Brisures d’euro | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Légendes des photos :

De gauche à droite : Les gros titres du vaste monde, Naxos, le 27 juin — Dans les Cyclades ; on lit aussi Thomas Piketty. Juin 2015 — Dans les Cyclades on prépare les tables et on... dessine menus et prix. Le plus souvent, les clients sont absents, sauf évidemment à Mykonos et relativement, à Naxos et à Paros. Ailleurs c’est la désolation de la saison qui n’a pas encore démarré. — Bateau à vendre. Cyclades, juin 2015 — Hôtel en faillite. Cyclades, juin 2015

 


Brisures d’euro

Par Panagiotis Grigoriou

 

 

L’histoire galope. Très... drôle de guerre. Visages crispés, parfois exubérants et singulièrement hésitants. Temps métrologique agité, vent fort balayant les Cyclades et autant les consciences. Matin du 27 juin, devant les guichets automatiques à Naxos, port et chef-lieu de l’île d’Ariane délaissée il y avait déjà foule. Tout le monde commente les derniers accrocs du temps historique, d’abord le referendum annoncé, comme cette autre tempête qui a rendu l’accostage du Blue Star Délos plus délicat que de coutume.

 

Dans les Cyclades ; on lit aussi Thomas Piketty, mais les yeux de tous se tournèrent ce samedi matin vers les gros titres du vaste monde et d’Aléxis Tsípras. Ce n’est pas un sondage, mais sur les cinq discussions que j’ai pu avoir avec des habitants de Naxos... ce premier samedi du jour d’après, trois d’entre eux se sont prononcés résolument en faveur du « Non », car « c’est désormais une question de dignité, l’UE et le FMI exigent notre mise à mort, ces salopards n’ont plus aucune vergogne », tandis qu’une autre personne votera « les yeux fermés pour un « Oui », car Tsípras est un fou... et il nous fera même quitter l’euro », enfin, Yannis éleveur est hésitant.

 

« Je n’ai pas voté SYRIZA en janvier, voilà qu’avec Tsípras tout se gâte, j’avoue seulement que dorénavant je comprends mieux. Poursuivre exactement comme avant sous la botte de la Troïka c’est la mort lente, mais assurée, mais enfin... emprunter le chemin de la rupture et de la drachme c’est certainement l’aventure et l’inconnu. Les gens ont surtout peur ».

 

Hasard ou sinon destinée, derrière la vitrine d’un présentoir du marché supposé touristique à Naxos, il n’y a que deux billets issus du temps de la drachme et plus exactement, des années 1927-1939. La Grèce avait, comme on se souvient, fait faillite en 1932, une autre époque ?

 

Yannis suit évidemment les événements et leur tournure à la télévision. Dans la capitale d’Athéna, les guichets (pour le moment) automatiques sont pris d’assaut. Les citadins achètent aussi massivement de l’alimentaire et du carburant. L’atmosphère est tendue.

 

Yannis, ironise presque : « Ici chez moi je ne suis pas vraiment vulnérable. J’ai de quoi me nourrir, j’ai des centaines de bêtes, j’ai mon fromage et mon huile, j’ai de l’eau et même des aliments stockés. C’est alors dès 2010 que je l’ai vu venir. Je travaillais comme employé dans un commerce près du port de Naxos. La crise n’avait pas encore frappé les Cyclades, elle a mis plus d’un an à venir jusqu’ici. J’ai décidé de reprendre la terre, les oliviers et les bêtes de mon père. »

 

« De toute manière j’étais élevé au village et je savais déjà tout faire. Je ne le regrette absolument pas. De nombreux jeunes originaires de Naxos reviennent ici pour monter une... affaire, ou même redémarrer dans l’agriculture et l’élevage. Je plaints tous ces gens de la ville et cependant ignorants. Avant de changer de cap ainsi, il faut apprendre auprès d’un paysan durant trois ans au moins avant de pouvoir se lancer et encore, il faut de la terre, des capitaux et aussi de se faire accepter par les anciens. Pas toujours évident je dirais. »

  

Pour les tenants d’un café dans un village naxiote de l’intérieur, le referendum est autant une affaire de générations. « Nous devons séquestrer nos vieux à la maison... pour qu’ils n’aillent pas voter en faveur du Oui », dit Anna, s’adressant à son mari. Le couple, la petite quarantaine tout juste acquise, appartient... généreusement aux générations qui « rament ».

