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La Force « arabe » de Défense commune

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Photo : Nabil el-Arabi, secrétaire général de la Ligue arabe, tente d’expliquer le projet de Force « arabe » de Défense commune.

 

 

La Force « arabe » de Défense commune

Par Thierry Meyssan (*)

 

De nombreux États et personnalités qui avaient pris position au début de la guerre du Yémen se sont ravisés. Se gardant de se positionner automatiquement selon le clivage sunnite/chiites, ils appellent au cessez-le-feu et à une solution politique. Derrière cette guerre inutile se cache en effet le projet de création d’une OTAN arabe… sous commandement israélien.

 

 

Dans sa Doctrine de Sécurité nationale, publiée le 6 février 2015, le président Obama écrivait : « Une stabilité à long terme [au Moyen-Orient et en Afrique du Nord] requiert plus que l’usage et la présence de Forces militaires états-uniennes. Elle exige des partenaires qui soient capables de se défendre par eux-mêmes. C’est pourquoi nous investissons dans la capacité d’Israël, de la Jordanie et de nos partenaires du Golfe de décourager une agression tout en maintenant notre engagement indéfectible à la sécurité d’Israël, y compris par son avance militaire qualitative » [1].

 

La lecture attentive du document ne laisse aucun doute. La stratégie du Pentagone consiste à créer une version moderne du Pacte de Bagdad, une OTAN arabe, de manière à pouvoir retirer ses forces militaires du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord et à les repositionner en Extrême-Orient (le « pivot » contre la Chine).

 

De même, il est clair que dans sa vision, le Pentagone envisage que cette « Force arabe de Défense commune » soit constituée d’États du Golfe et de la Jordanie et qu’elle soit placée sous commandement israélien. Si l’on reprend l’exemple du Pacte de Bagdad, on se souviendra qu’il avait été constitué par le Royaume-Uni avec ses anciennes colonies. Cependant, au bout de trois ans, son état-major fut placé sous commandement du Pentagone, bien que les États-Unis n’aient jamais adhéré au Pacte.

 

En novembre 2013, le président israélien d’alors, Shimon Peres, est intervenu, par vidéoconférence devant le Conseil de sécurité du Golfe, réuni à Abu Dhabi en présence de représentants des principaux membres de la Ligue arabe et d’États sunnites d’Asie [2]. Son intervention, qui portait sur la nécessité d’un nouveau pacte militaire face à l’Iran, avait été longuement applaudie.

 

Le Sipri de Stockholm vient de révéler que l’Arabie saoudite se serait préparée à créer la « Force arabe de Défense commune » en augmentant son budget militaire en 2014 de 13 milliards de dollars (+17 % !).

 

Riyad tente d’impliquer le plus grand nombre d’États possibles dans ce projet. Il a ainsi réussi à acheter la participation de l’Égypte. Pour ce faire, les États du Golfe ont offert 12 milliards de dollars pour les projets d’investissement du Caire, lors de la conférence économique de Charm el-Cheikh, le 13 mars.

 

La Ligue arabe a adopté ce projet lors de son sommet de Charm el-Cheick, le 1er avril. Officiellement, il s’agit d’appliquer le Traité de Défense arabe de 1950 pour lutter contre le terrorisme, à moins que ce ne soit pour satisfaire les ambitions saoudiennes au Yémen.

 

La guerre contre les Houthistes, dont personne ne comprend la nécessité, joue ici le rôle d’un exercice grandeur nature, sans que l’on manifeste de compassion pour le millier de morts et les 3 000 blessés qu’elle a déjà entraînés.

