Belgique - Vivre en famille : un droit pour tous ? | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

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Belgique - Vivre en famille :

un droit pour tous ?

 

Vivre en famille est un droit fondamental, reconnu par différentes conventions internationales. Actuellement, une directive européenne touchant au regroupement familial [1], la directive 2004/38/CE, garantit ce droit [2]. Comme dit le proverbe, « l’amour n’a pas de frontière », ce qui a pour conséquence que la famille n’est pas limitée aux frontières nationales et peut être éclatée sur différents territoires. Qu’advient-il donc des familles dispersées sur le globe et leur droit à vivre en famille ? Qu’en est-il de la situation en Belgique ?

 

En Belgique, la question du regroupement familial est apparue avec l’immigration de travail, dans le milieu des années quarante. À cette époque, pour des motifs d’ordre économique et démographique, l’arrivée des membres des familles des migrants était encouragée et soutenue par le gouvernement belge [3]. Ceci répondait principalement à deux préoccupations : l’une démographique, les économistes et démographes proposant de faire face à la diminution de la population belge en faisant venir les familles des travailleurs immigrés, et l’autre économique, la perspective de se faire rejoindre par sa famille étant présentée aux candidats à l’immigration comme un avantage compétitif par rapport aux autres pays demandeurs de main-d’œuvre.

 

La première loi concernant le regroupement familial, datant du 15 décembre 1980, était relativement favorable au regroupement familial. Depuis, il y a eu de nombreuses modifications de cette loi qui ont progressivement restreint les conditions et complexifié la procédure [4]. En effet, après l’arrêt de l’immigration légale de travail en 1974, le regroupement familial est devenu la principale porte d’entrée des migrants dans plusieurs pays européens [5], ce qui est perçu comme problématique par plusieurs politiciens nationaux et l’opinion publique. La Belgique ne fait pas exception : elle est l’un des États membres qui ont une forte prédominance des permis de séjour délivrés pour des raisons familiales [6], et ce principalement dans le cadre d’un mariage [7]. Le regroupement familial a donc fait l’objet de réformes législatives successives qui tendent à imposer des conditions plus restrictives. Le gouvernement Di Rupo s’inscrit dans cette tendance restrictive : l’accord de gouvernement déclarait avoir pour but de prendre « des mesures pour mieux lutter contre la fraude en matière de regroupement familial et de cohabitation légale [8]. »

 

La dernière réforme date de la loi du 8 juillet 2011 et est rentrée en vigueur le 22 septembre 2011. Cette dernière reconnait la nécessité de protéger le droit à vivre en famille et la vie familiale, mais s’inquiète des fraudes et des abus en matière de regroupement familial. On remarque donc qu’il y a une tension entre la reconnaissance du droit à vivre en famille et la politique d’immigration, de plus en plus restrictive. Quelles sont donc les conséquences de cette tension pour les personnes concernées ? Cette loi a été critiquée sur plusieurs points, mais nous nous centrerons sur deux distinctions qu’elle introduit : la première est relative aux revenus et la seconde touche à la nationalité.

 

Tout d’abord, la condition de ressources est restée pendant longtemps secondaire. En 2006, le législateur a introduit une condition touchant au logement : les ressortissants de pays tiers doivent désormais disposer d’un logement suffisant pour profiter du regroupement familial [9]. Avec la loi de 2011, cette condition a été maintenue et une nouvelle a été ajoutée : pour faire venir un membre de sa famille, il faut jouir de ressources stables régulières et suffisantes.

 

Le droit à vivre en famille est désormais conditionné aux revenus et ressources des personnes. Selon le législateur la condition de revenu devait assurer aux membres de la famille des conditions de vie dignes en Belgique et éviter qu’ils ne représentent une charge pour la sécurité sociale. Sous les termes de « ressources stables régulières et suffisantes », il est question de posséder au moins 120% du revenu social d’intégration isolé (RIS), en d’autres termes 1.256,98 euros [10]. Dans le calcul de ce montant, il n’est pas possible de faire valoir certaines ressources : celle provenant du RIS, du supplément d’allocations familiales, de l’aide sociale, des allocations familiales, de l’allocation d’attente ou d’allocation de transition [11]. On comprend dès lors que ces nouvelles conditions découragent les personnes les plus précaires d’introduire une demande de regroupement familial.

