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Photo : Le Super Petit Marché, ouvert fin 2013 dans le 18e arrondissement parisien, mise sur la transparence des produits, mais aussi sur la création de liens sociaux. thelittlevalley.com

 

 

France - Le goût du petit commerce

On croyait les épiceries disparues, mais des boutiques

d’un genre nouveau apparaissent dans les centres-villes.

Par Camille Labro

 

Ce sont de petites enseignes qui ouvrent sans faire de bruit. Subitement, elles égaient les pavés de leurs étals bariolés, leurs légumes biscornus et leurs bocaux débordants, et modifient, l’air de rien, les paradigmes de la consommation moderne.

 

Alors qu’il y a encore dix ans, on aurait aisément parié sur la disparition des petits commerces de bouche au profit des supermarchés, voici (re) venir l’épicier de quartier version 2.0. De l’épicerie fine au magasin communautaire, ces indépendants pas forcément bio, mais qui favorisent une agriculture raisonnée, se multiplient. La FNDEBC (Fédération nationale de l’épicerie, caviste et spécialiste en produits bio) en témoigne : depuis deux ans, au moins deux projets par semaine lui sont soumis. Des initiatives variées, souvent nées de la volonté de jeunes entrepreneurs militants, désireux de « vendre, près de chez eux, ce qu’ils aiment manger ». Ils répondent aussi aux aspirations de consommateurs qui, lassés par les grandes surfaces, se tournent vers une économie solidaire et durable.

 

À Paris, l’un des précurseurs fut la Maison Pos, dont l’objectif est de prouver que « bon n’est pas synonyme de luxe ». Installé rue de Charonne, depuis 2010, Pos est devenu l’un des piliers nourriciers de ce quartier bobo-familial qu’est le 11e arrondissement de la capitale, et a inspiré nombre d’autres initiatives, tels Le Zingam ou La Petite Cagette, toujours dans le 11e, mais aussi, dans le 18e, Le Super Petit Marché, ouvert fin 2013. Murs bruts, sols en béton, fruits et légumes à même les cageots et arrivages du jour inscrits sur tableau noir : dans la plupart de ces épiceries, c’est le produit, et non le décorum, qui compte. Les références et les provenances varient, mais l’esprit reste le même : proposer des denrées simples et goûteuses, issues d’une agriculture paysanne, à des prix honnêtes, en s’approvisionnant directement auprès des producteurs.

 

Martine Boutin, ancienne professionnelle des télécoms, est seule aux manettes de son Super Petit Marché. Elle s’est reconvertie par passion, pour « vendre quelque chose auquel [elle] croit, tout en instaurant un rapport vrai avec les clients et les fournisseurs ». De son premier bilan annuel (positif), elle reconnaît ne pouvoir vivre que « très modestement, en travaillant dur ». Ce qui lui importe, c’est la transparence des produits, dont elle peut détailler le pedigree à l’envi, mais aussi de créer du lien social. Des étudiants aux vétérans du quartier, toutes les classes d’âge et toutes les catégories sociales se croisent dans sa boutique. « Jamais je n’aurais imaginé que les contacts humains puissent être si puissants : les gens se rencontrent, discutent, s’échangent des bons plans, m’apportent des plats maisons. Je ne m’en lasse pas. »

 

À La Récolte, dans le 17e, petit magasin bio pimpant qui nargue gaiement le Naturalia d’en face, on ne fait que du produit frais et saisonnier, à peser soi-même. Dans le même quartier, l’épicerie Au bout du champ va encore plus loin : ici, point de marchand en vue. Les légumes, organisés par lots, sont disposés dans des casiers vitrés. On choisit, on paie à la borne centrale et le casier s’ouvre. « Les légumes de plein champ sont cueillis le matin même, assure Joseph Petit, le fondateur. Nous allons les chercher tous les jours, chez nos cinq paysans régionaux, et nous les plaçons aussitôt en casier. En termes de fraîcheur, on ne peut pas faire mieux. » Si l’épicerie perd ici en humanité, elle gagne en efficacité, en liberté (le magasin est ouvert tous les jours, de 7 heures à 22 heures), en qualité et en prix.

