Orthodoxie : attention aux contrefaçons et aux boniments  des menteurs | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

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À gauche : le patriarche Philarète

À droite : le métropolite Onuphre

En dessous : l’évêque Longin

 


Orthodoxie : attention aux contrefaçons et

aux boniments  des menteurs

Par Laurence Guillon (*)

 

 

Le pseudo patriarche et la sainte Russie

 

Au Xe siècle, le grand prince de Kiev Vladimir adopta la foi chrétienne orthodoxe, après avoir envoyé des émissaires à Byzance qui revinrent, éblouis par les cérémonies religieuses, en lui disant : « Nous avons vu le ciel sur la Terre ». Ce fut le début de la sainte Russie. Toutes les Russies, la blanche, la petite et la grande restèrent fondamentalement unies dans cette entité dénommée la sainte Russie.

 

En face des Polonais catholiques, l’ataman cosaque zaporogue Bogdan Khmelnitski se rallia à la Moscovie, par fidélité à cette même sainte Russie, ciment des trois Russies, lesquelles dérivaient toutes trois de cette région fluctuante et souvent envahie, de la Russie (Rus ») de Kiev, la mère des villes russes.

 

Malgré les luttes entre les différents princes de cette sainte Russie, et leurs trahisons, ce qui unissait tout le monde, c’était la foi orthodoxe de la sainte Russie. Aussi le tsar était-il tsar de « toutes les Russies ». Et le patriarche également.

 

On peut même dire qu’à présent où la Russie, après 70 ans d’URSS et la prédation néolibérale américaine des années Eltsine, se retrouve divisée comme au temps des Mongols, le patriarche de Moscou est le seul à rester celui de « toutes les Russies ».

 

Et à la tête de l’Église ukrainienne canonique se trouve un métropolite dépendant du patriarcat de Moscou, le métropolite Onuphre, un homme digne qui s’efforce de rester au-dessus de la mêlée avec beaucoup de courage.

 

Le métropolite Onuphre : « La mission de l’Église, indépendamment du lieu où elle se trouve et des territoires sur lesquels s’étend sa responsabilité canonique, est immuable dans tous les temps. C’est la mission du salut de l’âme humaine. En même temps, il existe également des circonstances humaines, que l’Église ne peut ignorer. Et là, notre tâche consiste à enseigner le bien et appeler à la paix. Nous devons aider tous les hommes à comprendre qu’il faut résoudre tous les problèmes de façon pacifique, qu’il ne faut pas offenser le prochain, lever la main les uns sur les autres et, d’autant plus, tuer ». Source

 

 

En face, naturellement, on souhaiterait vivement éjecter ce souvenir de l’ancienne unité spirituelle de toutes les Russies, et l’on comprend bien pourquoi. Il subsiste l’Église uniate qui avait déjà, été conçue par les Polonais pour briser la résistance des paysans orthodoxes des territoires de l’actuelle Biélorussie, alors grand-duché de Lituanie, ou de l’actuelle Ukraine que les aléas historiques avaient mis dans l’orbite catholique occidentale. Certains résistèrent, d’autres non. Ceux qui n’ont pas résisté sont violemment anti orthodoxes, comme c’est souvent le cas lorsque des gens trahissent leur foi pour avoir la paix, ils en rajoutent. Pour échapper à ce sort, les cosaques de Bogdan Khmelnitski étaient prêts à s’allier aux tatars, et ils se sont mis sous la protection de Moscou.

 

Après la dilacération de la Russie postsoviétique en satrapies proaméricaines, il fallait séduire les orthodoxes ukrainiens non uniates, mais nationalistes, raison pour laquelle a été créée une église autocéphale ukrainienne, pour des motifs purement politiques, à la tête de laquelle s’est autoproclamé le patriarche Philarète, personnage qui, contrairement au métropolite Onuphre, ne s’efforce pas du tout de rester au-dessus de la mêlée et de calmer les passions. Il va réclamer des armes aux Américains pour la junte de Kiev et vient de déclarer que massacrer la population du Donbass n’était pas un péché.

 

Philarète : « le massacre des habitants du Donbass ne viole pas les commandements de Dieu » 

 

Il y a quelques jours, donc avant que je lise cette déclaration de Philarète, accompagnée d’une photo où l’homme m’a irrésistiblement rappelé les caricatures de religieux du film d’Eisenstein « Ivan le Terrible » (« sa coiffe est blanche, mais son âme est noire »), j’avais vu passer celle du patriarche de Constantinople Bartholomée rappelant que le patriarcat de Kiev, n’était pas canonique et devait être considéré comme schismatique. Je dis bien le patriarche de Constantinople, et non celui de Moscou, et je le dis pour les mauvais esprits. Sous cette déclaration, de gentils orthodoxes occidentaux regrettaient dans leurs commentaires que l’on fît ainsi de la peine à des tas de gens, mais si le patriarche Bartholomée, plutôt favorable aux dialogues interconfessionnels, plutôt « cool », disons, avait cru bon de la faire, c’est que sans doute, il avait eu vent de choses pas très catholiques ou plutôt orthodoxes.

