonge qui ne trompe personne dans la communauté scientifique. La poursuite d’une véritable démolition lente : depuis 2005, au total, 1.581 postes de scientifiques (chercheurs, ingénieurs, techniciens) ont été supprimés au CNRS.
Par Sylvestre Huet, 25.03.2019
"Les conséquences délétères de cette baisse drastique des recrutements sont nombreuses, mais une publication scientifique récente permet d’en prendre un exemple frappant. Avec cette publication (1) une équipe française (INRA, CIRAD et CNRS) met en défaut l’un des dogmes de la biologie en matière de virologie. Un dogme selon lequel, un virus, pour se répliquer dans les cellules d’un organisme vivant, doit effectuer toute cette réplication à l’intérieur d’une même cellule infectée.
Devant l’intérêt de cette découverte, les organismes de recherche n’ont pas hésité à la sélectionner, parmi des centaines d’autres publications parues la même semaine, pour en souligner l’importance auprès des journalistes. Le communiqué de presse de l’INRA explique ainsi que «ce résultat inédit va à l’encontre du paradigme fondateur en virologie, qui considère que le génome entier d’un virus pénètre et se réplique à l’intérieur d’une même cellule, puis passe à une autre cellule où il se réplique à nouveau, et ainsi de suite pour développer l’infection.» Le CNRS, lui aussi, se félicite de cette publication et met en avant «une première pour la biologie».
Stratégie virale
La stratégie du virus de plante étudié – il provoque des graves maladies sur les légumineuses – est en effet surprenante. C’est un virus dit multipartite (2) dont le matériel génétique est constitué de 8 segments génomiques, chacun niché dans une capside distincte. A l’inverse de la plupart des organismes vivants, les gènes composant le génome de ce virus sont séparés physiquement les uns des autres. Jusqu’à présent on pensait que tous les gènes d’un virus devaient être présents dans une seule et même cellule hôte pour qu’il puisse se répliquer. Or, les chercheurs ont découvert que ces segments pouvaient être répliqués, même quand la cellule infectée ne contient pas tous les segments viraux. Comment expliquer cette énigme biologique que seule une technique d’observation très minutieuse et sophistiquée pouvait mettre en évidence (la microscopie en fluorescence) ?
La réponse, qui rompt le dogme jusqu’alors en vigueur, est que même si chaque segment viral infecte une cellule distincte, les fonctions virales (réplication, mouvement etc.) sont assurées grâce à des échanges de protéines et/ou d’ARN entre les cellules infectées par les différents segments. La communication entre cellules infectées par des segments différents permet au virus d’être fonctionnel, non pas seulement à l’échelle de la cellule comme la majorité des espèces virales mais à l’échelle du tissu cellulaire.
Les scientifiques considéraient auparavant que les segments du génome viral devaient systématiquement se retrouver dans la même cellule, ces résultats prouvent le contraire. Comme les virus multipartites représentent environ 40% de tous les virus de plantes, cette découverte ouvre tout un champ de recherche nouveau qui pourrait se révéler utile en agronomie.
Travailler, publier, se faire virer
L‘équipe de dix scientifiques à l’origine de cette découverte fondamentale se trouve à Montpellier et est dirigée par Stéphane Blanc. Elle fait partie d’une Unité mixte de recherche, mêlant des scientifiques de divers organismes et universités réunis autour de projets de recherche de long terme, comme pour la plupart des laboratoires français. Rien d’original donc. Sauf que le troisième auteur de l’article, Romain Gallet, est bien connu des jeunes scientifiques qui se sont battus ces dernières années contre la précarité dans les laboratoires. Et que son histoire lamentable illustre les conséquences des politiques actuelles."
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[Image] Imagerie par fluorescence montrant deux segments différents du génome du virus, l’un en vert et l’autre en rouge, dans des cellules différentes de la plante hôte. Source INRA.