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BELGIQUE - ALLOCATIONS D’INSERTION : SANCTIONS EN RAFALES

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BELGIQUE - ALLOCATIONS D’INSERTION :

SANCTIONS EN RAFALES

Par Yves Martens (CSCE)


Sous la précédente législature, le gouvernement Di Rupo a détricoté le système des allocations de chômage sur la base des études. Entre 2010 et 2014, le nombre de personnes indemnisées a baissé de 19.000 unités. En janvier 2015, presque autant ont été exclues...


La limitation dans le temps des allocations d’insertion (chômage sur la base des études) est la mesure qui a fait le plus de bruit. Elle a tenu en haleine les médias, les syndicats et associations et, plus tardivement, les politiques. Ce régime, aujourd’hui pratiquement démantelé, existe depuis le début de l’assurance chômage. Il a été élargi au fur et à mesure que l’accès au chômage sur la base du travail a été rendu plus difficile (1).


A contrario, les restrictions apportées depuis 2012 n’ont guère été compensées par un assouplissement de l’octroi sur la base du travail. Pour seule modification, on a allongé de trois mois la période de référence au cours de laquelle le travailleur doit accumuler le nombre de jours de travail requis – qui reste, lui, toujours aussi élevé.


Le gouvernement Di Rupo s’en est pris à la fois aux conditions d’admissibilité au chômage, aux conditions de conservation de l’allocation acquise, et à la durée d’indemnisation. Le rapport annuel 2014 de l’Onem permet un premier bilan chiffré des deux premières mesures. Un rapport de l’Onem au ministre de l’Emploi, datant de début mars 2015, donne, lui, des indications partielles sur la dernière mesure.



 

On accède plus difficilement aux allocations...


La première façon de diminuer artificiellement les chiffres du chômage, c’est d’en retarder l’accès. Deux dispositions adoptées par le gouvernement Di Rupo vont dans ce sens. D’abord, le stage d’insertion (anciennement stage d’attente) a été rallongé de neuf à douze mois en 2012.


Résultat ? Une forte augmentation du nombre de jeunes en stage : 21 % de plus en 2014 par rapport à 2011 ! Pour rappel, le stage est la période durant laquelle le jeune ayant terminé ses études et qui est sans emploi ne bénéficie encore d’aucune allocation. Mais c’est surtout le contrôle des efforts de recherche d’emploi durant le stage, instauré au 1er août 2013, qui complique l’accès au droit et maintien des jeunes en stage, parfois indéfiniment. Avant même d’avoir droit aux allocations, le jeune doit donc désormais subir l’activation du comportement de recherche d’emploi, appliquée depuis 2004 aux chômeurs indemnisés. Le tout assorti de conditions supplémentaires. Pour que le stage d’insertion soit considéré comme concluant, le jeune doit obtenir deux évaluations positives. Chaque évaluation négative prolonge de six mois le stage. En outre, en cas d’évaluation négative, le jeune doit demander lui-même la nouvelle évaluation, six mois plus tard, sans quoi la prolongation se poursuit automatiquement !


La première évaluation est prévue au septième mois du stage, la seconde au onzième mois. Ces entretiens d’évaluation ont débuté en février 2014. Lors de l’évaluation du septième mois, 13.148 jeunes ont vu leur stage prolongé de six mois : 6.507 pour évaluation négative, 6.641 pour absence à l’entretien. Lors de celle du onzième mois, 8.951 jeunes ont vu leur stage prolongé de six mois : 3.998 pour évaluation négative, 4.953 pour absence à l’entretien. Parmi ceux qui, après avoir reçu une première évaluation négative, ont pu passer la nouvelle évaluation six mois plus tard, on compte 388 évaluations négatives. Des jeunes voient ainsi leur droit aux allocations repoussé de semestre en semestre : la spirale de l’échec.


C’est « efficace » pour faire « diminuer le chômage », si l’on entend par là le nombre de chômeurs indemnisés. En 2014, le nombre de premières admissions au bénéfice des allocations d’insertion a ainsi diminué de 3.191 unités en 2014 par rapport à la moyenne des années 2012 et 2013 (2). On peut déjà affirmer que ce chiffre explosera en 2015.


