La « Tempête de la fermeté », un ouragan régional... | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Photo : le roi Salman d’Arabie Saoudite -  huffingtonpost.fr

  

La « Tempête de la fermeté »,

un ouragan régional...

Par Scarlett HADDAD

 

« La tempête de la fermeté » – qui s’inspire de « La tempête du désert » de la coalition internationale pour libérer l’Irak en 1991 – pourrait bien se transformer en ouragan ravageur pour l’ensemble de la région. D’ailleurs, depuis les premières frappes des avions de la coalition, plus symbolique qu’effective, la région, le Liban y compris, retient son souffle. Tout le monde a le sentiment de vivre des heures cruciales pour l’avenir, même si nul ne sait encore avec précision de quoi il sera fait.

 

Ce qui est sûr, c’est que, désormais, l’Arabie saoudite s’est impliquée directement dans le conflit yéménite, alors que, jusqu’à présent, elle se contentait d’agir par ses alliés interposés. Elle a beau tenter d’attirer autour d’elle la Ligue arabe et d’autres pays comme le Pakistan et la Turquie, mais nul n’ignore qu’elle est le fer de lance de cette offensive contre les houthis. Officiellement, l’Arabie a volé au secours du président Abed Rabbo Mansour Hadi, dont le mandat s’était pourtant terminé et qui avait lui-même présenté sa démission lorsque les houthis avaient pris le contrôle de Sanaa. Mais il est clair que, pour Riyad, il ne s’agit nullement de ramener au pouvoir un président élu constitutionnellement, mais plutôt de mettre un terme à l’influence des houthis, considérés comme les alliés de l’Iran.

 

Des sources proches du 8 Mars estiment ainsi que l’Arabie saoudite n’avait plus d’autre choix que d’intervenir directement, après les derniers succès enregistrés par les houthis et leurs alliés, notamment, une partie de l’armée yéménite et les milices de l’ancien président Ali Abdallah Saleh et de son fils, qui s’étaient récemment retournés contre Riyad. Le Yémen, jadis appelé la province de l’Arabie heureuse, est considéré comme vital pour les Saoudiens, d’autant qu’une partie de leur population est d’origine yéménite. Avec la victoire des houthis et des alliés de ces derniers, l’Arabie saoudite s’est sentie atteinte dans son flanc le plus sensible et elle n’avait donc plus d’autre choix que de réagir.

 

D’autant que, sur les autres scènes de confrontation dans la région, elle avait enregistré un recul par rapport à l’Iran. C’est ainsi le cas en Irak, où l’armée irakienne, aidée par les forces de défense populaires, entraînées et armées par l’Iran, est en train de reprendre du terrain à Daech. C’est aussi le cas en Syrie où le régime syrien est devenu quasiment irremplaçable même pour les Américains qui envisagent désormais la possibilité de renouer le dialogue avec lui. C’est aussi le cas au Liban, où le courant du Futur a renoncé à ses précédentes revendications pour accepter de former un gouvernement de coalition avec le Hezbollah et même de se lancer dans un dialogue avec lui, qui survit malgré les secousses. La seule victoire qui aurait pu être mise à l’actif de Riyad est l’appui, avant tout le monde, au président égyptien Abdel Fattah Sissi, mais ce dernier est en train d’essayer de se doter d’une certaine marge de manœuvre. Et comble de malheur pour les Saoudiens, les Iraniens et les Américains se rapprochent de la signature d’un accord sur le dossier nucléaire. Ce qui les pousse à se sentir considérés comme quantité négligeable dans la région, eux qui voulaient être les nouveaux leaders du monde arabo-musulman.

 

Pour toutes ces raisons, les Saoudiens ne pouvaient donc que réagir, et ce fut la « Tempête de la détermination », une offensive aérienne dont on ignore les véritables objectifs. S’agit-il de briser totalement les houthis pour ramener au pouvoir Mansour Hadi, ou bien de les affaiblir pour ouvrir des négociations avec l’Iran, mais cette fois en meilleure position pour l’Arabie ? Pour l’instant, seuls les vrombissements des avions qui lancent des raids aux quatre coins du pays occupent la scène yéménite. Mais les sources proches du 8 Mars estiment que cette offensive aérienne ne changera rien à la situation sur le terrain, tout comme l’offensive israélienne aérienne n’avait pas changé les rapports de force au Liban en 2006. L’Arabie et la fameuse coalition (où l’Égypte et le Pakistan se font un peu tirer l’oreille) se verront contraintes à lancer une offensive terrestre dont les conséquences seront forcément désastreuses pour tout le monde, et en particulier pour l’Arabie, où il y a des risques de déchirements internes en raison de la fragilité du tissu social saoudien. La communauté chiite saoudienne souvent maltraitée ainsi que les Saoudiens d’origine yéménite pourraient se décider à réagir, et, de la sorte, le pouvoir de Riyad aura transposé les troubles sur son propre territoire. Sauf s’il se contente de sauver sa propre face en relançant le dialogue interne au Yémen sans vouloir tenter d’aller vers une victoire éclatante, impossible aux yeux des sources proches du 8 Mars.

 

Ce qui est sûr, estiment ces mêmes sources, c’est que la région dans son ensemble est dans une situation nouvelle qui pourrait entraîner des changements dans le rapport de force. Mais, ce qui compte au final, pour le Liban, c’est que la guerre du Yémen ne devrait pas avoir un impact sérieux sur sa situation interne. En dépit de la grave division politique et du fait que le Hezbollah appuie les houthis alors que le courant du Futur appuie l’offensive saoudienne, les deux camps sont conscients de la nécessité de préserver la stabilité du pays et de faire en sorte que les positions politiques ne se traduisent pas sur le terrain. Pour une fois, les deux camps sont d’accord pour adopter une position de réelle distanciation à l’égard du conflit yéménite, qui s’est reflétée dans le discours du ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil lors de la réunion ministérielle arabe à Charm el-Cheikh.

 

 

 

Par Scarlett HADDAD (journaliste) - lorientlejour.com (Liban) – le 28 mars 2015.