France - « Renseignement » :  une loi dangereuse ... dont « l’antiterrorisme » n’est pas le seul but | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

France - « Renseignement » :

 une loi dangereuse

... dont « l’antiterrorisme » n’est pas le seul but 

Par Patrice de Plunkett (*)

 

L’opposition se garde de critiquer la « loi renseignement », conforme au tropisme sécuritaire qui constituait la seule originalité de la droite. (Originalité dont elle vient d’être privée par la gauche, ce qui accentue encore leur ressemblance**). Cette loi est dangereuse ; elle sera inefficace contre le terrorisme. Mais l’antiterrorisme est-il son seul mobile ?

 

La loi Valls-Cazeneuve est dangereuse. C’est une version tardive de la loi Bush du 26 octobre 2001. Votée dans la panique post-11/09, cette loi Bush concrétisait en fait une ambition antérieure : instaurer la Total Information Awareness (surveillance de tous par la Machine). Le concept de cette surveillance n’est pas humain. Il est algorithmique. L’idée est que les « comportements terroristes » ont une « signature » paramétrable : « Si Bill et Ted habitent à la même adresse, louent un camion et achètent de l’engrais à base de nitrate d’ammonium (qui peut servir à faire pousser des patates, mais aussi à confectionner une bombe artisanale), alors ils se mettent à présenter un « motif comportemental » suspect, et l’algorithme sonne l’alerte... *** »

 

Le problème ici est que les paramètres entrés dans l’algorithme-espion s’appliquent non seulement à d’hypothétiques terroristes, mais à tous les agriculteurs des États-Unis !  Espionner les populations selon des paramètres algorithmiques ne mène qu’à un Niagara de fausses pistes et d’erreurs policières.

 

La loi Valls-Cazeneuve sera inefficace comme le fut la loi Bush. Le terrorisme aujourd’hui est individuel, mobile, furtif, mutant ; les véritables terroristes s’abstiennent de communications électroniques pour préparer leurs attentats. Ils échappent ainsi au paramétrage algorithmique : celui-ci aboutit (selon la formule du juriste et politologue US Jeffrey Rosen) à « chercher dans une botte de foin une aiguille dont la forme et la couleur ne cessent de changer ». Au bilan de dix ans d’espionnage téléphonique des citoyens, et en ayant ainsi brassé des millions de données, les agences fédérales US n’auront abouti qu’à une seule piste avoisinant le terrorisme : un habitant de San Diego qui avait envoyé 8 500 dollars à un groupe somalien... Ce sera la même chose en France avec la loi Valls-Cazeneuve.

 

Mais le terrorisme est-il vraiment le premier souci de ces lois ? Non, avoue Michael Hayden, ex-directeur de la NSA : « Nous avons beaucoup d’autres motivations... »  Edward Snowden le constatait : « Ces programmes n’ont jamais été conçus en réaction au terrorisme. Il s’agit d’espionnage économique, de contrôle social et de manipulation diplomatique. C’est une question de pouvoir. »

 

Les moyens intrusifs (et sans contrôle judiciaire) donnés aux services spéciaux ne sont pas adaptés à l’antiterrorisme, mais ils frappent de plein fouet les activités politiques non clandestines et la vie privée des citoyens : c’est le véritable objectif du plan de Total Information Awareness.

 

Et si la classe politique exécute ce plan, c’est que les intérêts économiques l’y poussent... J’explique ça dans le livret développant ma conférence « Cathos, écolos, mêmes combats ? » qui va paraître chez Peuple libre (Lyon) : « Les gourous du numérique font pression sur les gouvernements pour qu’ils commercialisent les données profilant leurs administrés... Les services d’État auront les moyens de nous pister dans notre vie quotidienne de « connectés » ; et, ainsi informés, de nous infliger des réglementations calculées par algorithmes. Moins l’Argent laissera à l’État de prise sur la vie publique, plus l’Argent obligera l’État (et/ou l’aidera) à contrôler la vie privée. »

 

D’où est venue l’idée du paramétrage algorithmique ? Du data mining des commerciaux : le chalutage électronique aléatoire de clients potentiels. Les politiques n’imaginent pas que leur domaine puisse être différent de celui des commerciaux : ils ont donc adopté ce « modèle de recherche », qui ne correspond pas au problème concerné. Voilà une preuve supplémentaire de l’aliénation du politique au business ; aliénation qui est la cause de la dégénérescence des partis, de l’abstentionnisme des électeurs, et plus généralement de l’inefficacité des gouvernements dans le contexte actuel.

 

 

Par Patrice de Plunkett (*)plunkett.hautetfort.com - le 15 avril 2015.


Notes :

(*) NDLGazette : Patrice de Plunkett est un journaliste et essayiste français, qui codirigea le Figaro Magazine… (Source Wikipédia)

http://fr.wikipedia.org/wiki/Patrice_de_Plunkett

(**) C’est un fait. Le constater n’est pas un parti-pris.

(**) Grégoire Chamayou (auteur de Théorie du drone, La Fabrique 2013), Libération 15/04.