 

D’ores et déjà, selon Stratfor, l’état-major militaire de l’opération « Tempête décisive » n’est pas en Arabie, mais au Somaliland. Ce pays, qui proclama son indépendance en 1960, puis fut rattaché à la Somalie à la suite d’un coup d’État en 1969, proclama une seconde fois son indépendance en 1991 avant d’être réintégré à nouveau à la Somalie, en 1994, et proclama une troisième fois son indépendance en 2002. Lors de ses deux premières indépendances, Israël fut le premier État à reconnaître le Somaliland. Actuellement cet État n’est reconnu par personne, mais depuis 2010, c’est une base israélienne pour contrôler le détroit de Bab el-Mandeb qui relie le canal de Suez et la mer Rouge au golfe d’Aden et à l’océan Indien.

 

Les chefs d’état-major de la Ligue arabe se rencontreront le 22 avril pour évaluer les unités qu’ils pourraient mettre à disposition de ce dispositif. L’Égypte, le Koweït et le Maroc — tous trois impliqués dans les bombardements au Yémen — présenteront un rapport préliminaire, le 1er juillet.

 

Tout cela était malheureusement prévisible. Après avoir trahi le Peuple syrien en excluant la République arabe syrienne de ses rangs en violation de ses statuts, la Ligue arabe s’apprête à trahir le Peuple palestinien et à placer ses armées sous le commandement d’un État colonial.

 

 

 

Par Thierry Meyssan (*) - RÉSEAU VOLTAIRE INTERNATIONAL | DAMAS (SYRIE) | 20 AVRIL 2015

 

Notes :

[1] National Security Strategy, White House, February 6, 2015. Et notre commentaire : « Obama réarme », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 9 février 2015.

[2] « Shimon Peres s’est exprimé devant le Conseil de sécurité du Golfe, fin novembre », Réseau Voltaire, 3 décembre 2013.

 

(*) Thierry Meyssan : consultant politique, président fondateur du Réseau Voltaire et de la conférence Axis for Peace. Dernier ouvrage en français : L’Effroyable imposture : Tome 2, Manipulations et désinformations (éd. JP Bertand, 2007). Compte Twitter officiel.

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« L’Empire du Chaos » dans la maison des Saoud

« L’Empire du Chaos » dans la maison des Saoud | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Photo : le Président US Barack Obama rencontre le nouveau roi d’Arabie Saoudite Salmana  à Riyad, le 27 janvier 2015 (Reuters/Jim Bourg)

 

 

« L’Empire du Chaos » dans la maison des Saoud

Par Pepe Escobar (*)

 

Aucun média institutionnel ne vous dira pourquoi le président des USA, Barack Obama, se rend à Riyad à la tête d’une délégation de haut niveau pour présenter ses hommages au roi Salman, le nouveau potentat de la maison des Saoud.

 

Tout le gratin est présent, y compris le chef de la CIA John Brennan ; le général Lloyd Austin, chef du Commandement central des USA ; le secrétaire d’État John Kerry ; la chef de file du parti démocrate à la Chambre des représentants Nancy Pelosi ; et même le sénateur sénile John, il faut bombarder l’Iran McCain.

 

Que cela a dû être déchirant pour la plupart de ces protagonistes d’avoir à annuler une visite au Taj Mahal en Inde pour faire cet arrêt imprévu de dernière minute à Riyad.

 

Voici comment cet illustre exemple de médiocrité faisant office de conseiller adjoint à la sécurité nationale, Ben Rhodes, a présenté les choses : « En gros, je crois que c’est pour souligner le changement de direction à la tête de l’État et pour rendre hommage à la famille et à la population de l’Arabie saoudite, mais je suis convaincu qu’en notre présence, il sera question de certains des grands enjeux qui font l’objet d’une coopération très étroite avec l’Arabie saoudite. »

 

Rappelons que la Maison-Blanche et le Pentagone n’ont pas daigné rendre hommage en personne au peuple français après le massacre de Charlie-Hebdo. Les occupants de la maison des Saoud, qui sont nos principaux salopards dans le golfe Persique, comptent évidemment bien plus.

