Pr Liu Youfa : la Nouvelle route de la soie est un rêve chinois bénéfique à la prospérité commune | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Carte : entre deux océans. La Chine, le Pérou et le Brésil conduiront une étude de faisabilité la partie marquée en rouge du tracé actuellement sous étude reliant par une ligne ferroviaire de 5 300 km, l’Atlantique au Pacifique.

 

 

Pr Liu Youfa : la Nouvelle route de la soie

est un rêve chinois bénéfique

à la prospérité commune

 

C’est au centre militaire de Lima que le général Juan Luis Autero Villagarcia, président des anciens élèves de la Haute école de défense nationale (ADECAEM), a organisé le 28 mai un séminaire sur l’alternative des BRICS.

 

« Le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud ont relevé un défi historique pour l’avenir du monde », a lancé le général. « Ils bâtissent un nouvel ordre économique mondial de progrès. Ils démontrent également les nouvelles capacités dont disposent les pays lorsqu’ils s’unissent avec énergie. L’Asie, l’Amérique du Sud et l’Afrique y participent et le Pérou a la capacité d’intervenir dans le développement de l’infrastructure », a-t-il affirmé en citant le projet d’une liaison ferroviaire reliant le Brésil au Pérou (5 300 km), véritable colonne vertébrale du « couloir biocéanique » dont on discute depuis des lustres et qui pourra bientôt voir le jour grâce à l’engagement de la Chine.

 

La conférence a eu lieu au bon moment, c’est-à-dire à peine deux jours après la visite du Premier ministre chinois Li Keqiang, qui s’est précisément rendu dans la région pour discuter de ce grand projet. Avant de se rendre en Colombie, au Pérou et au Chili, Li Keqiang a conclu un accord avec le Brésil pour financer une étude de faisabilité pour ce chemin de fer biocéanique dont les contours finaux restent à spécifier.

 

Après l’intervention du diplomate chinois, le Dr Liu Youfa, ancien vice-président de l’Institut chinois des études internationales (CIIS), c’est la présidente de l’Institut Schiller, Helga Zepp-LaRouche, qui a fait le point sur la situation.

 

Voici la transcription intégrale de son intervention.

 

— Dennis Small : Dr Liu Youfa, merci d’être avec nous pour cette discussion pour la conférence à Lima, au Pérou, sur le processus des BRICS et le développement du Pérou et de l’Amérique du Sud. À propos de l’avenir de la coopération économique entre la Chine et l’Amérique du Sud, je souhaiterais parler, pour commencer, des visites que le Premier ministre chinois Li Keqiang vient juste d’achever dans quatre pays d’Amérique latine : la Colombie, le Brésil, le Chili et le Pérou, pour discuter notamment des domaines de coopération économique avec la Chine. Pourriez-vous éclairer pour nous l’arrière-plan de tout cela, notamment les sommets historiques des BRICS et des BRICS-Unasur à Fortaleza, au Brésil en juillet 2014, et quelles sont les perspectives pour cette coopération ?

 

Dr Liu Youfa : M. Small, permettez-moi tout d’abord de vous remercier de me donner l’opportunité de cette interview. Permettez-moi aussi de remercier les organisateurs pour cette invitation, et je leur souhaite une très bonne conférence.

 

Concernant votre première question, je dirai simplement : la Chine et l’Amérique latine sont des partenaires naturels pour réaliser un développement économique et social, et les pays concernés ont établi des relations de partenaires stratégiques. C’est pourquoi il est naturel que les dirigeants des deux côtés se rendent visite régulièrement. Mais depuis peu, selon mes observations, il y a de nouvelles raisons pour que ces pays multiplient les rencontres.

 

Premièrement, depuis la crise internationale de 2008, les pays développés n’ont cessé de se battre pour relancer et maintenir l’élan de la croissance économique, et ont toujours des difficultés à étendre leur consommation domestique. Par conséquent, ils ont perdu la vapeur nécessaire pour tirer l’économie mondiale vers l’avant, ce qui a provoqué la contraction à la fois du commerce et de l’investissement au niveau mondial.

 

Comme la Chine et l’Amérique latine sont dépendantes dans une large mesure des marchés développés pour leur croissance économique, elles sont maintenant prises dans une bataille difficile pour maintenir le rythme de leur croissance économique. Dans ce contexte, les dirigeants des pays concernés doivent chercher et trouver de nouveaux chemins, de nouveaux moyens pour promouvoir le commerce mutuel et leurs investissements. C’est un premier point.

 

Deuxièmement, la Chine et pas mal de pays latino-américains sont des pays émergents qui ont construit des capacités naturelles pour réaliser des coopérations industrielles, et pour cette raison, ils ont concentré leur attention les uns sur les autres.

