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« L’envers des mots » : Écocide

« L’envers des mots » : Écocide | Insect Archive | Scoop.it
Si la Convention citoyenne pour le climat a proposé la création d’un crime d’écocide, la loi climat-résilience du 22 août 2021 en a retenu une définition beaucoup plus restrictive et technique.

 

Publié: 19 mars 2023, 17:15 CET

Louis de Redon

Maître de conférences HDR en droit de l’environnement, AgroParisTech – Université Paris-Saclay

 

Depuis 1810, le Code pénal dispose de l’interdiction de certains comportements qui peuvent porter atteinte à trois matérialités : les personnes (Livre II), les biens (Livre III) et l’État (Livre IV). Ainsi, quiconque enfreint un interdit posé par la loi s’expose à des sanctions… L’objectif est triple :

  • anticiper les comportements que l’on souhaite éradiquer de la société en brandissant le glaive de la justice (vertu préventive de la peine) ;

  • sanctionner ceux qui franchissent le Rubicon malgré la menace (vertu réparatrice de la peine) ;

  • éduquer les délinquants aux fins d’éviter la récidive (vertu pédagogique de la peine).

 

Ainsi le droit pénal a la lourde tâche de fixer des limites à nos actions : ce que la société accepte, tolère et rejette. Et c’est donc naturellement, au cœur d’un anthropocène théorisé et assumé, que la question des atteintes portées à l’environnement a été, petit à petit, intégrée à la matière pénale depuis le début des années 1970.

 

En cette nouvelle ère géologique caractérisée « par l’avènement des hommes comme principale force de changement sur Terre, surpassant les forces géophysiques », dire les atteintes causées à l’environnement que la société accepte, tolère et rejette. Avec tout ce que cela emporte de subjectivité et de plasticité dans le temps : ce que l’on acceptait hier peut être encore toléré aujourd’hui, avant d’être probablement rejeté demain.

 

[L’écocide serait le fait de « tuer notre habitat », c’est-à-dire de détruire les écosystèmes qui constituent notre matrice existentielle. Shutterstock]

 

Cette pénalisation fragmentaire et évolutive des atteintes à l’environnement a conduit à une forme d’inefficacité. On punit peu et on punit mal. Ainsi, face à des destructions d’écosystèmes entiers par les activités humaines, la nécessité de définir une incrimination spécifique ayant pour objet de prévenir les atteintes majeures à l’environnement, et de punir sévèrement les auteurs de ces atteintes, s’est imposée auprès de nombreux juristes, écologues, sociologues et philosophes. Il s’agit de dire par la création d’une nouvelle infraction qu’il y a des comportements anti-écologiques que la société entend proscrire du vivre ensemble.

 

Ainsi, depuis la seconde moitié du XXe siècle, un véritable combat pour la reconnaissance et la sanction de l’écocide a été portée par les activistes écologistes. Mot-valise constitué du préfixe « éco- » (du grec « oikos », « maison, habitat ») et du suffixe « -cide » (du latin « caedere », « tuer »), l’écocide – par analogie avec homicide (le fait de tuer un homme) – est donc le fait de « tuer notre habitat », c’est-à-dire de détruire les écosystèmes qui constituent notre matrice existentielle. En y ajoutant l’intentionnalité, l’écocide il peut être considéré comme l’« assassinat de notre environnement » dans la mesure où le caractère volontaire et prémédité de nos actes est de moins en moins à mesure que les scientifiques nous alertent.

 

Ainsi, début 2021, la Convention citoyenne pour le climat a proposé dans son rapport final la création d’un crime d’écocide (proposition SN 7.1.1). Intégré au Livre V du code pénal (« Autres crimes et délits »), un Titre III disposerait « Des infractions en matière d’environnement » incluant – notamment – un nouvel article établissant l’écocide comme

« toute action ayant causé un dommage écologique grave consistant en un dépassement manifeste et non négligeable d’au moins une des limites planétaires et dont l’auteur savait ou aurait dû savoir qu’il existait une haute probabilité de ce dépassement ».