 

Sauf qu’il y a un petit problème dans le pilotage de l’Air Force One. Des sources provenant des hautes sphères du milieu financier m’ont informé que l’objet de ce voyage est d’obtenir le soutien du nouveau roi dans la guerre financière et économique livrée par Obama contre la Russie, alors que la maison des Saoud commence à avoir des doutes. Le rôle des Saoudiens dans cette guerre a été de provoquer un choc pétrolier, qui frappe non seulement la Russie, mais aussi l’Iran et le Venezuela, entre autres. Soit dit en passant, le guignol des USA en charge de l’Ukraine, Petro Porochenko, vient juste de faire sa petite visite en Arabie saoudite.

 

La Russie n’est pas l’Iran, toute révérence gardée pour l’Iran. Si la maison des Saoud croit vraiment que son interlocuteur est le chef d’une superpuissance plutôt qu’une marionnette ventriloque, rôle joué par Obama, elle est carrément condamnée. Les véritables Maîtres de l’Univers qui dirigent l’Empire du Chaos veulent que la maison des Saoud fasse la majeure partie du sale boulot à leur place contre la Russie. Ils s’occuperont ensuite de ces têtes [enturbannées] de serviettes, c’est l’expression consacrée à Washington, à propos du développement de missiles nucléaires avec le Pakistan. D’autant plus que la guerre des prix du pétrole déclenchée par les Saoudiens aura tôt fait de détruire l’industrie pétrolière des USA, ce qui va à l’encontre des intérêts nationaux des USA.

 

La maison des Saoud n’a absolument rien à gagner dans cette guerre financière et économique contre la Russie. Les Saoudiens ont déjà perdu le Yémen et l’Irak. Le Bahreïn est tenu par une armée de mercenaires qui réprime l’aliénation de la majorité chiite. Ils voient avec horreur la possibilité que l’Iran, l’ennemi ultime, parvienne à un accord sur le nucléaire avec la Voix de son Maître. Ils désespèrent de voir Assad s’accrocher. Ils veulent que tout Frère musulman dans leur champ de vision, ou à proximité, soit emprisonné ou décapité. Ils craignent les soulèvements de style Printemps arabe encore plus que la peste. Puis voilà ce faux califat de l’EIIS/EIIL/Da’ech qui menace de se rendre jusqu’à La Mecque et Médine. La maison des Saoud est effectivement encerclée de toutes parts.

 

 

Une feuille de route suicidaire

 

Alors que la tempête gronde, tout le monde est tout sourire, au beau milieu d’un carnage fratricide. Le puissant clan des Sudairi a pris sa revanche alors que le corps du roi Abdallah était encore chaud. Le roi Salman, qui a presque 80 ans et dont l’Alzheimer aura tôt fait de le réduire en bouillie, n’a pas perdu de temps pour nommer son neveu, Mohammed ben Nayef, prince héritier en second. Juste au cas où le népotisme ne serait pas encore assez évident, il a aussi nommé son fils, le prince Mohammed ben Salman, ministre de la Défense. Mohammed ben Nayef, en sa capacité de chef de l’antiterrorisme de la maison des Saoud, est l’enfant chéri du Pentagone et de la CIA.

 

Aussi bien dire qu’il s’agit de la version du désert de ce classique de Giuseppe di Lampedusa qu’est Le Guépard : Se vogliamo che tutto rimanga com’è bisogna che tutto cambi. (Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change.) Ce qui est intéressant, c’est que la phrase semble s’appliquer aujourd’hui beaucoup plus à la maison des Saoud qu’à l’Empire du Chaos.

 

Apparemment, le jeu qui se déroule autour du trône de nos salopards vise à faire en sorte que tout reste tel que c’est. Ils resteront nos salopards. Le Pentagone a même eu la délicate idée d’amener le chef d’état-major des armées des USA [1] à parrainer un concours de rédaction d’essais en l’honneur de feu le roi Abdallah.

