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Fondements juridiques de la suspension et de la répudiation de la dette souveraine grecque – Partie 2/2

Fondements juridiques de la suspension et de la répudiation de la dette souveraine grecque – Partie 2/2 | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it


Fondements juridiques de la suspension et de la répudiation de la dette souveraine grecque

– Partie 2/2

 

 

Le chapitre final du rapport présenté le 18 juin 2015 par la Commission pour la vérité sur la dette grecque |1| apporte à la Grèce de solides arguments juridiques pour suspendre ou répudier les dettes illégitimes, odieuses, illégales ou insoutenables |2|.

 

 

SECTION II : LE DROIT À LA SUSPENSION UNILATÉRALE DU REMBOURSEMENT DE DETTES INSOUTENABLES EN VERTU DU DROIT INTERNATIONAL

 

 

1. La suspension unilatérale fondée sur l’état de nécessité

 

La définition de la nécessité est prévue à l’article 25 du projet d’articles de la CDI, et a été utilisée et reconnue par les cours et tribunaux internationaux |11|. Comme il est expliqué dans le commentaire de l’article 25, « l’expression ’état de nécessité’ est utilisée pour désigner les cas exceptionnels où le seul moyen qu’a un État de sauvegarder un intérêt essentiel menacé par un péril grave et imminent est, momentanément, l’inexécution d’une obligation internationale dont le poids ou l’urgence est moindre |12| ». Conformément à l’article 25, quatre conditions sont nécessaires pour invoquer l’état de nécessité. Le cas de la Grèce satisfait aux quatre critères. La Grèce peut donc suspendre le remboursement de la part insoutenable de sa dette.

 

a) La mesure doit protéger un intérêt essentiel de l’État contre un péril grave et imminent

 

Dans l’affaire Socobel |13|, le conseil du gouvernement grec, M. Youpis, a affirmé, avec raison, que « la doctrine admet à ce sujet que le devoir d’un gouvernement d’assurer le bon fonctionnement de ses services publics prime celui de payer ses dettes. Aucun État n’est tenu d’exécuter, ou d’exécuter en entier, ses engagements pécuniaires si cela compromet le fonctionnement de ses services publics et a pour effet de désorganiser l’administration du pays. Dans le cas où le paiement de sa dette met en danger la vie économique ou compromet l’administration, le gouvernement est, de l’avis des auteurs, autorisé à suspendre ou même à réduire le service de la dette |14| ». Le conseil du gouvernement belge de répondre que « dans une savante étude (…), M. Youpis exposait hier qu’un État n’est pas tenu de payer sa dette si, en la payant, il devait compromettre ses services publics essentiels. Sur le principe ainsi énoncé, le Gouvernement belge serait d’accord sans aucun doute ».

 

Dans l’affaire LG&E, un tribunal du Centre international pour le règlement des différents relatifs aux investissements (CIRDI) a partagé cet avis lorsqu’il a estimé que les intérêts économiques et financiers peuvent également être considérés comme des intérêts essentiels |15|. À cet égard, le tribunal a mis en avant plusieurs éléments socio-économiques qui ont permis à l’Argentine d’invoquer légalement l’état de nécessité |16|, dont les suivants :

 

• un taux de chômage de 25 % ;

• le fait que près de la moitié de la population argentine se trouve en dessous du seuil de pauvreté ;

• un système de santé chancelant au bord de l’effondrement ;

• l’obligation dans laquelle s’est trouvé le gouvernement de réduire de 74 % ses dépenses par habitant dans les services sociaux.

 

 

Dans l’affaire Continental, un tribunal du CIRDI s’est montré du même avis et a également présenté un ensemble de facteurs concrets :

 

« D’après le Tribunal, il est impossible de nier qu’une crise qui a entraîné l’abandon soudain et désordonné du principe cardinal de la vie économique, tels que […] le quasi-effondrement de l’économie nationale ; les rigueurs sociales qui ont amené plus de la moitié de la population en dessous du seuil de pauvreté ; les menaces immédiates contre la santé des jeunes enfants, les personnes malades et les membres les plus vulnérables de la population […], que tout cela pris ensemble ne constitue pas une situation dans laquelle le maintien de l’ordre public et la protection des intérêts essentiels en matière de sécurité de l’Argentine en tant qu’État et en tant que pays étaient en jeu de manière cruciale |17| ».

