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Stéphanie Latte-Abdallah : « En Israël, l’occupation a été repensée dans une optique managériale »

Stéphanie Latte-Abdallah :  « En Israël, l’occupation a été repensée dans une optique managériale » | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Photo : Stéphanie Latte-Abdallah

 

 

Stéphanie Latte-Abdallah :  « En Israël, l’occupation

a été repensée dans une optique managériale »

 

Basée à Jérusalem, Stéphanie Latte-Abdallah est historienne, politiste, chercheuse au CNRS 
(Ifpo-territoires palestiniens). Elle analyse les récentes reconfigurations du régime d’occupation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Pour elle, la multiplication par trois du nombre de colons depuis 1993 témoigne de la permanence d’un processus de colonisation qui s’inscrit au cœur des choix politiques.

 

 

— Pourquoi considérez-vous le mur de séparation, qui capte l’attention médiatique, comme un leurre masquant les reconfigurations de la logique d’occupation et de colonisation de la Palestine ?

 

Stéphanie Latte Abdallah. Ce mur est censé séparer la Cisjordanie de Jérusalem et d’Israël. En réalité, la plupart des check points situés là où passe le Mur, ne séparent pas des lieux sous juridiction israélienne de lieux sous juridiction palestinienne. Par exemple, lorsque l’on passe le check point de Qalandia, on s’imagine qu’on entre en Cisjordanie. En fait, on est toujours dans les quartiers de Kofr Aqab, de Sémiramis, qui sont des quartiers de Jérusalem. C’est d’ailleurs pour cette raison que de nombreux Palestiniens de Jérusalem ont quitté le centre pour s’installer dans ces quartiers : tout en gardant leur statut de résidents de Jérusalem, ils s’ouvrent sur Ramallah et les activités qu’elle offre.

 

Encadrée par le mur, la route 443, qui relie Jérusalem à l’aéroport et à Tel-Aviv, traverse en fait la Cisjordanie. Les Palestiniens qui veulent franchir cette route sont contraints d’emprunter des tunnels, des voies de contournement qui relient, en fait, deux espaces cisjordaniens. La plupart des check points ne sont pas « frontaliers », mais sont internes à la Cisjordanie. Il ne s’agit donc pas d’un Mur qui, certes mange 10 % de la Cisjordanie, mais serait potentiellement frontalier. Par ailleurs, plutôt que de se focaliser sur le Mur, c’est l’ensemble du dispositif de contrôle qu’il faut considérer et qui vise plutôt le morcellement de l’espace palestinien. Après l’échec des accords d’Oslo, après la répression de la seconde Intifada, les modalités de l’occupation ont en effet été repensées dans une optique « managériale », pour gérer un conflit de basse intensité, en évitant les frictions entre des populations susceptibles d’entrer en confrontation, tout en poursuivant activement la colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est.

 

Au total, 380 000 colons sont établis en Cisjordanie, où 60 % du territoire est sous juridiction israélienne (zone C), 20 % sous juridiction civile palestinienne, mais sous contrôle militaire israélien (zone B) et seulement 20 % sous pleine juridiction palestinienne (zone C).

 

Des systèmes de circulation différenciés ont été créés pour que les colons, dispersés sur le territoire, croisent le moins possible les Palestiniens. Dans le même esprit, un système d’ouverture et de fermeture potentielle d’enclaves s’est mis en place pour fermer les villages et les villes palestiniennes en cas de conflit. Le réseau autoroutier obéit parfaitement à cette logique. Au-delà du noyau de colons installés en Cisjordanie pour des raisons idéologiques, les colons de classe moyenne, établis dans les colonies, car elles offrent des logements moins chers, ferment les yeux sur le tracé de la ligne verte (la ligne d’Armistice de 1967 séparant selon le droit international Israël de l’espace palestinien). Ils ont à leur disposition des routes récemment construites ou rénovées qui les emmènent directement à leur travail, à l’aéroport ou à la plage à Tel-Aviv. Ils ne circulent qu’entre espaces israéliens. Pour eux, la ligne verte est gommée et l’autre, le Palestinien est devenu quasi invisible.

 

Les experts militaires ont eux-mêmes utilisé le terme d’occupation invisible au moment du déploiement de cette nouvelle politique gestionnaire de l’occupation.  Dans le même mouvement, l’occupation a été adaptée au contexte néolibéral, les check-points dits « frontaliers » ont été ou sont en phase de privatisation, leur gestion a été confiée à des sociétés qui adoptent le langage du service à des passagers, avec des formes de politesse et de civilité visant à faire oublier la violence du contrôle. Leur architecture emprunte également à des formes urbaines globalisées et ainsi banalisées : les plus importants ressemblent désormais à des terminaux d’aéroport ou à des péages autoroutiers.