 

Or voilà que deux jours plus tard, pan, Philarète fait encore des siennes, on peut dire que Bartholomée avait senti le vent.

 

Le patriarcat de Constantinople estime que le prétendu « patriarcat de Kiev » est une entité schismatique

 

 

Un « pieux » orthodoxe pas très catholique

 

Au même moment, voilà que surgit l’article du Saker. Cet article peut introduire de regrettables confusions, et comme nous nageons dans la confusion de tous les côtés, il est bon d’éclaircir celle-ci quand on est à peu près capable de le faire. Je lis que le héros de l’article, Dmytro Korchynski, a « l’originalité d’être motivé par une idéologie qui mélange le messianisme chrétien et le djihad musulman ». Et le Saker ajoute que ledit Korchynski et ses hommes sont de « pieux orthodoxes ». Non. Si Korchynski est un pieux orthodoxe, de l’Église canonique d’Ukraine dirigée par le métropolite Onuphre, décidé à ne pas entrer dans les querelles génératrices de guerre civile, il ne peut confondre messianisme chrétien et djihad islamique et du reste, si comme partout ailleurs, les hommes politiques en Russie ont pu tenter d’utiliser l’Église, ou de l’opprimer, le messianisme orthodoxe n’est pas guerrier. Le chevalier teutonique n’est pas le genre de l’orthodoxe russe. Il ne conçoit que la guerre défensive, comme au Donbass, où l’on renvoie les prisonniers ukrainiens à leur maman quand ils ne sont pas des néonazis convaincus du bataillon Azov.

 

Le messianisme orthodoxe consistait à construire un ermitage au fond de la taïga et à attendre l’affluence des moines et des pèlerins qui transformaient le lieu en centre spirituel avec les reliques du saint fondateur, et les animistes du coin se convertissaient généralement tous seuls. C’est par exemple ce qui s’est passé en Alaska, avec les Indiens locaux. Ce scénario a sans doute connu des dérapages, mais c’est le scénario de référence. Les orthodoxes ne sont pas prosélytes. Ils croient à la prière et à l’exemple. Donc le djihadisme orthodoxe du sieur Korchynski se rapporte certainement plus à l’Église schismatique de Philarète, qui va démarcher des armes en Amérique et appelle au massacre, qu’à l’Orthodoxie de Bartholomée ou de Cyrille ou de n’importe quelle autorité orthodoxe canonique et reconnue.

 

Je vois plus loin que l’olibrius entend créer un « mouvement taliban chrétien ». Et que pour lui, le grand Satan, c’est la Russie.

 

Désolée Saker, mais ce type ne saurait en aucun cas être caractérisé comme un « pieux orthodoxe ». Comment un pieux orthodoxe considèrerait-il la sainte Russie de cette manière ? Comment imaginerait-il de créer des « talibans chrétiens » ? Non, c’est au mieux une espèce de chevalier teutonique, de ceux qu’Alexandre Nevsky a envoyés par le fond du lac Peïpous au XII° siècle, et encore, je pense qu’ils prendraient mal la comparaison.

 

Ah mais justement, nous y arrivons. Le chevalier teuton a des origines polonaises, il « continue la guerre familiale contre l’Empire russe », avec un peu de chance, ce n’est même pas un sectateur de Philarète, ce « pieux orthodoxe », mais un uniate polonisé pur et simple. Ou encore, pour faire bref et ne pas avoir peur des mots, un serviteur de Satan, un semeur de confusion, qui déforme et déshonore le message chrétien. Ce que nous voyons dans l’analyse subséquente de son « catéchisme » et de son « credo » politico-religieux, beaucoup plus politico que religieux, d’ailleurs.

 

 

Un catéchisme plutôt craignos

 

En tant qu’orthodoxe, sans me faire réprimander par les théologiens, je peux avancer que dans le fatras haineux, douteux et démoniaque du sieur Korchynski, il n’y a strictement rien d’orthodoxe ni même de chrétien, d’ailleurs, sauf quelques symboles ou citations profanés par le contexte. Voici le « catéchisme de la Fraternité » illustré par une « talibane chrétienne » sexy. Elle désigne une « antique croix orthodoxe » qui n’est pas spécialement orthodoxe, c’est un symbole chrétien des catacombes, qui n’a vraiment rien à faire dans cette sinistre farce.

