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Espagne - Revenu universel, nationalisations, audit de la dette, énergies vertes… Quel est le programme de Podemos ?

Espagne - Revenu universel, nationalisations, audit de la dette, énergies vertes… Quel est le programme de Podemos ? | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Photo : CC Daniel López García

 

Revenu universel, nationalisations, audit de la dette,

énergies vertes…

Quel est le programme de Podemos ?


PAR SIMON GOUIN, SOPHIE CHAPELLE

 

 

Le tout jeune parti espagnol Podemos – « Nous pouvons » – vient de fêter sa première année d’existence. Ce mouvement de gauche avait fait une entrée remarquée sur la scène politique lors des élections européennes, avec près de 8 % des voix. Il se positionne désormais comme 3e force politique en Espagne : il a attiré 15 % des votants en Andalousie, en mars. Comment expliquer ce fulgurant succès ? Quel est son programme, sa stratégie politique et médiatique ? « La politique espagnole ne sera jamais plus comme avant, même si l’on disparaissait demain, affirme Miguel Urbán Crespo, député européen et n° 2 de Podemos. Nous avons quelque chose que les partis n’ont pas, le soutien populaire de ceux qui veulent changer les choses. » Entretien.

 

 

— Basta ! : En novembre prochain, se dérouleront les élections nationales espagnoles. Si vous obtenez une majorité au parlement, quelles mesures prioritaires allez-vous mettre en place ?

 

Miguel Urbán Crespo [1] : Face à ceux qui pratiquent le « sauvetage des banques », nous proposons un sauvetage citoyen (el rescate ciudadano). Ce programme prévoit d’abord de mettre fin au processus de privatisation des services publics. Puis, d’effectuer un audit citoyen des comptes publics et de la dette. Se pose ensuite la question de la précarité énergétique. La Constitution espagnole prévoit la nationalisation des secteurs fondamentaux s’il y a un problème d’urgence sociale et si les entreprises privées ne satisfont pas ces besoins fondamentaux. Nous sommes dans ces deux cas-là.

 

 

— Vous souhaitez donc nationaliser les entreprises ?

 

Non, nous n’allons pas arriver et dire : « Nous nationalisons ». Mais plutôt : « Soit vous répondez aux besoins fondamentaux, soit nous appliquons la loi ». Notre objectif est d’avoir un gouvernement qui fasse appliquer la loi à « ceux d’en haut », car la loi est toujours appliquée à « ceux d’en bas ». Appliquer la loi, c’est par exemple s’appuyer sur la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg qui indique que la loi espagnole sur les hypothèques [qui protège les banques et non les consommateurs] est illégale [2]. On ne peut pas continuer à virer les gens de chez eux sans alternative en matière de logement. Dans le domaine de la santé, tout le monde doit avoir accès aux soins. Enfin, nous proposons de mettre en place un revenu universel afin de sortir les gens de l’exclusion sociale. En Espagne, 60 000 familles n’ont pas de revenus.

 

 

Que prévoyez-vous face à la précarité énergétique ?

 

L’Espagne importe des énergies fossiles, alors qu’on a beaucoup de vent et de soleil. Nos industries d’énergie renouvelable sont importantes, mais elles ont été complètement dévastées par les intérêts de l’oligopole énergétique espagnol. Or, l’énergie verte est bien plus génératrice d’emplois que la production d’énergie basée sur l’extraction de pétrole ou de gaz. Il faut changer la structure du système de l’énergie en Espagne et ses intérêts. L’autoconsommation doit aussi être développée. On a par exemple des petits producteurs d’électricité dans les « communautés de voisins » [regroupements de propriétaires]. Il est important de leur permettre d’entrer sur le réseau électrique et d’injecter ce que ces communautés ne consomment pas, de les aider à financer leur investissement. Au final, c’est comme la roue d’un moulin. Pour que la roue tourne, il faut mettre de l’eau. L’eau, c’est l’initiative politique : il faut la diriger et savoir où va la rivière.

 

 

— Outre ces mesures d’urgence, quel est votre programme à moyen et long terme ?

 

Les problèmes en Espagne sont immenses. Il faut par exemple revenir sur l’économie du tourisme qui génère une prédation environnementale et une bulle immobilière. Le secteur des services en la matière est surdimensionné et est confronté à la violation des droits sociaux et du travail. Raison pour laquelle il faut parler de changements de modèle productif.

