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La jeunesse, cible capitale pour l’Union Européenne

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La jeunesse, cible capitale pour

l’Union Européenne

 

 

Dès sa construction, l’Union Européenne a été pensée comme un outil au service de la bourgeoisie pour anéantir les conquêtes sociales et démocratiques du mouvement ouvrier.

 

C’est une machine pour opprimer les travailleurs qui n’a fait qu’accentuer leur exploitation en les mettant en concurrence. Pour se justifier, la construction européenne s’est cependant galvanisée de grands idéaux de progrès, d’universalisme, de liberté, etc., et se présente tout particulièrement comme une opportunité pour les jeunes.

 

Voici en effet ce que l’on peut lire sur le site de la Commission européenne : « Plus de 75 millions de jeunes entre 15 et 25 ans vivent aujourd’hui en Europe. L’UE leur offre de nombreuses opportunités en développant des programmes pour accroître leur mobilité, leur permettre de parler plusieurs langues, et les inciter à s’impliquer davantage dans l’aventure européenne. »

 

Pourtant, loin de cette vision idyllique, l’UE ne sert qu’à maintenir voire à accentuer la précarisation des jeunes. Tout d’abord, les jeunes sont les premières victimes du chômage. Le taux de chômage de moins de 25 ans atteint des sommets (23,5 %) à l’échelle européenne. Les pays qui subissent le plus les politiques d’austérité imposées par les dirigeants européens (l’Allemagne en tête) sont les plus touchés. La Grèce affiche un taux de chômage des jeunes de 57,3 %. Pour l’Espagne, il atteint 56,5 %. Les conséquences de la crise systémique du capitalisme dépassent cependant la question du chômage : elles touchent en son cœur la jeunesse et son avenir.

 


Si le taux de pauvreté moyen dans l’UE s’élève à 25,1 % en 2012, selon les statistiques officielles, il grimpe à 31,3 % chez les 16-24 ans.
Cette hausse de la pauvreté est concomitante à la précarisation et la baisse des revenus qui frappent les peuples d’Europe. En Grèce, en Espagne et au Portugal, par exemple, les salaires minimums pour les jeunes avoisinent les 500 € à temps plein. En outre, leur précarité s’accentue avec la multiplication des contrats à durée déterminée, des temps partiels et des stages. Les entreprises culpabilisent les jeunes en leur renvoyant des nécessités de compétitivité, alors même que toutes les mesures européennes sur l’éducation ont contribué à mettre en concurrence les jeunes des différents pays en détruisant progressivement la valeur des diplômes et en faisant de l’université un milieu de plus en plus élitiste, qui reproduit toutes les logiques de domination économique, sociale et culturelle.

 

Le processus en cours a pour objectif de mettre en correspondance le système éducatif avec les nouvelles exigences de l’économie capitaliste. Après l’ère de la « massification », l’enseignement est à l’ère de la « marchandisation » et se rapproche de plus en plus d’un service privatisé par les grandes entreprises.

 

Depuis 1998, le Processus de Bologne a amorcé des réformes structurelles dans le système universitaire de tous les pays d’Europe, avec pour objectif de construire « l’enseignement supérieur le plus compétitif au monde ». En France, cela s’est traduit par la loi LRU (qui a soumis les universités aux logiques néolibérales, fixant aux conditions d’enseignements des obligations de performance et de rentabilité économique par un désengagement massif de l’État). La création d’un marché européen de l’emploi n’a fait qu’accroître ces dynamiques.

 

La propagande des médias dominants au service des dirigeants politiques sur la jeunesse consiste à relayer l’illusion que l’UE aurait fait de la jeunesse une « priorité ». Pour justifier cette promesse, un certain nombre de programmes ont été mis en place, en particulier afin de promouvoir la « mobilité ». Tous sont des leurres qui ne font que renforcer les inégalités économiques inhérentes au système capitaliste. Ainsi, le programme Leonardo par exemple, qui se présente comme « un programme mis en place par l’Union Européenne ayant pour but la mise en œuvre d’une politique de formation professionnelle en Europe » s’apparente en fait à du travail gratuit, où les jeunes sont payés une misère. C’est l’une des nombreuses manières que les capitalistes ont trouvées pour exploiter les jeunes en dépit des lois en les payant en dessous de tous les minima sociaux.