 

Le sieur Korchynski s’est donné beaucoup de mal pour justifier son talibanisme uniatoïde avec la seule phrase évangélique qui pouvait faire l’affaire et qu’on interprète toujours de travers : « Je ne suis pas venu apporter la paix sur terre, mais le glaive » (Matthieu 10,34-36). Il s’est bien gardé de citer à peu près tout le reste : « Alors Jésus lui dit : Remets ton épée à sa place ; car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée » (Matthieu 26 : 52) ; ou « Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre » (Matthieu 5:39).

 

La phrase du Christ n’était pas un appel à la guerre, mais le pressentiment que son message et son Église susciteraient de violentes réactions et des persécutions, ce qui a été le cas, jusqu’à nos jours. Mais on n’est pas à une profanation près, quand on sert l’Adversaire avec un zèle retors.

 

Plus loin, je vois un moine « orthodoxe » du patriarcat russe rallié à sa cause, après avoir vu torturer des jeunes filles ukrainiennes par les séparatistes. Je n’en crois personnellement pas un mot, mais il n’y a là aucun moyen de prouver si c’est vrai ou faux. Néanmoins, devant de tels débordements, un moine orthodoxe véritable ne réagira pas ainsi. Il réagira comme ceux qui s’interposaient entre les combattants sur le Maïdan, avec des croix et des icônes. Donc pas clair, le transfuge.

 

À noter que la bête noire des occidentaux, Alexandre Douguine, qui est non seulement orthodoxe, mais vieux-croyant, s’est rapproché, lui, d’un imam malais à l’islam modéré et tendance soufie ; le sheik Imran Hossein, qui prône l’alliance avec les orthodoxes, défend les chrétiens d’orient et qualifie la guerre de Tchétchénie de « djihad yankee »… Le « talibanisme chrétien » du serviteur polonisant de l’impérialisme américain s’appuierait-il sur un djihadisme mercenaire ?

 

 

 

 

Les orthodoxes véritablement pieux ne font pas de croisades en Ukraine ni ailleurs. Ils ont autre chose à faire, et la croisade n’est pas dans la tradition orthodoxe. J’en donnerai pour exemple un saint homme, l’évêque Longin, autrefois père Mikhaïl, prêtre marié puis moine, fondateur d’un monastère à la frontière roumaine, et soutien aimant de centaines d’orphelins. J’avais traduit il y a quelques mois sa lettre courageuse qui ne mâchait pas ses mots au gouvernement de Kiev, et ça, oui, c’est orthodoxe. C’est dans la tradition du saint métropolite Philippe.

 

 

L’évêque Longin : Comment peut-on prendre les armes et tirer sur une créature de Dieu ? Elle a comme vous une mère, une femme, un enfant. Pourquoi nous oblige-t-on à tuer par la force ? Ce qui était secret devient clair : des milliers, des dizaines de milliers ont péri, et ils parlent de centaines. Je ne vous donne pas ma bénédiction pour aller faire la guerre. Nous vous appelons à la paix.

 

Dix mille soldats ont été tués, et leurs mères ne savent même pas qu’ils ne sont plus en vie. Je ne fais pas de politique, mais je vous dis avec douleur que cette guerre n’est pas dirigée contre l’ennemi, mais contre nous-mêmes. Quand les maudits défendent les États-Unis, ils veulent voir les orthodoxes s’entretuer, et eux, pendant ce temps, ils mangent, ils boivent, ils s’amusent et se réjouissent de voir le sang couler sur une terre sainte. Source

 

L’article du Saker, inspiré par un documentaire allemand, met une fois de plus en évidence l’ignorance des Occidentaux, même bien intentionnés, et aboutit à opérer une désinformation de plus. Il y a ceux qui ne savent rien, mais croient savoir. Il y a ceux qui ne savent pas et ne veulent pas savoir. Il y a ceux qui trompent délibérément le public. Et ceux qui me disent « on n’y comprend rien », mais ne vont pas chercher plus loin.

 

Il est certain qu’on ne peut comprendre ce qui se passe en Ukraine et en Russie si l’on ne connaît même plus sa propre histoire ni sa propre tradition religieuse et culturelle. Il est facile de souffler n’importe quoi à des ignares bourrés de contre-vérités, de mensonges, de contes et légendes médiatiques, d’aprioris subliminaux. Ceux qui dirigent le monde le savent bien.

 

 

 

 

Par Laurence Guillon (*) - Novorossia Vision - le 26 mars 2015.

 

(*) Laurence Guillon, écrivain, retraitée de l’Education Nationale, traductrice occasionnelle, j’ai vécu 16 ans en Russie, où je me sentais parfaitement intégrée et j’ai dû revenir en France pour des raisons familiales… (Source : agoravox.fr)