Chine : le développement du marché des semences | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Chine : le développement du

marché des semences

 

La Chine aura bientôt une nouvelle loi sur les semences, favorisant davantage de recherches sur l’amélioration variétale tournées vers le marché, essentiellement intérieur, et une protection accrue des droits des semenciers. Le projet de loi sur les semences, dont la révision a débuté en janvier 2014, a été présenté le 20 avril 2015 au Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale chinoise (APN). La loi devrait être adoptée avant la fin de l’année 2015 [1]. Bonne occasion pour faire le point sur le développement du marché des semences dans l’Empire du Milieu.

 

Ce projet de loi est important, car la Chine, devenue la première économie mondiale [2], est aussi le second marché mondial des semences (22 %), après les États-Unis (27 %) et avant la France (6 %) [3]. Elle deviendra d’ailleurs le premier marché mondial en 2015, avec un montant de 14,2 milliards de dollars [4]. Et vue la taille de ce géant, tout changement en Chine peut avoir des conséquences sur l’ensemble des marchés.

 

Adhérente de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) depuis 2001, la Chine doit protéger ses variétés végétales, soit par des brevets, soit par un système qui lui est propre (article 27-3 b des accords sur la propriété industrielle — ADPIC). Elle avait choisi d’adhérer, deux ans plus tôt, à l’Union pour la protection des obtentions végétales (UPOV), dans sa version de 1978 [5]. Mais, aux dires de certains semenciers locaux, la protection des variétés n’était pas optimale : « beaucoup de règlements ne sont pas précis [la] protection [des variétés] n’est pas très efficace » [6], déclarait ainsi Lu Hong, PDG d’une entreprise spécialisée dans les semences [7], qui espère que le projet de loi révisée sera capable de renforcer la protection du droit de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, selon Alex Liu, professeur de droit en propriété intellectuelle au Centre de recherche sur les lois en Sciences et technologies à l’Université de Pékin [8], si pour le moment une séquence génétique est brevetable ni la plante ni la graine ne le sont, même si elles contiennent un gène breveté [9] : le paysan peut toujours ressemer sa variété sans rien payer à l’obtenteur.

 


Les multinationales semencières aux aguets…

 

Pour le moment, deux lois principales régissent le secteur des semences, toutes deux datant de la fin des années 90 : la loi sur les semences (LS [10] et la loi sur la protection de la propriété des variétés (LPPV [11]). Comme dans beaucoup d’autres pays, un semencier pourra déposer un certificat d’obtention végétale si sa variété est nouvelle [12] (distincte), homogène et stable (articles 14 à 17 de la LPPV et art.12 de la LS). Elle sera alors dûment enregistrée. Mais s’il s’agit d’un semencier étranger, il devra trouver un partenaire chinois (art.19 de la LS), comme le relate cet article des Échos [13] : « les autorités ont interdit aux non-Chinois les prises de participation majoritaires dans les semenciers locaux. Le marché accessible aux étrangers pour la vente de semences potagères est limité à 245 millions d’euros, soit le cinquième du marché chinois. En outre, la commercialisation passe par des intermédiaires chinois. Monsanto, Syngenta et Bayer testent leurs produits dans l’ancien empire du Milieu et doivent recourir à des locaux pour en faire la promotion auprès des agriculteurs ». Et dans son rapport annuel 2013-2014 [14], Vilmorin, actionnaire de plusieurs joint ventures en Chine, écrivait : « Quant à la Chine, forte de près de la moitié de la production légumière mondiale, il s’agit d’une zone incontournable qui nécessite cependant une approche cadencée et prudente compte tenu des enjeux liés à la protection de la propriété intellectuelle (…). Dans ce contexte, des implantations directes et des partenariats avec des semenciers locaux d’importance demeurent les deux axes privilégiés de (...) Vilmorin » [15].

 

Cette volonté d’une souveraineté chinoise représente pour le moment une grosse difficulté pour les semenciers étrangers dont certains (Monsanto, Syngenta, Bayer, Vilmorin...) sont déjà implantés depuis des années. La Chine « veut [en effet] que ses semenciers soient en position de produire des semences capables de concurrencer les variétés étrangères avant d’ouvrir ses marchés » [16]. La Chine ne devrait donc ouvrir réellement son marché que « quand [elle] sera suffisamment confiante qu’elle a la technologie et la capacité requises » pense ainsi Pierre Cohadon, directeur de Syngenta pour la Chine [17]. L’article 6 de la LS enjoint les autorités locales à promouvoir la production et la distribution de semences de qualité, au besoin par la création d’un fonds financier spécifique pour permettre notamment l’émergence d’entreprises de création variétale et de production/distribution de semences, publiques ou privées. Dans le nouveau projet de loi, on verra que ce fonds est renforcé pour la partie recherche, mais disparaît pour la commercialisation (voir ci-dessous).

