Les think tanks : bras armé de la politique étrangère américaine, le cas de l’Hudson Institute | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Photo : Alex Wong /Getty Images

 

 

Les think tanks : bras armé de la politique

étrangère américaine, le cas de l’Hudson Institute

par Alexandre Moustafa (*)

 

Les think tanks sont devenus omniprésents aujourd’hui sur les deux rives de l’Atlantique. Ils produisent des notes, des recherches sur différents sujets et cherchent à influencer au maximum, un gouvernement ou un parti. Ces « laboratoires d’idées » se veulent des lieux d’expertises au-dessus des partis. 

 


Les Think tanks et les USA

 

On comptait environ douze think tanks en 1970, contre plus de 1 500 aujourd’hui, cela montre bien l’intérêt qu’ils suscitent dans la société américaine, aussi bien auprès des médias que des hommes politiques. Pour résumer brièvement leur histoire, on compte trois phases de développement des think tanks : d’abord après la Première Guerre mondiale, où quelques organismes apolitiques sont apparus. D’autre part, après la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte de dissuasion nucléaire et de lutte contre la menace communiste. Enfin, la dernière, à partir des années 1980, entre la fin de la guerre froide et mutation du monde contemporain. 

 

Un des plus connus est notamment la Rand Corporation qui avait pour objectif de développer les capacités militaires des États-Unis dans un contexte de guerre froide et de lutte contre la menace communiste.

 

En 1984, un représentant de l’Heritage Foundation déclara « il y a quatre ans, nous avons lancé une mode ». La concurrence accrue entre les think tanks entraina également une collaboration intellectuelle entre eux. Ces think tanks ont permis l’apparition d’« experts », c’est-à-dire un intellectuel hybride, pouvant venir du monde professionnel, comme du monde universitaire. Ces think tanks, au-delà de l’influence en fonction des affinités politiques, peuvent servir d’abris fiscal pour de nombreuses sociétés commerciales. Les milieux néoconservateurs ont bien entendu investi ce créneau, sur des sujets aussi bien économique, que géopolitique, afin de préserver la suprématie américaine dans le monde et de maintenir l’unipolarité. Avant de parler d’un exemple typique de think tank, revenons aux origines des néoconservateurs, qui ont eu une influence décisive en ce début de XXIe siècle. 

 

 

Le mouvement néoconservateur

 

Ce mouvement de néoconservateur trouve ses origines au sein de la gauche, notamment au sein de militants trotskistes des années 1930, 1 940. Après la seconde Guerre mondiale, ils deviennent démocrates afin de défendre l’idéal démocratique, à cela s’ajoute la lutte anticommuniste. Ils se situaient à l’origine à la droite du Parti démocrate, et ils glissèrent progressivement vers les républicains pour montrer leurs désaccords vis-à-vis de l’influence de la New Left Democracy.

 

Lorsque Ronald Reagan détruit l’« empire du mal » que représente l’URSS, ils y voient un « messianisme démocratique ».

 

Le professeur Stephen Walt, politologue à Harvard, précise sur ses néoconservateurs que, « leur inébranlable foi dans l’unilatéralisme de notre politique étrangère, leur défiance absolue envers le monde musulman leur confiance sans réserve dans tout ce que fait Israël, n’ont fait de bien ni à notre pays, ni à l’état du monde. Pourtant, non seulement les candidats républicains ne les considèrent pas comme toxiques, mais on voit même une nouvelle génération de néocons rejoindre les anciens ».

Leur cheval de bataille est la politique étrangère des États-Unis d’Amérique, afin de maintenir coûte que coûte ce monde unipolaire.

 

 

La fondation de l’Hudson Institute

 

L’Hudson Institute n’est pas le premier think tank américain, il reste toutefois un groupe de premier ordre, très actif sur les questions de géopolitiques. L’Hudson Institute est fondé par Herman Kahn, qui fut employé de la Rand Corporation, le principal think tank américain, qui fut très actif durant la guerre froide notamment. Il s’imposa d’abord comme géostratège et théoricien des systèmes.

 

En 1961, Kahn, Max Singer et Oscar Ruebhausen fondent un laboratoire d’idées politiques, l’Hudson Institute. De 1966 à 1968, au plus fort de la guerre du Viêt Nam, Kahn servit comme consultant du Département de Défense et s’opposa aux partisans d’une négociation directe avec le Nord Vietnam.

 

Il aurait un budget annuel de 7 millions de dollars, notamment grâce aux contributions privées ; l’institut est par ailleurs présent dans les grandes villes américaines.

 

L’Hudson Institute a reçu environ 25 millions de dollars entre 1987 et 2003 de subventions gouvernementales et dons d’autres fondations. Les fondations donnant notamment de l’argent sont la Scaife Foundation, la Shelby Cullom Davis Foundation, the Lynde and Harry Bradley Foundation.

