Belgique - Le casse-tête mathématique du financement des pensions | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Source dessin : terredisrael.com



Belgique - Le casse-tête mathématique

du financement des pensions

Par Bruno Colmant (*)

 

Le véritable problème de la Belgique est le vieillissement de la population et les charges de pensions qui y sont associées. Les pensions sont financées par la répartition, c’est-à-dire que les travailleurs actifs transfèrent une partie des revenus qu’ils génèrent vers les pensionnés.

 

Le système des pensions s’exprime, de manière froide et cynique, comme un subside accordé par ceux qui vivent moins longtemps envers ceux qui vivent plus longtemps. Ces transferts ne sont pas de l’argent qui disparait en fumée, puisqu’ils contribuent à alimenter le cycle de la consommation.

 

Le problème n’est donc pas là, mais dans l’importance accrue de la charge des pensions, qui va progressivement passer de 10 % à un pic de 17 % du PIB vers les années 2030, c’est-à-dire dans une quinzaine d’années. Un tel prélèvement sur l’économie est insoutenable.

 

Déjà, aujourd’hui, le montant des pensions correspond plus ou moins à la totalité de l’impôt des personnes physiques et des sociétés belge. Une augmentation des charges de pensions deviendra donc structurellement insupportable en termes macro-économiques.

 

La question est de savoir comment financer cette immense charge dans un esprit de solidarité et de justice inter- et intragénérationnelleEn effet, le système des pensions a vu ses fondations s’effriter sous différentes modifications démographiques, telles l’hétérogénéité des vies professionnelles et familiales, la chute de la natalité, l’entrée massive des femmes dans la vie professionnelle et le vieillissement de la population (qui entraînera un déficit structurel de croissance économique de 0,5-0,7 % selon l’OCDE).

 

D’autres facteurs structurels se greffent à ces mutations sociologiques : nos communautés ont abandonné un contexte industriel pour s’engouffrer dans l’économie des services et de la connaissance digitalisée. De surcroît, la mondialisation et la plongée dans l’économie de marché ont mis à vif le manque de compétitivité de notre économie et la finitude d’un modèle d’État-providence.

 

On peut aussi discerner un phénomène de capture générationnelle qui caractérise le système belge des pensions, puisque le nombre relatif d’années de travail a baissé pour les personnes pensionnées (ou qui le seront prochainement) au détriment des travailleurs actifs qui devront financer ce surcoût alors que leur nombre diminue.

 

Mais il ne faut pas s’y tromper : le problème des pensions n’est aucunement limité à leur financementCe qui est véritablement en jeu, c’est la paupérisation de certaines classes de personnes âgées et des disparités de revenus entre les pensionnés.

 

C’est ainsi que les niveaux d’études, l’adaptabilité professionnelle, la nature des familles, le nombre d’enfants et l’espérance de vie entraînent aussi des inégalités.

 

En d’autres termes, la justice doit être assurée non seulement entre les générations, mais aussi au sein des mêmes générations. Un travailleur qualifié, quel que soit son âge, a plus de chances d’être employable et donc capable de constituer une épargne. Ce même travailleur pourra alors décider de s’extraire plus tôt de la vie professionnelle, alors qu’un travailleur moins qualifié se verra plus facilement refuser l’accès au circuit professionnel. De plus, l’espérance de vie est corrélée avec le niveau de revenu et de pénibilité du travail, ce qui engendre aussi des inégalités entre catégories de pensionnés.

 

Contrairement à l’attentisme coupable dont nous avons fait collectivement preuve, il faut aborder le problème du financement avec lucidité et rigueur.

 

Aucune solution ne peut s’exonérer d’une vision dynamique : on doit résoudre ce problème dans le cycle d’une vie entière, caractérisée par des périodes d’activité et de non-activité.

 

On ne peut augmenter exclusivement les cotisations des travailleurs actifs pour financer le vieillissement attendu de la population, comme on ne peut se limiter strictement à reporter ce même coût du vieillissement sur les pensionnés au travers d’une chute de leurs pensions.

 

Il faut donc trouver un équilibre intergénérationnel, tel celui proposé par l’économiste américain Musgrave (et adopté par de très nombreux pays) selon lequel le revenu des travailleurs actifs et des pensionnés doit rester stable, comme si la situation actuelle était sociétalement « juste ».

 

Cette règle de Musgrave, appelée aussi règle des positions relatives fixes, conduit à maintenir constant le rapport entre les revenus par tête de la population active (nets de cotisations de pensions) et les prestations par tête des retraités (nettes d’impôts).

 

Une fois ce rapport établi, le taux de cotisation et le montant des pensions sont périodiquement actualisés en fonction des modifications démographiques et de productivité.

 

Pour respecter cet équilibre de Musgrave, il faudra simultanément augmenter les cotisations des travailleurs actifs et baisser les pensions des travailleurs inactifs. Il s’agit donc d’équilibrer en permanence un immense balancier au fur et à mesure du temps qui passe, en adaptant concomitamment les cotisations et les pensions.

 

Concrètement, cet objectif doit conduire à une employabilité supérieure des jeunes, un allongement de la vie professionnelle et une augmentation du taux d’activité des travailleurs âgés, et ce particulièrement en Belgique. Au reste, il semble que si chacun travaillait jusqu’à l’âge de 65 ans, le financement des pensions serait équilibré.

 

Mais une augmentation autoritaire du taux d’activité des travailleurs âgés relève de l’imposture politique, car les bouleversements conjoncturels et technologiques, conjugués à la disparition de compétences, rendent cette orientation caduque. C’est ainsi qu’on en arrive à retarder l’âge de la pension, non pas pour mettre des travailleurs âgés au travail, mais pour diminuer leurs pensions.

 

En conclusion, le problème des pensions ne se règle pas par la loi du marché, mais par un cadre d’économie politique. C’est par l’employabilité des travailleurs, et donc leur formation continue et leur recyclage, qu’on résoudra l’équation des pensions. Il faudra aussi basculer de manière souple vers un système qui combine la capitalisation individuelle et la répartition collective, à l’instar des deuxième (assurance groupe et fonds de pension) et troisième piliers (épargne pension individuelle).

 

Mais, au-delà de ces orientations à long terme, je suis intimement convaincu que les travailleurs actifs devront cotiser pour un montant supérieur à ce qu’ils pourront espérer au titre de pensions et que le financement des pensions par répartition basculera inévitablement vers un système d’allocation uniforme et universelle.

 

 

 

Par Bruno Colmant (*) – blogs.lecho.be/colmant – le 7 mars 2015

 

(*) Bruno Colmant est membre de l’Académie Royale de Belgique, Docteur en Économie Appliquée (ULB) et Master of Science de l’Université de Purdue (États-Unis). Il enseigne la finance appliquée et l’économie à la Solvay Business School (ULB), à la Louvain School of Management (UCL), à l’ICHEC, à la Vlerick Business School et à l’Université de Luxembourg. Sa carrière est à la croisée des secteurs privés, publics et académiques.