 

 

… mais la Chine veille sur ses intérêts

 

L’article 10 [18] de la LPPV stipule deux droits :

 

celui d’un semencier de repartir d’une variété protégée pour en créer une nouvelle, sans payer de droits au titulaire (ce qui est conforme aux règles de l’UPOV78) (Michel Fok, chercheur au Cirad, précise que ce droit est valable y compris pour les variétés transgéniques [19]) ;

et celui d’un paysan d’utiliser « à des fins de propagation par les agriculteurs, sur leur propre exploitation, les semences de la variété protégée récoltées sur leurs propres terres ». L’article 27 de la LS précise ce droit du paysan : « Le reste de semences conventionnelles propagées par les paysans eux-mêmes pour leur propre usage peut être vendu et échangé dans les foires rurales [donc à une petite échelle] sans licences commerciales (...) ».

 

Et l’État chinois se réserve le droit, en cas de besoin (intérêt général), d’obliger un détenteur de droit à céder une licence « dont le montant sera fixé par voie de consultation entre les deux parties » (art. 11 de la LPPV). Même si une possibilité de recours existe, on imagine que cette clause n’est pas du goût de tous les semenciers.

 

Il existe d’ailleurs un autre article qui pourrait rebuter les vendeurs de semences, ou du moins les obliger à un respect strict de leur qualité, même si ce n’est pas particulier à la Chine : « Quand les utilisateurs de semences subissent des pertes dues à des problèmes de qualité des semences, les vendeurs de graines doivent leur verser une indemnité, et le montant de cette compensation doit inclure le montant de l’argent dépensé pour l’achat des semences, des dépenses et des pertes de profits potentiels pertinents. Lorsque la responsabilité repose sur les producteurs de semences ou d’autres commerçants, les vendeurs qui ont payé la compensation doivent avoir le droit de réclamer une indemnisation des producteurs ou d’autres vendeurs » (art. 41 de la LS).

 

Le paysan semble donc bien protégé, mais des fraudes, malgré les lourdes sanctions prévues (art. 59 à 72 de la LS), ont tout de même été constatées : plus de vingt mille cas de vente de « fausses graines ou de graines de qualité inférieure » depuis 2011 [20].

 

Les semenciers internationaux sont aussi aux aguets : aux États-Unis, deux Chinois, accusés par le FBI, en janvier 2015, de vouloir exporter des États-Unis frauduleusement du maïs GM breveté de Monsanto et DuPont Pioneer pour en faire de la contrefaçon en Chine, risquaient une peine de 10 ans d’emprisonnement [21]. Pour parer à ces fraudes, le ministère de l’Agriculture chinois (MOA) a lancé, en janvier 2015, la plateforme nationale de traçabilité des semences pour détecter les fraudes [22] : il y a actuellement douze variétés de 11 fabricants enregistrées, concernant blé, riz et maïs…

 

 

Les paysans ressèment massivement des variétés protégées : plus pour longtemps ?

 

D’après Michel Fok, le cadre institutionnel actuel explique l’utilisation massive par les paysans de semences de ferme : « dans la province du Hebei (dans la Vallée du fleuve jaune), il a été observé que 55 % des producteurs [de coton] utilisaient des semences paysannes [vraisemblablement plutôt des semences de ferme], en totalité ou partiellement, dans les années 2002 et 2003 » [23]. Mais, poursuit-il, sont venues ensuite les variétés hybrides F1, « une option commerciale pour mieux capter la demande, puisque le renouvellement annuel des semences est nécessaire. Là où les hybrides sont largement utilisés, comme dans la province du Jiangsu, l’utilisation de semences [de ferme] est en effet quasi inexistante ».

 

La relative sécurisation de la propriété intellectuelle sur les semences à la fin des années 90 a entraîné une augmentation du nombre de nouvelles variétés utilisées : de 199 entre 90 et 99, on est passé à 372 entre 2000 et 2006 ; et le nombre d’organismes de sélection variétale ayant postulé pour des nouvelles variétés est lui aussi en constante augmentation : 156 entre 1999 et 2007, dont 74 instituts publics de recherche et 63 entreprises privées (qui ne commercialisent pourtant des variétés que depuis 2000) [24].

 

C’est donc pour renforcer cette tendance à la création variétale autochtone que la Chine prévoit d’adopter une nouvelle loi sur les semences fin 2015. Mais disons-le tout de go, malgré nos multiples demandes d’informations (ministère de l’Agriculture chinois, ambassade de France en Chine, entreprises étrangères installées en Chine...), il ne nous a pas été possible pour l’instant de savoir si le brouillon en anglais de cette nouvelle loi existait. Les quelques commentaires que nous ont envoyés Alex Liu, ainsi qu’une employée de Limagrain, et le réseau TWN semblent montrer que la Chine souhaite s’orienter vers un renforcement de la propriété intellectuelle, notamment avec l’extension de sa protection aux variétés essentiellement dérivées et la prolongation de sa durée (voir encadré ci-dessous).

