Il y a deux sortes de tueurs en série : les organisés, et les inorganisés... | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

 

 

Il y a deux sortes de tueurs en série :

les organisés, et les inorganisés...

 

Les premiers profilers disaient, il y a deux sortes de tueurs en série : les organisés, et les inorganisés.


Le tueur organisé va calculer le meilleur moyen de satisfaire ses pulsions terrifiantes en réduisant au minimum le risque d’être pris. Les tueurs de cette catégorie peuvent battre des records en matière de série et de longévité.


Le désorganisé, lui, va passer les entrailles de sa victime au mixer en retournant chercher le premier qui passe dans la rue, pour finir la sauce. En général, il se fait serrer assez vite.


De la même façon, chez les terroristes, il y a les organisés, et les inorganisés. On pourra désormais ajouter une troisième catégorie : les désorganisés organisés à leur insu.

 

Il est rare qu’un loup solitaire déclenche spontanément un attentat, à moins d’être suicidaire, motivé, et armé ; et encore, on ne dispose pas aussi facilement d’armes de guerre, malgré les reportages d’Emmanuel Chain. L’attentat du loup solitaire se termine en général assez rapidement, car ses revendications sont assez floues, et la concentration policière vite intenable. N’ayant pas affaire à un professionnel, capable par exemple de négocier, les forces d’intervention savent qu’il faut abattre le forcené, s’il ne se supprime pas avant.

 

Pour les autres, ceux qui ont un dessein politique, il y a trois façons d’organiser un attentat. Dans tous les cas il faut une logistique (papiers, devises, armes non tracées, moyens de communication sécurisés, plans de fuite, réseau de planques, logistique d’exfiltration), trouver des hommes prêts à mourir, éventuellement, parce qu’en général il n’y a pas de pitié, de l’autre côté, surtout si l’opération réussit.



La cellule en question est souvent le fait d’un État étranger, sur laquelle elle s’appuie plus ou moins directement. Ainsi la RDA a-t-elle accueilli des terroristes ProPalestiniens sur son sol. Dresde a été le théâtre d’entraînements commando de centaines d’étudiants palestiniens. Et Carlos fut hébergé par la Stasi, police politique est-allemande.

 

Seconde possibilité : des services de l’État créent, infiltrent ou manipulent une cellule terroriste préexistante. Ce fut le cas d’une partie des GIA par la Sécurité militaire algérienne, qui brouilla toutes les cartes dans les années 90. Ou de la puissante ISI pakistanaise avec certaines cellules du Waziristan, l’objectif étant d’affaiblir le voisin afghan en entretenant une déstabilisation locale, régionale, voire nationale. Justifiant ainsi son existence et ses budgets. Les services chinois ayant eux fourni une logistique de surveillance et d’armement aux talibans sur le mode : je t’aide en Afghanistan, mais tu me lâches au Xinjiang. Plus près de nous, le gouvernement espagnol, parfois avec l’appui discret du gouvernement français, a créé les GAL, groupes antiterroristes de libération, pour agir brutalement contre l’ETA au milieu des années 80. Du terrorisme antiterroriste direct, qui n’avait pas à respecter les lois de la jeune et démocratique monarchie espagnole.

 

Troisième possibilité, le maintien sous couveuse de terroristes potentiels qui ne savent pas qu’ils sont non pas manipulés, mais suivis d’en haut, car il n’y a pas ou plus d’officiers traitants. Cette méthode permet, le jour J, le mois M, ou l’année A, de laisser les hommes concernés passer tranquillement à la préparation terminale, puis à l’action sans retour. Ce sont de vrais terroristes, logiquement repérés, fichés et « suivis » par les services de renseignement.

 

Cette dernière solution, plus intelligente et moins risquée pour un service de renseignement affilié à une nation, consiste à contrôler les menaces et à laisser s’ouvrir une vanne entre toutes, le jour où l’on a besoin, politiquement, que le projet en question s’exécute. Les lévriers piaffent d’impatience dans leur cage, sur la ligne de départ, et bavent sur le lapin qu’ils vont égorger sur la piste.

 

 

Couper le lien entre marionnettiste et marionnettes

 

C’est la théorie qu’on pourrait appeler du « lâcher de chiens », élevés à cet effet. Plus précisément, dont on suit la croissance sans qu’ils le sachent, en leur laissant croire qu’ils sont libres et invisibles. Une longueur de laisse qui correspond à une latitude d’action. Les spécialistes du terrorisme les laissent passer toutes les étapes, par exemple, du djihadiste français moyen : délinquance, prison, islamisation, formation militaire à l’étranger (Yémen, Afghanistan), et retour en France avec un projet et un budget. « Retourner » un jeune prototerroriste est même possible pendant l’étape prison. C’est une option, mais dans ce cas on retombe dans la seconde possibilité : infiltration et manipulation. Une option qui augmente le risque de remonter au manipulateur, qui n’est pas forcément le commanditaire. Ne simplifions pas les choses.