Le gouvernement Michel a en effet décidé que la première demande d’allocations d’insertion après le stage d’insertion devra dorénavant être introduite avant le vingtcinquième anniversaire (auparavant avant le trentième anniversaire) du demandeur.


 

... et on les conserve plus difficilement

 

Depuis 2004, pour conserver son allocation, il faut sans cesse prouver à l’Onem ses efforts de recherche d’emploi. Les sanctions pour évaluation négative sont, depuis le début, plus fortes pour les bénéficiaires d’allocations d’insertion. Le gouvernement Di Rupo leur a de surcroît appliqué une nouvelle procédure « d’activation du comportement de recherche d’emploi plus intensive (contrôles plus fréquents et sanctions encore plus lourdes). Elle est entrée en vigueur le 9 août 2012.


La procédure se caractérise par le choix que doit faire le chômeur entre une réponse écrite et un entretien avec un « facilitateur ». Ceux qui ont déjà vécu une mauvaise expérience avec l’Onem peuvent être tentés d’opter pour la procédure écrite. Mais attention au piège ! Une chose est de répondre en direct aux questions d’un contrôleur ; une autre, de compléter de manière exhaustive un document écrit. La différence est frappante : sur les 17.705 informations écrites reçues et traitées, 32,3 % seulement ont donné lieu à une évaluation positive, pour 54,2 % des 24.617 entretiens menés.


En cas d’évaluation non concluante, le chômeur est convoqué, en principe dans le mois, pour une évaluation définitive. Sur 15.903 entretiens d’évaluation définitive, 73,7 % ont donné lieu à une évaluation négative, soit 9.586 personnes subissant une suspension des allocations de six mois (au lieu de quatre mois précédemment). La grande majorité n’arrive donc pas à renverser l’évaluation négative initiale. 2.968 personnes ont demandé la réouverture de leur droit après les six mois de suspension. 92,4 % ont opté pour l’entretien d’évaluation, ce qui montre sans doute qu’elles ont compris le danger de la procédure écrite. Parmi l’ensemble des demandes déjà traitées, 39 % ont subi une nouvelle évaluation négative et ont vu leurs droits suspendus pour une nouvelle période de six mois minimum. Les suspensions des allocations arrivent donc plus tôt et sont plus longues dans cette nouvelle procédure (3).


 

La fin de droit


Le gouvernement Di Rupo a limité à trente-six mois, à partir du 1er janvier 2012, les allocations d’insertion. La FGTB wallonne a régulièrement dénoncé cette mesure et ses impacts, en faisant des estimations périodiques du nombre de personnes concernées. Suite aux différentes mobilisations, des dispositions ont été prises dans les semaines précédant les élections de mai 2014 pour adoucir partiellement la mesure et prendre (mieux) en compte la situation des travailleurs à temps partiel (prise en compte de périodes de travail prolongeant le droit), ainsi que celle des personnes présentant des difficultés d’ordre médical ou psychologique (le statut MMPP prolonge le droit de la personne de deux ans si elle bénéficie d’un accompagnement spécifique de la part de l’organisme régional de l’emploi).


Les Régions avaient obtenu jusqu’à la fin du mois de février 2015 pour dé- terminer les personnes pouvant bénéficier de la prolongation de deux ans pour raisons d’ordre médical ou psychologique. Les résultats de ce processus n’ont pas été clairement communiqués : les organismes régionaux argumentent qu’il est trop tôt pour en tirer toutes les conclusions (lire l’article en p. 10). Pour la prise en compte des périodes de travail, la situation est, s’il est possible, plus confuse encore. Des prolongations de droit qui auraient dû être automatiques n’ont pas du tout été appliquées, ou alors seulement à la demande expresse du bénéficiaire. Dans ce contexte, beaucoup de personnes n’ont pas eu accès à leurs droits. Les acteurs (Onem, Forem/Actiris, organismes de paiement) ont joué au ping-pong, souvent de bonne foi, l’application concrète des décisions politiques ayant manifestement été insuffisamment préparée et coordonnée.