 

 

— Dans ce modèle productif alternatif, il y a l’agriculture, qui peut être protectrice de l’environnement et génératrice d’emplois. Quelles sont les idées de Podemos sur ce sujet ?

 

Nous sommes dans la phase de construction de ce programme agricole. Globalement, nous souhaitons développer une agriculture de proximité, soutenable pour l’environnement, qui consomme peu d’énergies fossiles, en évitant les transports et en favorisant les circuits courts. Nous souhaitons aussi éviter la concentration des terres agricoles dans les mains de quelques-uns. Nous travaillons avec des coopératives, pour la socialisation des terres de qualité, et contre les OGM.

 

 

Fin 2014, la dette de l’Espagne s’élevait à 1 034 milliards d’euros, soit 97,7 % du PIB. Faut-il la rembourser ?

 

À part Mariano Rajoy [le Premier ministre conservateur actuel], tout le monde sait que l’on ne peut pas payer la dette espagnole. Mais comment communiquer sur le sujet ? Si on dit aux gens qu’on ne va pas payer la dette, cela les choque, ils pensent que tu es un voleur. Les dettes, tu les paies. Notre position, c’est de déterminer ce que l’Espagne doit payer au sein de cette dette. À la télévision, pour traduire le problème avec des images simples, on prend l’exemple suivant : vous prenez un café et un jus d’orange dans un bar. Le serveur vous dit : c’est 600 euros. Vous lui demandez pourquoi. Il vous répond que vous allez payer l’addition de tous les gens qui sont en train de boire autour de vous. Évidemment, vous allez dire non, vous n’allez pas inviter tout le monde. C’est un peu ce qu’il s’est passé avec la dette espagnole. Ils veulent qu’on paie l’addition de choses que nous n’avons pas prises. Or, on ne va pas payer ce qui n’est pas notre dette. Mais ce que l’on doit réellement, on le paiera. Tout en renégociant comment le payer.

 

 

— Podemos semble renouveler les méthodes politiques. Pourquoi est-ce nécessaire ?

 

Quand vingt personnes possèdent 60 % des richesses de notre pays, c’est de la corruption. On ne peut pas l’accepter, il faut changer cela. Il faut lancer un processus constitutionnel pour changer les règles du jeu. C’est comme l’histoire des pommes pourries : la question ce n’est pas les pommes, mais le panier qui est pourri et qui contamine les pommes. Si tu prends quatre pommes magnifiques, même avec une queue de cheval et des boucles d’oreille [Miguel Urbán fait ici référence à Pablo Iglesias, le secrétaire général de Podemos], et que tu les mets dans ce panier pourri, les pommes vont pourrir. Ce n’est pas une question individuelle, mais de système. Et nous pourrions nous aussi pourrir si nous ne changeons pas les règles du jeu et de système.

 

 

— Votre positionnement politique est surprenant : Podemos n’est ni de droite, ni de gauche, affirme Pablo Iglesias, le secrétaire général...

 

Parmi les dirigeants de Podemos, nous avons toujours dit que nous sommes de gauche. Il n’y a qu’à voir comment nous nous habillons ! Vous n’avez jamais vu un dirigeant du Parti populaire avec une queue de cheval et une boucle d’oreille [à l’image de Pablo Iglesias] (rires). Mais l’important n’est pas de savoir d’où nous venons, mais plutôt ce que nous voulons construire. Le problème est que la politique électorale, ce n’est plus la politique des « mouvements ». Pour la plupart des gens, dans la politique électorale, la gauche c’est le Parti socialiste et la droite c’est le Parti populaire. Si tu entres dans cette logique électorale, tu te retrouves dans les marges de l’un ou de l’autre de ces partis. Or, nous avons déjà passé trop de temps à occuper les marges.

 

Nous, nous voulons construire une nouvelle centralité. Cette centralité a déjà été construite socialement par le mouvement de résistance aux politiques d’austérité, à l’instar du mouvement des indignés. Cette centralité existe socialement, mais pas électoralement. Il y a beaucoup de gens qui ont voté pour le Parti populaire, tout en pensant qu’il faut sauver les familles et pas les banques. Moi je veux que ces gens-là soient avec nous. Ce sont des travailleurs, des ouvriers, qui subissent la crise de plein fouet. Je dis toujours la chose suivante : quand la police vient t’expulser de ta maison, elle ne te demande pas pour qui tu as voté. Moi je ne veux pas demander aux gens pour qui ils ont voté. Personne ne mérite d’être expulsé de sa maison...