Cette infraction serait punie de vingt ans de réclusion criminelle et d’une amende de 10 millions d’euros dont le montant pourrait être porté à 20 % du dernier chiffre d’affaires connu à la date de la commission des faits et en fonction des avantages tirés.

 

Finalement, la loi climat-résilience du 22 août 2021 a retenu une définition beaucoup plus restrictive et technique : intégré au Code de l’environnement, l’écocide constitue le fait, « en violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » (art. L. 231-1 C. env.) et « lorsqu’il est commis de manière intentionnelle » (art. L. 231-3 C. env.), « d’émettre dans l’air, de jeter, de déverser ou de laisser s’écouler dans les eaux superficielles ou souterraines ou dans les eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales, directement ou indirectement, une ou plusieurs substances dont l’action ou les réactions entraînent des effets nuisibles graves et durables sur la santé, la flore, la faune […] » ; la peine étant de dix ans d’emprisonnement et l’amende pouvant être portée à 4,5 millions d’euros jusqu’au décuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction.

 

Une formulation très imparfaite mais une formulation qui permet tout de même une première reconnaissance juridique de l’écocide… En attendant une définition plus simple, plus large, plus pédagogique et plus efficace au sein d’un nouveau livre du code pénal dédié spécifiquement à la protection de notre environnement si fragile et si menacé ?

 

Cet article s’intègre dans la série « L’envers des mots », consacrée à la façon dont notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte à mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ?

 

De « validisme » à « silencier », de « bifurquer » à « dégenrer », nos chercheurs s’arrêtent sur ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public.

 

À découvrir aussi dans cette série :

« L’envers des mots » : Quantique

« L’envers des mots » : Flow

« L’envers des mots » : Neuromorphique

justice climatique

anthropocène

protection de l'environnement

écosystèmes

urgence écologique

droit pénal

« L’envers des mots

 

À lire aussi : Peut-on éviter de détruire la nature ?

 

[Image] La question des atteintes portées à l’environnement a été, petit à petit, intégrée à la matière pénale depuis le début des années 1970. Shutterstock

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La Tête au carré. Par Mathieu Vidard, 26.03.2019

 

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Écocide et droit de la Nature | Insect Archive | Scoop.it
... Le terme « écocide » vient du grec oikos, qui signifie « maison » ou « habitat » et du latin occidere, qui veut dire « tuer ». Littéralement, l’écocide fait donc référence aux atteintes particulièrement nocives portées à la nature. Le terme a été utilisé, pour la première fois, en 1966, afin de qualifier les dégâts causés par l’agent orange utilisé au Vietnam par les États-Unis.

Le mouvement End Ecocide on Earth a travaillé à la conceptualisation de l’écocide dans le domaine du droit. Il définit l’écocide comme « “un dommage ou une destruction généralisée qui aurait pour conséquence une altération significative et durable des communs planétaires ou des systèmes écologiques de la Terre” – desquels dépend tout être vivant de manière générale et le genre humain en particulier – et conformément aux limites planétaires reconnues ».

De manière générale, l’incrimination de l’écocide constitue un débat ouvertement tenu dans la sphère du droit pénal international. Son émergence accompagne un mouvement plus large qui consiste dans la reconnaissance de divers droits à la nature, et dans le déplacement du droit de l’environnement vers un droit écologique. L’incrimination de l’écocide repose donc sur un changement fondamental de perspective dans le champ juridique : là où le droit de l’environnement cherche à protéger la nature tout en promouvant une vision anthropocentrée de sa protection (l’homme se situe au centre d’un ensemble qui constitue son environnement et qui doit être régulé pour lui et par rapport à lui, à ses besoins et aux usages qu’il compte en faire), le droit écologique propose de concevoir la science juridique comme un instrument permettant de protéger les écosystèmes pour eux-mêmes, et de concevoir l’homme, non plus comme leur coeur, mais comme l’un de leurs nombreux composants.

(...)

 

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