 

Différentes potentialités sous forme de couples cellule/cible peuvent être maintenues sous contrôle par, en ce qui nous concerne, c’est un exemple, le ministère de l’Intérieur ou de la Défense, et un top est donné à l’un des chiens qui sera alors lâché sur sa cible, que les services connaissent forcément. Il ne s’agit donc même pas de manipulation, mais de contrôle avec système d’interrupteur à distance.

 

Cela permet d’intervenir à tout moment sur la chaîne de préparation, car les terroristes sont surveillés du début à la fin : dans la phase prison (avec des infiltrés), dans la phase préparation militaire, dans la phase de retour au pays (contrôles aux frontières), et enfin dans la phase de préparation de l’attentat. Dans ce cas, savoir où ils vont finir n’est pas impossible, les terroristes en puissance travaillant sans obstacles (repérages physiques de la cible, communications intracellule). Cette méthode a un avantage majeur sur les deux premières : couper tout lien entre un gouvernement et une cellule terroriste (soi-disant ennemie) qui est effectivement une cellule terroriste et qui a soudain la possibilité d’agir alors qu’elle pourrait être appréhendée. Par simple principe de précaution, au cas où le jour et les détails de l’attaque n’ont pas filtré.

 

C’est la différence entre mensonge primaire et mensonge par omission : entre affirmer quelque chose de faux, et cacher une vérité. Nous voici en présence d’une cellule désormais libre d’agir, mais de A à Z sous surveillance, électronique, satellitaire, policière. Une cellule dont l’objectif peut croiser un objectif gouvernemental. Là, le gouvernement qui lâche un de ses chiens fait d’une pierre au moins trois coups : il crée un choc dans l’opinion qui précipite les civils dans les bras d’un pouvoir auparavant contesté, comme c’est toujours le cas en démocratie (la contestation autorisée fait partie de l’arsenal de leurres démocratiques dont dispose le pouvoir), il élimine une cellule terroriste en direct, gagnant des points dans l’opinion, et laisse accuser un ennemi de l’intérieur ou de l’extérieur.

 

Les perdants de ces opérations sont évidemment d’abord la cible, y compris les policiers protecteurs de la cible, puis l’information, totalement brouillée, et enfin le peuple, qui n’a pas les moyens de faire le lien entre ces deux entités apparemment opposées, mais aux objectifs confondus : qui va rapprocher un gouvernement d’une cellule terroriste ennemie, dont les intérêts sont, semble-t-il, absolument antagonistes ?

 

« Ce dispositif de surveillance téléphonique, numérique et physique a été renforcé à la fin de l’année 2011, lors du retour de Saïd Kouachi de son voyage yéménite. « Mais, entre cette date et l’été 2014, aucun élément n’a laissé transparaître de connexions avec un quelconque mouvement islamiste radical, ni par téléphone ni sur Internet », révèle une source judiciaire. « Compte tenu de cette absence d’éléments, la surveillance s’est levée pour se réorienter sur d’autres objectifs qui présentaient à ce moment-là des risques avérés. » » (Le Parisien du 10/01/15, relais non officiel du ministère de l’Intérieur)

 

Les sceptiques pourront se rapporter à l’assassinat du général Audran par la cellule Action directe, il y a 30 ans, le 25 janvier 1985, cellule qui a bénéficié de l’amnistie mitterrandienne de 1981. Officiellement, ce sont les Iraniens qui auraient planifié l’opération, en réponse à l’action d’Audran au poste d’ingénieur général de l’armement, pour cela en charge de la livraison d’armes à l’Irak, en pleine guerre contre l’Iran. Action directe aurait donc travaillé sous contrat, comme le font la majorité des organisations terroristes.


On pense aux Palestiniens du FPLP (de Georges Habache et Wadie Haddad, ce dernier mort d’une variété étrange de leucémie, comme Arafat), aux Irlandais de l’IRA, ou aux Basques de l’ETA. La piste iranienne, une thèse officielle qui laisse des zones d’ombre : il semble qu’Audran ait été au courant de « doublages », c’est-à-dire de ventes d’armes parallèles à l’Iran via le ministère de la Défense de l’époque, et qu’il s’y serait opposé, heurtant ainsi les bénéficiaires des commissions générées par ce trafic aussi juteux qu’illégal.