 

Selon son rapport de 2012, 56 % de ses revenues viennent de fondations, 10 % de dons d’individus, 12 % d’entreprises, 8 % de subventions gouvernementales.

 

Il se déclare comme une organisation de recherche publique non partisane dédiée à l’innovation, ainsi que des analyses qui promeuvent la sécurité mondiale, la prospérité et la liberté. Les droits de l’homme sont notamment mis en avant pour en faire une diplomatie « occidentaliste » vis-à-vis des « dictatures » d’autres continents.

 

 

La Diplomatie des droits de l’homme

 

Pour Kenneth Weinstein, président de l’Hudson Institute, la valeur de liberté est érigée au sommet de la diplomatie américaine, or lorsque l’on connaît la réalité de la politique étrangère américaine et certaines de leurs amitiés, cela peut prêter à sourire. Il a ainsi pu affirmer dans différentes interviews ou prise de parole qu’« aujourd’hui, c’est ensemble que les puissances de la liberté doivent défendre les hommes et les femmes qui se battent pour faire reculer la tyrannie », car « nous défendons les droits de l’homme, partout où ils sont mis en péril ».

 

Le corpus idéologique des néoconservateurs a toujours reposé sur un élément fondateur « l’engagement pour les droits de l’homme. Dans les pays arabes, cet engagement pour les droits de l’homme a pris le sens spécifique d’une lutte contre les tyrannies – celle de Saddam Hussein, l’occupation syrienne du Liban, l’oppression des chiites en Arabie Saoudite ou la corruption et les violations des droits de l’homme par Arafat. Une lutte qui, soi dit en passant, ne s’inscrit pas dans une optique de « civilisations ».

 

On peut remarquer que droits de l’homme et Moyen-Orient sont mêlés dans les discours, afin de justifier les différentes interventions qui ont pu avoir lieu dans le passé. La défense de ces droits de l’homme ne suffit pourtant pas pour remettre en cause l’alliance des USA avec le Qatar et l’Arabie Saoudite, cette dernière monarchie a pourtant une législation proche de l’État Islamique.

 

Concernant la guerre de 2003 en Irak, ce même Monsieur Weinstein parle d’une « guerre pour la liberté » où, « notre vision morale des relations internationales s’est retrouvée assez isolée au sein des démocraties occidentales ». La France, l’Allemagne ou encore « l’ennemi russe » seraient dénoués de toute morale (la morale dans la Realpolitik…) car ils n’ont pas suivi les États-Unis dans leur guerre, malgré le véto du conseil de sécurité de l’ONU.

 

De plus, il voit même aux tragiques attentats du 11 septembre 2011, une issue positive, en ce que Ben Laden « a rallié la gauche américaine à la coalition patriotique et déclenché un sursaut chez l’élite « libérale », désormais portée à adopter des thèses sécuritaires et à défendre une option interventionniste qu’elle combattait jusqu’ici ». Cette vision des droits de l’homme doit être portée par toute l’« Europe occidentaliste » afin d’affaiblir l’ennemi de toujours, la Russie.

 

 

L’Europe, partenaire du bloc occidentaliste

pour encercler la Russie.

 

Sans surprise, Kenneth Weinstein se présente comme un ardent partisan de l’unification européenne, « aux États-Unis, la perspective de l’unification européenne n’a cessé d’être soutenue et encouragée », confirmant l’importance de l’Europe pour l’Amérique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, car, « tout au long de la guerre froide, Washington s’est efforcé d’accélérer l’avènement d’une Europe politique puissance et unie, solidement alliée aux États-Unis dans l’intention faire pièce à l’empire soviétique ».

 

Monsieur Weinstein semble connaître les intérêts du vieux continent mieux que les Européens, affirmant que nous partagerions des valeurs communes, un requis suffisant pour nouer des liens en relations internationales ; car « l’unité du monde occidental doit en effet demeurer notre souci partagé. Des droits de l’homme à la démocratie en passant par le sécularisme ou l’économie de marche, nous partageons des valeurs communes ».

 

Il montre par ailleurs très bien que la destinée de l’Europe est d’être arrimée au dos des États-Unis et à son service, étant donné que pour ce Think tank comme pour l’élite américaine, tout doit être fait pour éviter l’émergence d’un monde multipolaire ; « la constitution d’une puissance européenne ne saurait se résumer à accepter l’émergence d’un monde multipolaire, cette chimère géopolitique… qui reviendrait à donner carte blanche à des puissances non démocratiques comme la Chine et la Russie dans leurs zones d’influence ».

 

 A cette politique « occidentaliste » défendant les valeurs de libertés, s’ajoute une volonté de reconstruction du Moyen-Orient en détruisant les régimes laïques.

 

 

Une politique de chaos au Moyen-Orient

 

Comme la diplomatie américaine, l’Hudson Institute fait de la question du Moyen-Orient, une question centrale. L’institut prône une politique va-t-en-guerre dans cette région notamment vis-à-vis de la Syrie et de l’Iran.