 

Le célèbre programme Erasmus est lui aussi particulièrement discriminant et contribue pleinement au renforcement des inégalités déjà existantes dans un système éducatif qui n’a pour projet que de reproduire les inégalités sociales qui lui préexistent. En effet, s’il entend permettre aux étudiants de faire leurs études à l’étranger, elle ne le permet que pour ceux qui en ont les moyens. Alors même que les étudiants en France sont plus de la moitié à vivre dans la difficulté financière, le manque de moyens (près de la moitié vit en dessous du seuil de pauvreté !) est encore plus criant quand il s’agit d’étudier à l’étranger. Plus de 20 % renoncent à se soigner par manque de moyens, il est donc encore moins envisageable d’imaginer partir étudier à l’étranger.

 


Mais, le programme Erasmus est aussi discriminant parce qu’il sélectionne les étudiants en fonction de leurs résultats, alors que les statistiques montrent que la précarité renforce les difficultés scolaires. Le salariat, par exemple, favorise largement l’échec, simplement parce qu’il implique moins d’heures disponibles pour le travail scolaire.

 

L’hypocrisie totale des gouvernants européens vis-à-vis de la jeunesse est particulièrement criante lorsque l’on sort du cadre continental et que l’on replace les politiques de l’Union européenne dans le cadre du système impérialiste qu’elle alimente. Alors même qu’elle prétend défendre la jeunesse, l’UE organise un massacre institutionnel de masse, en particulier des jeunes qui veulent « tenter leur chance » en Europe, avec le maintien de la forteresse Europe, renforcée par l’agence FRONTEX, dont le budget est en permanente augmentation.

 

 

 

Par Anya & Naïm - Investig’Action - le 4 juillet 2015.

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Oxfam et les inégalités

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A l'approche du forum économique mondial de Davos (Suisse),  Oxfam a annoncé qu'en 2016 le patrimoine cumulé des 1% des plus riches du monde dépassera celui des 99% restants.


Oxfam appelle à la réécriture des règles" pour corriger ces inégalités vertigineuses.  -  Duc

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Déplacer les pauvres pour réduire les inégalités ?

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Photo : Tim Snell@flickr

 

 

Déplacer les pauvres pour

réduire les inégalités ?

Par  Mathieu Van Criekingen



Les inégalités sociales ont une dimension spatiale. D’un pays, d’une région, d’un quartier, d’une rue ou d’un immeuble à l’autre, on observe dans l’espace l’inégale répartition des ressources sociales [1]. Pour autant, reconnaître la dimension spatiale des inégalités n’implique pas que l’on puisse remplacer la lecture des inégalités sociales par celle des inégalités spatiales. Une réduction des inégalités spatiales peut être obtenue par le déplacement de populations d’un territoire à un autre, sans réduire le moins du monde les inégalités sociales elles-mêmes. La question des quartiers pauvres ne résume pas celle de la pauvreté, pas plus que la question de l’inégalité entre territoires n’épuise celle de l’inégalité au sein de la société. Pourtant, la substitution de la question spatiale à la question sociale est aujourd’hui à la fois particulièrement en vue dans les débats sur les évolutions contemporaines des territoires et singulièrement doux à l’oreille d’un grand nombre de « décideurs » (« de gauche » comme « de droite »).

 

Ce raisonnement est construit sur un principe spatialiste, c’est-à-dire, qu’il « postule un rapport causal direct entre formes spatiales et pratiques sociales […] comme si le « cadre de vie » produisait et, donc, expliquait en grande partie les manières (bonnes ou mauvaises) de vivre » [2]. Sous cet angle, les questions sociales relèveraient d’abord de problèmes de configurations spatiales, appelant donc à une recette imparable : pour traiter les questions sociales, il faut transformer l’espace – c’est-à-dire requalifier les places publiques, rénover les quartiers anciens populaires, renouveler les ensembles de logements sociaux, redévelopper les friches désindustrialisées, etc. [3] Ces « solutions » constituent aujourd’hui la panoplie presque obligée de toute équipe dirigeante soucieuse de faire acte de « bonne gouvernance territoriale ».