 

Comme nous répondait un semencier français, la RAGT, auprès de qui Inf’OGM cherchait de l’information, « nous sommes bien sûr intéressés par le marché chinois, mais n’y sommes pas encore actifs ». Pas facile en effet de faire une percée dans ce monde aux codes culturels différents des nôtres, et surtout avec, on l’a vu, un faible niveau de monopole des semences industrielles. Mais comme l’affirmait Pierre Cohadon, directeur de Syngenta pour la Chine, « la Chine va s’ouvrir – la question est de savoir quand » [25].

 

Rendez-vous donc dans quelques mois, pour comprendre si cette nouvelle loi est un bon signe pour les paysans (pourront-ils toujours au final, comme l’assure la version actuelle du texte — voir ci-dessous —, resemer des variétés protégées pour leur propre usage ?)... ou juste pour les semenciers.

 

 

Les principaux articles de la nouvelle loi

 

En amont, le projet de loi interdit l’appropriation de sites protégés riches en ressources génétiques sans autorisation préalable (article 10). Il restreint également le droit à la sélection variétale uniquement à des entités (nationales ou étrangères) autorisées par le ministère de l’Agriculture (MOA) (article 11).

 

Les articles 12 et 13 du projet de loi promeuvent une production de semences tournées vers le marché, et une recherche, aussi bien fondamentale qu’appliquée, où les entreprises semencières sont encouragées à coopérer avec des organisations sans but lucratif. Le financement de la recherche sera augmenté et sécurisé, par contre celui sur la commercialisation sera progressivement abandonné, afin de mieux faire jouer le jeu du marché. Un chapitre spécial de ce projet de loi (chap.7) est cependant consacré au renforcement de l’industrie semencière chinoise, afin de faire émerger des entreprises de taille compétitive, grâce à des financements conjoints du ministère de l’Agriculture, de la banque de développement agricole chinoise et de SinoChem, une entreprise publique de la chimie.

 

La souveraineté totale de l’État sur les ressources biologiques chinoises est réaffirmée.

 

Le projet de loi s’intéresse aussi à la protection des variétés. D’après le réseau non gouvernemental TWN (Third World Network), il était prévu d’intégrer totalement la LPPV dans cette nouvelle loi, afin de renforcer la protection de la propriété des semences. Mais suite aux protestations de certains groupes d’agriculteurs, la dernière version de ce projet de loi suggère une intégration seulement partielle de la LPPV, qui sera donc encore applicable en tant que règlement séparé [26]. Le projet de loi se rapproche du texte de protection internationale des variétés (UPOV) dans sa version de 1991, en introduisant la notion de « variété essentiellement dérivée » [27] (VED). Toutes les activités liées à une VED (production, sélection, vente...) dépendront de l’accord du titulaire du droit de la variété d’origine (article 28). Il prévoit également l’extension de cinq années de plus pour cette protection, et son élargissement aux produits issus des graines (donc aux récoltes) (ce droit était avant de 20 ans pour la vigne et les arbres, et de 15 ans pour les autres plantes, art. 34 de la LPPV). D’après TWN, le paysan garderait la faculté de stocker et resemer ses semences de ferme, sans payer de royalties. Il n’a pas été possible par contre de savoir si la Chine a prévu d’adhérer à UPOV91 : le TWN assure, sans plus de précisions, qu’elle reçoit des pressions des semenciers en ce sens, mais que certains secteurs résistent...

 

Le contrôle administratif des semences sera renforcé (article 52). La gestion en sera confiée de façon conjointe au ministère de l’Agriculture et aux administrations des États, qui géreront une plateforme homogène d’informations sur les semences, contenant les lois à respecter et les normes pour déposer de nouvelles variétés. Le nombre d’espèces soumis au catalogue national d’autorisation passera de 28 à 5 : riz, maïs, coton, blé et soja. Les autres « cultures mineures » ne feront l’objet que d’un simple enregistrement. Les gouvernements locaux devront établir un système d’autorisations, d’enregistrement, de production, de licences et de contrôle des marchés (article 57). Les deux anciennes licences, de production d’une part, et de commercialisation d’autre part, seront fusionnées en une seule. Le projet de loi renforce les sanctions en cas de violation de cette loi (articles 73-76, 84-86 et 88).

 

 

Par Frédéric PRATinfogm.org – juillet 2015.

 

Pour consulter les notes relatives à ce texte : voir ici.