 

Vous êtes donc cordialement invités à faire l’éloge du roi pour sa répression sans merci de la minorité chiite de l’est de l’Arabie saoudite, riche en pétrole ; pour la peine qu’il a infligée au cheikh Nimr Baqir al-Nimr, l’éminent religieux chiite et dissident politique au franc-parler, soit la décapitation, à la Da’ech, pour avoir tout simplement dirigé un mouvement non violent cherchant à promouvoir les droits des chiites, les droits des femmes et une réforme démocratique en Arabie saoudite (même Human Rights Watch reconnaît que les chiites saoudiens sont victimes de discrimination systématique en matière de religion, d’éducation, justice et d’emploi).

 

Louangeons le regretté roi pour les milliers de prisonniers politiques, pour les accusations de terrorisme proférées contre les femmes qui osent conduire une voiture, pour le quart de la population vivant sous le seuil de la pauvreté et, dernier point, mais non le moindre, pour sa contribution à l’expansion d’Al-Qaïda en Irak, devenu l’EIIS depuis. Le Pentagone vous adore rien que pour cela.

 

Toute cette tempête du désert de fric saoudien investi dans le prosélytisme et l’endoctrinement wahhabites, que j’ai vu de mes yeux du Maghreb à Java, est un héritage important ; une religion médiévale toxique (rien à voir avec l’Islam véritable), qui n’a de cesse de détruire des vies et des communautés et d’engendrer des fanatiques, indéfiniment. Vive le roi pour tout cela, au nom du Pentagone, en oubliant bien sûr d’en parler dans tous les médias institutionnels arabes qui sont sous le contrôle absolu de la maison des Saoud.

 

Une réforme dans la maison des Saoud, dites-vous ? En marge de l’ignoble et barbare establishment religieux salafiste ? Ça, c’est la blague du millénaire. Rien ne va changer.

 

Sauf qu’en jouant le jeu de l’Empire du Chaos, en livrant une guerre financière et économique à la Russie, ils changent la donne, car ils jouent carrément avec le feu. Les sanctions imposées par les USA et l’UE, les attaques contre le prix du pétrole et le rouble par l’industrie financière des produits dérivés, qui agit à titre de mandataire, c’est très au-dessus des compétences des Saoudiens. La maison des Saoud jure qu’elle n’a pas changé ses quotas de production en 2014. Sauf qu’il y a un excédent de stock, qui a été mis sur le marché pour contribuer à la chute des prix du pétrole, de pair avec la manipulation des spéculateurs sur les produits dérivés.

 

Plusieurs analystes du secteur pétrolier n’arrivent pas encore à comprendre pourquoi la maison des Saoud s’en est prise à la Russie. C’est essentiellement pour des raisons politiques et non économiques (le soutien de la Russie à la Syrie et à l’Iran les USA en accord avec la stratégie, etc.). Le fait demeure que Moscou considère la manœuvre comme une déclaration de guerre économique par l’Arabie saoudite. Prudemment, l’hebdomadaire Petroleum Intelligence Weekly a déjà laissé entendre que les choses pourraient devenir beaucoup plus graves, en parlant de risques de perturbations dans les monarchies du Golfe au Moyen-Orient.

 

Il faut se méfier d’un empereur qui apporte des cadeaux, ou qui pleure un roi défunt. L’Empire du Chaos demande essentiellement à la maison des Saoud de se transformer en kamikaze contre la Russie. Tôt ou tard, quelqu’un à Riyad se rendra compte que cette feuille de route mène au suicide de la maison des Saoud.

 

 

Par Pepe Escobar (*) – traduit par Daniel relu par jj pour Le Saker francophone - le 27 janvier 2015 – source RT

 

Notes

[1] Dempsey Sponsors Essay Competition ot Honor Saudi King, U.S. Department of Defense, 26-01-2015

 

(*) Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan : How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).

Koter Info's insight:


Seul point positif durant ce voyage, apparue non voilée, Michelle Obama a scandalisé l'Arabie saoudite. Naturellement, les dignitaires ont refusé de lui serrer la main. Tiens donc !