 

Ce type d’argument est aujourd’hui très souvent utilisé par les pouvoirs publics, en particulier dans le domaine des politiques dites de « revitalisation » ou de « régénération » des quartiers d’habitat populaire, de centre-ville ou de banlieue. En intervenant là où les investissements privés sont peu présents, ces politiques publiques ambitionnent de « réparer » ou de « rééquilibrer » le territoire au nom d’une lutte contre les « ghettos » et de la promotion de la « mixité ». L’idée sous-jacente est que le profil des quartiers populaires pourrait ainsi être rapproché du profil moyen des autres quartiers, faisant du coup baisser le niveau des inégalités (spatiales) dans la ville [4].

 

À Bruxelles, les discours prônant l’implantation d’un nouveau musée d’art contemporain en bordure de canal, dans un quartier populaire du centre-ville, donnent à voir un exemple particulièrement explicite de ce raisonnement :

 

Le musée doit utiliser le dynamisme créatif qui vit dans les quartiers du centre-ville de Bruxelles, et il doit être le moteur qui participe à l’élimination de l’inégalité sociale à Bruxelles [5].

 

En somme, il serait possible de soigner le social en intervenant sur le spatial. C’est encore ce que suggère le vocabulaire recommandant le « traitement » des quartiers populaires au moyen d’interventions ciblées sur le « cadre de vie » de ces territoires. Le cadre de vie, prétend-on, déterminerait les conditions de vie ou, plus platement : si le quartier va mieux, les gens iront mieux.

 

De nombreux chercheurs, sociologues, politologues ou géographes notamment, ont déjà souligné que ce raisonnement relevait d’une pensée magique qui confond distances spatiales et distances sociales. De même, les effets inégalitaires des opérations de « requalification », de « revitalisation » ou de « redéveloppement » de quartiers populaires ont été soulignés à maintes reprises, en particulier dans les analyses de la gentrification urbaine [6]. En effet, ces opérations impliquent souvent l’expulsion et la restriction d’accès des populations à revenus modestes et des activités économiques incapables de supporter des loyers plus élevés, qui sont alors contraintes de se replier sur d’autres espaces [7].

 

Malgré ses biais de principes et ses échecs sur le terrain, le traitement spatial des questions sociales n’en reste pas moins populaire chez les « décideurs ». Il permet en fait de combler le vide laissé par l’abandon des ambitions de réduction des inégalités sociales, constitutif du virage néolibéral depuis la fin des années 1970 [8]. Réactiver de telles ambitions demande de revenir à une lecture des inégalités comme produits de rapports de domination, eux-mêmes traduits dans des formes spatiales et des structures territoriales, à différentes échelles géographiques.

 

 

Par Mathieu Van Criekingen - inegalites.be - le 25 mai 2015

http://inegalites.be/Deplacer-les-pauvres-pour-reduire

 

 

 

Notes

[1] 

Pour aller plus loin : I. Backouche, F. Ripoll, S. Tissot et V. Veschambre (dir.), 2011, La dimension spatiale des inégalités. Regards croisés des sciences sociales, Rennes, Presses Universitaires de Rennes.

[2] 

J.-P. Garnier, 2010, Une violence éminemment contemporaine Essais sur la ville, la petite bourgeoisie intellectuelle et l’effacement des classes populaires, Marseille, Agone, p. 17.

[3] 

voir aussi S. Tissot et F. Poupeau, 2005, « La spatialisation des problèmes sociaux », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 159, p. 4-9.

[4] 

Pour l’exemple bruxellois, voir M. Van Criekingen, 2013, « La gentrification mise en politiques », Métropoles, 13, en ligne : http://metropoles.revues.org/4753.