 

Comme il a été démontré aux chapitres 5, 6 et 7 du présent rapport, il est clair que les intérêts essentiels de la Grèce sont également menacés d’un péril imminent.

 

 

b) La mesure doit être le seul moyen de protéger l’intérêt essentiel en question

 

Il ressort clairement des commentaires au projet d’articles sur la responsabilité de l’État que l’État peut prendre plusieurs mesures ; l’expression « seul moyen » ne devrait donc pas être entendue de manière littérale. Dans l’affaire LG&E, le tribunal a estimé qu’un État peut avoir plusieurs solutions à sa disposition pour maintenir l’ordre public et protéger ses intérêts essentiels en matière de sécurité. En ce qui concerne la situation grecque, il semble évident que le non paiement de la dette serait le seul moyen de protéger l’intérêt essentiel en jeu.


Comme il a été dûment démontré, l’atteinte aux droits humains est étroitement liée aux conditions économiques et sociales, qui sont le résultat d’une crise de la dette. Ces cinq dernières années, la plupart des acteurs économiques internationaux ont jugé que les mesures mises en œuvre étaient alors le seul moyen d’éviter à la Grèce d’entrer en défaut de paiement, et c’est toujours le cas aujourd’hui. Cela signifie qu’aux yeux des créanciers de la Grèce, il n’y a que deux options : appliquer des mesures d’austérité ou entrer en défaut de paiement. Comme ces mesures d’austérité ont directement abouti à des violations graves et flagrantes des droits humains et ont, par là-même, mis en péril des intérêts essentiels de la Grèce, il est évident que la suspension du remboursement de la dette constitue désormais la seule solution à laquelle la Grèce puisse recourir pour protéger les intérêts en question.

 

 

c) La mesure ne doit pas porter gravement atteinte à un intérêt essentiel de l’État ou des États à l’égard desquels l’obligation existe ou de la communauté internationale dans son ensemble

 

Cette condition signifie que l’intérêt des autres États menacés par le non-remboursement doit être considéré comme secondaire par rapport à l’intérêt du premier État. Dans le cas de la Grèce, comme nous l’avons montré dans le présent rapport, les conséquences à supporter par les créanciers de la Grèce sont peu importantes et ne peuvent en aucun cas être perçues comme des intérêts essentiels.

 

 

d) L’État ne doit pas avoir contribué à la survenance de l’état de nécessité et l’obligation internationale en question ne doit pas exclure la possibilité d’invoquer l’état de nécessité

 

Le commentaire de l’Article 25 énonce clairement que la contribution de l’État en cause à la situation de nécessité doit être ‘substantielle et non pas simplement accessoire ou secondaire’ |18|. Dans le cas de la Grèce, il est évident que la Troïka est la première responsable du désastre économique et social qui s’est abattu sur le pays. Comme nous l’avons montré, la marge d’appréciation dont disposait la Grèce était particulièrement étroite et ne lui permettait pas de mettre en œuvre le moindre programme économique et social. Nous avons montré que la Grèce a été contrainte d’accepter les conditionnalités imposées, et ce par des pressions politiques et économiques, exercées principalement par deux des pays les plus importants de l’UE, la France et l’Allemagne. Dans ce contexte, la Grèce ne saurait être considérée comme ayant substantiellement contribué à la situation.

 

 

3. Le droit à une insolvabilité souveraine unilatérale

 

Il n’existe pas de règle en droit international qui interdise au États de se déclarer insolvable de façon unilatérale. Cela est particulièrement vrai lorsqu’un État se retrouve de facto insolvable, que ce soit parce que sa dette est insoutenable, ou parce qu’il ne peut plus satisfaire les besoins fondamentaux de sa population. La pratique des États qui ont effectivement fait défaut permet de confirmer ce droit à l’insolvabilité. L’insolvabilité souveraine n’a reçu que peu d’attention en droit international alors qu’elle est bien documentée et était une pratique fréquente au début du vingtième siècle |19|. Ce droit à l’insolvabilité unilatérale est corroboré par le groupe d’étude sur l’insolvabilité souveraine de l’Association de Droit International, dont le rapport de 2010 propose quatre voies pour une restructuration de la dette, l’une d’elle étant bien la faillite.