 

Troisièmement, la Chine et les pays d’Amérique latine ont bâti des avantages comparatifs dans les industries appropriées, ce qui a encouragé des développements conjoints en poussant les facteurs de compétitivité de ces productions. Le domaine des infrastructures est devenu le plus approprié pour initier une coopération concrète. Comme vous l’imaginez sans doute, pendant la visite de Li Keqiang, les dirigeants concernés vont tenter d’établir un consensus, pour lancer l’étude de faisabilité de la voie ferrée transpacifique, ce qui ressuscitera le rêve caressé par les pères fondateurs de l’Amérique latine il y a plusieurs siècles.

 

À propos des perspectives de coopération future entre la Chine et l’Amérique latine, voici ce que je sais :

 

Premièrement, au fur et à mesure des visites régulières de haut niveau, les dirigeants des deux partis ont affiné le projet pour une coopération politique, économique et culturelle rapprochée sur les 10 ans à venir. Ils ont réglé certains programmes spécifiques de coopération industrielle ; ils ont signé de nombreux accords économiques pour fortifier une coopération mutuellement bénéfique dans les secteurs manufacturiers, des services, de l’agriculture, la production, la transformation et la commercialisation des énergies conventionnelles et renouvelables. Ils ont aussi signé des accords dans les domaines de la science et la technologie, le développement des ressources humaines et la protection environnementale, selon mes souvenirs. Maintenant, il reste aux gouvernements à mettre effectivement en place ces contrats économiques lucratifs pour alimenter le développement sain de leurs groupes économiques, ce qui renforcera en retour les fondations des relations bilatérales.

 

 

— C’est effectivement un scénario optimiste. Mais je serais également intéressé d’entendre vos pensées personnelles et votre point de vue sur les obstacles qui existent et doivent être surmontés, pour que ce type de coopération économique potentielle devienne réalité. Quels sont les problèmes en suspens, du point de vue de la Chine ?

 

Vous avez raison. La Chine et l’Amérique latine sont devenues des partenaires majeurs, à la fois en terme de commerce et d’investissement. Toutes les deux entrent dans la coopération industrielle. Cependant, il y a certaines questions non-résolues qui doivent être abordées conjointement, à bon escient, et à temps, pour délivrer plus d’énergie pour le développement de la coopération économique et commerciale dans le futur.

 

Il y a beaucoup de problématiques, mais laissez-moi vous donnez quelques exemples. Du point de vue politique, il manque une compréhension juste des systèmes politiques et des valeurs culturelles des uns et des autres, etc. Du point de vue économique, voyons voir... il n’y a pas assez de biens et de services qui sont commercialisables sur le marché chinois. Il y a un manque d’industries pour le commerce du côté de l’Amérique latine. Il y a des barrières visibles et invisibles au commerce et à l’investissement des deux côtés. Et il y a un manque d’information sur le commerce et l’investissement pour permettre aux entrepreneurs, exportateurs et importateurs des deux côtés de voir où ils en sont.

C’est une partie des problèmes auxquels nous nous devons de répondre de manière compétente, je pense.

 

 

— Avec cette perspective, je voudrais que vous mettiez à profit votre grande expérience des affaires étrangères, et des questions économiques en particulier, pour nous faire part de votre pensée personnelle à propos de l’avenir. Comment consolider une relation durable de coopération économique entre la Chine et l’Amérique du Sud ?

 

En fait, en tant que diplomate, j’ai eu l’occasion de voyager dans pas mal de pays d’Amérique latine pour des conférences et des voyages personnels. Mais maintenant, en tant qu’économiste, voici ce que je peux vous dire :

 

Premièrement, la Chine et l’Amérique latine devraient joindre leurs efforts pour cimenter le consensus pour un développement commun en élargissant le commerce dans les deux sens. Je pense que des accords de libre-échange supplémentaires seraient très appréciables. L’Amérique latine devrait faire en sorte de produire plus de biens et de services qui peuvent être commercialisés en Chine. Et ils devraient identifier plus d’industries capables de produire des biens destinés à la Chine.

 

Maintenant, je dois ajouter que les deux parties doivent travailler main dans la main pour promouvoir les produits d’Amérique latine, et faciliter les conditions qui permettront aux consommateurs chinois de comprendre, accepter et apprécier les produits de qualité moyenne. Les producteurs latino-américains devraient aussi suivre les standards internationaux. Je ne cache pas que les produits et les services occidentaux ont rendu mes concitoyens difficiles ; ils cherchent seulement les marques et les produits de qualité.