Du coup, le bilan chiffré n’est pas clair non plus. L’Onem a établi, début mars, à 18.432 le nombre de personnes en fin de droit au 30 janvier 2015. Il s’agit donc de celles qui étaient arrivées au bout de leur crédit de trente-six mois au 31 décembre 2014, auxquelles s’ajoutent celles qui avaient eu quelques jours de prolongation se terminant avant la fin janvier. Le nombre de 18.432 est supérieur aux estimations de l’Onem, et inférieur à celles de la FGTB wallonne. La différence vient certainement, d’une part, des exclusions intervenues avant la date fatidique du 31 décembre 2014 et de l’autre, des prolongations de droit. Mais, tant que l’on ne connaîtra pas le nombre exact de MMPP et de prolongations pour périodes de travail ou pour formation, le brouillard restera épais. Il faudra sans doute attendre le printemps 2016 et la parution du rapport annuel 2015 de l’Onem pour y voir enfin totalement clair.


On peut néanmoins mettre en évidence quelques tendances qui ne seront vraisemblablement pas remises en cause par ces corrections. 63 % des exclus sont des femmes. 29 % sont des chefs de ménage, et, parmi ceux-ci, 75 % de femmes. Donc, dans beaucoup de cas, des familles monoparentales. En théorie, il s’agit de la catégorie pour laquelle le CPAS devrait d’office prendre le relais. En pratique, c’est loin d’être le cas (lire les articles des pp. 20 à 27).


Les quinze communes les plus touchées (en nombre absolu) se répartissent comme suit : dix en Wallonie (Charleroi, Liège, La Louvière et Mons en tête), quatre à Bruxelles (dans l’ordre Bruxelles Ville, Schaerbeek, Molenbeek et Anderlecht) et une en Flandre (Anvers). Il s’agit des communes déjà les plus frappées par la pauvreté, et dont les CPAS sont dès lors souvent déjà à la limite de leur capacité d’accueil.


 

Des exclusions, mais pas d’emploi


Les nouvelles procédures (pendant le stage d’insertion et pour les bénéficiaires d’allocations d’insertion) ont abouti à un total de 33.002 suspensions de six mois. Sur une année complète, cela représente, dans les statistiques, une « diminution » du nombre de chômeurs de 16.501 unités (33.002 divisés par 2), sans que cela corresponde à un seul emploi gagné ! Il faut y ajouter 6.326 allocataires d’insertion suspendus à durée indéterminée pour absence à un entretien. Notons que toutes ces périodes de suspension, pendant lesquelles le chômeur ne perçoit aucune indemnité, sont comptées dans le calcul du crédit de trente-six mois de droit aux allocations d’insertion. Des personnes peuvent donc se retrouver en fin de droit tout en n’étant déjà plus indemnisées depuis une ou plusieurs périodes de six mois.

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Les chiffres clés de 2014


— Stage prolongé de six mois : 22.487


— Nouveaux bénéficiaires : 3.191 en moins (par rapport à la moyenne 2012-2013)


— Suspension de six mois des allocations : 10.515


— Bénéficiaires : 19.071 en moins (par rapport à 2010)


— Fin de droit aux allocations : 18.432 (en janvier 2015), dont 63 % de femmes

 

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Ces différentes mesures combinées permettent de présenter des chiffres du chômage indemnisé en baisse, mais sans pour autant que la situation sociale des personnes se soit améliorée, bien au contraire.


Ces sanctions ont entraîné en 2014 une diminution de 9,4 % du nombre de bénéficiaires d’allocations sur la base des études par rapport à 2013 (4). La baisse est encore plus forte par rapport à la période précédant toutes ces mesures : près de 20.000 bénéficiaires en moins. Cela sans tenir compte donc des milliers de personnes arrivées en fin de leur droit aux trente-six mois d’allocations. Celles-là n’apparaîtront pleinement que dans le rapport annuel 2015 de l’Onem qui sera publié au printemps 2016.