 

 

— Les colons se déplacent dans un espace fluide, mais a contrario, les territoires palestiniens sont morcelés, de plus en plus isolés les uns des autres…

 

Stéphanie Latte Abdallah. La disjonction dans les modes de circulation et de perception du territoire est totale. Pour les Israéliens, l’espace est fluide. Un anthropologue a utilisé l’image d’un archipel israélien dont les îles sont parfaitement connectées. Pour les Palestiniens, l’espace est fragmenté. Après la seconde Intifada, les villes et les villages palestiniens étaient vraiment enclos. Les traces de ces clôtures potentiellement réactivables demeurent, avec des barrières prêtes à s’abaisser. La volonté de contrôle est bien là, jusque dans certains quartiers de Jérusalem Est comme Essawiya. Les Palestiniens circulent en Cisjordanie, mais avec difficulté, l’impossibilité de passer par Jérusalem allongeant considérablement les distances.

 

 

— Comment les aspects sacral, historique et politique s’imbriquent-ils dans la confrontation autour du statut de Jérusalem ?

 

Stéphanie Latte Abdallah. Jérusalem n’est pas le seul territoire concerné. Les confrontations sont récurrentes en Cisjordanie, elles ont récemment gagné les villes arabes en Israël. À Jérusalem, une ligne de tension se prolonge en effet depuis le mois de juin 2014, avec des émeutes régulières, qui ont été d’une ampleur nouvelle après le rapt et l’assassinat du jeune Mohamed Abu Khdeir, cet adolescent palestinien du quartier de Shuafat brûlé vif par des extrémistes israéliens, puis au moment de la guerre de Gaza durant l’été 2014. 

 

À ces émeutes se sont ajoutées les violences récurrentes d’extrémistes et de colons israéliens en Cisjordanie et à Jérusalem (celles du groupe « Le prix à payer » notamment) et la série d’attaque à la voiture-bélier (un modus operandi également employé par les colons en Cisjordanie depuis quelque temps déjà) et d’agressions au couteau perpétrées par des Palestiniens. Si l’attention s’est beaucoup portée récemment sur les heurts autour de l’Esplanade des mosquées, dont la portée religieuse et symbolique a un fort écho dans le monde musulman, mais il faut les comprendre dans un continuum de la confrontation plutôt que comme des événements spécifiques qui pousseraient à comprendre la situation à travers un prisme religieux tel qu’on a pu le lire ou l’entendre.

 

Toutefois, Jérusalem-Est présente, à bien des égards, des spécificités par rapport à la Cisjordanie. L’occupation s’y déploie sans le moindre garde fou. Il n’y a pas, ici, d’Autorité palestinienne, toute présence politique palestinienne ayant été définitivement interdite après la fermeture de la Maison de l’Orient en 2001. C’est une zone grise, avec déficit de représentation politique, d’institutions publiques et d’encadrement, un manque cruel de lieux (culturels, de divertissements, d’espaces verts... etc.), d’espaces et de services publics puisque la municipalité ne remplit pas son rôle de la même manière à l’est qu’à l’ouest tout en ne permettant pas aux Palestiniens de le faire un resserrement des possibilités d’expression. De nombreuses associations ont été fermées, petit à petit. Côté Est, la ville est livrée à elle-même, à ses habitants comme seuls résistants potentiels aux phénomènes d’occupation et de colonisation.

 

Certains Palestiniens de Cisjordanie peuvent percevoir les Jérusalémites comme des « privilégiés » disposant d’une marge de mobilité sur tout le territoire, des deux côtés. Pourtant Jérusalem-Est souffre d’un véritable abandon. Les Palestiniens, qui en ont été chassés politiquement, boycottent la participation politique à l’échelle municipale. De nombreux habitants de Jérusalem-Est y conservent leur maison, leurs attaches, mais vont vivre momentanément ailleurs, souvent à Ramallah, où ils ont accès à des services, à une vie sociale et culturelle.

 

C’est une ville de la confrontation perpétuelle, où les uns sont toujours et partout face aux autres. Le chemin qui relie le quartier ultra-orthodoxe de Meha Shéarim à la Porte de Damas dessert l’Esplanade des mosquées et le Mur des Lamentations. C’est une ligne droite, une ligne de confrontation entre des gens qui perçoivent différemment la ville et leur ancrage dans la ville.