 

En 2013, deux groupes de travail ont repris la question, l’un d’eux a étudié la possibilité de régler par le biais d’un traité les problème liés à la restructuration de la dette souveraine |20|. L’insolvabilité souveraine est donc bien une réalité en droit international qui est reconnue tant en théorie qu’en pratique, ceci malgré une résistance farouche étant donné que les biens des États insolvables sont protégés contre la saisine des créanciers par diverses immunités et privilèges souverains.


Par conséquent, la restructuration de la dette, sans insolvabilité associée, est un mécanisme artificiel qui permet en réalité aux créanciers d’exploiter les sources de revenus de l’État, à savoir les impôts, les droits de douanes, les ressources naturelles, les redevances, les privatisations forcées, etc. L’idée que la Grèce puisse se déclarer unilatéralement insolvable est combattue par ses créanciers par des mesures coercitives unilatérales. Alors qu’il aurait été bénéfique pour le pays que la Grèce soit déclarée insolvable, ses créanciers ont continué à soutenir sa dette insoutenable, prolongeant ainsi artificiellement la viabilité d’une dette insoutenable.

 

Si un État a le droit de se déclarer insolvable, il est clair que l’insolvabilité unilatérale constitue une circonstance qui exclut l’illicéité des obligations internationales de l’emprunteur, à savoir ses obligations de remboursement. Comme expliqué plus haut, cela est manifestement le cas lorsqu’il est possible de démontrer l’existence d’un état de nécessité conformément à l’article 25 du projet d’articles de la CDI. Il serait inconcevable qu’un tribunal oblige une personne à rembourser sa dette si ses revenus ne lui permettaient pas de satisfaire ses besoins élémentaires, à elle et à sa famille. Ces observations sont en accord avec un jugement rendu par le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi) dans l’affaire Postova Banka AS et Istrokapital SE v Grèce, où il est constaté qu’il n’y a pas de garantie de remboursement d’une dette souveraine |21|.

 

 

 

Par la Commission pour la vérité sur la dette grecque - cadtm.orgtraduit de l’anglais en français par le CADTM - le 30 juin 2015

 

 Voir les notes relatives à ce texte ici

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Voir la première partie

 de cet article ici


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Fondements juridiques de la suspension et de la répudiation de la dette souveraine grecque – Partie 1/2

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Fondements juridiques de la suspension et de la répudiation de la dette souveraine grecque

– Partie 1/2

 

Le chapitre final du rapport présenté le 18 juin 2015 par la Commission pour la vérité sur la dette grecque |1| apporte à la Grèce de solides arguments juridiques pour suspendre ou répudier les dettes illégitimes, odieuses, illégales ou insoutenables |2|.

 

 

Résumé :

 

Plusieurs mécanismes légaux permettent aux États, de manière unilatérale, de répudier ou suspendre le remboursement de dettes illégitimes, odieuses, illégales ou insoutenables.

 

Un premier ensemble de mécanismes vise la répudiation des dettes illégitimes, odieuses et illégales. Ceux-ci intègrent des éléments subjectifs, qui prennent en compte le comportement des créanciers. La répudiation unilatérale se justifie par des considérations impératives de justice et d’équité, mais trouve également ses fondements dans les notions de souveraineté et d’autodétermination. C’est le cas lorsqu’il y a absence de bonne foi, conformément à l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (CVDT), qui dispose que les traités lient les parties et doivent être exécutés de bonne foi.


Dans le cas grec, la mauvaise foi a consisté à asservir financièrement la Grèce et à imposer des mesures portant atteinte aux droits sociaux, économiques, civils et politiques fondamentaux du peuple grec, en violation de la législation nationale. De plus, la pression soutenue exercée sur les autorités grecques afin qu’elles contournent la Constitution et bafouent leurs obligations en matière de droits humains, tout comme l’ingérence des créanciers dans les affaires politiques et économiques du pays, constituent une forme de contrainte.

Une telle contrainte est en soi un motif de nullité, aux termes de l’article 52 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. La référence faite dans ladite Convention à la « force » peut être interprétée comme comprenant des formes de contrainte économique. Il faut ensuite noter que, dans le cas présent, les déclarations des créanciers, y compris les déclarations fondées sur des suppositions, dont on savait qu’elles aboutiraient à la dégradation de l’économie grecque et des conditions de vie des Grecs, constituent une forme de contrainte unilatérale.


