Terroristes « modérés » pour la guerre en Syrie | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

 

Photo : le général Michael Nagata, chef des Opérations spéciales du Commandement central étasunien - democracynow.org/blog


 

Terroristes « modérés » pour la guerre en Syrie

 Par Manlio Dinucci (*)


Pendant que, sur la vague des attentats terroristes de Paris, Washington prépare le Sommet du 18 février, où les USA et leurs alliés décideront « les façons de faire obstacle à l’extrémisme violent qui existe dans le monde », le Pentagone — comme annoncé par son porte-parole John Kirby — prépare « l’entraînement de 5 mille autres miliciens modérés syriens ». Ainsi « Washington continue à travailler avec Ankara afin de former et équiper les forces modérées de l’opposition syrienne », programme auquel participent aussi l’Arabie Saoudite et le Qatar. Le Ministère des affaires étrangères turc communique que « l’accord définitif sur le programme est très proche ».

 

La Turquie confirme ainsi être aux avant-postes de la guerre contre la Syrie : ici l’OTAN a plus de vingt bases aériennes, navales et d’espionnage électronique, renforcées par des batteries de missiles étasuniennes, allemandes et hollandaises, en mesure d’abattre des engins volants dans l’espace aérien syrien. À ces bases s’est ajouté un des plus importants commandements de l’Alliance : le Landcom, responsable des forces terrestres des 28 pays membres, activé à Izmir (Smyrne). Le Landcom, sous les ordres du général étasunien Hodges, fait partie de la Force conjointe alliée dont le quartier général est à Lago Patria (Naples) sous les ordres de l’amiral étasunien Ferguson, qui est en même temps commandant des Forces navales étasuniennes en Europe et des Forces navales du Commandement Africa.

 

Comme l’ont documenté aussi des enquêtes du New York Times et du Guardian, la CIA a depuis longtemps ouvert, surtout dans les provinces d’Adana et du Hatay, des centres de formation militaire de combattants à infiltrer en Syrie ; dans ces camps ont été notamment entraînés des militants islamistes provenant d’Afghanistan, Bosnie, Tchétchénie, Libye et autres pays. Les armes arrivent surtout via l’Arabie Saoudite et le Qatar.

 

Pour le nouveau programme, qui devrait commencer au printemps, le général Michael Nagata, chef des Opérations spéciales du Commandement central étasunien, est en train de sélectionner les miliciens à entraîner et armer. On ne sait pas quel est le critère du général pour s’assurer qu’ils sont « modérés », c’est-à-dire capables de combattre (selon ce qu’on affirme à Washington) à la fois les forces de l’État islamique et celles du gouvernement syrien.

 

On sait par contre avec certitude que de nombreux « miliciens modérés », entraînés et armés par les USA et par leurs alliés européens et arabes pour renverser le président Assad ont ensuite rejoint les formations de l’État Islamique et du front qaediste Al-Nosra, qui poursuivent le même objectif. Cela a-t-il été un échec ou bien un coup habile de Washington et de ses alliés pour alimenter l’EI, de fait fonctionnel à la stratégie visant à démolir la Syrie et reconquérir l’Irak ?

 

Question légitime, si l’on a sous les yeux la photo du sénateur étasunien John McCain qui, en mission en Syrie pour le compte de la Maison-Blanche, rencontre en mai 2013 Ibrahim al-Badri, le « calife » à la tête de l’EI. Ou le récent reportage télévisé transmis par l’allemande Deutsche Welle, qui montre comment des centaines de camions TIR traversent chaque jour sans aucun contrôle la frontière entre Turquie et Syrie, en direction de Raqqa, base des opérations de l’EI en Syrie. Ou les images des caméras télé de l’aéroport d’Istanbul, qui montrent la compagne d’Amedy Coulibaly, auteur de l’attaque du supermarché kasher, qui entre facilement en Syrie à travers la Turquie.

 

À quoi serviront les 5 mille autres miliciens qui, dans le cadre des opérations spéciales USA, seront entraînés à des attaques de commandos et à des attentats à la bombe ? Au terrorisme, mais « modéré ».

 



Par Manlio Dinucci (*) — Édition de vendredi 16 janvier de il manifesto - Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio – Mondialisation.ca — le 16 janvier 2015

 

(*) Manlio Dinucci est géographe et journaliste. Il a une chronique hebdomadaire « L’art de la guerre » au quotidien italien il manifesto. Parmi ses derniers livres : Geocommunity (en trois tomes) Ed. Zanichelli 2013 ; Geolaboratorio, Ed. Zanichelli 2014 ; Se dici guerra…, Ed. Kappa Vu 2014.