Le choc cognitif au sujet du holodomor
Par Alexeï Sergueïev
Un Ukrainien éprouva un véritable choc cognitif après avoir lu dans un de mes anciens articles ceci : « les nationalistes ukrainiens organisèrent un Holodomor* en Ukraine dans les années 1932/33″).
(*NDT: Selon la Wikipédia » Le terme Holodomor [ukrainien :голодомо́р, littéralement extermination par la fai ]) désigne la grande famine qui eut lieu en Ukraine et dans le Kouban en 1932 et 1933 et qui fit, selon les estimations des historiens, entre 2,61 et millions de victimes. Créé par fusion des mots holod[(en ukrainien, la faim, la famin]) et moryty[(tuer (par privations), affamer, épuise]) ce terme prête à cette famine un aspect intentionnel).
Certaines personnes naïves croient que ces mêmes autorités ukrainiennes nationalistes qui, durant les 2 dernières années, firent du lavage de cerveau aux enfants ukrainiens avec des mensonges sur l’Holodomor, pourraient dire la vérité sur le rôle des nationalistes ukrainiens dans l’organisation de la famine.
Si, aujourd’hui, on voit en Ukraine des foules de partisans du Maïdan déchaînés, il faut bien comprendre que le rôle primordial dans la cohésion idéologique de ces foules fut joué par des historiens ukrainiens contemporains qui firent de la prostitution autour du holodomor.
Je citai des exemples sur mon blog qui démontraient que du temps de l’URSS, les historiens ukrainiens connaissaient pertinemment les causes ayant conduit au holodomor, mais, une fois que l’État ukrainien se fut formé, ils fermèrent brusquement leurs gueules et se mirent à justifier le mensonge autrefois fasciste et marginal sur un Staline haïssant les Ukrainiens. Ce même Staline qui à l’époque sauva littéralement les paysans ukrainiens de la famine et qui, rien que pour ça, aurait dû voir des monuments érigés en son honneur dans chaque village ukrainien.
En tant qu’expert en histoire de la famine 1932-33, je raconterai brièvement l’essence de ce qui se passa à l’époque.
La réforme agraire stalinienne aurait dû priver les koulaks (NDT: Koulak – dans l’Empire russe, un propriétaire qui possédait de grandes fermes où il faisait travailler des ouvriers agricoles) de leurs sources traditionnelles de bénéfices. Aussi, les koulaks se dressèrent contre les kolkhozes, au départ constitués sur des bases volontaires, en utilisant tous les leviers d’influence à leur disposition. Le pouvoir répondit par la dékoulakisation et par une totale collectivisation.
En fait, dans les années 1929-1933, dans le pays, il y eut une guerre civile autour des kolkhozes. Les pauvres combattaient à mort pour les kolkhozes, les koulaks luttaient tout aussi farouchement contre. La classe moyenne se divisa en fonction des conditions locales. On pouvait observer une corrélation : plus grands étaient les bénéfices que les paysans obtenaient de la vente du pain dans la région, plus massivement et plus durement ils luttaient contre les kolkhozes. Des koulaks restés sur place après la dékoulakisation (on n’a procédé qu’à une dékoulakisation partielle) furent obligés d’adhérer aux kolkhozes. Mais alors ils se mirent à s’organiser pour faire du sabotage au sein de ces kolkhozes. L’objectif au départ a été simple : prouver aux autorités que les kolkhozes n’étaient pas viables, ainsi les autorités étaient sensées remettre les choses comme avant.
L’élimination du bétail de trait, la contamination des champs par des mauvaises herbes, le retard des semis, la récolte de mauvaise qualité… On laissait pourrir la récolte dans les champs, on la brûlait dans les champs et dans des greniers. Il est clair que les récoltes ont chuté. Pour ne pas en être touché soi-même, pour priver des kolkhoziens honnêtes d’une quelconque récolte, les céréales furent volées et laissées à pourrir dans des fosses.
En 1931, une sécheresse éclata. Les autorités réussirent tant bien que mal à en maîtriser les conséquences en utilisant de vieilles réserves. Mais les opposants du pouvoir eurent leur chance : encore une mauvaise récolte comme ceci et la famine qui éclaterait détournerait des pauvres affamés du soutien des kolkhozes, une émeute paysanne générale soit renverserait le pouvoir des Soviets, soit au moins ferait table rase des kolkhozes.
Les koulaks eux-mêmes n’eurent jamais peur de la famine, car ils tiraient toujours un profit des famines grâce à des spéculations. Simplement au printemps 1933, ils espéraient tirer un profit politique.
Dans ces conditions, toutes les forces anti-soviets se mirent dans la boucle de l’organisation de la famine et des préparatifs d’une émeute.
L’Ukraine se retrouva en position d’autant plus vulnérable que, là-bas, des États voisins et des nationalistes ukrainiens s’entendirent sur un détachement futur de l’Ukraine de l’URSS, en surfant sur la vague d’une émeute affamée.
Ainsi, même des fonctionnaires locaux qui sympathisaient et se soumettaient aux nationalistes presque en totalité, se mirent à contribuer à la famine. Ce qu’ils n’avaient pas réussi à détruire dans les champs ou voler, ils le faisaient sortir avec cruauté des greniers des paysans et – attention ! – le BRÛLAIENT sous leurs yeux des gens en l’accompagnant de : « Pour que ça ne tombe pas entre les mains des moscovites ! »
Le leader du monde occidental, l’Angleterre rompit les relations économiques avec l’URSS, la précipitant ainsi dans l’abîme d’une famine. En débattant au sujet des achats des céréales lors d’une réunion du Bureau politique, Staline reconnut que, selon ses informations, l’Union Soviétique se le verrait refuser.