Ces mesures sont proscrites par le droit international et sont contraires à la Charte des Nations Unies. Il est communément admis que lorsqu’un pays est la cible de mesures dont on sait qu’elles nuisent à son économie (en particulier dans l’intérêt de ses prêteurs) et aux moyens d’existence de son peuple, il peut légalement recourir à des contre-mesures. En effet, selon le droit international coutumier et les articles 49 et suivants du projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite adopté par la Commission du droit international (CDI), un État lésé peut ne pas exécuter une obligation internationale autrement contraignante vis-à-vis d’un autre État si cet autre État s’est rendu responsable d’un acte internationalement illicite. La violation du droit commise par l’État lésé vise à amener l’État responsable à respecter ses obligations.

 

Enfin, il faut souligner le fait que le peuple grec n’a pas reçu d’avantage injuste ou tiré d’autre bénéfice de la dette accumulée, et par conséquent, la Grèce ne saurait être pas tenue de rembourser la partie du capital initial reconnu odieux, illégal ou illégitime sur le fondement de l’enrichissement sans cause.

 

Un second ensemble de mécanismes concerne les dettes insoutenables. Contrairement aux mécanismes décrits plus haut, ils s’appliquent de manière objective, quel que soit le comportement des créanciers. Dans une telle situation, la dette ne peut pas être répudiée, mais son remboursement peut être suspendu. À cet égard, la Grèce peut légalement recourir à deux arguments qui suspendent l’obligation de rembourser. Le premier argument concerne l’état de nécessité.


Conformément à l’article 25 du projet d’articles de la CDI, le terme « nécessité » renvoie aux cas exceptionnels dans lesquels le seul moyen pour un État de protéger un intérêt essentiel contre un péril grave et imminent est de suspendre, momentanément, l’exécution d’une obligation internationale dont le poids ou l’urgence est moindre. Dans le cas qui nous occupe, en raison de la crise économique et sociale en Grèce, les conditions requises pour invoquer l’état de nécessité sont remplies. Le deuxième argument est lié au droit à l’insolvabilité. Bien que les créanciers soient généralement opposés à une telle option, puisqu’elle les prive de remboursement, l’insolvabilité souveraine est une réalité des affaires internationales, reconnue à la fois en théorie et en pratique. Si un État jouit du droit de devenir insolvable, il est clair que l’insolvabilité déclarée unilatéralement est une condition qui exclut l’illicéité du non respect des obligations internationales de l’emprunteur, en l’occurrence de l’obligation de rembourser une dette.

 

 

SECTION I : LE DROIT DE RÉPUDIER UNILATÉRALEMENT DES DETTES ODIEUSES, ILLÉGALES ET ILLÉGITIMES EN VERTU DU DROIT INTERNATIONAL

 

L’existence de dettes odieuses, illégales ou illégitimes peut justifier leur répudiation unilatérale par l’État débiteur, si une telle répudiation est non arbitraire, non discriminatoire et ne donne pas lieu à un enrichissement sans cause. L’absence de jurisprudence substantielle ou d’un corpus important de dénonciations unilatérales s’explique par le fait que, dans la plupart des cas, les États débiteurs (et leurs prêteurs) jugent préférable, politiquement et financièrement, de renégocier les termes des contrats. De tels accords négociés ne suppriment pas le droit des États de répudier unilatéralement des dettes odieuses, illégales ou illégitimes. En effet, la répudiation unilatérale se justifie par des considérations impératives de justice et d’équité |3|, et est également fondée en droit par la souveraineté et l’autodétermination. Dans le présent rapport, le fondement juridique d’une répudiation unilatérale par la Grèce de la partie de la dette qui s’avère odieuse, illégale et illégitime, repose sur les considérations suivantes :

 

1. Absence de bonne foi


Aux termes de l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, les traités lient les parties et doivent être exécutés de bonne foi |4|. Le commentaire de la Commission du droit international insiste sur le fait que la bonne foi est un principe juridique qui fait partie intégrante du principe pacta sunt servanda. Ce principe qui veut que les accords doivent être honorés s’applique seulement si les deux parties agissent de bonne foi. En fait, au paragraphe 2 de l’article 69 de la Convention de Vienne, il est stipulé que « les actes accomplis de bonne foi avant que la nullité ait été invoquée ne sont pas rendus illicites du seul fait de la nullité du traité », ce qui signifie implicitement que les actes accomplis de mauvaise foi sont toujours illicites. Bien que l’absence de bonne foi n’entraîne pas automatiquement la nullité d’un accord, elle justifie, dans des circonstances exceptionnelles, la dénonciation de cet accord conformément à l’article 56, paragraphe 1, alinéa b de la Convention (un droit de dénonciation implicitement lié à la nature du traité).


