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Les ratlines (*) américaines, le recyclage des nazis

Par Laurent Brayard (**)

 

Dans les questions qui reviennent souvent parmi les lecteurs ou nos interlocuteurs, celle dubitative concernant l’implication des États-Unis avec les néo-nazis en Ukraine est révélatrice de la désinformation que nous subissons. Lorsqu’elle est posée, c’est toujours dans le doute que les États-Unis d’Amérique, les hommes du débarquement en Normandie, le pays de la Démocratie puisse avoir la faiblesse de travailler, utiliser, protéger et même privilégier des partis ou des régimes d’extrême droite à travers le monde. La grande ignorance vient à la fois du fait des intenses propagandes menées depuis 70 ans, mais aussi de l’idée à travers par exemple le cinéma, que l’Américain est forcément toujours « le gentil ». N’était-il pas l’opprimé de la Couronne d’Angleterre en 1776 ? Ne fut-il pas présent pour nous secourir en 1917 et 1944 ? Les Américains ne nous ont-ils pas sauvé à la fois du nazisme puis du communisme durant la Guerre froide ? Que serions-nous sans les Américains ?

 

Voici donc quelques réflexions qui taraudent toujours les Français, rapide à s’enflammer, prompt aux raccourcis. C’est oublier la véritable histoire entre la France et les États-Unis et des USA tout simplement. S’il y eut dans le monde un pays redevable de la France, ce sont bien les États-Unis. Sans la flotte française, les manufactures d’armes qui produisirent à crédit celles dont avaient besoin les insurgés américains, la révolte américaine serait restée dans l’histoire aux côtés des rébellions écrasées. Cette guerre coûta à la France l’équivalent du prix de trois châteaux de Versailles, une somme colossale qui ne fut jamais remboursée. Mieux encore, elle conduisit la France plus vite vers une crise économique la plongeant dans la terrible Révolution française. Les traités de commerce et d’alliance éternels signés par les États-Unis avec la France furent dénoncés par les Américains dès l’appel à l’aide des Français contre l’Angleterre en 1793.

 

Pire, une guerre larvée franco-américaine fut notre récompense entre 1798 et 1800… Il fallut Bonaparte pour en finir par le traité de Mortefontaine. Les Américains avaient perdu 2 000 navires de commerce… contre 22 pour les Français.

 

Il avait fallu moins de 20 années pour voir la nature de la reconnaissance américaine, cette dégradation des relations étant due à la fois au régime de Terreur dont fut victime Louis XVI, mais aussi et surtout la proclamation de l’abolition de l’esclavage par les Français… un sujet sensible aux États-Unis.

 

Cette première expérience d’une alliance d’un pays avec les États-Unis devait se renouveler plusieurs fois dans l’histoire. Les droits de l’Homme américains s’arrêtaient là où les intérêts marchands de quelques-uns pouvaient prévaloir. Toute la politique américaine depuis sa création a suivi cet adage. Lorsque les Américains chantaient « La Fayette nous voilà ! » en 1917, les USA n’étaient rentrés en guerre qu’après la naissance de la menace des sous-marins allemands et des incidents maritimes notables (torpillage du Lusitania). Si les USA avaient « fini par y aller », ce n’était pas politiquement de bon cœur. Leur intervention eut un prix, le matériel et les usines américaines ne tournèrent pas à plein régime comme nos manufactures de 1780 sans compensation financière… Entre la Première et la Seconde Guerre mondiale, 80 % des stocks d’or du Monde qui se trouvaient en Europe principalement entre Londres, Paris et Berlin se retrouvèrent entre les mains des Américains.

 

L’intervention dans la Seconde Guerre mondiale fut là encore difficile et tardive. Plus encore qu’en 1917, les Américains avaient de très fortes sympathies avec l’Allemagne nazie. Rappelons simplement Ford, les théories communes de l’eugénisme dans les deux pays et aussi le parti fasciste américain et la diaspora allemande en Amérique. Cette entrée en guerre ne fut obtenue d’ailleurs que par l’attaque japonaise du 7 décembre 1941. Même à cette date, les USA ne se rangèrent pas aux côtés des alliés et il fallut attendre le 12 décembre suivant pour qu’Hitler déclare lui-même la guerre aux États-Unis.

 

La suite nous la connaissons, la victoire, le plan Marshall, la Guerre froide, des guerres par procuration partout dans le monde, l’OTAN.

