Économie : pour la droite libérale, c’est Apocalypse now | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it


Économie : pour la droite libérale,

c’est Apocalypse now

Par Patrice de Plunkett (*)

 

... si elle découvre les constatations des économistes à la conférence de l’INET (1) (Institute for New Economic Thinking), réunie à Paris jusqu’à demain 11 avril :

 

Le pape François avait donc raison ? Ses méprisants détracteurs avaient tort ? La partie critique des pages économiques de La joie de l’Évangile vient d’être confirmée (involontairement) à la 6e conférence annuelle de l’INET, réunie à Paris au siège de l’OCDE autour d’intervenants comme Joseph Stiglitz, Thomas Piketty  et même George Soros.

Voici le tableau (2) bossé par l’INET, qui a décidé – un peu tard – de « confronter les théories économiques avec la réalité du terrain » :

 

Robert Johnson, président de l’INET : « Lors de la crise financière de 2008, nous avons compris que les paradigmes mêmes de la théorie économique avaient échoué : les économistes étaient responsables de mauvaises décisions parce que leurs théories ne rendaient pas compte de la réalité. »

 

► Depuis sa conférence fondatrice en 2010, l’INET soumet à la critique les trois principaux piliers de la théorie économique dominante :

 

1. Premier dogme : « les marchés peuvent s’autoréguler parce que le comportement des acteurs économiques est rationnel ». Ce dogme était faux ! Depuis 2008, « nous savons que les marchés sont radicalement incertains », explique Johnson. Tout modèle reposant sur le culte des marchés « est voué à l’échec ».

 

2. Deuxième dogme : « les politiques économiques doivent laisser les marchés parvenir à leur équilibre naturel optimal exprimé par le niveau relatif des prix et des échanges ». Encore faux !

Baptisé « courbe de Philips », ce dogme a conduit à d’autres faux dogmes :


a) la réduction massive des dépenses publiques, censées être « le premier facteur de distorsion des prix » ;

b) l’interprétation du chômage comme conséquence du « manque de flexibilité de l’emploi »... Ces théories sont contraires à la réalité, constate maintenant l’INET.

 

Depuis les années 1990, en effet, l’offre et la demande sur le marché de l’emploi ne déterminent plus la formation des prix : celle-ci vient de « la mondialisation des chaînes de valeur » (3), de « la financiarisation de l’économie » (le casino global) et de « la capacité des firmes multinationales géantes à bouleverser l’économie d’un territoire en bougeant à leur guise des masses considérables de valeurs ou de technologies » !

 

Le faux dogme du « prix d’équilibre naturel » génère « austérité et chômage » selon Joseph Stiglitz... Or, pour rompre avec ces erreurs, l’INET propose une hérésie majeure aux yeux des libéraux : restaurer le rôle du politique dans l’économie. C’est ce que demandent les papes depuis vingt-cinq ans (même si des « fidèles » français s’obstinent à refuser de suivre les papes dans ce domaine crucial) : après saint Jean-Paul II et Benoît XVI, François demande que le politique oblige l’économie à tenir compte du bien commun.

 

C’est ce que l’INET demande aussi, en insistant pour que l’on considère comme « biens communs » – éléments non marchands dans l’économie – le climat, la biodiversité et les ressources naturelles ; attitude évidemment incompatible avec le libéralisme, pour lequel tout doit être soumis au marché.

 

3. Troisième faux dogme : « le libre fonctionnement des marchés permet d’accroître la richesse de tous et de chacun ». De cette erreur (vieillie, mais encore professée par le FMI et l’OMC) découle l’absurde théorie du ruissellement (trickle-down), selon laquelle l’enrichissement des riches profite mécaniquement aux pauvres...


En condamnant cette théorie des « retombées » (comme « n’ayant jamais été vérifiée dans la réalité »), l’exhortation apostolique du pape François avait scandalisé les chroniqueurs du Figaro, de L’Opinion, des Échos et de Valeurs Actuelles sur le plan économique :  d’où leur campagne oblique pour déconsidérer ce pape sur le plan... religieux. Mais voilà que l’analyse bergoglienne est confirmée par des observations d’économistes !