Dans le cas présent, les accords passés entre la Grèce et ses créanciers violent, au su de toutes les parties, la Constitution grecque. De plus, toutes les parties savaient qu’ils étaient contraires aux obligations de la Grèce découlant de certains traités relatifs aux droits humains et du droit international coutumier. Dans le cas grec, la mauvaise foi apparaît en outre dans le but ultime des créanciers, qui ne consistait pas à venir en aide au peuple grec mais plutôt, entre autres, à transformer des dettes privées en dettes publiques et ainsi sauver les grandes banques privées ainsi que leurs actionnaires.

 

Cela a été réalisé en asservissant financièrement la Grèce et en imposant des mesures portant atteinte aux droits sociaux, économiques, civils et politiques fondamentaux du peuple grec. De même, les États prêteurs pouvant se prévaloir d’une excellente notation de crédit, et donc bénéficiant d’un accès à des taux d’intérêt peu élevés, ont pu prêter à la Grèce à un taux d’intérêt bien supérieur sous couvert de « sauvetage » ; ainsi, la BCE a acheté des obligations d’État sur les marchés secondaires pour la moitié de leur valeur nominale, pour ensuite exiger de la Grèce qu’elle paye un taux d’intérêt exorbitant, tout en arguant, dans le même temps, avoir acheté des obligations grecques pour contribuer au relèvement de l’économie grecque et au sauvetage du pays. En outre, face au besoin de liquidités de la Grèce, les créanciers ont assorti leurs prêts d’une série de mesures dont le but était d’anéantir sa souveraineté économique et politique.

 

 

2. Conséquence juridique de la violation du droit

interne par les créanciers

 

La violation flagrante du droit interne, particulièrement de la Constitution grecque, a également mis en évidence la mauvaise foi des créanciers. Un exemple caractéristique est l’adoption de l’article 1, paragraphe 9, de la Loi 3847/2010, qui contourne dans les faits les articles 28 et 36 de la Constitution grecque portant sur l’obligation d’obtenir l’accord du Parlement pour les accords internationaux. De telles violations de la Constitution ont clairement été orchestrées par les deux parties ; elles ouvraient la voie à l’adoption des lois « recommandées » par les créanciers (ou des accords dictés par les créanciers) sans l’accord du Parlement. Si, de manière générale, les obligations découlant du droit international priment sur le droit interne, ce principe ne s’applique pas lorsque les parties, par leur accord, violent sciemment et à dessein des dispositions essentielles du droit national (notamment de nature constitutionnelle). Cela s’explique par le fait qu’un tel accord porte atteinte au principe de légalité et ne satisfait pas au critère de bonne foi. L’article 46, paragraphe 1, de la Convention de Vienne sur le droit des traités dispose expressément que la violation du droit national s’agissant de la compétence pour conclure des traités est un motif de vice du consentement de l’État si la violation, comme dans le cas présent, était « manifeste [et concernait] une règle de son droit interne d’importance fondamentale ».

 

 

3. Primauté des droits humains sur

les autres obligations contractuelles

 

Comme le présent rapport l’a démontré, la Grèce a été effectivement contrainte de violer ses obligations fondamentales en matière de droits humains, par une série d’accords tels que l’Accord entre créanciers, la Convention de prêt de 2010 et les Protocoles d’accord, alors que les États créanciers sont tenus de s’abstenir de forcer une autre partie à ne pas respecter ses obligations en matière de droits humains. L’atteinte aux droits humains entraînée par les conditionnalités a une incidence sur la validité des contrats de prêt |5|.

