Des cheffes d'entreprise témoignent de leur parcours d'entrepreneur | La lettre de Toulouse | Scoop.it

Elles restent souvent sous-représentées dans le haut des organigrammes. Ces cheffes d’entreprises ont pourtant réussi à se hisser « numéro une » et témoignent de leur parcours, de leurs difficultés. Elles nous livrent aussi les clés d’un leadership au féminin.

 

Avez-vous rencontré des difficultés pour créer votre entreprise ou en prendre les commandes ?

Sophie Berdoues (Groupe Berdoues, parfums et cosmétiques, 100 salariés) : J’ai repris le groupe en 2009 et je me retrouvais la première femme à la tête de l’entreprise créée par mon arrière-grand-père en 1902. Je devais prouver à mon père que j’étais capable de la diriger. En vingt ans, j’ai occupé tous les postes dès la fin de mes études de pharmacie. J’ai donc été bien acceptée. Clémence Brachotte (Mapaero, fabricant de peintures aéronautiques, 120 salariés) : Mon père, le fondateur, m’a donné l’opportunité de comprendre son entreprise. Je suppose qu’il avait un but de transmission, moi non. J’ai démarré au standard, puis je suis passée par tous les services. J’ai donc assis ma légitimité, avant d’être nommée présidente.

Corinne Mascala (université Toulouse Capitole, 1500 salariés)  : Nous sommes dix présidentes sur quatre-vingt-huit universités françaises. Lors de la campagne, la question était de savoir si j’avais les épaules, et non pas les compétences. Je me suis défendue par un programme et une vision. Je me suis sentie mise à l’épreuve, surtout par les bruits de couloirs, des lettres anonymes et des procédés d’intimidation peu élégants.

Sophie Garcia (présidente Medef Occitanie, directrice générale PSL (sécurité incendie), quatorze salariés)  : Quand j’ai créé la société il y a dix-sept ans, les investisseurs et les banquiers étaient rassurés de voir le projet porté par une femme. Il y a une espèce de confiance qui s’installe comme quand on dit que les filles travaillent mieux à l’école.

Caroline et Sophie Monné (Caso Patrimoine, foncière immobilière, quinze salariés) : Notre père Robert Monné, qui a fondé Caso Patrimoine en 2002, nous a fait confiance et nous a laissées libres. Il reste toujours disponible si nous avons des questions à lui poser. Avec son appui, nous sommes plus légitimes.

Carole Zisa-Garat (Telegrafik, services IOT pour de nouvelles offres de téléassistance, douze salariés) : Être une créatrice d’entreprise dans les nouvelles technologies a été un atout car j’étais visible. Mais lors d’une levée de fonds, j’ai senti une différence de regard. Je présentais mon projet de manière pragmatique, étapes par étapes quand les hommes vendent plus facilement la lune aux investisseurs. Cela a joué contre moi car le projet pouvait apparaître moins ambitieux.

 

Avez-vous eu la confiance de l’écosystème entrepreneurial ?

Sophie Berdoues : En 2009, lors de la transmission, le contexte de crise était difficile. Il m’a fallu renégocier avec les banques et les fournisseurs. Le fait d’être une femme a joué dans les deux sens : je ressentais parfois un manque de crédibilité mais aussi souvent, un regard plus indulgent, presque affectif ou amical.

Clémence Brachotte  : Être "fille de" ne m’a pas servi à mon arrivée. J’ai senti la méfiance des salariés. Ils me testaient Désormais, mon statut joue en ma faveur. Par contre, c’est compliqué de trouver sa place dans les milieux industriel et aéronautique, dominés par les hommes. Nous ne sommes pas à l’abri de remarques.

Corinne Gaillard (Centre de développement chorégraphique national de Toulouse, neuf salariés)  : Les tutelles m’ont choisie et soutenue car elles sont sensibles aux candidatures de femmes si elles tiennent la route. Comme la culture est encore très inégalitaire au niveau des postes à responsabilité, il y a du retard à rattraper.

Corinne Mascala  : Le personnel administratif et les étudiants ne se sont pas posé la question de ma légitimité. Mais mes collègues enseignants, les maîtres de conférences et surtout les professeurs, oui. Mon adversaire, un homme, a même utilisé mon genre comme un argument de campagne. Du côté des entreprises et des collectivités, j’ai eu un soutien sans faille.

Caroline et Sophie Monné  : Nous avons été cataloguées « idiotes » et « filles » de par des clients. Peut-être parce que nous étions de jeunes héritières. Nous sommes mamans et il nous arrive de partir plus tôt pour récupérer nos enfants. On sent encore du dédain de la part d’avocats et de clients sur les chantiers.