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La France, l’Europe, le monde... - Entretien avec Valéry Giscard d’Estaing - Partie 2/2

La France, l’Europe, le monde...  - Entretien avec Valéry Giscard d’Estaing - Partie 2/2 | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Photo : Valéry Giscard d’Estaing - sott.net

 

 

La France, l’Europe, le monde...

- Partie 2/2 -

 

Entretien avec Valéry Giscard d’Estaing *

conduit par Isabelle Lasserre **

 

 

 

— I. L. — Quelle solution proposeriez-vous pour tenter de résoudre la crise ?

 

V. G. E. — L’Ukraine telle qu’elle est n’est pas en état de fonctionner démocratiquement. Il faut donc qu’elle se réorganise. Je souhaite que la diplomatie française prenne le leadership européen de la recherche d’une solution politique en Ukraine. Cette solution pour l’Ukraine semble être celle d’une confédération multiethnique, sur le modèle suisse des cantons, avec une partie russophone, une partie polonaise et une partie centrale. Un système à la fois fédéral et confédéral, sponsorisé par les Européens et soutenu par les Nations unies.

 

— I. L. — Dans un tel scénario, qu’advient-il de la Crimée ? On la fait passer par pertes et profits ?

 

V. G. E. — Je n’aime pas cette expression ; mais la Crimée, conquise — je le répète — alors qu’elle était gérée par un souverain d’allégeance turque et non ukrainienne, et où les Alliés de la dernière guerre sont venus tenir la conférence de Yalta, a vocation à rester russe !

 

— I. L. — Si vous étiez au pouvoir, que diriez-vous à Vladimir Poutine pour lui faire entendre raison ?

 

V. G. E. — La gestion de la crise par Vladimir Poutine n’a pas été judicieuse. Le président russe poursuit un rêve : rétablir l’influence qu’avait jadis l’Union soviétique. Mais ce rêve n’est pas réalisable, car une partie de l’empire soviétique a été construite par la force. Et quand la force n’est plus ce qu’elle était, ces méthodes ne sont plus envisageables. La Pologne et les pays baltes ne risquent rien. La Russie ne va pas se lancer dans ce type d’aventure. Mais dans les endroits qui sont en désordre politique, c’est moins évident. Il aurait fallu recommander à Vladimir Poutine de ne pas jouer avec le feu, et essayer de rechercher avec lui des solutions raisonnables. Ce qui est sûr, c’est que l’Ukraine n’entrera pas dans le système européen : c’est impossible ! Elle n’a ni la maturité économique ni la pratique politique nécessaire. Sa place est entre deux espaces, la Russie et l’Union européenne, avec lesquels elle doit entretenir des rapports normaux. Quant à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, il n’en est, bien évidemment, pas question et la France a raison d’y être défavorable ! À présent, voulez-vous ma prophétie ? La voici : l’Ukraine risque la faillite financière. Elle demandera des aides. Qui les lui donnera ? Sans doute le FMI puisque l’Union européenne n’a pas le dispositif pour le faire.

 

— I. L. — Sur la place Maïdan à Kiev, des Ukrainiens sont morts en défendant les valeurs européennes et en brandissant le drapeau de l’Union. Est-il possible de décevoir l’enthousiasme de ces hommes qui regardent vers nous avec autant de confiance ?

 

V. G. E. — Les aspirations européennes de Kiev étaient un songe. Comme ils n’entrevoyaient aucune perspective, il fallait bien que les Ukrainiens rêvent de quelque chose. Mais soyons réalistes : les Hongrois, qui sont dans l’Europe, n’en veulent plus (7), et l’Union, après sept ans, n’a pas réussi à régler de manière satisfaisante l’intégration de la Bulgarie et de la Roumanie... Pour des gens qui se sentent abandonnés, l’Union européenne est tentante. C’est une zone pacifique. Mais tout cela ne suffit pas à justifier une adhésion. En tant qu’ancienne partie de la Russie, l’Ukraine ne peut pas être dans l’Union européenne.