 

Deuxièmement, les deux partis devraient miser sur des relations politiques amicales, pour promouvoir l’investissement dans les deux sens, ce qui serait la mesure immédiate à prendre pour réduire le déficit commercial du côté de l’Amérique latine. Pour cette raison, les gouvernements des deux partis devraient encourager la création de parcs industriels, afin que les industriels des deux côtés puissent plus facilement installer des lignes de production et des chaînes de service dans les marchés de l’autre côté.

 

J’ai une autre réflexion à partager avec vous : troisièmement, les deux partis devraient identifier plus de domaines de coopération. Je pense que la connectivité continentale mutuelle serait la meilleure chose pour commencer.

 

En tant que diplomate, comme je l’ai dit tout à l’heure, j’ai voyagé dans environ dix pays d’Amérique latine, et je sais que certains pays ont encore un très grand besoin de maintenance et de construction pour leur réseau de transport national, et il y a clairement un manque dans les réseaux continentaux, ce qui est devenu le véritable obstacle pour que le rêve de rajeunissement continental puisse se réaliser.

 

Pour cette raison, les deux parties devraient faire le point sur le dialogue bilatéral et régional existant et les mécanismes de coopération avec la Chine. Pour finir, mais pas le moins important, les deux parties devraient travailler ensemble pour créer des conditions dans lesquelles les peuples des deux côtés puissent se rencontrer plus facilement, se rendre visite, se comprendre l’un l’autre. Tout simplement car ce sont eux le véritable moteur pour une coopération rapprochée entre nos deux partis.

 

— Votre référence à la connectivité continentale mutuelle est fortement appréciée en Amérique du Sud parce que la question de l’infrastructure, en particulier le projet d’un chemin de fer biocéanique (reliant l’Atlantique au Pacifique) que la Chine aiderait à construire, intéresse beaucoup de pays et beaucoup de gens avec qui je me suis entretenu. Permettez-moi maintenant de poser une question franche que, je n’en doute pas, l’on vous pose tout le temps (au moins sous forme de chuchotements). Cette question est la suivante : quelles sont les vraies motivations de la Chine ? Dans le monde occidental, les médias font des heures supplémentaires pour convaincre leurs lecteurs que la Chine a des objectifs non avoués et qu’elle nourrit d’obscures intentions ! Pouvez-vous, pour nos auditeurs, clarifier cette question ?

 

En tant qu’économiste, permettez-moi d’être franc. D’abord, la Chine a cherché les voies et les moyens d’un développement pacifique. La Chine s’est engagée à le faire et elle le fait. À cet égard, la Chine organise ses relations avec les pays d’Amérique latine en accord avec les normes internationales et aussi en consultation avec les pays en question en tant que partenaires égaux. À ce jour, la Chine est un pays membre de l’OMC et a signé des accords pour des échanges commerciaux avec les pays d’Amérique latine sur le principe du « gagnant-gagnant » qui n’ont rien d’obscur !

 

Actuellement la Chine offre aux pays d’Amérique latine une coopération industrielle par laquelle notre pays entend apporter un soutien financier et technologique à ses partenaires afin d’aider les autres à mettre en œuvre un réseau infrastructurel, en particulier comme nous venons de le discuter, le chemin de fer biocéanique, capable de relier les marchés industriels de ce continent, d’élargir leur dimension économique, d’augmenter leur productivité et leur compétitivité et d’augmenter leurs exportations vers la Chine. Qu’est-ce qui ne va pas avec cela ?

 

Ensuite, la Chine et la plupart des pays américains sont dans la phase post-décollage en termes de développement économique et social, ce qui justifie qu’ils étendent leurs frontières économiques au-delà de leurs frontières traditionnelles. Cependant, si nous l’organisons sur une base commerciale, et permettez-moi de le souligner, nous le faisons sur la base du principe de bénéfice mutuel. La Chine n’a jamais imposé de conditions unilatérales sur quiconque dans ses relations avec les pays d’Amérique latine. Je vous invite à le vérifier en consultant les annales économiques sur cette question.

 

Ainsi, j’aimerais m’adresser à mes amis des médias occidentaux, en me servant de la tribune que vous m’offrez, et leur faire passer le message suivant : les médias de masse se doivent eux aussi de se soumettre à des principes d’intégrité professionnelle. Les correspondants étrangers et les commentateurs politiques, ainsi que les institutions des médias doivent apprendre à rechercher la vérité à partir des faits. La mentalité de la guerre froide, comme je l’appelle, ne fera rien pour promouvoir des relations saines entre la Chine et l’Amérique latine.