 

Depuis le putsch ultralibéral des années 1990, disent-ils, les inégalités vont croissant : actuellement les revenus du 1 % de Terriens les plus riches sont équivalents à ceux des 61 % les plus pauvres (démonstration d’un économiste de la Banque mondiale). Un économiste néerlandais montre les méfaits de la financiarisation de l’économie mondiale : le volume des crédits affectés à la sphère financière a explosé depuis trente ans, atteignant 200 % du PIB mondial à la fin des années 1990, puis 400 % en 2007, monstrueuse disproportion par rapport à l’économie réelle ; et la tendance s’aggrave malgré la catastrophe de 2008... 

 

Dans son article du Monde, Reverchon cite cette phrase : « Les fondamentalistes du marché seront les derniers à bouger, comme l’ont été les universitaires marxistes en Union soviétique, qui ont défendu leurs positions jusqu’à la date de leur mort, alors que leur monde s’était écroulé ». L’observation est exacte, bien qu’elle soit de George Soros.

 

L’INET, créé en 2010, est une fondation financée à l’origine par le même Soros, en compagnie des PDG de Blackberry et du fonds Warburg Pincus : groupes d’intérêts peu portés sur les remises en cause.

 

Mais le fait est là : le diagnostic de l’INET détruit les dogmes devenus pensée unique officielle après 1990. Dogmes auxquels le PS s’est rallié de longue date... Dogmes qui sont (encore aujourd’hui) la Loi et les Prophètes de la droite libérale française ! Pour cette droite, le constat de l’INET est une apocalypse. Elle se gardera donc d’en parler.

 

Nous, en revanche, cette destruction du dogme économique par des économistes nous intéresse. Pour deux raisons :


1. c’est une repentance de la caste coupable ;

2. c’est un retour au réel, partageable par tous les hommes de bonne volonté puisque la réalité est la même pour tout le monde. Les catholiques comptant parmi les hommes de bonne volonté (auxquels fut annoncée la paix sur la terre), ils ne devraient pas manquer de méditer sur cet événement.  À condition que l’information leur parvienne...

 

Bien entendu, les économistes de l’INET ne mettent en cause que le dogme ultralibéral ; ils ne sortent pas du paradigme productiviste. Ce qu’ils proposent n’est donc qu’une demi-révolution. Mais leur demi-révolution consiste à rompre avec le libéralisme : ce n’est pas rien, même si cette rupture inaugurale n’a encore lieu que dans des intelligences.

 

Une rupture concrète exigerait que le politique ressuscite, et que les Etats (miraculeusement réinventés) prennent l’offensive pour changer de système à l’échelon international. On en est loin.

 

Les États s’en remettent à la planète financière depuis trente ans, et la quasi-totalité de la classe politique adhère – en l’absence de croissance ! - au mythe de la croissance infinie.

 

 C’est une secrétaire d’État socialiste qui ânonnait en 2013, dans un forum du PS : « Le progrès il est dans le fait de passer nos frontières et de passer nos limites... » En ce cas, le progrès est réalisé par les multinationales et les fonds spéculatifs, fer de lance du sans limites. Et les bigots de ce « progrès », à gauche et à droite, resteront sourds aux avertissements de la réalité.

 

 

 

Par Patrice de Plunkett (*) - plunkett.hautetfort.com – le 11 avril 2015.


(*) Patrice de Plunkett est un journaliste et essayiste français, qui codirigea le Figaro Magazine… (Source Wikipédia).



Notes :  

(1) dont cinq prix Nobel d’économie... (NDLGazette : Le conseil scientifique de l’INET compte notamment Joseph Stiglitz [prix Nobel 2001], James Mirrlees [prix Nobel 1996], Amartya Sen [prix Nobel 1998], James Heckman [prix Nobel 2000], George Akerlof [prix Nobel 2001] et Michael Spence [prix Nobel 2001] [Source Wikipédia] 

(2) synthèse par Antoine Reverchon [Le Monde Culture & Idées, 11/04].

(3) Glossaire : « La chaîne de valeur désigne l’ensemble des activités productives réalisées par les entreprises en différents lieux géographiques au niveau mondial pour amener un produit ou un service du stade de la conception au stade de la production et de la livraison au consommateur final. Ces activités englobent selon les cas la recherche-développement, la conception, la production, la commercialisation, la distribution, la vente au détail, et parfois même la gestion et le recyclage des déchets. L’intensification de la mondialisation des chaînes de la valeur a entraîné un niveau sans précédent d’interdépendance entre les pays associés aux chaînes d’approvisionnement. »