 

L’accélération de la colonisation, encouragée par Benyamin Netanyahou, a attisé ces tensions. L’an dernier, la majorité des constructions de logements annoncées dans les colonies concernaient Jérusalem. L’annexion de Jérusalem par Israël depuis 1967, et la politique de colonisation qui enclot la ville en reliant des blocs de colonies entre elles tout en investissant sans cesse l’intérieur même des quartiers palestiniens (à Cheikh Jarrah, à Silwan par exemple) entend acter l’absorption de la ville. Ce qui se heurte frontalement à la revendication, reconnue par la communauté internationale, d’une Jérusalem séparée en deux, et capitale de l’État palestinien dans sa partie Est, sur les lignes de 1967. Cette terrible contradiction et ce déni du droit international se vivent dans les faits et s’expriment en permanence.

 

 

— Les Palestiniens sont-ils aussi poussés hors de la ville par des motifs économiques ? La fracture coloniale est-elle aussi une fracture sociale ?

 

Stéphanie Latte Abdallah. Oui, on pourrait parler de fracture sociale. Les services publics israéliens fonctionnent de façon inégalitaire, avec un abandon de la partie Est, où la moindre activité politique, sociale, culturelle, est jugée suspecte, donc toujours susceptible d’être interrompue. Mais les Jérusalémites ont aussi accès à d’autres formes de ressources, ils ne sont pas forcément les plus mal lotis. La vie est beaucoup plus chère qu’en Cisjordanie, les taxes, notamment d’habitation, sont lourdes. Si maintenir une vie à Jérusalem est très coûteux, c’est aussi la possibilité d’accéder à des revenus, à des études dans les deux systèmes. Polyglottes, détenteurs d’atouts, les Palestiniens de Jérusalem jouent souvent le rôle d’interface. Ceci dit, le coût de la vie devenant prohibitif, beaucoup d’entre eux ne vivent plus vraiment à Jérusalem. Ce qui pose problème, puisque quitter Jérusalem pour une période supérieure à sept ans (ou bien acquérir un statut de résident permanent ailleurs) entraîne la perte du statut de résident « permanent » de Jérusalem (selon la loi sur l’immigration qui le définit). Ce statut est donc révocable les autorités israéliennes conduisant des enquêtes sociales visant à vérifier où se trouve le « centre de vie » des personnes. Les Palestiniens sont poussés en dehors de la ville par leur statut juridique précaire, par l’espace restreint, la cherté de la vie par la colonisation et l’atomisation des lieux et des activités palestiniennes dans la ville.

 

 

— Pourquoi le tramway est-il régulièrement pris pour cible ?

 

Stéphanie Latte. La confrontation se cristallise toujours sur des lignes de tension et sur des symboles des lignes de désaccord majeur. Dès sa construction, dès sa mise en service, le tramway a été perçu, du côté palestinien, comme un moyen de conforter l’annexion totale de la ville. Il lie l’extrême ouest de la ville aux colonies, puisqu’il va jusqu’à Pisgat Ze'ev, une colonie de l’est. Ce tramway marque trois arrêts dans les quartiers palestiniens, avant de bifurquer vers les colonies. Présenté comme un lien entre les deux parties de la ville, il permet surtout des trajets fluides entre espaces israéliens. Dès sa genèse, le projet a suscité des condamnations. Les entreprises françaises (Véolia et Alstom) impliquées n’ont pas été épargnées par les critiques et ont perdu des contrats à la suite de leur investissement dans ce projet. Le tramway reste aujourd’hui un point de crispation. Ce qui n’empêche pas les habitants de Bei Hanina et de Shuafat, de se l’approprier pour se rendre notamment à la porte de Damas, ou à l’ouest, rue de Jaffa, ou sur leurs lieux de travail. La cartographie des services publics et des transports en commun en dit long sur la logique d’occupation. Certains « outpost », ces colonies dites « illégales », sont desservies par des bus rejoignant des colonies qui seraient, elles, « légales ». Mais ils desservent aussi ces outposts, ce qui leur confère, de fait, une légitimité.

 

 

— Le profil sociologique des colons a-t-il évolué ?

 

Stéphanie Latte Abdallah. On a tendance à percevoir les colons comme des « extrémistes » à la marge de l’État. C’est vrai, il y a des extrémistes, on l’a vu au moment du désengagement de Gaza en 2005, qui a donné lieu à la mise en scène d’un État prêt à faire la paix confronté à des colons intransigeants. On distingue ainsi les colonies dites idéologiques de colonies « économiques ». Depuis 1993, la multiplication par trois du nombre de colons présents en Cisjordanie et à Jérusalem, témoigne de la permanence du processus de colonisation, même en plein processus d’Oslo. On dénombre entre 520 et 550 000 colons sur une population d’environ 8 millions d’Israéliens.