Le droit aux allocations sur la base du travail n’a, lui, guère été assoupli, et laisse de nombreux travailleurs à temps partiel, en majorité des femmes, dans une situation de stress permanent : il faut jongler entre la charge de travail, le respect des obligations imposées aux chômeurs et le calcul de leur crédit de trente-six mois qui, malgré les périodes de travail, s’épuise, petit à petit, inexorablement…

 

 

Par Yves Martens (CSCE) - article extrait du numéro 87 de la revue Ensemble ! – juin 2015.

 

Notes :

(1) Pour plus de détails sur l’histoire et l’évolution des allocations de chômage sur la base des études, lire notre étude sur le site www.ensemble.be

(2) Onem, Rapport annuel 2014, Vol. II, pp. 129 à 134 et p. 207

(3) Onem, Rapport annuel 2014, Vol. II, pp. 118 à 128

(4) Onem, Rapport annuel 2014, Vol. II, pp. 4 et 52-53

 

 

 

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Les réformes du chômage en Belgique. La mise en cause d’une indemnisation à durée illimitée

Les réformes du chômage en Belgique. La mise en cause d’une indemnisation à durée illimitée | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Dessin : ysope.over-blog.net

 

 

Les réformes du chômage en Belgique. 

La mise en cause d’une indemnisation

à durée illimitée

 

À ne pas lire la richesse de l’histoire des formes de l’indemnisation du chômage en Belgique et notamment les expériences de déconnexion du salaire et de l’emploi dont elle est porteuse, les organisations syndicales, en s’arcboutant au contraire sur un modèle assurantiel, sont réduites à l’impuissance face aux attaques faites aux droits des chômeurs.

 

En Belgique, l’institution d’une « assurance-chômage » générale et obligatoire date de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Jusque-là, les travailleurs pouvaient s’affilier sur une base volontaire à des caisses syndicales éventuellement subsidiées par les pouvoirs publics. À partir de 1945, ce sont désormais des cotisations sociales obligatoires qui financent majoritairement l’ensemble de la sécurité sociale (complétées, en cas de besoin, par des recettes fiscales). Elles sont versées à l’Office national de la sécurité sociale (ONSS) qui les redistribue ensuite entre les différentes branches de la sécurité sociale.

 

 

1945 : un forfait salarial illimité

sans condition de durée de cotisation

 

En matière de chômage, un organisme public est créé en 1945 pour assurer la gestion paritaire du système (allocations des fonds, aide au placement, contrôles, etc.). Rebaptisé l’Office national de l’emploi (ONEm) en 1961, ce dernier a depuis vu ses missions de contrôles et de placement progressivement scindées selon une distinction linguistique (néerlandophone, francophone) à partir de 1978, puis régionalisées à partir des années 1980.

 

Dans ce dispositif, les syndicats ont réussi à garder leur rôle historique d’intermédiaire dans le paiement des allocations de chômage, ce qui explique en partie le taux de syndicalisation particulièrement élevé du pays (plus de 50 %). En effet, bien qu’il soit également possible de percevoir ses allocations de chômage par le biais d’une caisse « neutre » – la CAPAC (« Caisse auxiliaire de paiement des allocations de chômage ») –, le fait de s’affilier à un syndicat s’accompagne d’une série d’avantages appréciés des chômeurs (versement anticipé des allocations, assistance juridique, etc.). Côté syndical, cela a toutefois eu des conséquences ambiguës, Faniel y voyant par exemple une des principales causes du « processus de modération et de bureaucratisation des appareils syndicaux belges » tout en reconnaissant que « ce système a également contribué à consolider les organisations syndicales et leur a permis d’accéder à des leviers d’intervention dans la vie socio-économique, y compris pour assurer une défense réelle de leurs affiliés sans emploi (et plus largement des chômeurs) » [1]

 