 

L’obligation pour les créanciers de respecter les droits humains est d’abord et avant tout d’ordre éthique, puisqu’aucun État ne peut légitimement prétendre honorer ses obligations en matière de droits humains sur son territoire tout en exerçant une pression sur un autre État qui amène ce dernier à violer ses propres obligations. Deuxièmement, convaincre un État de suspendre totalement et effectivement l’exécution de ses obligations en matière de droits humains, ou de se dégager de ces obligations, constitue une claire ingérence dans ses affaires intérieures, que cet État y consente formellement ou non. Dans la mesure où les accords passés par la Grèce avec ses créanciers entrent en conflit avec les normes impératives du jus cogens (par exemple l’autodétermination économique), ils sont nuls en vertu de l’article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.

 

La primauté des droits humains est non seulement consacrée à l’article 103 de la Charte des Nations Unies, mais aussi reconnue dans de nombreux rapports et déclarations d’institutions des Nations Unies. Selon l’article 103 de la Charte des Nations Unies : « En cas de conflit entre les obligations entre les Membres des Nations Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront ». Ces obligations exigent notamment des États qu’ils favorisent le respect universel et effectif des droits humains pour tous.

 

Les principes directeurs relatifs à la dette extérieure et aux droits de l’homme de l’ONU, qui, bien que non contraignants à proprement parler, reflètent le droit coutumier en ce qu’il énonce les obligations des États en matière de droits humains, soulignent ce qui suit :

 

« Tous les États [...] ont l’obligation de respecter, protéger et réaliser les droits de l’homme. Ils devraient veiller à ce que toutes leurs activités concernant leurs décisions de prêter et d’emprunter, celles des institutions internationales ou nationales, publiques ou privées, auxquelles ils appartiennent ou dans lesquelles ils ont un intérêt, la négociation et l’application des accords de prêt et autres instruments relatifs à la dette, l’utilisation des fonds prêtés, les remboursements au titre de la dette, la renégociation et la restructuration de la dette extérieure et les mesures d’allégement de la dette, le cas échéant, n’aillent pas à l’encontre de cette obligation » (par. 6).

 

« Les institutions financières internationales [...] sont tenues de respecter les droits de l’homme [...]. Elles doivent à ce titre s’abstenir de formuler, d’adopter, de financer et de mettre en œuvre des politiques et programmes qui contreviennent directement ou indirectement à la jouissance des droits de l’homme » (par. 9).

 

« Les États devraient veiller à ce que leurs droits et obligations découlant des accords ou arrangements relatifs à la dette extérieure […] n’entravent pas la réalisation progressive des droits économiques, sociaux et culturels » (par. 16).

 

 

4. La contrainte dans la restructuration de la dette

 

La majorité des instruments relatifs à la dette ont été conclus sous un certain degré de contrainte. En effet, lorsqu’un État est, par la contrainte, amené à violer ses obligations constitutionnelles et celles découlant des traités et du droit coutumier afin d’obtenir des crédits et de garantir sa liquidité, en particulier lorsqu’il est forcé à renoncer à des pans significatifs de sa souveraineté législative et socio-économique, il est considéré comme ayant donné son consentement sous un haut degré de contrainte. Dans le cas présent, la contrainte s’est en outre traduite par l’imposition de conditionnalités strictes, associée à l’ingérence dans les processus constitutionnels (comme la ferme opposition exprimée face à la proposition de tenir un référendum en 2011 et les menaces non voilées faites à l’encontre de l’électorat grec depuis 2010). La contrainte, entendue comme motif de nullité aux termes de l’article 25 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, renvoie à la menace ou à l’emploi de la force. La référence faite à la « force » dans la Convention peut être interprétée comme comprenant des formes de contrainte économique et ne devrait pas nécessairement être limitée à la « force armée » ; dans un certain nombre d’instruments internationaux, les pressions économiques sont en effet considérées comme une forme d’agression |6|.

 

Ce type de contrainte économique peut également être qualifié d’intervention illicite dans les affaires intérieures d’un État, ce qui, bien que cela ne constitue pas un vice du consentement, peut néanmoins être un motif de dénonciation d’un traité en vertu de l’article 56, paragraphe 1, alinéa b de la Convention de Vienne sur le droit des traités.