[5] 

M. Rijdams, Brussel Deze Week, n° 1431, 19 juin 2014, p. 12 (traduction personnelle depuis le néerlandais).

[6] 

Voir par exemple A. Clerval, 2013, Paris sans le peuple. La gentrification de la capitale, Paris, La Découverte.

[7] 

M. Van Criekingen, 2006, « Que deviennent les quartiers centraux à Bruxelles ? Des migrations sélectives au départ des quartiers bruxellois en voie de gentrification », Brussels Studies, 1, 1-20, en ligne : http://www.brusselsstudies.be/publications/index/index/id/27/lang/fr.

[8] 

Voir par exemple J.L. Siroux et D. Zamora, 2014, « La lutte contre les inégalités, promesse oubliée de la lutte contre la pauvreté », Pauvérité, 4, Forum Bruxellois de Lutte contre la Pauvreté.


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Les dégâts invisibilisés des inégalités sociales et des discriminations racistes et sexistes

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Les dégâts invisibilisés des inégalités sociales et des discriminations racistes et sexistes

 Par Saïd Bouamama

 

« Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. » (Don helder Câmara)

 

Les statistiques dites « ethniques » sont interdites en France. Cette hypocrisie collective a pour résultat une sous-estimation de la violence institutionnelle de notre système social et de ses dégâts sur les personnes. Les statistiques « sociales » ne sont pas interdites (pas encore ?) et permettent une première approche de cette violence. Toutes les exploitations et dominations sont des violences. Les victimes de ces violences ne sont jamais inactives. Elles ne peuvent pas être passives. Soit elles retournent la violence vers l’extérieur, soit elles la dirigent vers elles-mêmes dans un processus d’autodestruction. La prison et l’hôpital psychiatrique sont deux analyseurs de l’ampleur de cette violence institutionnelle contre les classes populaires et plus particulièrement leurs composantes féminines et issues de l’immigration postcoloniale.

 


Prison, justice et classes sociales

 

Bien que légales, les études sur la population carcérale à partir de l’appartenance de classe en France, sont extrêmement rares. Elles sont, de surcroît, entièrement absentes du discours médiatique et politique. Il est vrai qu’elles sont immédiatement parlantes. Le fait qu’il ne soit pas possible de citer de chiffres récents est en lui-même significatif. Il indique non pas l’existence d’un complot du silence, mais la production systémique d’une occultation sociale à partir de multiples processus : déterminants des recherches scientifiques, valorisation de certaines thématiques de recherches et dévalorisation d’autres, échos médiatiques des recherches, procédures d’accès aux terrains, préoccupations des chercheurs et des labos, etc.

Dans les rares travaux existants, citons l’enquête de l’INSEE publié en 2000 à partir d’un échantillon de 1 700 détenus hommes.


Les employés forment ainsi 11.8 % de la population carcérale masculine, les ouvriers 49.8 % et les « sans profession » 13.7 %. Ces trois catégories sociales constituant les classes populaires, ces dernières représentent 75.3 % de la population étudiée. En comparaison les « cadres et professions intellectuelles supérieures ne représentent que 3.3 % de la population carcérale (1). Il ne s’agit pas d’un simple reflet de notre structure sociale dans les prisons. La comparaison entre la part quantitative de ces catégories dans la structure sociale et la part dans la population carcérale fait apparaître une surreprésentation incontestable : les ouvriers par exemple comptent pour 36.4 % de la population totale, mais pour 49.8 % de la population carcérale.


Ces chiffres ne signifient pas l’absence de délinquance dans les autres classes sociales. Ils indiquent simplement les implicites de classes de notre système de justice.


Bruno Aubusson et Thierry Godefroy (2) ont démontré depuis longtemps l’existence de deux types de délinquances inégalement sanctionnés : celle des classes populaires dites « délinquance traditionnelle » (vol, violence contre les personnes, trouble à l’ordre public, etc.) et celle des catégories plus aisées dites « délinquance professionnelle » (infraction financière, fiscale, infraction au droit du travail, etc.). La première fait courir le risque de la prison et la seconde au pire celui de l’amende.