 

La plupart des familles israéliennes ont donc le plus probablement au moins un colon parmi leurs membres. Il n’est plus donc plus question de marge, mais plutôt d’un phénomène central. Les colons sont au cœur des choix politiques, des politiques publiques, ils reçoivent des aides, bénéficient des cadeaux fiscaux liés aux zones franches qui leur ont permis de développer des zones industrielles et des exploitations agricoles et, tout récemment, vinicoles, de grande ampleur et fort rentables en Cisjordanie.

 

La colonisation ne se résume pas aux « jeunes des collines » installant leur mobile home dans les postes avancés, dans l’attente que l’État israélien avalise leur présence. Il y a aussi tous ces blocs de colonies qui correspondent en fait, aux yeux de leurs habitants, à des villes nouvelles, parfaitement desservies par les transports, dotées de services publics, habitées par des Israéliens qu’attirent les loyers modérés et les subventions, et qui pour la plupart d’entre eux ne se perçoivent pas comme des colons. Ceux-là, majoritaires, appartiennent à cette classe moyenne fer de lance d’une colonisation de peuplement massive, appuyée par l’Etat, encadrée par des politiques publiques. La colonisation ne se résume pas à une frange extrémiste qui aurait pris en otage un État soucieux de faire la paix. Cette vision est fausse.

 

 

— Vous avez travaillé sur les modalités de répression et d’incarcération des Palestiniens. Quelle population vise cette politique répressive, à Jérusalem ?

 

Stéphanie Latte Abdallah. Entre juin et décembre 2014, Jérusalem a été le théâtre d’environ 1500 arrestations. Depuis 2005 et plus encore tout récemment, les jeunes lanceurs de pierres, souvent des mineurs, sont particulièrement visés, avec des interpellations, mais aussi la volonté d’appliquer des peines de plus en plus lourdes. Depuis l’année dernière, est régulièrement brandie la menace d’appliquer des dispositions juridiques permettant des emprisonnements allant jusqu’à 10 ans de réclusion. À Jérusalem, rien n’est toléré. La répression y est plus sévère, les peines plus lourdes, comme pour les Palestiniens vivant en Israël (Palestiniens dits de 48), considérés comme de potentiels ennemis de l’intérieur.

 

La réinsertion, pour eux, est plus difficile, avec l’inscription sur des formes de listes noires leur interdisant l’accès à de nombreux emplois en Israël.  Si l’incarcération est partout un phénomène massif depuis l’occupation de 1967 quand elle a touché environ 40 % des hommes (en cumulant les différentes générations) les politiques répressives, à Jérusalem, impliquent en plus l’arrestation à domicile, l’éloignement de la ville et l’usage du bracelet électronique.

 

Pour le seul quartier de Silwan  300 à 400 mineurs sont passés par la prison en 2012. Après un premier passage par la prison, la plupart de ces jeunes y retournent. Ces incarcérations à répétition s’inscrivent dans les biographies de ces jeteurs de pierres, de pétards ou de feux d’artifice. À Silwan, parmi ces 400 mineurs, une étude a montré que 40 % ont interrompu leurs études. Les incarcérations massives ont aussi un coût financier très lourd pour les familles et la société palestinienne. Des prévenus sortent sous caution, mais surtout les amendes font maintenant partie intégrante des peines, et leur montant a augmenté. Pour jet de pierres, aux mois de prison s’ajoute le plus souvent une amende de l’ordre de 6000 shekels (environ 1400 euros). Une économie et un marchandage judiciaire et carcéraux se sont mis en place et font pression sur les familles. Si les mineurs en détention ne sont pas proportionnellement plus nombreux que précédemment, ils sont plus souvent arrêtés. Ils ont été les plus visibles et les plus actifs dans les manifestations du printemps, de l’été et de l’automne 2014 que l’on pourrait qualifier d’Intifada qui n’a pas dit son nom. Une intifada silencieuse, mais aussi anarchique, sans réel encadrement ou leaders, une Intifada livrée à elle-même.

 

 

Entretien réalisé par 
Rosa MOUSSAOUI - humanite.fr – le 27 mars 2015

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Espagne - Brisons le silence !

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Photo : des policiers arrêtent des manifestants lors d’un défilé contre la réforme du droit à l’avortement, le 20 décembre 2013 à Madrid (Andres Kudacki/AP/SIPA)

 


Brisons le silence sur ce qui se passe en Espagne

Par Astrid Menasanch Tobieson, dramaturge

 

Sous couvert de l’inattaquable excuse de la sécurité, le gouvernement de Mariano Rajoy considère préventivement le manifestant comme dangereux. Il est ainsi automatiquement regardé comme une menace à la loi grâce au nouveau projet législatif de « Sécurité citoyenne » adopté par le conseil des ministres le 29 novembre dernier.

