Belgique : Tax-shift : justice fiscale ou cadeau au 1 % ? | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Photo : Solidair, Salim Hellalet

 

 

Belgique : Tax-shift : justice fiscale

ou cadeau au 1 % ?

 

« Les paradis fiscaux créent les enfers sociaux » affichait une pancarte lors du rassemblement syndical du 25 septembre place de la Monnaie à Bruxelles. C’était le coup d’envoi d’un des plus grands mouvements sociaux de ces dernières années, qui réclamait notamment une taxation des grosses fortunes. Aujourd’hui, le gouvernement tente de faire dévier le débat pour continuer à chouchouter le 1 %. Une nouvelle étude du service d’études du PTB dénonce les mesures injustes que le gouvernement avance dans son « tax-shift ».

 

Retrouvez ici l’étude complète ou téléchargez-la en PDF.

 

L’impôt sur la fortune, inexistant en Belgique, était l’une des revendications centrales du mouvement social. Et pour cause : à l’heure où le gouvernement impose toujours plus d’austérité, une écrasante majorité de la population – 85 % selon un sondage de décembre 2014 – soutient la revendication d’une taxation des millionnaires.

 

Face à la pression du mouvement social et de l’opinion publique, certains membres du gouvernement ont donné un temps l’impression de partager ce souci de justice fiscale. Mais l’idée est constamment reportée et de moins en moins discutée.

 

Le gouvernement essaye en fait d’évacuer autant que possible le débat sur la taxation des millionnaires. Il veut opérer un renversement complet des termes du débat en détournant le contenu du « tax-shift » réclamé par le mouvement social, et faire passer une (énième) politique de cadeaux au monde patronal. Notamment en trouvant des nouvelles manières de diminuer les salaires grâce aux baisses de cotisations sociales patronales, ce qui serait compensé par une augmentation de certaines taxes.

 

 

Des taxes sur quoi ? Et sur qui ?

 

— La première piste que le gouvernement veut emprunter pour opérer son « tax-shift » est l’augmentation de la TVA. Il s’agirait soit d’augmenter le taux global de 21 à 22 %, soit de relever les taux réduits.


Or, la TVA est identique pour tous les travailleurs, riches ou moins riches. Du coup, elle occupe une part plus importante du revenu d’un ménage à faible revenu que d’une personne fortunée. Ainsi, non seulement une augmentation de la TVA mènerait à une diminution du revenu des ménages dans les faits — relever les taux réduits au taux standard ferait perdre plus de 800 euros par an à un ménage moyen —, mais, en plus, elle le ferait d’une façon inégalitaire.

 

— La deuxième piste explorée par le gouvernement est celle de ce qu’il vend comme des « taxes environnementales ». Un beau nom qui cache en réalité, là aussi, des mesures injustes, car les taxes envisagées concernent des éléments pour lesquels les gens ne peuvent pas changer facilement leur comportement, même si le prix augmente. Donc non seulement les gens devraient payer plus, mais, en plus, cela n’aurait pas d’effet positif pour l’environnement.

 

— Enfin, le troisième volet du « tax-shift » concernerait la taxation du capital. Cependant, la plupart des partis au gouvernement sont d’accord pour dire qu’il s’agit de « la dernière priorité ». Par ailleurs, on voit que les mesures évoquées touchent davantage le petit capital que les grands multimillionnaires.

 

 

Un retour positif sur le salaire ou l’emploi ?

 

Pour vendre ces mesures, certains avancent qu’elles amèneront des augmentations de salaire net ou des créations d’emplois. Or les augmentations de salaire net dont on parle sont compensées par une perte de salaire brute, ce qui revient donc à donner dans une poche pour prendre dans l’autre. Pas de quoi se réjouir, donc.

 

En outre, si les effets négatifs sur le salaire des augmentations de la TVA sont établis, le retour en termes de masse d’emploi est, quant à lui, bien plus incertain, voire très contestable.

 

 

Bon pour les actionnaires, mauvais pour l’économie

 

La grande idée qui sous-tend les orientations du « tax-shift » proposé par le gouvernement est que les travailleurs coûtent trop cher, rendant la Belgique « trop peu compétitive ». D’où l’idée de réduire le salaire en diminuant les cotisations sociales.

 

Pourtant, le raisonnement du gouvernement ne résiste pas aux faits. Une étude récente réalisée par Henrik Jacobsen Kleven, professeur d’économie à la London School of Economics, montre que ce sont les pays qui ont les plus hauts niveaux de taxation du travail qui ont également les taux d’emploi les plus élevés. L’étude va même plus loin, puisqu’elle explique que c’est justement le taux de taxation élevé qui entraîne l’augmentation du taux d’emploi, grâce aux services publics que les impôts permettent de financer. De quoi instruire un gouvernement qui veut baisser les salaires, diminuer la fiscalité (en la rendant plus injuste) et couper dans les services publics… sous prétexte de défendre l’emploi.

 

Par ailleurs, de façon générale, la baisse du pouvoir d’achat et des dépenses publiques entraîne un ralentissement de l’économie. Plus personne n’investit ni ne consomme, et, plutôt que de nous sortir de la crise, cette politique nous y enfonce.

 

 

Tax-shift ou wealth-shift ?

 

Le tax-shift du gouvernement veut surfer sur le mécontentement populaire lié à la faible taxation des grosses fortunes pour en fait faire passer sa politique de fond : approfondir les transferts des travailleurs vers les profits des entreprises.

 

Pourtant, la manœuvre ne semble pas prendre auprès des gens et des organisations sociales. En effet, la revendication qui a fait bouger des dizaines de milliers de personnes est bien celle d’une taxe des millionnaires, dont les recettes serviraient à satisfaire une masse de besoins sociaux criants. En clair : un transfert de richesses – ou wealth-shift – du 1 % vers les travailleurs, et pas l’inverse.

 

 

 

Par Quentin Van Baelen & Benjamin Pestieau - ptb.be – le 27 mai 2015.