La prison française reflète et amplifie la structuration en classe sociale de notre société. Ce constat banal mérite d’être répété lorsque certains à « gauche » osent proclamer que la « sécurité n’est ni de droite ni de gauche » (3). Continuer à parler de sécurité dans l’absolu sans la relier à l’insécurité sociale que génère notre système social pour les classes populaires est à la fois une ineptie et une hypocrisie. La surreprésentation des classes populaires en prison est un effet de la violence de la domination de classe.


Continuer à parler des conséquences (la délinquance, la violence du dominé, etc.) sans les relier à leurs causalités est bien un raisonnement de droite qui malheureusement tend à s’étendre largement à « gauche ».


 

Prison, justice et sexe

 

Les femmes pour leur part sont sous-représentées en prison :

On est effectivement là face à une très nette dissymétrie sexuelle. A toutes les étapes de la chaîne pénale, les femmes sont très largement sous-représentées en termes statistiques : elles représentent 14 % des individus mis en cause par la police et la gendarmerie, 9 % des personnes mises en cause par la justice et 3,4 % de la population carcérale (4).


L’explication de ce faible taux de féminité de la population carcérale ne signifie pas que les femmes soient moins actrices de violences. Elle peut également renvoyer à un traitement pénal différencié comme le soulignent les deux auteures citées. La violence des hommes est en quelque sorte considérée comme normale, rationnelle, logique, naturelle. Celle des femmes comme anormale, irrationnelle, illogique et non naturelle. La violence des hommes aurait donc à être punie alors que celle des femmes à être « soignée ». La négation de la violence des femmes a ainsi pour conséquence sa pathologisation c’est-à-dire la négation de ses causalités sociales c’est-à-dire encore l’occultation de son caractère de réponse aux violences sociales subies. Nous retrouvons ici les vieilles théorisations sexistes du « tempérament » et de l’hystérie féminine (5).


Si nous portons notre regard du côté de la dépression, de la consommation de médicament, de l’hôpital psychiatrique, etc., les proportions sont inversées. Les raisons n’ont rien à voir avec les hormones, mais avec les violences subies d’une part et par un traitement médical sexué d’autre part :


Plusieurs travaux ont démontré que loin d’être objectifs dans ce domaine, les médecins avaient au contraire des biais systématiques. Ainsi, devant des symptômes identiques, les médecins prescrivent plus facilement des tranquillisants s’ils ont affaire à une femme plutôt qu’à un homme, considérant plus souvent que la maladie est due entièrement ou partiellement à la dépression (6).


La « vulnérabilité » dont nous parlons n’est pas liée aux différences biologiques, mais aux multiples discriminations que les femmes subissent au long de leur trajectoire c’est-à-dire encore aux violences sociales et systémiques.


 

Prison, justice et race

 

L’état de la statistique empêche d’avoir un regard objectivé sur la réalité carcérale selon l’origine. L’absence d’analyse incluant la donnée de l’origine laisse la voie ouverte à une instrumentalisation par l’extrême droite. Des constats d’apparentes évidences fleurissent dans la presse d’extrême droite et étendent leurs métastases bien au-delà : « Les prisons sont majoritairement peuplées de noirs et d’Arabes » ou « la grande majorité des détenus sont musulmans » selon l’actualité dominant la période. Ces « constats » sont avancés en appui à une argumentation affirmant explicitement ou suggérant implicitement « qu’il y a « quelques choses » (la culture, l’éducation, la religion…) qui relie la délinquance et l’immigration de façon substantielle (7) ».


Laurent Mucchielli met en évidence dans l’article ci-dessus cité deux biais dans ce type d’affirmation :


1) « Il est exact que, dans les maisons d’arrêt, et surtout dans celles situées à proximité des grandes agglomérations, la majorité des détenus ne sont pas blancs de peau. Mais ce qui est vrai dans les maisons d’arrêt de Fresnes ou de Fleury-Merogis (région parisienne) ne l’est pas forcément dans celles de Saint-Brieuc ou d’Agen » ;


2) « la population carcérale ne se réduit pas aux maisons d’arrêt. Si l’on observe les Centrales accueillant des longues peines, et notamment des condamnés pour crimes sexuels, le constat est souvent inverse : la majorité des détenus y ont la peau blanche (8) ».