Audran supprimé, le business amoral qui consiste à armer deux adversaires pouvait se poursuivre allègrement. Cependant, 30 ans après, comme souvent lorsqu’il s’agit d’élimination dans les sphères, la moindre tentative d’explication rationnelle est polluée par toutes sortes de théories plus ou moins fumeuses, placées là à cet effet. Fumée, et fumées contre la fumée…

 

Il n’y a donc pas une manipulation, mais plusieurs types et degrés de manipulation. La manipulation, ce joker hollywoodien qu’on dégaine en un clin d’œil, présente en réalité une variété de cas de figure : entre la manipulation grossière d’un imbécile à qui l’on demande de déposer un paquet dans le métro, la manipulation tordue de celui qui est sous le coup de menaces (sortant menacé de retour en prison, menaces sur proches, menaces de révélations gênantes, pressions physiques, voir à ce propos le film Espion [s] de Nicolas Saada avec Guillaume Canet), et la manipulation fine qui consiste à tirer des fils invisibles en ouvrant les portes à un prisonnier inconscient du contexte, qui sort avant terme (exemple Coulibaly), se forme au terrorisme ou va parfaire ses techniques de combat, et à le laisser monter sa petite cellule « action » personnelle ou amicale, il y a un gouffre.

 

Et puis, parmi les djihadistes français partis faire le coup de feu en Syrie (quand ils ne cirent pas les rangers de leurs camarades plus aguerris et très soupçonneux), il y a évidemment des taupes de la DGSE. Des taulards qui infiltrent les filières djihadistes, qui sont bien sûr réelles, rappelons-le. Ainsi, un jeune Français passé par la case prison, puis la case islam, et qui s’en va au Yémen avant d’être envoyé en Syrie, peut ne pas être du tout un agent officiel, mais un révélateur lumineux de toute une filière, jusqu’au terrain des opérations dites sérieuses. Cet agent français involontaire et qui s’ignore peut donc tout à fait monter un coup ici, sans avoir une fois rencontré de manière officielle, officieuse, accidentelle ou inconsciente, d’officier traitant. C’est la surveillance serrée qui fait office d’officier traitant. Le lien humain disparaît, à l’image des Américains qui n’envoient plus de bombardiers B-2, trop imprécis dans la guerre contre le terrorisme, mais des drones, plus « individualistes », plus discrets aussi. C’est justement au Yémen que les exécutions américaines ciblées sont les plus nombreuses. Ce qui n’exclut pas les bavures : le 17 décembre 2009, un missile Tomahawk bourré de bombes à fragmentation pulvérise 46 bergers et apiculteurs, que la surveillance aérienne avait pris pour un camp d’entraînement d’Al-Qaïda (source : L’Express du 05/04/13). 

 

Les cellules de combattants d’Al-Qaïda existent bien, les cellules AQMI ou AQPA aussi, certaines sont infiltrées, d’autres pas (ininfiltrables de l’extérieur même par de bons musulmans, car elles ne comportent que des Yéménites de telle ou telle localité ou tribu, par exemple), certaines sont surveillées, d’autres complètement manipulées avec un agent double à leur tête (GIA algérien), bref, la cellule terroriste, en prenant un peu de recul, c’est la boite à jouets des départements antiterroristes des grandes nations guerrières : États-Unis, Russie, Angleterre, Chine, France, Israël. Elles permettent de ne rien respecter : ni lois de la guerre, qui sont encore en vigueur, ni lois morales (un gouvernement peut attaquer son propre peuple en le terrorisant), ni lois diplomatiques : on peut mettre la pression sur un allié récalcitrant, comme les Espagnols (attentats de Madrid) ou les Anglais (attentats de Londres) trois et quatre ans après le 11 septembre 2001, deux alliés visiblement pas très chauds pour continuer le combat impérialiste en Irak, rebaptisé troisième guerre du Golfe, commencé le 20 mars 2003 et toujours en cours.

 

C’est banal de dire aujourd’hui que le gouvernement américain, à travers ses services intérieurs (FBI), s’est servi de la mafia italo-américaine pour régler certains problèmes politiques (grèves, communisme, opposants de couleur) délicats. En déléguant au Syndicat du crime les éliminations physiques ou les intimidations qui servaient ses objectifs, le gouvernement US ne pouvait pas faire moins que de désinscrire la Mafia de la liste des organisations dangereuses, allant jusqu’à nier son existence ! Ainsi, le roi de 48 ans de renseignement intérieur (1924-1972), le célèbre J. Edgar Hoover, tenu en outre par un dossier de photos homosexuelles compromettantes, a-t-il fait la chasse aux Rouges plutôt qu’aux Affranchis.  