 

« Il ne faut pas les rater sur ce coup-là. Ils ont bousillé tout un pays et ils veulent poursuivre dans cette politique des crématoires économiques. Nous leur rendrons enfin la monnaie de leur pièce de cet euro allemand et maudit. Basta. »

 

C’est « la réponse du berger à la bergère », estime de son côté François Leclerc sur le blog de Paul Jorion. « Pression pour pression, c’est devant la perspective de cette consultation imprévue que les créanciers de la Grèce vont se trouver placés lors de la réunion de l’Eurogroupe d’aujourd’hui. Ils peuvent décider de l’escalade en refusant de prolonger le plan existant jusqu’à la tenue du referendum, rendant caduque la question qu’il est prévu de poser. Mais ils sont placés devant un choix : bafouer l’expression de la volonté populaire ou reprendre la négociation ».

 

C’est chose (presque) faite ce samedi soir. Les médias grecs rapportent que Yannis Varoufákis rencontrera dans les heures qui viennent, Mario Draghi ; il lui demandera de faire usage d’une partie des intérêts encaissés par la BCE sur le dos de la dette grecque (presque deux milliards d’euros), pour ainsi régler la... traite auprès du FMI le 30 juin, sinon... niet !

 

Dans les Cyclades on prépare les tables et on... dessine menus et prix. Le plus souvent, les clients sont absents, sauf évidemment à Mykonos et relativement, à Naxos et à Paros. Ailleurs c’est la désolation de la saison qui n’a pas encore démarré.

 

La saison tarde, l’histoire galope. Une certaine presse internationale, suffisamment citée par la presse mainstream d’Athènes, croit savoir que les « créanciers prépareraient une réponse à l’offensive de Tsípras. Un « Plan B » serait en gestation, retrait de certaines propositions par les institutions et transferts de capitaux désormais sous contrôle et restrictions, probablement dès lundi prochain ».

 

Comme pour le cas de Chypre (soumise et humiliée en mars 2013), cela signifie que l’euro ne sera plus tout à fait le même à Naxos... et à Marseille. Brisures d’euro et cela déjà, quoi qu’il en arrive.

 

Sauf que nos... Tsipriotes, semblent être aussi en mesure de dégainer. Pour Panagiótis Lafazánis, ministre de la Restructuration Industrielle et chef de file de aille (Plateforme) de Gauche au sein de SYRIZA, « la Grèce et son peuple, subissent alors depuis cinq mois, une strangulation de type colonial, initiée par les « institutions », UE, BCE et FMI, et cela, comme aucun autre pays n’a connu, je crois, durant la période de l’après après deuxième guerre mondiale. Le but de cet étranglement est évident : l’épuisement économique et social de notre patrie jusqu’à l’extrême, et autant, l’humiliation de la Gauche, des traditions et des valeurs de lutte dont elle est historiquement porteuse »

 

« La situation géopolitique et de nouveau telle, que la Grèce se trouve devant un croisement de chemins fort décisif. Ses choix en décideront autant de l’avenir de l’Europe. Le gouvernement ne doit aucunement se soumettre aux dictats et à l’ultimatum. L’eurosoumission n’est pas la seule et unique voie possible. La Grèce, si besoin est et afin de répondre à son extermination (programmée par les institutions) tout en préservant sa dignité et sa survie, dispose de nombreuses autres voies alternatives, économiques, monétaires, sociales et géopolitiques. »

 

« Le peuple grec, conscient des difficultés que comporte cette nouvelle voie de la rupture et autant du recommencement, est prêt à soutenir ce nouvel effort national. Un effort national lequel amènera le renouveau de la Grèce, à travers cette réorganisation progressiste laquelle refera renaitre notre patrie. Ainsi, la Grèce redonnera vie à notre jeuneuse et aux générations futures dans la dignité, car il est indigne et autant déplorable, de leur léguer comme héritage les ruines d’un pays, ainsi qu’une dette alors insoutenable ».