 

L’emploi de la contrainte dans les négociations et la signature d’un instrument, qu’il s’agisse d’un traité ou d’un contrat, a de graves incidences sur l’instrument en question et sur la relation entre les parties |7|. Même si les articles 51 et 52 de la Convention de Vienne renvoient à la contrainte exercée sur des négociateurs d’un État ou à la contrainte par la menace ou l’emploi de la force, il est clair que, dans les cas où un gouvernement dans son ensemble est forcé d’accepter des conditions nettement déséquilibrées, de crainte d’être sanctionné par une crise financière sévère, réelle ou supposée (en particulier quand ce sont les autres parties qui en maîtrisent l’origine et les effets |8|), aux conséquences imprévues, le niveau de contrainte est équivalent à celui considéré dans l’article 52 de la Convention.

 

 

5. Mesures de contrainte unilatérales des créanciers

 

La mauvaise foi des créanciers et la pression illégitime (coercition ou contrainte) qu’ils ont exercée sur la Grèce pour qu’elle accepte les dispositions de plusieurs accords et instruments, ainsi que les conséquences financières d’actes unilatéraux, ont débouché sur une situation dont les effets juridiques équivalent à des mesures de contrainte unilatérales. Dans le cas grec, les déclarations faites par les créanciers, y compris celles fondées sur des suppositions, dont on savait qu’elles déboucheraient sur une dégradation de l’économie grecque et des conditions de vie de la population grecque constituent des mesures de contrainte unilatérales. Les mesures de contrainte unilatérales sont interdites par le droit international, sont contraires à la Charte des Nations Unies et ne sont pas considérées comme des contre-mesures légales |9|.

 

 

6. Contre-mesures légales

 

Comme il a été démontré dans le présent rapport, les créanciers ont commis des actes internationalement illicites en imposant au gouvernement grec plusieurs mesures qui portent atteinte aux droits dont jouit le peuple grec.

 

De plus, dans la période précédant la crise de la dette grecque, les États membres de l’UE et le FMI, entre autres, ont multiplié les déclarations négatives au sujet de l’économie grecque, qui ont eu un effet direct négatif sur la capacité du pays à emprunter aux taux d’intérêt les plus bas possibles. D’autres déclarations évoquant l’éventualité de la sortie du pays de la zone euro ont produit des effets similaires, dont la fuite à l’étranger d’un nombre important de dépôts grecs. À la suite de l’élection d’un nouveau gouvernement en 2015, des mesures et déclarations du même acabit ont eu des conséquences analogues.

 

Il résulte de ces observations que, lorsqu’un pays est la cible d’actions dont on sait qu’elles nuisent à son économie (en particulier dans l’intérêt de ses prêteurs) et aux conditions d’existence de son peuple, il peut légalement recourir à des contre-mesures. La Grèce est donc en droit de recourir à des contre-mesures notamment en répudiant les dettes accompagnant accords de prêts et les protocoles d’accord.

 

En effet, selon le droit international coutumier et les articles 49 et suivants sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, un État lésé peut ne pas remplir une obligation internationale qui s’impose normalement à lui vis-à-vis d’un autre État (responsable) si cet autre État a commis un acte internationalement illicite. La violation commise par l’État lésé a pour but d’inciter l’État responsable à s’acquitter de ses obligations.

 

 

7. L’absence d’enrichissement sans cause

 

La mauvaise foi, la recherche d’intérêts personnels, l’absence de légalité et les effets dommageables sur l’économie et sur les moyens de subsistance du peule sont autant de facteurs qui rendent la partie de la dette concernée odieuse, illégale ou illégitime. Parce que le peuple grec n’a pas reçu d’avantage injuste ou tiré d’autre bénéfice – bien au contraire – de l’accumulation de la dette, la Grèce n’est aucunement tenue de rembourser la part du capital initial considéré odieux, illégal ou illégitime pour enrichissement sans cause |10|. Il en va de même s’agissant des intérêts (simples ou composés) dus sur un capital odieux, illégal ou illégitime, sous la forme de prêts, d’assurances ou autre. L’argument qui réfute l’existence d’un enrichissement sans cause se trouve renforcé par le fait que, bien que la Grèce ait dégagé un excédent et drastiquement réduit ses dépenses publiques, sa dette continue d’augmenter.

 

 

 

Par la Commission pour la vérité sur la dette grecque - cadtm.orgtraduit de l’anglais en français par le CADTM - le 30 juin 2015

 

Voir les notes relatives à ce texte ici 

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Voir la deuxième partie

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