Européisme et nazisme... Das Jahr 2015 (Partie 1/3) | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Photo : Yórgos Ioánnou (1927-1985)

 


Européisme et nazisme... Das Jahr 2015 (Partie 1/3)

Par Panagiotis Grigoriou (*)

 

Nos annalistes et écrivains d’hier, entrevoyaient parfois assez clairement les fentes du temps humain qui est le nôtre. « Je me souviens de la maison sous l’Occupation, toujours fermée. Pendant la Guerre civile, même chose. Plus tard, je dus m’éloigner pour longtemps. Le régiment, les bateaux, des amours interminables et des tas de soucis, que je considérais comme uniques et pénibles entre tous. Jusqu’au jour où les deuils me ramenèrent chez nous. J’étais devenu le chef de famille. Moi, chef de quelque chose ».

 

« Quant à la maison toute fermée, non seulement elle n’existait plus, mais on ne savait même plus où se trouvait la rue autrefois. Le plan d’urbanisme, que tracent habituellement des gens qui nous ignorent et se fichent de notre avis, avait tout effacé d’un trait de plume. », écrivait Yórgos Ioánnou (« Les Cris », « Le Sarcophage », recueils, traduction de Michel Volkovitch. Vingt-six histoires autobiographiques, où revivent les années sombres de l’Occupation allemande et des « années médusées » qui ont suivi).

 

Yórgos Ioánnou (1927-1985) dont l’œuvre est reconnue comme l’une des plus originales de la littérature contemporaine grecque est né à Thessalonique en 1927 dans une famille de réfugiés de Thrace orientale. Jeune garçon quand la Seconde Guerre mondiale éclate, il ne profitera pas davantage de ses vingt ans dans la tourmente de la Guerre civile qui s’ensuit (1944-1949). Une jeunesse meurtrie par la faim et les exactions, et qui porte en gestation les éléments majeurs de son œuvre à travers cette conscience d’une génération vaincue, la sienne, d’où l’obsession d’une mort subite et prématurée.

 

Dans la nouvelle « Le seul héritage », il décrit la mort prématurée des membres de sa famille. Texte alors prémonitoire puisque Yórgos Ioánnou meurt le 16 février 1985 à l’âge de 57 ans, suite à une erreur médicale. Greek Crisis lui rend donc hommage, trente ans après sa disparition.

 

Ioánnou a introduit en Grèce un genre nouveau, où la réalité la plus quotidienne et la plus intime se trouvait transposée en des textes courts, à mi-chemin de la nouvelle et de la confession, écrits toujours à la première personne. Car Ioánnou plus que romancier ; était un observateur lucide de son temps et peut-être bien, de la préhistoire et des racines de notre temps apocalyptique.

 

Je ne l’avais connu directement (autrement que par le truchement de ses textes), sauf que mon ami Théodoros a eu la rare occasion d’échanger avec Ioánnou, quelques années avant la disparition de l’écrivain. « Très humble de l’existence et aux manières... comptées, comme on dit parfois, il était tout le contraire d’un écrivain prétentieux aux hypocrisies surfaites », se souvient-il mon ami.

 

Si j’évoque Yórgos Ioánnou et son œuvre par ce moment si crucial dans la géopolitique de l’Ordre... fraîchement nouveau, et autant dramatiquement européiste, c’est autant, pour faire saisir certaines filiations d’époque avec certaines histoires et avec certaines affaires, celles justement, ignorées intentionnellement par les journalistes et par les analystes mainstream.

Son œuvre étant traduite en français, les biographies disponibles, notent entre autres, que Yórgos Ioánnou fut également fondateur, d’une revue littéraire (« To Phylládio »), il a traduit Tacite et l’Anthologie Palatine, traductions lesquels y étaient publiés par fragments.

 

Car Yórgos Ioánnou entreprit alors en 1978, la rédaction de cette brochure littéraire, justement intitulée « La Brochure » (To Phylládio), à mi-chemin entre la chronique et l’autoanthologie sélective et variée, certains de ses textes qui selon l’avis de l’auteur ne pouvaient pas être publiés par les journaux et les revues de l’époque, trouvèrent alors refuge et toute leur place, dans cette Brochure à la périodicité incertaine et assumée comme telle, par son créateur.

 

Ainsi, et à part ses propres (et courts) récits et poèmes, ces brochures (jamais traduites en français à ma connaissance), (elles) ont constitué la seule occasion et possibilité pour Ioánnou, de publier ses « Touffes » (« Thyssanoi »), textes alors brefs, abondants et successifs, en guise de véritable recueil de « micro nouvelles », chroniques, pamphlets, nécrologies, polémiques, réflexions politiques en somme, ou épisodes, brièvement relatés de son enfance durant la Guerre et la guerre civile (1940-1940). Un premier... blog sans doute.