 

 

« Travailler à la source »

 

Une autre façon d’offrir les meilleures denrées à moindre coût, tout en œuvrant pour l’environnement, consiste à supprimer les emballages : les épiceries « tout en vrac » comme Prairial, à Vaulxen-Velin, ou La Recharge, à Bordeaux, s’inscrivent dans cette démarche. « Il ne s’agit pas d’acheter emballé puis de désemballer pour le client, mais de travailler à la source, explique Jules Rivet, le jeune cocréateur de La Recharge. Les plus flexibles, ce sont les petits producteurs locaux – même pour la lessive écologique, que nous achetons en barriques à un petit fabricant de la région. »

 

Pour tous ces établissements, l’esprit collaboratif est un pivot important. On attend avec impatience l’ouverture (fin 2015) du grand magasin participatif La Louve, créé sur le modèle du Park Slope Food Coop de New York. La petite Coopérative alimentaire de la Goutte-d’Or, lancée en mars 2014, fonctionne d’ores et déjà sur ce modèle : ce sont les quelque 700 clients-adhérents qui gèrent le magasin, en y travaillant une poignée d’heures par mois. Les prix, abordables et justes, s’en ressentent.

 

À Lyon, l’épicerie bio et militante 3 Ptits Pois mise tout sur l’emploi. « Nous sommes convaincus que ce n’est pas une grosse structure qui va créer du travail, mais beaucoup de petites », explique Manuel Doucet, l’un des cogérants. Produits ultrafrais, agriculture durable, répartition équitable, voilà la logique tridimensionnelle que Pierre Priolet, ancien agriculteur et auteur médiatisé de l’ouvrage Les Fruits de ma colère (Robert Laffont), défend bec et ongles. Depuis quelques années, il s’est métamorphosé en épicier ambulant : avec son camion C’juste Paris, qui circule essentiellement à Pantin, en Seine-Saint-Denis, il distribue les légumes et les conserves de petits paysans qu’il s’attache à rémunérer « dignement » (il affiche le prix auquel chaque denrée a été payée au producteur). Bientôt, promet-il, d’autres camions C’juste sillonneront les rues de Paris et de Lyon. « Dans la grande distribution, on ne veut pas savoir ce que coûte réellement ce que l’on consomme. À nous d’imaginer des systèmes qui rétablissent le lien entre la ville et la campagne, et permettent à tous de bien vivre, y compris les paysans qui nous nourrissent. » Une conception circulaire et vertueuse que producteurs, consommateurs et commerçants sont de plus en plus nombreux à partager.

 


Les adresses, à Paris et ses environs

Maison Pos, 90, rue de Charonne, Paris 11e. Le Zingam, 75, rue du Chemin-Vert, Paris 11e. La Petite cagette, 38-40, rue Popincourt, Paris 11e. Le super petit marché, 147, rue Ordener, Paris 18e. La Récolte, 18, bd des Batignolles, Paris 17eAu Bout du champ, 20, rue des Dames, Paris 17e et 4, rue Camille-Pelletan, Levallois-Perret (92). La Louve, www.cooplalouve.fr (ouverture prochaine dans le 18e). La Coopérative de la Goutte-d’Or, 38, rue Myrha, Paris 18e. Terroirs d’avenir, 6-7-8, rue du Nil, Paris 2e. L’Épicerie générale, 43, rue de Verneuil, Paris 7e, et 1, rue Moncey, Paris 9e. Le Comptoir des producteurs, 25, rue Mouton-Duvernet, Paris 14e. Le camion de Pierre Priolet, www.cjusteparis.fr .


En province

Prairial, 10, rue des Droits-de-l’Homme, 69120 Vaulx-en-Velin. La Recharge, 38, rue Sainte-Colombe, 33000 Bordeaux. 3 ptits pois, 124, rue Sébastien-Gryphe, 69007 Lyon. La Super Halle, 105, avenue Jean-Jaurès, 69600 Oullins. Essentiel, 52, rue du Faubourg-Bonnefoy, 31500 Toulouse. Épicerie locavore des Bourroches, 34, bd Eugène-Fyot, 21120 Dijon.

 

 

 

Par Camille Labro - M le magazine du Monde – le 21 avril 2015.