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Jésus et le plus grand coup de pub de tous les temps

PAR SIMON CASTÉRAN (*)


Deux mille ans après les faits, qu’est-ce qui explique que les épisodes de la vie de Jésus, comme sa marche miraculeuse sur l’eau, soient encore connus ? Le marketing ! C’est du moins ce que laisse entendre l’agence publicitaire canadienne 1one, dont le clip d’autopromotion, très drôle, nous présente « les images originales et inédites de la réunion historique qui a mené au plus grand coup de pub de tous les temps ».


Pour les non-anglophones, le spot met donc en scène Jésus, venu assister à une réunion marketing. Après un bref tour d’horizon des derniers coups publicitaires (stunts) — « changer l’eau en vin, guérir l’aveugle, nourrir les masses avec la multiplication des pains et des poissons » — qui ont promu « la marque Jésus auprès des juifs de 25 à 35 ans, ainsi que les sous-marques comme le Christ, le Messie, le fils de Dieu », l’un des créatifs, pas peu fier de lui, propose... de marcher sur l’eau. L’idée séduit visiblement Jésus, qui voit très bien « comment cela pourrait se répandre sur les réseaux sociaux ». Mais un détail le gêne : il connaît « personnellement le mec qui a créé l’eau, et elle est liquide, vous pouvez vous noyer dedans, et en mourir ! Moi, si je ne me noie pas, ce serait vraiment un grand plus pour l’humanité ». 


La conversation se poursuit, jusqu’à ce que Jésus, enfin convaincu, souligne en plaisantant que s’il meurt au cours de ce coup marketing, « vous aurez plutôt intérêt à me ressusciter ! » Éclat de rire général autour de la table. « En fait, c’est possible », rétorque l’un des marketeurs. Le spot s’achève alors sur le slogan « Stunts made possible » qui, jouant du double sens du mot « stunt », signifie que ce sont autant des « cascades de cinéma » que des « coups publicitaires » qui sont ainsi « rendus possibles » par l’agence 1One.



Jésus a inventé le marketing


Mais n’en déplaise aux marketeurs, Jésus n’a guère eu besoin de prendre de cours de marketing. Bien au contraire, il aurait même pu en donner ! C’est en tout cas l’avis du publicitaire italien Bruno Ballardini, qui enseigne les langages et les techniques de la publicité au département de communication de l’université de Rome. 


Dans son livre Jésus lave plus blanc (éditions Boréal, Québec, 2006, pour la traduction française), celui-ci défend l’idée que l’Église catholique serait la première à avoir inventé le marketing, notamment grâce à Saint Paul — grand propagateur de la foi devant l’Éternel — qui serait devenu le « chef de produit » de la religion chrétienne. 


L’auteur rappelle les propos de l’évêque de Bologne, Mgr Ernesto Vecchi, interviewé en 1997 par un journaliste qui lui demandait si l’Église catholique avait récemment pris des cours de marketing. Le prélat répondit : « Vous plaisantez ! L’Église peut en donner, des leçons en la matière... Le marketing ? C’est Jésus qui l’a forgé il y a deux mille ans ! »

À l’appui de sa thèse, Bruno Ballardini souligne que « les principes utilisés par les managers actuels étaient déjà en place dès le Ier siècle ».


À commencer par l’exclusivité de la marque « Jésus » — qui, comme le Yahvé de l’Ancien Testament, se veut seul et unique — laquelle singularise la religion chrétienne vis-à-vis de ses concurrentes grecque, romaine et mésopotamienne, qui ne jurent que par le polythéisme et le syncrétisme. 


Autre technique classique, celle du testimonial, le « témoignage » par lequel une célébrité joue de son image dans une pub pour assurer de la qualité d’un produit : à l’image du tennisman Jo-Wilfried Tsonga savourant un Kinder Bueno ou l’actrice Charlize Theron qui « a prêté son charme, sa beauté et sa magnifique chevelure à la gamme de coloration Récital et Préférence de L’Oréal Paris », Jésus incarne, par ses miracles et le spectacle de sa résurrection, l’efficacité du produit « christianisme ».


Et ce n’est pas fini : marketing direct par les lettres de Saint Paul aux leaders religieux de son temps, icônes et gadgets véhicules de la foi, développement des lieux de culte comme points de fidélisation du client... « Comment les experts en marketing d’aujourd’hui peuvent-ils s’imaginer avoir inventé quelque chose ? », s’interroge Bruno Ballardini.


« En vérité, le rapport entre religion et publicité dépasse de beaucoup la seule question des allusions de la première dans la seconde, qu’elles soient respectueuses, béotiennes ou iconoclastes », notent pour leur part le sémiologue Gilles Lugrin et le pasteur Serge Molla dans leur ouvrage Dieu, otage de la pub ? (éditions Labor & Fides, Genève, 2008). « La religion a en effet cela en commun avec la publicité d’avoir mis en place une série d’objets, d’images et de symboles élevés au rang de totems idolâtrés, doubles religieux des logos publicitaires. Certains voient ainsi dans le crucifix le plus ancien des logos encore « en activité » »


Moralité : comme le souligne l’agence publicitaire française Herezie — qui comme son nom l’indique, se définit comme « pas très orthodoxe » — qu’il s’agisse de marcher sur l’eau ou de marketing, « il n’y a pas de miracle. Juste beaucoup de travail » !



PAR SIMON CASTÉRAN (*) - fait-religieux.com - le 7 mars 2015



(*) Simon Castéran est journaliste et passionné de sciences. Depuis plusieurs années, il se consacre à la vulgarisation scientifique, notamment dans le domaine de l’astronomie, de la conquête spatiale et de l’exobiologie. (Source : lejournal.cnrs.fr)