L’Anthropocène, cette nouvelle époque géologique déterminée par l’homme, s’est imposé comme la notion résumant la complexité des dégâts écologiques actuels. Mais le terme a gagné en popularité sans jamais être réellement défini. L’enjeu de son contenu est pourtant majeur car l’Anthropocène ne questionne ni plus ni moins que le récit de notre évolution. Et conditionnera donc le débat sur les solutions à la crise que nous traversons.
Récupération technocratique
« On peut très bien utiliser le terme d’Anthropocène pour désigner l’ampleur de la crise écologique. Mais il faut en même temps réintroduire une vision historique et, sans jeter l’anathème sur “Anthropocène”, apporter des éléments critiques pour offrir une pluralité de récits et d’héritages afin d’éviter une récupération technocratique », souligne Christophe Bonneuil. Depuis quelques années, des termes alternatifs à « Anthropocène » fleurissent tout en reprenant son suffixe : Phagocène, Thermocène, Plantationocène, Occidentalocène… Les auteurs de l’Atlas de l’Anthropocène en ont recensé plus de cent ! Chacun souligne un aspect particulier du problème actuel. Le plus usité d’entre eux demeure celui de Capitalocène. Jean-Baptiste Fressoz et Christophe Bonneuil en font l’un des récits développés dans L’événement Anthropocène en analysant comment le capitalisme industriel a été précédé et « intensément préparé » par un capitalisme marchand. Pour eux, ce dernier avait déjà structuré le monde de façon inégalitaire avec la colonisation, préparant l’accaparement des ressources des pays pauvres et le rejet vers eux des dégâts environnementaux.
« Parler de Capitalocène signale que l’Anthropocène n’est pas sorti tout armé du cerveau de James Watt » comme le suggère Paul Crutzen, « mais d’un long processus historique de mise en relation économique du monde, d’exploitation des hommes et du globe, remontant au xvie siècle et qui a rendu possible l’industrialisation », écrivent-ils, souhaitant par ce récit sortir de l’histoire jugée « très européo-centrée » de l’Anthropocène."
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[Image] Illustration : Lola Tinnirello
"Si le terme Anthropocène a écrasé les autres, ces « histoires de l’Anthropocène » doivent donc permettre d’éviter que le triomphe d’un récit unique n’offre le pouvoir à une caste de héros – scientifiques, ingénieurs, dirigeants – qui, seuls, auraient les clefs pour trouver la solution au nom de l’humanité. Comme en démocratie, le meilleur rempart contre un pouvoir autoritaire ne réside-t-il pas dans le pluralisme ? Jean-Baptiste Fressoz et Christophe Bonneuil revendiquent en tout cas des récits pour « reprendre politiquement la main » sur les choix qui ont conduit à l’Anthropocène, et ainsi « se libérer d’institutions répressives, de dominations et d’imaginaires aliénants ». Ce qui nous offre au moins une certitude : débattre de l’Anthropocène revient à définir bien plus qu’une époque géologique."
Youness Bousenna