par Vincent Noce
Il était devenu l’expert de référence et un des dirigeants historiques du syndicat des antiquaires.
Avec la disparition de Patrice Bellanger, décédé d’un cancer à 68 ans, c’est toute une mémoire de la sculpture qui s’en va. Son inhumation est annoncée au Père Lachaise mercredi 19 février à 11 heures.
Né trois mois après la libération de Paris en 1944, ayant commencé comme brocanteur à 21 ans, il avait ouvert sa première galerie quartier Saint Germain à trente ans. Ce fut le choix d’une vie, consacrée à la sculpture ancienne, qu’il connaissait comme personne. Terre cuite, marbre, plâtre ou céramique, il avait le goût des matières. Aussi bien, il pouvait disserter avec la même passion de l’histoire de la majolique ou de Sèvres. Il était devenu l’expert de référence et un des dirigeants historiques du syndicat des antiquaires. Sur ses stands, à la Biennale des antiquaires, on trouvait les plus émouvants exemplaires de cette création du XVe au XIXe siècles, pas forcément signées de grands noms. Il avait notamment été le premier à rendre hommage aux bacchantes de Joseph Marin, élève de Clodion, et aux figures torves de Jean Carriès.
En revanche, la production en série l’embêtait, il laissait plutôt le bronze à d’autres, hors quelques incursions du côté de la Renaissance («quand les artistes pensaient en bronze», disait-il) voire des curiosités des années trente. Il n’avait pas sa langue dans sa poche, et il se montrait exigeant au besoin, si bien qu’il s’était fait quelques inimitiés, mais il était unanimement respecté pour ses connaissances et sa probité en tant que marchand.
Son engagement ne manquait pas de courage. En dépit de sa séduction, et des efforts déployés par des indépendants comme lui et quelques conservateurs comme Anne Pingeot, le statut de la sculpture est resté difficile, loin derrière le prestige conféré à la peinture. Du temps de Michel Ange, il y avait débat... et c’est vers cette époque qu’il préférait se tourner.
Son négoce connut des hauts et des bas, d’autant qu’«il n’était pas seulement question pour lui de vendre du Houdon; il voulait montrer que, dans la période, il pouvait trouver une centaine d’artistes de mérite», raconte l’historien de l’art Philippe Bordes. Ses prix n’étaient pas stratosphériques, et il ne faisait rien pour s’adapter au nouveau chic clinquant de la déco new-yorkaise. Chaleureux, passionné, cigarette au bec, s’évertuant à dissimuler une calvitie obstinée, il avait fait de sa galerie un cabinet d’érudition ouvert à tout curieux. «Sa bibliothèque était toujours accessible aux chercheurs», témoigne Philippe Bordes qui en a bien profité, ainsi que du stock de la galerie, quand il formait la collection du musée de la Révolution française à Vizille (Isère). Sa bibliothèque, son trésor. «Sa passion première allait au livre, témoigne Catherine Dolin-Dolcy, qui a travaillé en tandem avec lui pendant plus de trente ans, il pouvait laisser partir les statuettes sans regret, il n’aurait jamais prêté un ouvrage».
En 2000, Patrice Bellanger avait fait le pari risqué de reprendre le grand lieu de l’ancienne galerie Cailleux au faubourg Saint Honoré. Au printemps dernier, il avait monté une exposition commune de peinture et sculpture du XVIIe avec son confrère et voisin, Eric Coatalem. Pour ce dernier, cette perte ouvre «un vide affreux sur le savoir de la sculpture». Hélas, Patrice Bellanger n’avait pas suffisamment consacré de temps à l’écriture pour léguer tout son savoir.
Dernièrement, ayant souhaité se replier sur un espace plus modeste, il avait échangé ses locaux avec ceux de Coatalem. L’aménagement de sa nouvelle boutique, que va continuer de tenir Catherine Dolin, s’est terminée deux jours avant sa mort, «une dernière élégance de sa part», dit-elle. Il a ainsi clos sa maladie, qui s’était déclarée peu après la perte de son fils.