 

— I. L. — Quel regard portez-vous sur Barack Obama ? On avait espéré qu’il serait un mélange de Roosevelt et de Kennedy ; finalement, il fait plutôt songer à Jimmy Carter... Quel bilan dressez-vous de sa politique étrangère ?

 

V. G. E. — Barack Obama est un homme humainement sympathique et chaleureux, et qui cherche à être utile. Il apporte la preuve que, surtout dans le monde actuel, l’exigence de compétences est un élément essentiel ! Prenez le président chinois actuel : il avait occupé quatre ou cinq postes d’envergure avant d’arriver là où il est...

 

Au début, Barack Obama était très déterminé. Il a voulu se démarquer de George W. Bush en décidant le retrait d’Irak. Mais il a commis des erreurs dans la façon dont il a géré ce retrait. Car il a voulu le compenser, aux yeux d’une partie de l’opinion américaine, par l’annonce d’un engagement supplémentaire en Afghanistan, ce qui était une cause perdue d’avance, comme l’ont expérimenté les Britanniques, puis les Soviétiques.

 

Quant aux comparaisons que vous effectuez, je dirais que, s’il est vrai qu’Obama ne ressemble pas à Roosevelt, il ne ressemble pas davantage à Jimmy Carter. En effet, il ne change pas d’avis, il renonce à certains projets. Mais il ne faut pas se montrer trop sévère vis-à-vis de Barack Obama, pour la raison suivante : à notre époque, l’élection se fait avant tout sur l’appréciation audiovisuelle bien davantage que sur les compétences requises pour la fonction...

 

— I. L. — En Syrie, personne ne voit de porte de sortie à court ou moyen terme à cette guerre qui a déjà fait plus de 200 000 morts. Comment en sommes-nous arrivés là ? Quelle fut la première erreur commise, quand et par qui ? Qu’aurait-on dû faire ou ne pas faire à l’époque ? Que faire aujourd’hui ?

 

V. G. E. — Je n’ai aucune réponse à vos questions. Nous ne comprenons pas le phénomène, ces affrontements historiques, ces querelles de frontières, cet islam extrême. Au début, s’agissait-il d’un mécontentement populaire à caractère social vis-à-vis d’un pouvoir dictatorial ? D’une révolte contre la brutalité du régime ? Il fallait, d’abord, essayer de voir si le système était réformable. Il l’était sans doute. C’est alors que, progressivement, nous avons assisté à la montée d’un islam fanatique qui n’a pas de rapport direct avec la situation politique et que nous ne nous expliquons pas. La rivalité entre chiites et sunnites remonte au VIIe siècle. Pourquoi ressort-elle avec une telle violence maintenant alors qu’elle était plus modérée dans l’Empire turc ? Pourquoi exerce-t-elle autant d’attrait sur des jeunesses lointaines ? C’est une réflexion très difficile à mener, mais qu’on doit conduire au niveau européen.

 

— I. L. — Le péril que font peser sur la planète ces djihadistes de Daech ne mérite-t-il pas que la coalition s’implique davantage pour en venir à bout ? Ne faudrait-il pas aller jusqu’à envoyer des troupes au sol ?

 

V. G. E. — Je suis totalement opposé à une telle intervention au sol. D’ailleurs, elle ne se fera pas. Ce n’est pas à la coalition occidentale, mais aux pays arabo-musulmans de régler ce problème. La solution, à mes yeux, ne peut être que régionale. Naturellement, on peut effectuer des bombardements quand c’est nécessaire techniquement pour interdire une conquête. Ce qui est plus difficile, c’est de savoir quel avenir les intéressés veulent se donner...

 

L’Occident, cela va de soi, doit être hostile à Daech. Mais « être contre » ne veut pas dire « éradiquer ». Ne serait-ce que parce que c’est impossible. C’est à l’Iran et à l’Arabie saoudite d’agir !

 

— I. L. — Comment jugez-vous le jeu trouble mené par le Qatar et l’Arabie saoudite dans la région ?