En matière d’indemnisation, la législation de 1 945 traduisait à la fois l’objectif prioritaire du plein-emploi et une logique de solidarité entre travailleurs salariés censée venir pallier les cas de chômage temporaire (et involontaire). En effet, si c’est bien le versement d’une cotisation préalable qui ouvre en priorité le droit à l’indemnisation, aucune durée minimale de cotisation n’était prévue pour en bénéficier (certains jeunes y ayant même droit sur la seule base de leurs études, dans la mesure où celles-ci les préparaient à l’exercice d’un travail salarié). En outre, une fois acquise, l’indemnisation ne souffrait (en principe) d’aucune limitation dans le temps. Enfin, son montant était fixé forfaitairement à 50 % « du salaire minimum d’un manœuvre adulte » pour les hommes, et 50 % « du salaire minimum d’une femme adulte » pour les femmes, éventuellement majoré ou minoré de 10 % en fonction de la commune de résidence.

 

On est donc loin d’une prestation contributive dont le montant et la durée dépendraient des contributions passées, puisque deux jours ou vingt ans de cotisations donnent droit à une même indemnisation forfaitaire et illimitée dans le temps. Mais il ne s’agit pas non plus d’assistance. D’abord, parce que l’allocation repose sur une exigence (même purement formelle) de réciprocité : il faut avoir au moins vocation à contribuer un jour au système pour en bénéficier. Ensuite, parce qu’elle couvre un risque, le chômage, dont la simple réalisation suffit à la fonder, indépendamment de l’éventuel état de besoin de son bénéficiaire. Logiquement, les corollaires de ce système sont, d’une part, l’exclusion des travailleurs indépendants et des femmes au foyer, ou encore des vagabonds qui relèvent quant à eux de l’assistance publique, et d’autre part, la possible exclusion temporaire des personnes en « chômage volontaire » après refus ou démission d’un « emploi convenable » ou licenciement pour faute.

 

 

La construction d’un modèle assurantiel-solidaire

 

Dans les trois décennies qui suivent 1945, on assiste à une consolidation du système sur une base assurantielle-solidaire selon une double dynamique. D’une part, soucieux de limiter les « abus » potentiels, le gouvernement met en place des dispositifs destinés à les encadrer. En 1951, il introduit une durée minimale de cotisation pour lutter contre les « affiliations abusives » (dix mois, réduits à trois mois pour les moins de dix-huit ans). Cette condition sera renforcée en fonction de l’ancienneté à partir de 1961, toujours pour éviter des affiliations de dernières minutes de la part de travailleurs n’ayant jamais cotisé (par exemple les travailleurs indépendants).

 

Parallèlement, en 1948, les sanctions pour « chômage volontaire » sont renforcées, tandis qu’apparaît en 1951, un mécanisme de contrôle du « chômage anormalement long » qui vise surtout les catégories de chômeurs (des femmes en particulier) réputées ne pas avoir besoin d’un emploi ou peu motivées à en (re) trouver un. Les sanctions sont toutefois rarement appliquées et elles dépendent de l’avis d’une commission consultative régionale paritaire, ce qui en diminue encore la systématicité.

 

D’autre part, cette fois sous la pression des revendications syndicales, le régime d’indemnisation du chômage est étendu à de nouvelles catégories de bénéficiaires, comme d’autres jeunes ou certains travailleurs à temps partiel. Mais surtout, les montants sont régulièrement revalorisés, soit par la suppression progressive des discriminations entre chômeurs (entre hommes et femmes, entre différentes catégories de commune, etc.), soit par des réévaluations ponctuelles. Plus encore, la logique salariale de l’indemnité s’affirme contre la logique du forfait, d’abord avec le passage de 50 % à 60 % du salaire minimum de référence en 1962, et surtout avec l’introduction en 1971, du mode de calcul fondé sur un pourcentage du dernier salaire (60 % la première année puis 40 % à partir de la seconde année, sauf pour les « chefs de ménage »), tandis qu’est posée, en 1974, la liaison des montants à l’évolution générale des salaires, hors index.