Les causalités ne sont donc pas de type culturaliste. Il existe cependant réellement une surreprésentation des noirs et des Arabes dans les prisons proches des grandes agglomérations. « C’est l’aboutissement, souligne la juriste et criminologue Fabienne Brion, « logique » de toute une politique d’exclusion et de répression » (9).

Nous pouvons même, selon moi, utiliser l’expression de « carrière de discriminé » dans laquelle les discriminations racistes subies dans la vie sociale (dans la recherche de stage au cours de la scolarité [10], dans l’orientation [11] scolaire ou de formation, dans l’accès à l’emploi [12], dans la recherche d’un logement [13], etc.) sont complétées par un contrôle au faciès récurent (14).


Les discriminations sociales et leurs effets économiques, la surveillance particulière, le contrôle policier d’exception et ses effets d’humiliation (15) suscitent inévitablement des réactions qui conduisent plus fréquemment devant la justice (16) (petite délinquance, rébellion à agent, fraude dans les transports en commun, etc.). La confrontation à la justice est, à son tour, un autre moment de confrontations avec la discrimination raciste : celle de notre système judiciaire. « Nous sommes face à une justice, résume le criminologue Sébastien Roché, qui concentre son énergie à condamner des jeunes d’origine étrangère » (17).


Après de longue année de négation, les données de la recherche sont désormais suffisantes pour attester d’une discrimination raciste systémique impactant violemment les trajectoires des étrangers en France, mais aussi les Français issus de l’immigration postcoloniale. La non prise en compte de cette question sociale majeure par les programmes des différentes organisations de « gauche » ou sa relégation à une place secondaire est explicative du décalage grandissant entre les classes populaires et ces organisations. Le résultat dans les urnes a été nettement palpable aux dernières municipales.



Classe, race, sexe et hôpital psychiatrique


Ma préoccupation sur les effets en « maladie mentale » des inégalités sociales et discriminations racistes et sexistes est issue d’un constat récurrent lors de conférences dans les quartiers populaires. À chaque fois que j’abordais la question des conséquences des discriminations subies sur les trajectoires et que je citais parmi de nombreuses autres (repli sur soi, intégration du stigmate, violence sur soi, etc.), la « maladie mentale », le débat tendait à se focaliser sur ces dernières. À l’issue du débat, systématiquement des personnes venaient me faire part de leur vécu personnel en la matière (un parent, un ami, un voisin, etc.).


Cette présence récurrente du thème était en dissonance avec le silence politique, médiatique, de la recherche sur cette question. La violence des discriminations subies conduit à des fragilisations mentales destructrices conduisant fréquemment à l’hôpital psychiatrique. Cette conclusion est une banalité pour les habitants des quartiers populaires.


Le facteur « classe sociale » peut s’approcher par le biais de ce qui est appelé « souffrance psychique d’origine sociale » pour la distinguer « d’une perspective étiologique ou causaliste de nature médicale » (18). Les processus de paupérisation et de précarisation qui depuis plus de trois décennies diffusent une insécurité sociale dans les classes et quartiers populaires ne se traduisent pas seulement en baisse du niveau de vie ou en accès plus difficile aux biens et services, mais également en effets psychiques. Le psychiatre des hôpitaux et directeur scientifique de l’observatoire national des pratiques de santé mentale, Jean Furtos, décrit ces effets comme suit :


Pourquoi « souffrance » ? Parce qu’il s’agit d’un mot de sens commun qui n’a pas besoin d’être défini et qui ne se déduit pas d’une localisation anatomique, comme la douleur organique d’une rage de dents ou d’un rhumatisme chronique ; il s’agit d’une douleur d’existence, d’une souffrance qui peut certes accompagner une douleur organique, mais aussi l’humiliation, le mépris social, ou pire l’indifférence. Cette souffrance est « psychique » parce qu’elle est soumise au travail psychique qui peut être sidéré, comme dans le traumatisme traumatisant, ou plus ou moins élaboré (19).