 

Depuis le 11 septembre 2001, pour Laurent Murawiec (décédé depuis), il faut « modifier la carte du Proche-Orient. D’abord en créant une République fédérale d’Irak, sans monopolisation par un clan, une tribu, une secte ou un État fort centralisé ayant la mainmise sur le pouvoir et le pétrole ». Il affirme également que les « liens entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite s’appuient sur cinquante ans d’amitiés, d’argent, de pétrole, de compromissions ».

 

Rien ne semble pouvoir rompre l’idyllique amitié entre l’Arabie Saoudite et les États-Unis, même pas les chrétiens d’Orient, amusant pour un pays, où le président prête serment sur la Bible…

 

On peut voir que les États-Unis n’hésitent pas à faire des parallèles douteux entre l’ancien Président irakien et le régime nazi, « Saddam Hussein est laïc pour les mêmes raisons qu’Hitler, autrefois, abhorrait les prêtres, les pasteurs et le pape… n’oublions pas qu’à l’extérieur de ses frontières, le régime irakien soigne ses passerelles et ses connexions avec le fascisme vert ».

 

Cette reconstruction du Moyen-Orient trouve ses marques dans les plus hautes sphères américaines, « le projet est né, depuis quelques années, dans les élites dirigeantes américaines. Il consiste à changer la règle du jeu au Moyen-Orient ». Pour ces néoconservateurs, « aussi longtemps qu’un pays arabe est soumis à un régime dictatorial, alimente, directement ou indirectement, le terrorisme, et propage l’instabilité dans la région ». De la bouche de ces mêmes néconservateurs, on peut donc voir que toute la politique américaine est programmée, depuis 2003, à savoir détruire tous les régimes nationalistes arabes pour laisser s’installer le chaos et des régimes islamistes.

 

En 2006, le rapport Baker-Hamilton prévoit le retrait progressif des troupes de combats en Irak ; ce retrait est « absurde. Point final » pour le même Kenneth Weinstein. Cette même année, dans une tribune dans le Figaro, il affirme que la Syrie aurait une « stratégie impérialiste sur le Liban », et que cette dernière « aurait un rôle néfaste dans la guerre contre le terrorisme et le processus de paix », cela explique surement la volonté de vouloir renverser le Raïs syrien depuis 2011, malheureusement pour eux, en vain. Par ailleurs, Obama serait même responsable du désordre irakien, car il aurait choisi de « laisser toutes les cartes » à Nouri Al-Maliki, ancien Premier ministre d’Irak.

 

Il ne regrette pas l’invasion américaine en Irak, mais la « manière dont Obama a mis fin à la présence américaine en Irak. En 2009, ce pays était en bien meilleur état qu’aujourd’hui. Nous récoltons aujourd’hui les résultats de ce retrait anticipé ». L’Institut semble surement oublier que l’Irak était en bien meilleur état encore avant 2003 et que plus de 1 million de chrétiens vivaient en Irak avant que le « Pays des droits de l’homme » ait installé la démocratie dans ce pays.

 

Lorsque l’on n’est pas d’accord avec les États-Unis, la politique étrangère du pays est dénuée de sens comme l’explique Laurent Murawiec, sur « la prétendue politique arabe de la France (qui) est une mascarade ».

 

L’Hudson Institute, think tank parmi tant d’autres, est un exemple atypique des liens entre la société civile néoconservatrice et le gouvernement américain.  Au cas où, le gouvernement américain oublierait ses fondamentaux — à savoir, la « diplomatie des droits de l’homme », maintenir sous dominium l’Europe, afin d’encercler la Russie, ou encore la destruction du Moyen-Orient —, des think-tanks, comme l’Hudson Institute sont là pour le lui rappeler.

 

François Hollande serait ainsi, apprécié par ces va-t-en-guerre américains, notamment car sa fermeté sur « les dossiers syrien et iranien lui a fait gagner un nouveau crédit auprès des faucons de Wahsington et de la communauté juive » selon Kenneth Weinstein.

 

Ainsi, la nouvelle politique étrangère de la France a au moins le mérite de plaire au supérieur américain, dans la mesure où la France est devenue plus néoconservatrice sur la scène internationale que les Anglais. La France semble avoir oublié qu’elle avait des intérêts propres à défendre, et que ces derniers n’étaient pas américains.

 

 

Par Alexandre Moustafa (*) - stratpol.com – le 10 mars 2015

 

 

(*) Alexandre Moustafa est diplômé d’un master 1 en science politique à la Sorbonne. Il est actuellement en Master 2 en Intelligence Économique et rédige un mémoire sur le « Renouveau de l’Influence Russe dans les Balkans, une influence énergétique ». Il est passionné de géopolitique, particulièrement de l’Europe Centrale et de l’Est, ainsi que du Moyen-Orient.