À l’époque, l’équipe de Staline sauva l’Ukraine par miracle. Des colonnes des tracteurs tout neufs envahirent les champs ukrainiens, restés sans bétail pour les labourer, alors qu’on obligea la région de la Volga de labourer avec des vaches. Les fonctionnaires locaux furent remplacés en intégralité. On frappa les bandits et les groupes nationalistes clandestins. On stoppa en urgence la politique de l’ukrainisation.
On arrêta la folie des centaines de milliers de réfugiés qui se dirigèrent vers des régions qui mangeaient à leur faim là où le pays entier en crevait. On arrêta en urgence le mouvement des céréales suivant les contrats d’exportation, en les faisant revenir directement des ports.
Des milliers de wagons des céréales expropriées dans des régions russes affamées elles-aussi, furent envoyés en Ukraine pour nourrir tant bien que mal des kolkhoziens honnêtes qui travaillaient et pouvoir réaliser des semis au printemp 1933. On obligea des communistes à restituer en semences une partie des céréales qu’ils avaient touchées en paiement de leur travail en nature. On battit la paille pour en récupérer quelques grains. On ouvrit des fosses en promettant de pardonner ceux qui restitueraient ce qu’ils avaient volé.
L’Ukraine fut sauvée.
Mais le citoyen de l’Ukraine de nos jours ne le sait pas, abruti par un quart de siècle de la propagande nationaliste, ainsi il soutint le Maïdan.
Par Alexeï Sergueïev (Source)-- traduction : Svetlan Kissileva -
Novorossia vision - 23 novembre 2014
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>>> Voici un commentaire de Laurence Guillon (*)
au sujet de l'article ci-dessus
Je dirais d'« holodomor » qu’il est le résultat d’une impitoyable collectivisation qui n’était pas un génocide perpétré par les Russes à l’endroit des Ukrainiens, mais d’un génocide perpétré par le pouvoir communiste à l’endroit du monde paysan que cet article calomnie.
Or dans ce pouvoir communiste tout le monde a trempé et tout le monde en a été victime. Je citerai pour illustrer mon propos ce passage du livre de l’académicien Panarine consacré au sort des paysans dans la Russie soviétique : « Au début, à la période de surplus, ils prenaient au paysan, qui venait de recevoir sa terre, toute sa récolte. Le travail en devenait par là même absurde. Ensuite, à la période de la collectivisation, les commissaires nécrophiles, sous les yeux des paysans, gâchaient le blé qu’ils leur avaient enlevé, en l’arrosant de bonne façon. Le bétail confisqué mourait de faim dans les parcelles collectives, les récoltes confisquées pourrissaient ou brûlaient. Ce théâtre de l’absurde, organisé avec une sombre et mauvaise jubilation de nécrophiles devant la vie profanée, dura des décennies.
On semait du lin, dans le seul but de le récolter à l’automne et de le brûler. Au temps de l’épopée du maïs, sous Khrouchtchev, des superficies de terre étaient dévastées pour être occupées par le « roi des champs » qui décevait la science et ne donnait rien. Après la famine monstrueuse des année 30, qui avait commencé à la suite de la collectivisation générale, le pouvoir décida de céder momentanément à l’instinct de propriété ».
On accorda aux paysans de misérables parcelles de jardin, moins de 1% des surfaces cultivables du pays. Et cette oasis nourrissait de ses sucs le pays exsangue, fournissant près de 40 % de toute la production agraire. Mais cette petite revanche suscita aussitôt l’agitation et la haine des eunuques du communisme, qui commencèrent à exiger pour chaque poule élevée, chaque arbre fruitier planté un impôt qui excédait des dizaines de fois le bénéfice possible du paysan.
Le foyer paysan misérable était isolé et bloqué par tous les efforts d’une armée mobilisée de surveillants-expropriateurs. Il était interdit de mener le bétail au pré, on ne pouvait faucher pour le nourrir que dans des endroits peu commodes, pris au hasard, près des ravins, et encore en cachette, avec les coups d’œil traqués qui accompagnent les pratiques illégales et honteuses. La réaction rationnelle à cette censure omniprésente, et qui ne connaissait pas la pitié envers les manifestations de la vie, eût été de tout laisser tomber, de partir à la ville et de passer dans les rangs de la bureaucratie et de la technocratie victorieuse.
Beaucoup le firent. La différenciation socialiste distingue et oppose deux parties de la paysannerie : celle qui, à la vie et au travail de la terre réels, a préféré le travail du texte – l’activité bruyante des innombrables militants des jeunesses communistes, des propagandistes, des agitateurs, des organisateurs, des agents de terrain, des contrôleurs – et celle qui est restée fidèle à la vie même du peuple et, au-delà de cela, à l’ordre cosmique. Quelle force vitale, quelle énergie de l’éros fallait-il pour continuer, dans les circonstances de la nécrophilie inlassable des commissaires, son affaire de paysan, qui transforme le corps et la volonté en un organisme cosmique, en l’expression de la nature opprimée, assiégée par la technosphère !
Le communisme, d’après le même Panarine, et je le crois de plus en plus, n’est devenu supportable que lorsqu’il a commencé à se russifier, dans les dernières décennies ramollies de son existence.
(*) Laurence Guillon est écrivaine, retraitée de l’Éducation Nationale et traductrice occasionnelle. Elle a vécu 16 ans en Russie. (source Agoravox)
Voir un autre article relatif à ce sujet :
L’Holodomor, un révisionnisme
ukrainien de l’histoire