 

 

— Des tensions semblent apparaître entre la base de Podemos qui vient de nombreux mouvements sociaux – dont celui des Indignés – et ses dirigeants. Pablo Iglesias a par exemple déclaré, en octobre 2014, que le « ciel ne se prend pas par consensus, mais par un assaut ». Qu’en pensez-vous ?

 

Je ne suis pas un fétichiste du consensus. J’aime la confrontation, la discussion. Mais à un moment il faut arriver à un accord. Il n’y a pas toujours besoin de structures ou de passer par des urnes, même internes. Podemos a été créé sur la base d’accords, pas sur la base d’affrontements. L’enjeu est que tout le monde se reconnaisse dans cet accord. J’ai répondu à Pablo à la suite de cette déclaration qu’il faudrait d’abord que nous nous mettions d’accord sur où se situe le ciel... Bien sûr, nous avons beaucoup de tensions politiques, organisationnelles. Mais cela signifie que Podemos est un mouvement vivant, pas une structure préconfigurée.

 

 

— Podemos a été critiqué pour sa discrétion sur le projet de loi qui visait à restreindre le droit à l’IVG en Espagne...

 

Non, nous n’avons pas été critiqués pour cela. Mais parce qu’une camarade de la direction, dans un cours de formation de communication politique, a dit une phrase malheureuse. Quand tu dois passer à la télévision et que tu es dans une campagne électorale, tu ne peux pas parler de tout, seulement de deux thèmes. Tu dois donc analyser les deux questions qui te mettent en position de gagner. Et notre camarade a déclaré que ce n’est pas sur le thème de l’avortement que l’on allait gagner dans le domaine de la communication... Mais nous sommes bien sûr pour le droit à l’avortement, personne ne le met en discussion. On préfère toutefois frapper, au niveau de la communication, sur la question des banques plutôt que sur l’avortement, afin de nous positionner par rapport au Parti populaire et au Parti socialiste. Cela a été critiqué durement en interne.

 

 

— Faut-il à tout prix se démarquer du Parti socialiste ?

 

Il y a ce que l’on peut faire à la télé en matière de campagne électorale, et tous les autres moyens de communication dont nous disposons – les réseaux sociaux, notre site web. On ne doit pas oublier les luttes et les revendications. Le droit à l’avortement est une question fondamentale. Cela m’est égal d’être proche du Parti socialiste sur cette revendication. Mais je suis d’accord aussi sur le fait que dans notre communication, il ne sert à rien de lancer des campagnes en faveur du droit à l’avortement. La force de Podemos, c’est sa capacité à avoir ses propres revendications sur les réseaux sociaux que personne n’avait imaginée jusqu’ici et qu’aucun autre parti en Europe ne possède. Notre compte Facebook dénombre 10 millions de personnes – le compte en lui-même est partagé par un million de personnes, mais à travers ses répliques on atteint les dix millions. Le Twitter de Pablo [Iglesias] c’est presque un million de followers à lui seul. Sur ces réseaux sociaux, tu peux dire ce que tu veux sur l’avortement et cela va toucher plus de gens que sur les médias traditionnels. On n’avait pas ça avant.

 

 

— Podemos n’hésite pas à fréquenter assidûment les plateaux télé. N’est-ce pas risqué ?

 

On a brisé un tabou historique dans le mouvement social ou des forces d’extrême gauche de ne pas aller dans les moyens traditionnels de communication. Nous avons compris qu’il fallait aller à la télévision, que l’on pouvait communiquer mieux que nos adversaires. On a passé quatre ans à se former, on a créé notre propre chaine de télévision, avec nos débats, tous les jours, sur la manière dont nous pouvions battre la droite... On a même ramené dans nos émissions des gens de la droite. Nous avons été critiqués pour cela, mais nous en avions marre de nous disputer entre nous. Et cela nous unissait de discuter contre ces personnes de droite (rires). Ça nous paraît plus intelligent. Nous avons commencé à aller dans les débats télévisés de droite et d’extrême droite pour discuter avec eux et faire en sorte que ce soit eux qui soient mis en minorité sur les plateaux.