 

Prenant le rôle de gendarme de l’Humanité, les États-Unis n’ont alors cessé d’interférer dans toutes les parties du globe, souvent militairement, à chaque fois pour des raisons politiques et stratégiques.

 

Ces raisons d’État ont été la cause des ratlines américaines, le recyclage de plus de 20 000 nazis et collaborateurs européens et l’organisation de la fuite de combien d’autres ?

 

Partout, ils furent réutilisés, au niveau de la recherche et des sciences, citons simplement Wernher von Braun, mais aussi des services secrets avec Reinhard Gehlen, Klaus Barbie, Otto von Bloschwing, Wilhelm Höttl, Guido Zimmer etc.

 

Après la vitrine du procès de Nuremberg, les États-Unis ne se privèrent pas dans leur lutte avec l’URSS et le bloc de l’Est d’employer des milliers de nazis. Ils ne furent pas seulement Allemands ou Autrichiens, mais aussi Croates, Hongrois, Roumains, Bulgares et bien sûr Ukrainiens. Le principal repli des partisans de Bandera et Choukhevytch fut justement l’Europe occidentale et surtout les États-Unis. Les membres de l’UPA furent massivement employés au point de retrouver dans le lit du président Iouchtchenko, une certaine Katerina proche de Yaroslav Stetsko personnage clef de l’ABN, le Bloc des nations anti-bolcheviques mort aux États-Unis en 1986. Ainsi les États-Unis ne cessèrent jamais d’employer des nazis, des régimes militaires ou dictatoriaux à partir de la fin de la guerre, nous pouvons d’ailleurs repérer trois phases distinctes.

 

La première commence dès 1945 et dure jusque dans les années 70. Elle consiste à recycler et utiliser les nazis dans toutes les parties du monde, en Europe particulièrement pour lutter contre l’Union soviétique dans l’âpre combat de la Guerre froide. Ils participèrent à du renseignement, à la formation de réseaux, au recrutement d’agents, de saboteurs, d’hommes de main. Ils furent très actifs dans les pays du Pacte de Varsovie, dans les Balkans, en Grèce, en Europe Centrale et de l’Est. Mais ils furent aussi utilisés en Amérique du Sud. Sur ce continent, ils servirent les régimes militaires et fascisants des différentes dictatures, verrouillant l’Amérique du Sud qui était un terrain propice de la propagation du communisme avec la proximité de Cuba.


Cette utilisation sur le continent sud-américain fut plus longue dans le temps. Très soucieuse de ne pas voir la zone tomber sous l’influence soviétique, les Américains fermèrent les yeux sur les exactions terribles des différents régimes, commises par ailleurs parfois avec leur aide, comme le prouve magistralement Naomi Klein dans sa Stratégie des chocs. Partout, en Argentine, au Paraguay, en Uruguay, au Chili, en Bolivie, au Brésil, des agents nazis ou fascistes, Allemands, Autrichiens, Italiens, Hongrois, Croates furent à la base des polices secrètes, des méthodes concentrationnaires, d’interrogatoires et de tortures, d’assassinat. Avec le temps, ces régimes furent abandonnés, les sbires nazis autrefois d’utiles agents ; lâchés et parfois poursuivis sans relâche. Ce fut le cas par exemple de Klaus Barbie.

 

Dans cette deuxième phase qui commence au début des années 70, les nazis ou fascistes continuent d’être employés sans vergogne. À cette date, les hommes employés ne sont plus ceux qui avaient combattu durant la Seconde Guerre mondiale, ou de moins en moins. C’est le cas de Stefano Delle Chiaie (1936-) un militant italien néofasciste utilisé ainsi que beaucoup d’autres pour mener des actions terroristes financées et pilotées de loin par la CIA dans le cadre de la Stratégie de la tension. Il s’agissait ici de terroriser la population en maintenant une pression inhérente à des attentats meurtriers (années de plomb), soit mis sur le dos de mouvements terroristes d’extrême gauche, soit pour montrer le danger de la montée des forces d’extrêmes gauches, montrées du doigt comme génératrice de l’anarchie, de l’instabilité et de ruine économique.