Carole Zisa-Garat : Les salariés me font confiance. C’est plutôt du côté de certains fournisseurs, comme ce fabricant de capteurs lituanien, que l’étonnement s’est manifesté. J’ai aussi subi quelques remarques machistes de certains clients.

 

 

À votre tour, faites-vous la promotion de l’égalité femmes-hommes dans votre entreprise ?

Sophie Berdoues  : Il y a 60% de femmes dans l’entreprise. Notre comité de direction compte quatre femmes et un homme. Et il n’y a pas d’écarts de salaires femmes-hommes à compétence égale.

Corinne Gaillard  : Le ministère de la Culture défend la parité et il y a une commission sur ce sujet. Je n’ai donc pas vraiment besoin de faire la promotion de l’égalité. D’autant que notre conseil d’administration est déjà paritaire. Nous avons embauché des techniciennes. Chez nous, les deux plus petits salaires sont des hommes, à temps partiel.

Sophie Garcia  : Il y a un vrai souci sur ces questions. Mais je n’irai pas juqu’à la parité car lors des dernières élections à la CCI (novembre 2016) on a fait sortir des hommes de valeur. On tombe dans le travers inverse. Pourquoi avoir 50% de chefs d’entreprises en terme de représentation alors qu’on ne pèse que 14% des chefs d’entreprise ? Je suis davantage pour l’égalité que pour la parité.

Emma Haziza (Mayane, spécialisée dans la prévention des risques climatiques, cinquante salariés) : Nous faisons toujours nos choix de recrutement en fonction des personnes et des valeurs qu’elles dé- gagent, sans particulièrement être focalisés par la notion de quotas et les choses se répartissent de manière assez juste avec un équilibre qui se crée naturellement. Cependant, actuellement, nous avons un léger déséquilibre avec un nombre de femmes plus important que d’hommes.

Corinne Mascala  : L’université est un monde dans lequel la grille de salaires est équitable et la parité imposée dans les conseils. Mais il faut surtout veiller à l’égalité chez les étudiants et dans le fonctionnement de l’université. J’essaie de motiver les maîtresses de conférences à aller vers le professorat car elles y sont moins nombreuses. Il faut encourager les femmes à préparer les concours administratifs.

Caroline et Sophie Monné : Sur les quinze salariés, douze sont des femmes. Nous sommes attentives au temps de travail des mamans et à leurs horaires. Nous ne leur mettons pas la pression. Mais nous aimerions qu’il y ait davantage d’hommes.

 

Vos conseils pour déjouer les pièges ? Etes-vous membres de réseaux, clubs d’affaires ?

Sophie Berdoues  : Il faut mener une carrière à l’égal des hommes, avec l’obligation de travailler autant. Un partage des tâches domestiques est nécessaire, tout comme dire aux jeunes filles que tout est possible. Concernant les réseaux, j’ai intégré la CCI de Toulouse. Ces élections se sont déroulées au forceps car il fallait appliquer des quotas. Sur une soixantaine d’élus, une trentaine d’hommes ont dû être écartés. Le regard fut ensuite ironique sur notre légitimité ou compétence.

Clémence Brachotte  : La femme doit prendre sa place, avec des risques, car elle a tout à y gagner.

Corinne Gaillard  : Je pense que les femmes doivent veiller à ne pas s’auto-censurer. Je l’ai fait moi-même. Aujourd’hui, je préfère m’affirmer en douceur.

Sophie Garcia  : Le fait d’imposer des femmes dans les CA et les institutions fera bouger les choses, les hommes vont être challengés, le ménage va être fait. Un homme qui n’est pas compétent ou pas à sa place cela se verra. Ce qui manque dans les clubs de chefs d’entreprises femmes… ce sont les hommes  : la diversité et les échanges avec les hommes sont importants .

Corinne Mascala  : Il faut peut-être arrêter de s’attarder sur le sexe, et raisonner en compétences. Les réseaux permettent un partage d’expériences. Ils sont importants une fois qu’on est en fonction. J’appartiens à la coordination des universités de recherche intensive françaises (CURIF) mais pas à des clubs de femmes.

Caroline et Sophie Monné : La femme doit être épaulée par son conjoint à la maison. Nous, notre force est d’être deux afin de se relayer pour gérer l’entreprise.

Carole Zisa-Garat : Il faut forcer des quotas dans les comités de direction intermédiaires et pas seulement aux conseils d’administration, inciter aussi les médias à inviter plus d’experts féminins. Je crois beaucoup au mouvement #JamaisSansElles, porté par des décideurs qui refusent de participer à des débats si des femmes n’y sont pas invitées.


Propos recueillis par Philippe Font, Isabelle Meijers, Armelle Parion et Audrey Sommazi.