 

Dans les Cyclades, on compte aussi les hôtels, les restaurants fermés et les bateaux à vendre. Une autre et... très certaine Grèce, mise toujours sur le tourisme, sur les pratiques d’avant et d’après, ainsi que sur certaines... connivences locales. C’est précisément cette Grèce qui se montre peureuse, voire très hostile à toute possibilité de rupture vis-à-vis du totalitarisme européiste.

 

Cette Grèce de la seule et unique... eurovision, main dans la main avec les instances des institutions, prépare ouvertement le troisième Coup d’État en Grèce depuis le mémorandum de 2010. Les sbires des institutions, dont Stávros Theodorakis du parti de la Rivière, du népotisme et des pots-de-vin, attendent leur moment, je suppose, lorsque lesdites institutions auront destitué le gouvernement SYRIZA/ANEL. Ce n’est pourtant pas si facile.

 

« Le moment est grave et décisif », déclare Manólis Glézos, de la Résistance en 1941 déjà, de SYRIZA et de Naxos. Cependant, le parti communiste (6 %) a annoncé sa décision d’appeler ses... croyants à s’abstenir du Référendum car « tant la proposition des institutions que celle du gouvernement vont l’encontre des intérêts du peuple ». Étonnant on dirait... et pourtant.

 

Les analystes politiquement corrects évoquent une erreur historiquement gravissime, alors commise par le plus vieux parti de la gauche grecque. Certaines langues... incorrectes, car invérifiables, dénoncent enfin « cette entende discrète des intérêts personnels et bien pécuniaires de la caste qui dirige le PC grec depuis un moment déjà avec ceux des vrais maîtres du pays. D’où cette politique du PC grec, lequel a tout fait depuis au moins 2010 pour qu’il n’y ait aucun mouvement unitaire de la Gauche en Grèce et bien au-delà, contre justement la Troïka ».

 

Conspirationnisme ? Pour ma part je me range du côté des analystes politiquement rationnels et corrects. Mais comme l’irrationnel a largement dominé les choix des humains, j’attends tout de même un peu les historiens du futur.

 

Juin 2015, les touristes déjeunent parfois relativement tôt. Les Cyclades sont sous la tempête, à l’instar du pays entier. Les anciens sont passés par là et ne sont plus. Ports antiques, tempêtes passées, ruines et parfois seulement, gloire du logos et de la démocratie. Moments cependant rares, mais remarquables.

 

Dans les Cyclades, les raisins attendent aussi leur temps d’après. Mes amis qui me téléphonent depuis la Thessalie, évoquent Trikala... où la moitié de gens étaient ce samedi matin devant la télévision tandis que l’autre moitié faisait ses provisions dans les supérettes avant, ou après avoir vidé (dans la mesure du possible) les guichets automatiques de la ville.

 

Mon ami de Trikala, Stélios, estime... « qu’il va falloir répondre comme il faut enfin... aux nouveaux Croisés, les descendants de ceux qu’avaient dévalisé Constantinople en... 1204 ». Je constate que par un temps de tempête, l’histoire... se mélange !

 

Mes amis et amis du blog de Naxos, J. et M., moins passéistes que Stélios, s’attendent tout simplement à un renversement du nouvel ordre en Europe et cela, pas qu’en Grèce.

 

L’histoire galope. Très... drôle de guerre, vraiment. Seul Papoutsi reste indifférant aux tempêtes, dont celles des humains. Intuition ?

 

 

 

Par Panagiotis Grigoriou - greekcrisis.fr - le 27 juin 2015.