 

Personnellement, j’ai commencé à parler à la télé avec une crainte : je voulais surtout que l’on ne me reconnaisse pas. Je portais une casquette, des lunettes de soleil noires et une écharpe autour du cou. Lors de ma première apparition à la télé avec Pablo, nous étions tous pareils, il ne fallait pas donner son nom. Maintenant, il faut que l’on te connaisse et communiquer d’une autre façon. La manipulation de la télé est stupéfiante, c’est certain. Mais si tu n’y entres pas, c’est toi qui te fais manipuler et tu vas perdre. Il faut briser ce tabou.

 

 

— Quelles sont vos convergences avec le parti grec Syriza ?

 

Podemos et Syriza ont en commun un point important : ils représentent un avenir de changement pour le peuple grec et espagnol. Dans les deux cas, c’est une réaction politico-électorale à l’appauvrissement général qu’impose la Troïka avec ses politiques structurelles d’austérité envers la population. Mais il y a beaucoup de choses sur lesquelles nous sommes très différents, parce que nous sommés nés dans un contexte politique et culturel différent. Nous disions précédemment que Podemos n’est ni de droite ni de gauche. Syriza veut dire « coalition de la gauche radicale » !

 

 

— Y a t-il des mouvements en France avec lesquels des alliances sont possibles ?

 

Sûrement, mais je ne les connais pas. Nous sommes dans le même groupe que le Front de gauche au Parlement européen. Nous avons beaucoup de liens historiques avec le NPA [Nouveau parti anticapitaliste] et des mouvements sociaux français. Mais pour le moment, nous sommes très occupés en Espagne. Il y a déjà beaucoup de choses à faire ici. Nous nous concentrons davantage sur les peuples du Sud de l’Europe, surtout sur le cas de la Grèce. Il est plus important de travailler avec le peuple, plutôt qu’avec telle ou telle organisation. De construire les solidarités. Car nous avons de nombreux terrains en commun.

 

 

— Pour vous, Podemos est de moins en moins un mouvement, et de plus en plus un parti politique. Ce qui est « négatif », dites-vous. Pourquoi ?

 

Je crois qu’il faut que l’on ressemble le moins possible aux partis que l’on combat. Car ils auront toujours plus de moyens, plus d’argent, etc. Mais nous avons quelque chose qu’eux n’ont pas : le soutien populaire de tous ces gens qui veulent changer les choses. Cela permet de multiplier les capacités, beaucoup plus que dans une structure très forte, centralisée. Podemos ne doit pas être le programme d’un parti, mais celui d’un peuple. On ouvre le débat sur ce programme à tout le monde. Si le peuple considère que c’est son programme, il le défendra comme le sien. Il le défendra contre nous qui sommes en haut de Podemos si nous ne voulons plus l’appliquer. Il le défendra aussi contre des organisations externes qui tentent de le boycotter. La souveraineté nous paraît essentielle. Ce qui est certain, c’est que la politique espagnole ne sera jamais plus comme avant, même si l’on disparaissait demain. Podemos a changé de façon conséquente la compréhension de la politique dans notre pays. Que l’on arrive ou pas au gouvernement, c’est un acquis.

 

 

 

Propos recueillis par Sophie Chapelle et Simon Gouin - bastamag.net – le 14 avril 2015

 

(@Sophie_Chapelle et @Simon_Gouin sur Twitter)

 

Notes :

[1

Député européen depuis le 5 mars 2015, Miguel Urbán Crespo est l’un des deux fondateurs de Podemos. « J’ai commencé à faire de la politique dès 1993 à l’âge de 13 ans. J’ai milité dans les jeunesses communistes. Puis je me suis engagé dans différents mouvements sociaux (d’occupation où je fus porte-parole à Madrid, mouvements pour une vie digne, etc.) », explique-t-il.

[2

De nombreux Espagnols sont expulsés de leur logement lorsqu’ils n’arrivent plus à rembourser leurs prêts. Sur le sujet, lire cet article de Basta !


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Cuba-États-Unis : ingérence ou relations d’égal à égal ?