 

Je voudrais alors, pour les besoins de mon analyse, préciser un certain angle manifeste quant à la lecture des textes, et... pour ainsi dire ignorés des lecteurs d’Ioánnou au-delà de la Grèce. L’époque où cette brochure littéraire naquit, était celle du débat, très violent en Grèce, opposant les artisans (et partisans) de l’intégration du pays dans l’ensemble que constituait alors la CEE (devenue effective en 1981), et les... eurosceptiques du moment.

 

Yórgos Ioánnou était donc farouchement opposé à cette sombre perspective, et cela, dès le départ. Il faut préciser que de réserves très fortes allant dans ce même sens eurosceptique, avaient été exprimées, entre autres, par le poète Odysséas Elýtis (Prix Nobel de littérature en 1979), et par les compositeurs, Mános Hadjidákis et Míkis Theodorákis.

 

« C’est un jour maudit, je le considère ainsi en tout cas, ce 21 décembre 1978 où, soi-disant, nous avons réussi notre adhésion en qualité de membre à part entière au sein de la CEE. Nous le regretterons très amèrement c’est certain, sauf qu’il ne nous sera plus possible de nous en défaire. Les liens économiques sont encore plus solides que les alliances militaires, entre les pays. (...) Ces affaires ne sont pas faites pour nous, elles ne s’accordent guère avec notre histoire ni avec le caractère de notre peuple. Ni même, avec la situation réelle de la Grèce en ce moment. Nous serons effacés en tant que pays, en tant que nation. Et ce n’est pas parce que d’autres perspectives ne sont pas suffisamment en vue, qu’il va falloir nous engouffrer dans cette voie (...) »

 

« Il ne restera plus rien dans le pays. Déjà, de voleurs sans scrupules bien de chez nous, très nombreux, et encore, certains malfrats internationaux sillonnent le pays pour voler des antiquités et des icônes. Ainsi, les salopards et les fainéants, ont trouvé le filon pour s’enrichir facilement et pour s’offrir ainsi la belle vie. Et tous ces esthètes, cette vermine, découvrent alors une nouvelle manière... de décorer leurs salons. Là, il va falloir taper très fort. Et j’imagine ce qui s’en suivra, depuis précisément notre... liaison avec la CEE. Dieu sait seulement... quelles « perles » internationales, viendront-elles alors jusqu’ici, pour s’emparer de leur nouveau terrain. »

 

« Je regarde ces jours-ci à la télévision « l’Holocauste », ce film sur l’extermination des Juifs d’Europe. Son timbre mesuré est pour moi émouvant, ce même ton qui choque alors les plus jeunes. Sauf que je le trouve insuffisant pour évoquer toute cette horreur, tel que j’ai pu la vivre en 1943, à Thessalonique. En dehors bien entendu, des séquences authentiques et d’époque que ce film comporte. À l’époque c’était autre chose. L’horreur, sur toute la ligne. Autre chose, impossible à raconter : C’était en avril 1943, à Salonique sous l’Occupation noire. » (Yórgos Ioánnou, “Fylládio” 3/4, 1978-1979).

 

Nous voilà dans une Europe (déjà du Sud), où alors l’ultralibéralisme des financiers, associé à la politique menée par les élites de l’Allemagne, s’assimilent à de figures du « nouveau nazisme » estiment certains analystes dans les pays du sud de la zone euro, et surtout, une bonne partie de l’opinion. Qu’en est-il réellement ? Et pourquoi alors, cette réaction, irrite-t-elle tant les journalistes mainstream, à l’instar des dirigeants de l’Allemagne (et de la France) actuelles ?

 

À un certain niveau d’analyse, il faut d’abord comprendre la survie des mémoires collectives d’autant plus, que la place actuelle du (presque) seul pays grand gagnant de l’architecture européiste (l’Allemagne) permet certaines analogies, au risque même des anachronismes. Sauf que les anachronismes s’avèrent parfois relatifs, et que l’Histoire... s’expérimente fondamentalement dans les nuances du gris.

 

 

Par Panagiotis Grigoriou (*) - greekcrisis.fr – le 8 mars 2015

 

(*) Panagiotis Grigoriou : historien et ethnologue, il porte un regard à la fois ethnographique et de chroniqueur (correspondant en France de NemecisMag 2000-2008). Depuis 2008, parcourant une bonne partie de la Grèce continentale, il s’est rendu sur plus d'une trentaine d'iles en mer Égée et Ionienne, il a rencontré le quotidien de plusieurs milieux sociaux et culturels, touchant aux fractures qui se multiplient tant au niveaux des syllogismes collectifs, qu'à celui des relations interpersonnelles dans un contexte de temps de mutations… (Source : blogger.com)