 

 

— Vous avez mentionné l’approche « gagnant-gagnant » de la Chine. Pouvez-vous préciser la pensée de Xi Jinping sur cette question, en opposition avec la doctrine de la géopolitique qui, en réalité, domine le monde depuis des siècles ? Et, comme vous le savez sans doute, de nombreux pays d’Amérique latine ont été victimes de cette géopolitique, y compris des guerres alimentées par des puissances étrangères et alors qu’ils entrent dans le XXIe siècle, il leur reste à surmonter cet héritage.

 

C’est un sujet si vaste qu’il faudrait probablement trois heures pour y répondre. Permettez-moi de le faire en deux minutes. Vous pensez sans doute à la politique d’« une Ceinture, une Route » (politique de corridors de développement économique tout le long des nouvelles routes de la soie terrestre et maritime, NDLR) promue par mon président Xi Jinping.

 

D’abord, la quintessence de cette politique, c’est qu’il s’agit du dernier effort en date pour amener la Chine sur la voie d’un développement pacifique en s’entremêlant autant que nécessaire avec l’économie mondiale, en respectant les normes internationales. Il s’agit d’aboutir à un développement commun avec des relations rapprochées en termes d’échanges, d’investissement, de coopération industrielle et de transferts de technologie ainsi qu’une coopération renforcée en termes de ressources humaines.

 

Sur cette question, la Chine a pris les devants via des accords précommerciaux dans le cadre de l’ASEAN, de l’Organisation de coopération de Shanghai, des BRICS ainsi que des partenariats stratégiques avec la Russie et un certain nombre d’autres pays d’Europe centrale, d’Asie centrale, au Moyen-Orient, de l’Asie du Sud et d’Amérique latine.

 

Ces mécanismes bilatéraux, régionaux et multilatéraux de coopération, je n’en doute pas, vont transformer, le cas échéant, la Chine et les pays en question dans une communauté d’intérêt de développement commun et une communauté de destin permettant à ces pays en question de protéger leurs intérêts communs et d’élargir la dimension internationale de leur développement commun.

 

Deuxièmement, la vision du Président Xi Jinping d’« Une Ceinture, une Route », permettra aux pays partenaires de créer un réseau de transport tridimensionnel permettant de se relier par terre, par air et par mer. Cela facilitera les conditions d’une connectivité mutuelle des facteurs de production, aidera la libre circulation des biens et des services et permettra de promouvoir l’investissement dans les deux sens ainsi que la coopération industrielle.

 

Troisièmement, le Président Xi a créé plusieurs plates-formes financières telles que la BAII, le Fonds de la Route de la soie ou le Fonds de développement de l’Organisation de coopération de Shanghai. Ces institutions financières permettront à des pays en voie de développement de démarrer des grands travaux d’infrastructure sur la base d’accords et de bénéfices mutuels.

 

Quatrièmement, la Chine a proposé la création d’un certain nombre de hubs logistiques, de zones de libre-échange et de parcs industriels tout le long de la Nouvelle route de la soie. Ces composantes produiront à terme des dividendes économiques qui seront partagés par les pays partenaires du projet, leur permettant de promouvoir le progrès social, la stabilité politique et la sécurité générale dans la région.

 

En conclusion, permettez-moi de souligner que la vision d’une ceinture, une route n’est pas seulement un concept pour le grand rajeunissement du rêve chinois, mais qu’il s’agit également d’une plate-forme bénéfique pour la prospérité commune de tous les pays le long du projet et d’une combinaison organique du rêve chinois avec les rêves de tous ces partenaires.

 

 

— Merci pour cette réponse sommaire qui est effectivement un condensé d’une discussion de trois heures ! Pour conclure, libre à vous d’ajouter ce qui vous semble important pour ceux qui sont réunis ici à Lima ou ceux qui regarderont l’émission dans d’autres pays.

 

Je serai bref. Un dicton anglais affirme qu’il « faut être deux pour danser le tango ». Une ceinture, une route prendra plus que deux pays le long de la route. Cela va être un groupe de pays dansant les claquettes qui échangera leurs contributions et coordonnera les politiques de l’ensemble des participants au projet. Et cela impliquera les différents gouvernements, les différentes industries ainsi que la société civile et les peuples. Eh bien, la Chine a pris le devant et est montée sur le podium. Et maintenant, je pense que c’est aux gouvernements d’Amérique latine, aux industriels et aux peuples de nous rejoindre et de répondre à l’invitation afin d’avoir une belle équipe capable de danser les claquettes pour réaliser notre rêve commun de relations bilatérales durables, d’une bonne économie, d’une bonne vie pour le peuple et que devienne réalité notre rêve de notre rajeunissement national ! Merci !

 

 

 

Par la Rédaction de Solidarité & Progrès – le 1er juin 2015.