 

 

Rechercher la cause dans l’effet

 

Comment savoir si un attentat est un autoattentat ? En regardant si son impact consolide un gouvernement ? Cela ne suffit pas. On remarque, malgré les victimes, que c’est parfois, hélas, le cas. L’attentat tombé du ciel, réalisé par de vrais dingues, suicidaires et déterminés, est un cas rarissime. Car un fou n’a pas les moyens de faire de gros dégâts : il est rarement bien armé, ne bénéficie pas d’un réseau d’entraide, n’a aucun plan de sortie (à part la mort), et n’a pas les connexions suffisantes pour toucher du matériel vraiment dangereux (Semtex, C4 et autres explosifs), sans oublier le maniement des armes et des explosifs. C’est la différence entre le « mass shooting » du pauvre Américain puceau qui défouraille dans le MacDo du coin, et le militaire entraîné, qui marche au lieu de courir, qui a un plan d’attaque, qui a appris à tuer, qui sait résister à la pitié, qui peut tenir plusieurs jours dans une planque pourrie, etc.

 

Dans le cas de l’autoattentat, les vraies victimes, ce sont les victimes… tuées deux fois, la première par les terroristes, la seconde par la récupération politique. Qui est d’autant plus efficiente qu’elle peut être, elle aussi, organisée.

 

La théorie du contrôle est dangereuse à tous points de vue : c’est un contrôle partiellement sécuritaire, et les chiens peuvent, à leur insu, servir des maîtres qu’ils ne connaissent pas. Dans la Mafia, les choses étaient plus claires : le soldat allait éliminer la cible, arrangeant en cela le gouvernement, qui fermait en contrepartie les yeux sur les trafics des Familles.

 

Tout le monde sait désormais que deux éléments se sont croisés qui ont permis le massacre de Charlie Hebdo : le relâchement de la surveillance des frères Kouachi en juin 2014, et l’allègement du dispositif policier devant l’immeuble de la rédaction de l’hebdomadaire fin 2014. Une conjonction en forme de double ouverture qui ne laisse pas d’interroger, et qui étaye la théorie non pas du complot, mais du contrôle. Ou plutôt, du contrôle/décontrôle.

 

Lorsqu’un journaliste de Sud Ouest demande à un membre de la DGSI pourquoi les frères Kouachi, qui étaient sur écoute, ne l’ont plus été, voici ce qu’il répond :

 

« Les écoutes administratives, c’est quatre mois renouvelables une fois, donc huit mois en tout. Alors si on n’entend rien qui permette d’aller voir un juge, on arrête. En plus, il y a un quota : pour brancher quelqu’un, il faut en débrancher un autre. En plus, il faut avoir les moyens d’écouter vraiment. Ça ne sert à rien de brancher deux cents personnes si on n’a pas les moyens de suivre et étudier les conversations. Et les moyens, on ne les a pas. » (Sud Ouest du 13 janvier 2015)

 

On rappelle que Mitterrand avait fait écouter 3 000 personnalités françaises, pour connaître le degré d’avancement de l’information sur sa fille cachée, et accessoirement pour son petit plaisir personnel. L’échec gravissime des services de renseignement intérieur et extérieur serait donc dû à un problème de sous-effectifs. Mieux, Coulibaly, le tueur de la porte de Vincennes, n’a même pas été placé (officiellement) sur écoute à sa sortie de prison, en mars 2014.

 

Dans cette affaire, qui est double au niveau des victimes – les employés de Charlie et leurs protecteurs, policiers en service et en protection rapprochée, et les citoyens français de confession juive de la supérette, sans rapport visible entre eux – on a l’impression qu’une triple coïncidence a servi les assassins :

  • l’abandon des écoutes,
  • une sortie de prison anticipée,
  • et un allègement de la surveillance alors que le journal était la cible prioritaire des fondamentalistes !

 

Il n’y a que deux possibilités : soit nos services sont dépassés et incompétents, malgré la « refonte » Sarkozy récente, soit une organisation secrète à l’intérieur et/ou à l’extérieur de l’État a mené cette opération de main de maître. Car les terroristes sont de vrais terroristes, et visiblement pas des agents manipulés de manière directe comme Mohamed Merah. Et les victimes... de vraies victimes.


Alors, dans ce vrai attentat qui sent le faux, où est le faux ?

 

 

Par echelledejacob.blogspot.be – le 22 janvier 2015

Source : Rédaction E & R