Cuba-États-Unis : ingérence ou relations d’égal à égal ? | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Dessin : de Dario, Mexique – courrierinternational.com

 


Cuba-États-Unis : ingérence ou

relations d’égal à égal ?

Par Maïté PINERO (*)

 

Le dégel ne concerne pas seulement les relations Cuba-États-Unis. Si empressée à rompre les relations diplomatiques quand les États-Unis durcissaient l’embargo, l’Union Européenne et ses gouvernants se précipitent dans la compétition du marché. En décembre dernier, le chef de la diplomatie espagnole, José Manuel Garcia Margallo avait appelé l’Union à accélérer la normalisation des relations pour ne pas perdre de terrain face à Washington, exhortant les entreprises à ne pas perdre de terrain dans la concurrence avec leurs homologues nord-étasuniennes. Une délégation de l’Union négocie depuis le 4 mars à La Havane « un accord de dialogue politique et de coopération ».

 

La visite de François Hollande qui aura lieu le 11 mai, précédée par celles de plusieurs ministres (Laurent Fabius, Fleur Pellerin), de délégations de parlementaires et d’industriels, permettra-t-elle de lever les obstacles aux relations France-Cuba ? Malgré la garantie de la Coface, les banques rechignent à s’engager et ce sont surtout les PME qui osent investir dans l’île. Autre sujet à l’ordre du jour, la maintenance et modernisation de la centrale électrique qui fournit les deux tiers de l’électricité du pays. Malgré les déclarations gouvernementales, son avenir reste incertain depuis le rachat d’Alstom par General Electric.

 

 

De l’isolement à l’intégration

 

L’intense activité diplomatique que connaît l’ile est à comparer avec son isolement à partir des années 90. Les lois Helms-Burton et Torricelli avaient pour but d’affamer son peuple, de mettre à bas le régime. Le récit et le secret de cette résistance restent à écrire.

 

C’est durant cette période que Cuba a impulsé et participé à l’intégration latino-américaine avec la création de l’Alba (2004), de l’Unasur (2008), de la Celac (2010), qui ont concrétisé l’échec du Nafta, le projet des États-Unis visant à mettre l’ensemble du continent sous son emprise et celle de ses multinationales. Ce que reconnaît implicitement le président Obama en énumérant les objectifs de son changement de politique envers Cuba : « Nous allons rénover notre leadership en Amérique latine... » Cela risque d’être mal accueilli au prochain sommet des Amériques, mais le seul fait d’y prétendre rendait obligatoire un changement de politique avec Cuba.

 

 

Retour de la carotte et du bâton ?

 

Sur le fond, Washington maintient son objectif, le changement de régime à La Havane, et n’en fait pas mystère. L’embargo a échoué : « Il a provoqué un isolement régional et international, réduit notre capacité d’influer sur le cours des événements dans l’hémisphère occidental et empêché l’utilisation de toute une série de mesures que les États-Unis peuvent utiliser pour promouvoir un changement positif à Cuba » déclare Obama le 17 décembre.

 

Les moyens doivent donc changer. Un seul leitmotiv « Spur change among the people of Cuba » (impulser le changement dans le peuple cubain). Le communiqué de presse de la Maison-Blanche du 17 décembre indique : « Nos efforts visent à favoriser l’indépendance des Cubains afin qu’ils ne soient plus dépendants de l’État cubain. »(1). Le 19 décembre, durant sa conférence de presse de fin d’année, Obama enfonce encore le clou : « Ce qui est certain c’est que nous allons nous trouver dans de meilleures conditions pour exercer notre influence et pouvoir utiliser aussi bien la carotte que le bâton » (2).

 

La carotte et le bâton, la revendication du leadership dans le continent, la réaffirmation du « destin manifeste » du géant du nord, tous ces vieux leitmotivs de l’ingérence, marque de la politique étrangère des administrations américaines, se retrouvent dans les discours, les communiqués de presse, les conférences de presse, du président en titre. Le constat d’échec de l’embargo va de pair avec la même volonté d’ingérence et de domination.

 

 

Pénétrer la société cubaine

 

Devant le troisième sommet de la Celac (33 chefs d’État) tenu à La Havane le 28 janvier, Raul Castro déclare « Tout semble indiquer que l’objectif est de fomenter une opposition politique artificielle par des moyens économiques, politiques et les moyens de communication. »

 

En effet, les mesures annoncées dès le 17 décembre par l’administration étasunienne sont marquées par cette volonté de pénétrer et travailler la société cubaine de renforcer son secteur privé, afin de renverser le régime.

