Après un premier échec et un détour par l'Ariège, l'homme d'affaires Bruno Granja fait une deuxième tentative pour implanter des studios de cinéma près de Toulouse.
Bruno Granja en riant prévient : « L'histoire paraît folle mais c'est la réalité ». Un jour, cet inconnu de 40 ans, architecte de formation, s'est envolé pour l'Amérique et a convaincu Hollywood d'ouvrir des studios de cinéma en Haute-Garonne. A Toulouse, il est un des rares à croire encore en son histoire et à en rire. Deux fois, il a réussi à entraîner derrière lui les décideurs locaux, mais les studios promis ont disparu dès qu'il s'est agi d'argent. Un grand naïf passionné par le cinéma, un petit malin flairant les bons coups immobiliers ? Ceux qui l'ont croisé s'interrogent, mais tous envient son culot. « Il vendrait un sèche-chaussettes à un cul-de-jatte », résume l'un d'eux.
L'histoire commence en 2011, avec la vente d'une partie de l'ancienne base aérienne militaire de Francazal, 25 hectares de terrains et de hangars à la sortie de Toulouse. Pour Bruno Granja, c'est un déclic : « Prenez une photo de Francazal aujourd'hui et une des studios Warner Bros en 1910, c'est un copier-coller. » Il voit déjà la quinzaine de plateaux, les milliers d'emplois, la centaine de millions d'euros investis, les stars atterrissant sur les pistes de la base, les touristes. « J'ai pris mon ordinateur, j'ai écrit à tous les studios. Un mois après, j'étais aux Etats-Unis. »
Il en revient avec un partenaire puissant, Raleigh Studios, dont les plateaux ont accueilli les productions Marvel ou le dernier Die Hard. Les élus et La Dépêche du Midi se mettent à rêver. Bercy suit le dossier de près. Seuls les professionnels s'alarment : la France a déjà du mal à remplir ses studios. « Le cinéma a un côté “tapis rouge à Cannes” qui peut faire oublier le sens commun le plus élémentaire », ironise Thierry de Segonzac, président de la Ficam, la fédération des industries techniques du secteur.
Fin 2012, à la clôture de l'appel d'offres, le dossier de Granja est vite rejeté par la préfecture de Haute-Garonne : non seulement le prix qu'il propose pour la base de Francazal est insuffisant, mais rien ne prouve qu'il dispose des fonds annoncés. Les Américains, reçus avec les honneurs à Toulouse, n'ont pas investi un dollar. Leur version est moins « folle ». Bruno Granja serait simplement venu leur commander une étude de marché. Si son projet avait abouti, ils se seraient contentés d'une franchise, une part du chiffre d'affaires contre le droit d'utiliser leur marque. « Ces négociations n'ont jamais dépassé les phases préliminaires », affirme le patron de Raleigh, Mark Rosenthal.
De l'argent a pourtant circulé : les comptes de la société créée par Granja, Explore Entertainment, annoncent à l'époque 2,1 millions d'euros de chiffre d'affaires, d'origine inconnue. Ses autres sociétés, vendant des tondeuses à gazon, des piscines de jardin ou des fleurs, sont en liquidation judiciaire, mais ses nombreux soutiens ne s'en étaient pas inquiétés. Début 2013, le projet de Granja rebondit dans l'Ariège : à Pamiers, 25 hectares sont disponibles dans la zone d'activité économique. La ville accélère les travaux de voirie et d'électricité pour accueillir le nouvel Hollywood.
« Un marchand de boniments »
Le maire, André Trigano, connaît le monde des affaires : son frère Gilbert a créé le Club Med, lui a fait fortune dans les campings. Il réclame une caution : « Il m'a promené pendant un an et demi. C'est un marchand de boniments. » Granja a vite oublié l'Ariège. Il délocalise sa société à Las Vegas, chez un autre partenaire américain, Donald Bredberg. Ce consultant immobilier connaît surtout les studios par leurs à-côtés, pour avoir géré un temps les attractions pour touristes d'Universal. Son nouveau projet, explique-t-il, est justement d'ouvrir des sites mêlant cinéma et loisirs, dans le monde entier : Granja est chargé de prospecter l'Europe et l'Afrique. Il n'en oublie pas sa région.
Au début de l'année, il réapparaît à Fontenilles, 5 000 habitants, à une vingtaine de kilomètres de Toulouse. « Cette fois, on a la maîtrise du foncier », se réjouit-il : 40 hectares encore classés en zone agricole sur lesquels seront construits, à partir de 2017 si tout va bien, les studios et « une zone résidentielle ». Il ne reste plus qu'à boucler le montage financier, mystérieux, conclure la vente du terrain, en suspens, et modifier le plan local d'urbanisme. « J'attends des certitudes », résume la maire de Fontenilles, Fabienne Vitrice. Ce ne sera bientôt plus un rêve, assure Granja : « Airbus, qui y a cru au départ ? Si des gens n'avaient pas continué à rêver malgré les coups de savate qu'ils se prenaient, où serait la France ? »
- François Krug