 

Une autre discrimination est celle entre citoyens européens et belges. La loi introduit une différence entre ces deux catégories sur deux points : les membres de la famille autorisés à les rejoindre et les conditions matérielles à remplir. Désormais les Belges doivent aussi remplir les conditions matérielles détaillées ci-dessus. De plus les citoyens belges ne peuvent plus faire venir leurs ascendants, ce qui est toujours possible pour les citoyens européens [12]. Il ressort donc que les citoyens belges sont discriminés par rapport aux citoyens européens. Ceci s’explique, car les citoyens européens sont soumis à d’autres normes juridiques que les Belges : les premiers sont protégés par la directive alors que les seconds sont sous la loi belge.

 

Ces deux points nous montrent qu’une politique, à savoir le désir de réduire la migration familiale, empiète sur les droits fondamentaux comme celui à vivre en famille. En effet, seuls les migrants les plus nantis auront désormais l’opportunité de faire valoir leur droit de vivre en famille. Mais les impacts d’une politique restrictive n’introduisent pas seulement une inégalité entre étrangers précaires ou non, mais discriminent aussi les nationaux.

 

Avec la nouvelle loi, les citoyens belges se voient assimilés à un régime plus sévère que les citoyens européens. Ceci démontre à quel point la politique migratoire restrictive peut non seulement limiter les droits de certains groupes ciblés, mais aussi percoler dans d’autres domaines et toucher même ceux qui ne s’y attendraient pas.

 

 

 

Par Carla Mascia - inegalites.be - le 20 juillet 2015

 

 

Notes

[1] 

Directive 2003/86/Ce du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial.

[2] 

Centre pour l’Égalité des chances et la lutte contre le racisme, Rapport Annuel Centre pour l’Égalité des chances 2011.

[3] 

Martiniello, M., Rea, A., « Une brève histoire de l’immigration en Belgique. », Frédéric Delcor, Bruxelles, 2012.

[4] 

Doyen I. « Analyse : les lignes de force de la réforme du regroupement familial », ADDE, décembre 2011.

[5] 

Pascouau Y. & Labyle H., « Les conditions d’accès au regroupement familial en question. Une étude comparative dans neuf États membres de l’UE », Fondation Roi Baudouin & European Policy Center, novembre 2011.

[6] 

Scarnicchia, L., « Residence permits issued to non-EU citizens in 2009 for family reunification, employment and education », No. 43, Statistiques en Bref, EUROSTAT, 2011.

[7] 

Lodewyckx, I., Timmerman, C., Wets, J., « Le regroupement familial en Belgique : les chiffres derrière le mythe. Chiffres et tendances concernant l’afflux des conjoints migrants en Belgique. Profil socio-économique des intéressés (2011) », Regroupement familial, Fondation Roi Baudouin, 2011.

[8] 

Déclaration de politique générale : « Tenir le cap du redressement durable », Discours du 12 novembre 2012 disponible sur : http://premier.fgov.be/fr/d%C3%A9claration-de-politique-g%C3%A9n%C3%A9rale-tenir-le-cap-du-redressement-durable consulté le 16/07/2013.

[9] 

Doyen I. « Analyse : les lignes de force de la réforme du regroupement familial », ADDE, décembre 2011.

[10] 

Centre pour l’Égalité des chances et la lutte contre le racisme, Rapport Annuel Centre pour l’Égalité des chances 2011.

[11] 

Doyen I. « Aperçu de la réforme concernant le regroupement familial », ADDE, 15 septembre 2011.

[12] 

Centre pour l’Égalité des chances et la lutte contre le racisme, Rapport Annuel Centre pour l’Égalité des chances 2011.