 

Metteur en scène et dramaturge, Astrid Menasanch Tobieson travaille entre la Suède et l’Espagne. Elle est membre du groupe de théâtre Sta ! Gerillan. La lettre ci-dessous était initialement adressée aux journalistes suédois et a été publiée le 19 décembre. Avec l’autorisation de l’auteure, la traductrice a pu la retranscrire en français. — Mathilde Rambourg

 

 

La lettre d’Astrid Menasanch Tobieson

 

Bouleversée, je vous écris sous le coup de l’indignation. L’Espagne, dans peu de temps, empruntera le chemin qui mène d’une démocratie ouverte à ce qui risque de devenir une démocratie fasciste et autoritaire.


Je vous écris après les événements qui se sont produits dans le quartier de Kärrtorp à Stockholm (où un groupe néonazi ultraviolent a attaqué une manifestation antiraciste il y a quelques jours).

 

Je vous écris à propos de qui se trame en Espagne. Je crois en tout cas que la Suède et l’Espagne se ressemblent en un point : l’avancée du fascisme devant l’indifférence de la société. Le 19 novembre, le gouvernement espagnol a approuvé un projet de loi dont le but est d’en finir avec les manifestations et les contestations au régime actuel. La méthode est classique : instaurer le silence grâce à la répression.

 

Avortement non, sécurité citoyenne oui ?

 

Le 29 novembre dernier, le Conseil des ministres du gouvernement conservateur espagnol a approuvé le projet de loi « Sécurité citoyenne » qui réforme le Code pénal. Le texte, qui réduit les droits et libertés civils (mais pas celle de faire l’apologie du franquisme) est unanimement rejeté par les mouvements sociaux, les syndicats, l’opposition, les organisations professionnelles comme celles des juges pour la démocratie, l’association unifiée des gardes civils ou la fédération des journalistes d’Espagne.

 

Alors que le Parti socialiste espagnol a demandé à ses alliés européens de se mobiliser contre le projet de loi réduisant les droits d’accès des femmes à l’avortement, certains se demandent pourquoi il n’a pas entrepris la même démarche sur la loi « Sécurité citoyenne ». 

 

Je vous demande maintenant de l’aide, je vous demande d’informer. Le dimanche 14 décembre à Madrid s’est déroulée une des 6.000 manifestations qui se sont organisées cette année en Espagne. Je le répète : une des 6.000.

 

Ces dernières années, le réseau de protection sociale a été ébranlé : privatisation des théâtres, tentatives de privatiser les hôpitaux, droit du travail ébranlé et transformé depuis sa base, licenciements innombrables, familles chassées de leur domicile, éducation civique suspendue dans les écoles, etc. Et afin de clore une longue liste, le samedi 20 décembre, le gouvernement a approuvé la réforme du droit à l’avortement.

 

Ce que l’on a désigné comme une crise économique est, depuis le début, avant tout une crise démocratique. La couverture médiatique en Suède et en France sur la situation en Espagne a été très faible, et son analyse d’un point de vue social, inexistante.

 

La manifestation qui s’est tenue au pied du Congrès de Madrid le dimanche 14 décembre, avait pour but de protester contre une nouvelle proposition de loi : la « ley de Seguridad Ciudadana », loi de Sécurité citoyenne.

 

 

Un groupe Facebook : 30 000 euros

 

Cette loi, qui contient 55 articles et punit autant d’actes différents, prévoit des amendes pour le manifestant, allant de 100 à 600.000 euros.


Les infractions ?

 

Pour commencer, toutes les manifestations non déclarées et prenant place devant le Congrès ou autre édifice appartenant à l’État – comme celle qui s’est déroulée samedi 14 à Madrid – seront interdites et la sanction ira jusqu’à 30.000 euros par participant. Cela sera le cas lorsque plusieurs personnes seront considérées comme un groupe.

 

L’interdiction des manifestations non déclarées s’appliquera également aux réseaux sociaux. Se rassembler en tant que groupe sur Internet, autour d’une opinion, sera sanctionné de 30.000 euros. Créer un groupe, sur les réseaux sociaux ou dans un lieu public, autour de symboles ou de drapeaux sera interdit : 30.000 euros d’amende.

 

Si dans une manifestation, un citoyen manifeste avec une capuche ou avec le visage couvert : 30.000 euros d’amende.

 

 

 

Par histoireetsociete.wordpress.com – le 21 janvier 2015

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