 

Ces avancées participent de la socialisation croissante du salaire qui s’observe alors en Belgique comme ailleurs et qui passe non seulement par une hausse de la part du salaire indirect dans la masse salariale, mais également par le développement d’institutions politiques de négociation des montants, évolutions et autres conditions de l’ensemble des salaires : les « Accords interprofessionnels » (AIP) négociés tous les deux ans entre patronat et syndicats à partir des années 1960 en sont probablement l’expression la plus aboutie. En matière de chômage, les syndicats y défendent avant tout le renforcement du caractère solidaire du régime d’indemnisation, de même qu’une augmentation des montants alloués de manière à assurer des conditions de vie décentes aux chômeurs. Cette dernière position les avait d’ailleurs poussés à se montrer réticents au calcul de l’allocation sur la base du dernier salaire, dans la mesure où ils craignaient ses effets sur les inégalités de revenus entre chômeurs (dans les faits, celles-ci seront limitées par des montants plafonds relativement bas et des montants planchers supérieurs au salaire minimum) [2].

 

Cette dynamique va être interrompue avec le chômage de masse et le ralentissement économique qui s’installent à partir du milieu des années 1970. Entre 1973 et 1983, le nombre de chômeurs passe de 125 000 à 700 000. Malgré des variations conjoncturelles mineures, ce niveau se maintiendra par la suite, mettant à mal le consensus sur un régime assurantiel-solidaire censé couvrir un chômage limité et temporaire. Au contraire, alors que celui-ci apparaît de plus en plus massif et de longue durée, les réformes vont se succéder. Malgré des trajectoires parfois ambiguës en raison du contexte institutionnel propre à la Belgique, celles-ci iront toujours dans le sens d’un recul général du droit des chômeurs.

 

 

Entre « allocation tutélaire » et « salaire différé »

 

Schématiquement, on peut distinguer deux grandes vagues de réformes. La première s’étend de 1 980 à 2 004 et elle a principalement pour effet de rapprocher l’allocation de chômage d’une logique d’« allocation tutélaire » propre aux régimes assistantiels [3]. Cela passe d’abord par la réintroduction d’une forte sélectivité en fonction des besoins, en particulier dans la lignée de la création en 1980 du statut de « chômeur cohabitant ». Celui-ci introduit en effet une distinction entre les chômeurs (surtout des chômeuses en réalité) n’ayant pas d’enfant à charge et qui sont domiciliés avec au moins une autre personne disposant d’un revenu, et les autres, qu’ils soient « chefs de ménage » ou « isolés ». À ce titre, ils ou elles voient leurs conditions d’indemnisation régulièrement dégradées, que ce soit au niveau des montants, des contrôles, ou encore de la durée avec par exemple l’introduction en 1986 de l’exclusion automatique des cohabitants dont la durée de chômage excède une moyenne calculée en fonction de leur lieu de résidence. Et cela alors qu’elles/ils ont payé des montants de cotisations identiques à ceux des « chefs de ménage » ou des « isolés ».

 

Dans un second temps, la dérive de l’allocation de chômage va porter sur le comportement attendu de ses bénéficiaires. En effet, si les chômeurs ont toujours été considérés comme devant rechercher un emploi, jusque-là cette obligation était restée largement « passive ». Elle concernait le seul chômage « volontaire » et/ou « anormalement long ». Plus encore, alors que les changements de politique économique favorisaient l’installation d’un chômage de masse structurel dans le courant des années 1980, des évolutions réglementaires étaient venues conforter l’idée qu’un nombre élevé de chômeurs étaient tout simplement perdus pour le marché de l’emploi et qu’il fallait tenir compte de cette nouvelle réalité : facilitation des conditions d’indemnisation pour les travailleurs à temps partiel involontaires, possibilité de cumuler des heures de travail rémunérées dans les secteurs public ou associatif avec ses indemnités de chômage, multiplication des dispenses pour les « chômeurs âgés », etc.