 

V. G. E. — Ils ont fait de grandes erreurs et en subiront vraisemblablement les conséquences dans leur propre pays.

 

— I. L. — Pensez-vous que l’initiative du Sénat et de l’Assemblée nationale visant à reconnaître un État palestinien soit une bonne chose ?

 

V. G. E. — C’est leur responsabilité. Pour dire les choses franchement, je ne crois pas qu’une négociation directe israélo-palestinienne puisse aboutir à un accord : les exigences des deux parties sont trop substantiellement incompatibles. Un gouvernement israélien ne peut pas accepter les demandes auxquelles l’Autorité palestinienne, quant à elle, ne peut pas renoncer ! En fait, Israël a joué de cette proposition de négociation pour apaiser son allié américain. La diplomatie israélienne mise à 90 % sur le soutien de Washington... Je pense que la solution devra nécessairement passer par les Nations unies : un vote unanime du Conseil de sécurité, sans que les Américains n’utilisent leur droit de veto, actualisant la résolution fondatrice de l’État d’Israël.

 

— I. L. — Un vote unanime proposant quel schéma ?

 

V. G. E. — Un retour aux frontières de 1967 ; Jérusalem comme capitale commune d’Israël et de l’État palestinien ; mais le contenu nouveau consistera en des garanties de sécurité énergiquement défendues par la communauté internationale et, au premier chef, par les États-Unis.

 

— I. L. — Mais le Hamas refuse de reconnaître Israël !

 

V. G. E. — Je le répète : on imposera au Hamas la solution qui serait décidée par un vote unanime du Conseil de sécurité.

 

— I. L. — En quelques mots, quels sont, depuis deux ans, les points forts et les points faibles de la diplomatie française ?

 

V. G. E. — La conduite de la diplomatie française par le ministre des Affaires étrangères est raisonnablement compétente, dans un gouvernement qui ne l’est guère. Elle représente et défend bien les intérêts de la France.

 

Deux remarques : il convient d’éviter les interventions isolées dans des conflits lointains, qui font apparaître la faiblesse de nos moyens ; et de mettre fin à l’absence de la France dans les postes clés de l’Union européenne (présidences du Parlement européen, de la Commission européenne, du Conseil européen et de la Banque centrale européenne), Union qu’elle a contribué à créer.

 

Deux tâches diplomatiques, que j’ai déjà évoquées, sont urgentes : proposer une démarche politique pour l’Ukraine, à égale distance de l’Union européenne et de la Russie, et s’opposer à son entrée dans l’OTAN ; et contribuer à la recherche d’une solution permettant à la Grande-Bretagne de rester membre de l’UE.

 

— I. L. — Qu’auriez-vous fait de différent, dans tous ces domaines, si vous aviez été au pouvoir ?

 

V. G. E. — J’aurais proposé aux États membres de la zone euro qui le souhaitent de franchir une étape importante de l’intégration européenne en allant vers une Union fiscale à l’échéance de 2030 ; et j’aurais proposé, aussi, la création d’un Trésor européen gérant la dette commune.

 

— I. L. — Monsieur le Président, si vous deviez décerner le « Prix du courage politique », à qui l’attribueriez-vous aujourd’hui ?

 

V. G. E. — Des géants tels de Gaulle, Roosevelt et Churchill, il n’y en a plus. Ce sont les grands événements qui mettent en valeur les grands hommes. Des Kennedy, il nous en faudrait pour s’adresser à la jeunesse. Ne désespérons pas. Peut-être, un jour, les verrons-nous apparaître...

 

 

 

 

Par politiqueinternationale.com – La Revue n° 146 – hiver 2015 par  Patrick Wajsman

 

 * Président de la République française de 1974 à 1981.

** Rédactrice en chef adjointe au service étranger du Figaro.

 

 

Note :

(7) En Hongrie, le sentiment pro-européen est évalué à 35 % dans les sondages.

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