Le facteur « race » laisse apparaître des effets aussi destructeurs sur la santé mentale des racisés. Le constat d’une surreprésentation de la psychose pour les populations issues de l’immigration est établi par plusieurs études épidémiologiques. Ainsi l’étude du docteur Ali Amad et de son équipe de recherche sur le département du Nord publiée en 2013 permet par de « valider l’existence du sur-risque de schizophrénie pour les populations immigrées en France, et leurs descendants » (20). Ce sur-risque est mesuré au moins jusqu’aux petits-enfants d’immigrés (21). Les explications dominantes de ce constat qui pendant longtemps se sont centrées sur des explications à tendances biologistes et culturalistes s’orientent désormais de plus en plus vers la prise en compte des inégalités et des discriminations :


L’insuffisance des explications génétiques ou neurodéveloppementales (rôle des virus neurotropes, des troubles obstétricaux, du déficit en vitamine D notamment) avancées à la fin du XXe siècle associée au manque de pertinence de la thèse de l’erreur diagnostique due à une mécompréhension transculturelle ont amené la communauté scientifique à se pencher plus en détail sur les causes sociales. Différentes études ont ainsi porté sur le rôle de « l’adversité sociale » (social adversity), du sentiment « d’échec social » (social defeat) ou de la discrimination. La conjonction de facteurs psychosociaux défavorisant (isolement, chômage, exclusion, discrimination) vulnérabiliserait les personnes à l’égard de phénomènes pré-psychotiques puis psychotiques en cas de pérennisation de l’état d’adversité (22).


Les discriminations sexistes ont des conséquences tout autant dramatiques. Ici aussi les explications biologistes tendent à masquer l’ampleur des violences sociales subies productrices d’une « vulnérabilité sociale ». Les témoignages de 25 femmes salariées recueillies par Nadine Jasmin fait apparaître les conséquences suivantes des violences quotidiennes subies au travail et à l’extérieur de l’entreprise : « perte de confiance en soi, détresse, souffrance, isolement, repli, avec leur cortège de symptômes et de conséquences psychosomatiques. Tout aussi graves : la démotivation, le doute, la défiance, l’écœurement, la blessure morale » (23).


Quelques chiffres complémentaires non exhaustifs permettent d’approcher l’ampleur de la violence systémique subie par les femmes : 65 % des tentatives de suicide (24) sont le fait de femmes pour un nombre total estimé entre 176 000 et 200 000 ; dans neuf cas sur dix l’anorexie et la boulimie concernent des femmes (25) pour un total de 30 000 à 40 000 personnes par an pour la première et 220 000 pour la seconde (26) ; une femme sur cinq contre un homme sur dix est sujette à la dépression (27) ; etc.


Pour être diffuse, la violence systémique des inégalités de classes et des discriminations sexistes et racistes n’en est pas moins une violence destructrice s’attaquant à l’intégrité physique et psychique.


Frantz Fanon a démontré depuis bien longtemps déjà le mécanisme de cette violence subie à propos du racisme. Sans la prise de conscience des causes sociales et de la violence systémique subie, le dominé intériorise la responsabilité de sa situation : « S’il y a complexe d’infériorité, c’est à la suite d’un double processus : — économique d’abord ; — par intériorisation ou, mieux épidermisation de cette infériorité ensuite » (28). Le même auteur a également souligné la tendance à retourner contre soi la violence lorsqu’aucun horizon d’émancipation collectif n’est disponible. Parlant de la violence coloniale et de ses effets sur le colonisé, il précise : « Cette agressivité sédimentée dans ses muscles, le colonisé va la manifester d’abord contre les siens. C’est la période où les nègres se bouffent entre eux… » (29).


La violence subie a besoin d’un canal d’expression politique collectif faute de quoi, elle se transforme en violence autodestructrice. Nous n’avons pas le choix : l’auto-organisation ou la destruction, l’émancipation collective ou la barbarie.

 

 

Par Saïd Bouamama - michelcollon.info – le 7 janvier 2015

Voir les notes : ici

 


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