 

Les exportations autorisées concernent le secteur privé, les petits paysans et les 500 000 artisans et restaurateurs « cuentapropistas ».

L’autorisation des « remesas », envois d’argent des Cubains de l’étranger à leurs familles passe de 500 à 2 000 dollars par trimestre, mais sont interdits si le destinataire est membre du parti communiste.

 

Les voyages entre les États-Unis et Cuba sont assouplis, mais ne concernent que douze catégories de personnes autorisées (délégations d’élus et fonctionnaires, de journalistes, de chercheurs, artistes, sportifs, ONG, etc.). Cuba est le seul pays au monde où les Étasuniens ne peuvent voyager.

 

Les bateaux accostant à Cuba ne devront plus attendre six mois pour entrer dans les ports nord-américains, mais seulement si les marchandises transportées répondent à une urgence humanitaire (médicaments, produits alimentaires).

 

Les banques étasuniennes pourront ouvrir des comptes à Cuba, mais pas l’inverse.

Le seul secteur qui se voit autorisé à investir ou à vendre de l’infrastructure ou du software, hardware, applications, est celui des communications.

 

 

Au cœur de l’embargo

 

Les mesures les plus dures de l’embargo sont maintenues : interdiction pour Cuba de commercer et de détenir des comptes en dollars. Interdiction d’acheter dans des pays tiers des produits contenant plus de 10 % de composant nord-américain, d’exporter aux États-Unis du matériel comportant du nickel ou du sucre cubain. Sanctions aux banques et aux filiales américaines installées à l’étranger qui passent outre.

 

Lors des premières réunions tenues à La Havane pour discuter de la politique migratoire, le représentant de l’Administration a souligné que rien n’allait changer : les Cubains entrés illégalement aux EU continueront à bénéficier automatiquement de la nationalité EU après un an et un jour de présence, étrange régime d’exception dans un pays qui compte 11 millions de sans-papiers.

 

Avec l’annonce des mesures d’assouplissement de l’embargo, les États-Unis ont voulu fixer le cadre de la normalisation des relations et se présenter comme maîtres du jeu. Dans les négociations en cours, la partie cubaine a fixé comme principe le rétablissement de relations d’État d’égal à égal dans tous les domaines, la liberté de chacun de choisir sa société, son système économique, sans ingérence étrangère. Le désaccord sur ce sujet constitue le principal obstacle.

 

Les discussions ont lieu au pied à pied sur tous les sujets. Quand les États-Unis prônent la présence de la société civile lors du sommet des Amériques, prévu en avril au Panama, ce qui signifie dans leur bouche une place d’honneur à Yoani Sanchez, la partie cubaine abonde dans ce sens avec la longue liste des syndicats, associations de paysans sans terre, de disparus sous les dictatures, organisations nord-américaines jusqu’aux manifestants de Wall Street.

 

Les premières mesures d’allègement vont elles aussi être discutées entre les deux parties. Des délégations du département du Trésor et du Commerce sont attendues à la Havane pour en expliquer les termes et les modalités, la partie cubaine se chargeant d’expliquer les lois, règles et mode d’emploi de sa société et de son système économique.

 

 

Modifier les apparences

 

Les États-Unis sont pressés de modifier les apparences tout en maintenant les mesures les plus sévères de l’embargo, leur grenier à carottes. C’est ainsi que Roberta Jacobson, la négociatrice du département d’État, a annoncé la réouverture probable des ambassades avant la tenue du sommet des Amériques. S’ils l’annoncent, a précisé Josefina Vidal, la négociatrice cubaine, c’est qu’ils ont la clef du problème.

 

Pour la partie cubaine, restaurer la façade n’a guère de sens si demeurent les problèmes de fond : Cuba est toujours inscrit sur la liste des États terroristes, sa représentation à Washington qui ne peut accéder au système bancaire n’a pas les moyens de fonctionner. Reste encore à se mettre d’accord sur les interprétations respectives de la convention de Vienne qui fixe les règles diplomatiques et le comportement des diplomates en poste.