 

L’exemple italien n’est pas isolé, cette stratégie, pouvant d’ailleurs être couplée avec celle du Choc, fut employée nous l’avons vu en Amérique du Sud, mais aussi en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie.  Elle fut généralisée et permit la construction de digue contre le communisme, le contrôle des électorats, la mainmise sur des économies et des richesses stratégiques. À la fin de l’Union soviétique, l’écroulement du bloc de l’Est et la disparition du Pacte de Varsovie, cette deuxième phase était terminée.

 

C’est donc au début des années 90 que commença la troisième phase, dans laquelle nous sommes encore présentement. Cette stratégie des Chocs a pu se trouver d’ailleurs adaptée, avec l’infiltration des syndicats comme en France, la motivation et le maintien dans la crise de zones entières, en Europe, particulièrement en France et au Royaume-Uni. Mais elle a muté vers un contrôle direct ou indirect plus prégnant. Ce fut le cas au Moyen-Orient avec les invasions remarquées de l’Irak, de l’Afghanistan et une lutte conduite contre des régimes autrefois utiles, mais abattus par les Américains pour un contrôle plus direct.

 

Rappelons le soutien à l’Irak contre l’Iran pendant la guerre terrible de 1980-1988, puis la première invasion du pays suivi d’une deuxième une décennie plus tard. Les Américains ont ainsi réalisé dans le monde musulman la même chose qu’ils avaient faite avec les nazis, supporter et armer les islamistes à des fins machiavéliques visant à atteindre des objectifs concrets de contrôles de points stratégiques et de ressources capitales pour le virage du XXIe siècle.

 

Ces plans se sont relativement bien déroulés alors que les États-Unis prenaient quasiment le contrôle de l’Union européenne en passe de vassalisation totale.

 

C’est la réapparition de la Russie dans le jeu international, apparaissant à nouveau comme une concurrente gênante, se rapprochant de pays non-alignés comme le Venezuela, le Brésil, l’Inde ou la Chine que l’offensive américaine a commencé contre la Russie. Elle fut commencée en Ukraine en 2004, puis poursuivie en Géorgie et de nouveau en Ukraine.

 

Aujourd’hui nous sommes au paroxysme de cette guerre sourde. En Ukraine, les Américains n’ont donc eu aucun mal, dans la grande tradition des ratlines américaines, de financer les partis néonazis comme Svoboda, de soutenir le régime brun de Porochenko et d’envoyer conseillers et mercenaires donner la main aux massacres dans le Donbass durant l’été et l’automne 2014.

 

Historiquement, il n’y a donc aucune impossibilité aux Américains de faire alliance avec des néonazis. La realpolitik américaine depuis l’indépendance du pays en 1776 a été construite sur cet unique adage. Rappelons d’ailleurs que les ponts sont importants entre les deux mondes.

 

Les États-Unis furent le dernier pays esclavagiste occidental, la terre de création du KKK, le Ku Klux Klang, des ségrégations raciales, mère des théories eugénistes et récemment de celles du Gender, génératrice d’invasions militaires récurrentes étayant chacune des décennies de son histoire, terre de la création de la bombe atomique et seule nation l’ayant utilisée contre d’autres hommes. En faudrait-il plus pour démontrer que le gouvernement américain (à ne pas confondre avec son peuple) a toujours été prêt à tout ?

 

 

 

Par Laurent Brayard (**) - novorossia.vision – le 14 avril 2015

 

 

(*) Les ratlines (en anglais) ou les réseaux d’exfiltration nazis désignent les filières d’exfiltration utilisées par les nazis et les fascistes fuyant l’Europe à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ces filières conduisaient essentiellement vers des abris sûrs situés en Amérique latine, en particulier en Argentine, au Paraguay, au Brésil, au Chili et également au Moyen-Orient, principalement en Égypte. D’autres destinations peuvent avoir inclus les États-Unis et le Canada… (Source Wikipédia)

 

(**) Laurent Brayard : né à Clermont-Ferrand (origines dans la Bresse et le Lyonnais). Historien spécialiste des Armées de la Révolution et de l’Empire, secrétaire de la SEHRI, la société d’études historiques révolutionnaires et impériales et membre correspondant de la Société d’Émulation de l’Ain, l’une des plus anciennes sociétés savantes de France (créée en 1746). Rédacteur et journaliste à La Voix de la Russie vivant à Moscou depuis bientôt deux ans. Il poursuit ses travaux historiques en Russie et écrit un livre sur une famille russe durant la tourmente de la Seconde Guerre mondiale, de 1940 à 1948… (Source : ici)