ICE : Bruxelles ne veut surtout pas soigner son allergie à la démocratie | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

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ICE : Bruxelles ne veut surtout pas soigner

son allergie à la démocratie

 

Depuis 2012, l’Initiative citoyenne européenne permet au peuple d’obliger la Commission à présenter une proposition législative. Mais Bruxelles prend bien soin de ne faire aboutir aucune de ces initiatives, et s’oppose maintenant à leur réforme.

 

La semaine prochaine promet d’être compliquée pour la Commission européenne. Samedi 18 avril, la Journée internationale anti-TAFTA, qui se déroule un peu partout dans le monde, s’annonce déjà comme une réussite. Mais auparavant, lundi 13, aura eu lieu la Journée de l’Initiative citoyenne européenne, qui tombe à point nommé. Car le Parlement européen envisage de réformer cette ICE, outil démocratique créé en 2012 qui permet théoriquement aux citoyens européens – s’ils sont plus d’un million et issus d’au moins sept pays – de présenter une proposition législative à la Commission. Dans les faits, Bruxelles s’en moque comme du référendum de 2005. Que le peuple puisse, de son propre chef, avoir une quelconque influence sur les décisions politiques, c’est dur à accepter, surtout pour un gouvernement non élu.

 

 

Redonner voix aux citoyens

 

Stanislas Jourdan, représentant de la Campagne ICE (ONG proréforme) en France, est très clair à ce propos : « Pour que la Commission prenne au sérieux les ICE, ce n’est malheureusement pas seulement le règlement européen qu’il faudrait changer, mais le traité de Lisbonne qui lui a donné naissance. » Cet ancien organisateur de l’ICE pour le revenu de base commence à se lasser du double jeu de la Commission, à la fois juge et partie. Il préfèrerait que ce soit au Parlement de jouer ce rôle, afin de donner enfin une « vraie voix aux citoyens ».

 

Si les institutions européennes sont paralysées par une Commission bureaucratique, celle-ci manie la diplomatie à merveille. Pour preuve, la déclaration de Danuta Hübner, députée européenne et présidente de la commission parlementaire aux affaires constitutionnelles : « Je crains que nous n’ayons pas encore intégré le fait que les citoyens sont sur un pied d’égalité avec le Parlement et le Conseil au moment de demander à la Commission d’introduire une proposition législative. C’est pourtant une révolution copernicienne dans le paysage institutionnel européen. »

 

Qu’importe, au moins tout le monde semble être d’accord, il faut réformer l’ICE pour que l’UE devienne enfin un espace de démocratie. Premier défaut à gommer, l’ICE serait trop lourde et trop complexe techniquement à mettre en œuvre [1], ce qui dissuaderait d’éventuels intéressés. D’après Stanislas Jourdan, au-delà les améliorations techniques, « c’est l’aspect politique qui est le plus crucial » Son ONG avance douze propositions pour réformer l’ICE, assouplissant notamment les critères d’admissibilité et en obligeant à ce que toute ICE réussie aboutisse automatiquement à une procédure législative.

 

 

Sur 46 initiatives, aucune n’a abouti

 

Carsten Berg, coordinateur général de la Campagne ICE, est formel : « La réglementation actuelle de l’Initiative citoyenne européenne [...] permet à la Commission de limiter la liberté d’expression en les rejetant pour des raisons juridiques douteuses. » Pour lui, la réforme est impérative : « Ce n’est que comme ça que nous parviendrons à maintenir l’Union européenne. »

 

Depuis janvier de cette année, les europarlementaires ont commencé à se saisir du dossier. Il leur a fallu attendre le 1er avril pour qu’un rapport de la Commission vienne leur faire un cours magistral sur l’ICE et affirmer qu’il ne faut rien changer, à quelques détails près. Stanislas Jourdan en est resté abasourdi : « La Commission a adopté une posture assez incroyable, en minimisant l’aspect politique de la réforme nécessaire, ce qui montre qu’elle n’est pas spécialement prête à prendre davantage au sérieux les initiatives. »

 

Depuis sa création, sur les 46 ICE soumises à la Commission, 26 ont été enregistrées, deux ont été approuvées et... aucune n’a rien donné de concret ! Aujourd’hui, il n’y a plus que trois ICE en cours. Et face à cette défaite sans issue de la démocratie participative, la Commission persiste à considérer que ce système est viable... Quand son président Jean-Claude Juncker déclarait : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens », il fallait bien comprendre qu’il ne s’adressait pas seulement à la Grèce.

 

 

Une crise démocratique qui s’aggrave

 

L’ICE la plus impressionnante en terme de mobilisation citoyenne concerne celle qui propose d’abandonner le TAFTA (Traité transatlantique, appelé aussi TTIP). Le collectif Stop TTIP avait pourtant déposé son ICE en bonne et due forme, le 15 juillet 2014. Une initiative qui avait recueilli plus d’un million de signatures et rempli toutes les conditions nécessaires à sa validité. Mais rien n’y fait, et à la fin, la Commission n’a même pas enregistré la requête. Motif du refus ? « Votre proposition d’Initiative citoyenne est manifestement en dehors du cadre des attributions de la Commission en vertu desquelles elle peut présenter une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités. » Ou comment noyer le poisson dans le verbiage technocratique [2].

 

Dans le camp d’en face, on regrette que la Commission n’accepte pas de laisser vivre un débat qui inquiète tant de citoyens. « C’est une double erreur : à la fois pour l’esprit démocratique de l’Europe, et pour son image, commente Stanislas Jourdan. À chaque fois que la Commission s’enferme dans sa tour d’ivoire, elle donne raison aux eurosceptiques. »

 

Entre 2012 et 2013, la Commission a multiplié les consultations d’entreprises concernées par le TAFTA (lire aussi « Comment le lobby financier condamne Bruxelles à l’impuissance politique »). Le peuple lui, n’a eu droit qu’à perdre son temps en procédures administratives vouées au néant. Michael Efler, membre du collectif Stop TTIP, regrette cette attitude que ne fait que « confirmer la stratégie de la Commission d’exclure les citoyens », au profit des lobbyistes. Mais au moins cela donne raison à la devise de cette entité qu’est l’Union européenne : « Unie dans l’adversité ». À moins que ce soit autre chose...

 


Par Loïc Le Clerc - regards.fr – le 8 avril 2015.



Notes :

[1] Personne ne vous aide à traduire votre requête dans toutes les langues de l’UE, il faut donner un certain nombre de données personnelles, etc.

[2] lire aussi « Contre le Grand marché transatlantique, « une victoire est tout à fait possible » »