 

 

Du monde au portillon

 

Il n’est au demeurant pas sûr que l’administration puisse maintenir le scénario prévu en même temps que le contrôle strict de sa réserve de carottes. L’empressement de l’Union européenne à liquider ses arriérés de politesse avec La Havane risque aussi de précipiter les choses. Aux États-Unis, l’opinion publique est largement acquise aux rétablissements des relations entre les deux pays. Les grandes entreprises se pressent au portillon, leurs lobbies travaillent au sénat et à la Chambre dominée par les républicains hostiles à la normalisation.

 

La coalition agricole des États du Sud qui vient d’envoyer une délégation à Cuba a inspiré le dépôt au sénat d’un projet de loi en faveur du rétablissement des relations commerciales réciproques. Plusieurs autres sont déjà déposés ou en préparation, du jamais vu, et certains pourraient disposer d’une majorité simple au sénat. Le gouverneur de New York a annoncé sa visite en avril. Les compagnies aériennes se disent prêtes à rétablir les lignes. Et on a pu voir apparaître sur le site d’Amazon la flèche d’un « envoi à Cuba. » Aussitôt supprimé, il n’en indique pas moins que chacun se prépare. Le New York Times poursuit sa campagne de presse qui a précédé les annonces du 17 décembre et plaide pour des relations touristiques normales. Les firmes hospitalières ont fait part de leur intérêt à développer le tourisme de santé avec les hôpitaux cubains.

 

 

Les pouvoirs du Président

 

Même si le congrès est seul habilité à supprimer l’embargo les pouvoirs du président Obama lui permettent de le vider de son contenu. Les lois Helms-Burton et Torricelli qui ne peuvent être levées que par le Congrès portent sur quatre aspects : interdiction aux filiales à l’étranger de commercer avec Cuba, interdiction aux entreprises nord-américaines de commercer avec des entreprises cubaines nationalisées par la révolution, interdiction aux citoyens nord-américains de faire du tourisme à Cuba, obligation pour Cuba de payer en liquide et à l’avance l’achat de produits agricoles.

 

En revanche Barack Obama peut utiliser les licences pour permettre à l’île d’utiliser le dollar et le système bancaire étasunien dans ses transactions, d’ouvrir des comptes aux États-Unis, d’accéder aux crédits des institutions financières internationales.

 

En matière de santé, il peut autoriser l’exportation de médicaments et d’équipements pour la biotechnologie cubaine et permettre à celle-ci de commercialiser ses produits aux États-Unis, autoriser les Étasuniens à se soigner à Cuba.

 

En matière de commerce, il peut permettre les achats de Cuba, dans des pays tiers, de marchandises comportant plus de 10 % de composants étasuniens et autoriser l’importation de marchandises de pays tiers comportant du nickel ou du sucre cubain. Le rétablissement des lignes aériennes et des lignes de ferry dans les deux sens peuvent aussi s’effectuer grâce à des licences.

 

Sous la pression internationale, celle de l’opinion publique étasunienne, du monde patronal et de ses lobbies, un effet boule de neige peut-il se produire ? À Cuba, la presse, les blogs, commentent chaque jour les dernières mesures et négociations, les visites des délégations officielles étrangères. Le débat bat son plein et la société se prépare à la normalisation des relations avec le voisin du nord. Un défi, « une sorte de Moncada » écrivent les commentateurs, pour la génération qui est née, a grandi dans le blocus et…. l’a fait échouer.

 

 

 

Par Maïté PINERO (*) - legrandsoir.info – le 6 mars 2015-03-07

 

Notes :

1)

www.whitehouse.gov/blog/2014/12/18/email-president-obama-cuba

2)

www.whitehouse.gov/the-press-office/2014/12/19/remarks-president-year-...

 

 

(*) Maïté Pinero est journaliste et écrivain. Correspondante en Amérique Latine (1984-1989) pour L’Humanité, elle a « couvert » la guerre au Nicaragua, au Salvador, au Guatemala ainsi que la chute des dictatures (Haïti, Chili, Paraguay, etc.). Elle a réalisé de nombreuses enquêtes sur la situation des gamins des rues en Amérique Latine, révélant l’existence d’un trafic d’enfants utilisés comme donneurs d’organes (Le Monde Diplomatique, août 1992). Elle a commencé à écrire des nouvelles (Tu Hurlais Encore, Atelier Julliard) après ses séjours dans les maquis du Salvador. Elle est aujourd’hui rédactrice en chef adjointe du magazine mutualiste Viva. (Source : bibliopoche.com)


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Attention au pivot de la Grèce vers la Russie

Attention au pivot de la Grèce vers la Russie | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Légende & source photo : Alexis Tsipras - fr.euronews.com


 

Attention au pivot de la Grèce vers la Russie

 

Avec des médias allemands se demandant qui est le plus dangereux pour nous ? La Grèce ou la Russie ? Des actions récentes des deux protagonistes dans cette question suggèrent qu’ils peuvent être mis sur le même pied plus tôt que beaucoup ne s’y attendaient.

 

Avec les tensions qui montent entre la Grèce et l’Eurogroupe, les visites récentes et futures en Russie ont gagné en importance depuis que le ministre des Finances russe a confirmé que Moscou « pourrait considérer une aide financière pour la Grèce ». Alors que cette idée de pivot russe était un truc de conspirationnistes, il y a seulement quelques semaines, la BBC se demande maintenant directement si l’Europe pourrait abandonner la Grèce au profit de la Russie. Sachant que 61 % des Grecs ont un regard positif envers la Russie et seulement 23 % envers l’Europe, cela ne devrait choquer personne.

 

L’approfondissement des liens entre le nouveau gouvernement de la Grèce et la Russie a déclenché des sonnettes d’alarme à travers l’Europe. Tandis que les leaders d’Athènes s’étripent avec leurs créanciers internationaux sur des réformes pour éviter la faillite, et que la Grèce peut fixer les yeux sur Moscou comme un atout en réserve, certains craignent qu’elle s’éloigne inexorablement de l’Ouest, vers un allié plus bienveillant, un investisseur potentiel et un créancier. Comme la BBC le constate, l’Europe n’est pas satisfaite. Devrait-elle en plus s’en s’inquiéter ?

 

Une foule de membres du cabinet grec se rendra à Moscou.

 

Le président russe Vladimir Poutine accueillera le Premier ministre Alexis Tsipras en mai, accompagné par le partenaire de la coalition Panos Kammenos, le ministre de la Défense nationale et le leader du parti populiste de droite des Grecs indépendants. Le calendrier choisi n’a pas échappé aux analystes.

 

Le délai pour le renflouement de la Grèce expire fin juin et le secret de polichinelle bien gardé à Bruxelles est qu’Athènes aura besoin de nouveaux prêts pour ne pas couler.

 

Officiellement, la Grèce ne cherche pas de sources de financement alternatives.

 

Mais un prêt de la Russie, ou peut-être de la Chine, pourrait sembler une alternative plus favorable – ou au moins complémentaire – à n’importe quel nouveau renflouement de la zone euro avec toutes ses mesures impopulaires et les réformes attachées.

 

La Grèce pourrait espérer un gaz moins cher pour les ménages qui peinent à survivre, ainsi qu’une augmentation de l’investissement et du tourisme russe pour donner le coup de pouce économique dont elle a vraiment besoin.

 

Moscou, en retour, serait récompensé par un allié amical ayant un droit de veto à l’intérieur de l’UE à un moment de rapports tendus par la crise en Ukraine.

« Mon sentiment est que le gouvernement grec joue la carte russe pour améliorer sa position de négociation dans les marchandages actuels, dit Manos Karagiannis, un spécialiste de la politique étrangère russe, né en Grèce et enseignant au King’s College de Londres. Mais ce sera très difficile pour Athènes de se distancier de l’UE et de l’OTAN. »

 

Pour le Prof. Karagiannis, ce qui importe, c’est que la Grèce est entièrement intégrée dans l’Ouest, mais il avertit contre une sous-estimation des risques d’une sortie de l’euro pour la Grèce.

 

« Un Grexit pourrait certainement alimenter des sentiments contre l’Union européenne parmi la population grecque, et une Grèce isolée et faible pourrait mettre en danger la stabilité de la région entière », dit-il.

 

Un pays affaibli, rejeté de la zone euro et probablement de l’UE serait alors bien plus ouvert à des liens approfondis avec la Russie.

 

 

 

Par Tyler Durden (zerohedge) - traduit par jefke, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone

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