 

Or, la situation change à partir des années 1990, notamment avec l’émergence des réflexions sur « l’État social actif ». Il s’agit désormais d’« activer » les prestations sociales pour éviter qu’elles n’entretiennent une forme d’« assistanat » chez leurs bénéficiaires, par exemple en les liant à l’obligation faite aux chômeurs de prouver qu’ils recherchent activement un emploi. En Belgique, ce principe est introduit en 2004. Il est alors défendu au nom du tri qu’il permettrait d’effectuer entre « bons » et « mauvais » chômeurs, une condition « indispensable », selon ses promoteurs, pour pérenniser certains des fondements mêmes du système, à commencer par son caractère illimité dans le temps ou encore l’existence d’un régime spécifique d’allocations perçues sur la seule base des études, les allocations d’attente (rebaptisées « allocations d’insertion » en 2012). Prévues à l’origine pour les « jeunes », celles-ci permettent en réalité à de nombreux travailleurs précaires de bénéficier d’allocations de chômage dans la mesure où les conditions d’accès aux allocations sur base d’un travail en Belgique sont parmi les plus restrictives des pays de l’OCDE.

 

Cela n’empêche pas ces deux « particularismes » d’être à leur tour attaqués, à partir de 2012, par une nouvelle vague de réformes dont la logique sous-jacente s’inspire cette fois du « j’ai cotisé, j’ai droit » propre au modèle du « salaire différé ». Cela passe d’abord par l’introduction de la dégressivité accrue et généralisée des allocations de chômage, une manière détournée de saper la portée du principe d’illimitation dans le temps du versement de ces allocations. Jusque-là, seuls les chômeurs « isolés » et « cohabitants » voyaient leurs allocations diminuer après un an de chômage (respectivement à 50 % et 40 % du dernier salaire). Désormais, toutes les catégories de chômeurs sont visées, selon un rythme qui tient compte de leur passé professionnel.

 

Après un maximum de quarante-huit mois de chômage, les montants cessent de tenir compte du dernier salaire pour atteindre des sommes forfaitaires de 1 090,70 € pour les chefs de ménage, 916,24 € pour les isolés et 483,86 € pour les cohabitants. En « contrepartie », le gouvernement a assoupli les conditions d’accès à ces allocations et il en a également augmenté les montants en début de période (65 % durant les trois premiers mois, au lieu de 60 % auparavant), autant de signes supplémentaires de sa volonté de renforcer le lien entre contribution et prestation.

 

Parallèlement, il s’est également attaqué, cette fois plus directement, au régime spécifique des allocations sur la base des études, qui n’ont pas de fondement contributif. Le bénéfice de ces allocations a été limité à un maximum de trente-six mois à compter du trentième anniversaire, une mesure qui a entraîné 18 432 exclusions pour le seul mois de janvier 2015. En outre, alors qu’il fallait jusque-là avoir été inscrit comme demandeur d’emploi durant neuf mois pour en bénéficier (à condition d’en faire la demande avant trente ans et d’avoir terminé un cycle complet d’études), ce délai a été porté à douze mois et il est désormais ponctué de deux contrôles de recherche d’emploi, dont l’échec peut à chaque fois reporter l’échéance de six mois.

 

Sur ce point, de nouvelles modifications introduites en 2014 vont encore plus loin, d’une part en abaissant à vingt-cinq ans (contre trente ans auparavant) l’âge maximal pour demander à bénéficier de ces allocations, et d’autre part en exigeant que les personnes qui en font la demande avant vingt et un ans puissent témoigner de la réussite d’un cycle d’études complet...

 

L’objectif est clair – et assumé comme tel – seuls quelques étudiants auront encore le droit de bénéficier de cette exception au principe assurantiel, les autres étant plutôt invités à se tourner vers les Centres publics d’action sociale (CPAS) pour (éventuellement) toucher le Revenu d’intégration sociale (RIS), l’équivalent belge du RSA français.

 

 

Comment sortir d’une position syndicale défensive ?


Les principaux syndicats belges peinent à dépasser des positions strictement défensives qui ne leur permettent, dans le meilleur des cas, que de limiter la casse. Cette situation tient en partie à la matrice « assurantielle-solidaire » dans laquelle ils continuent d’inscrire leurs revendications en matière de chômage. En effet, celle-ci repose sur l’idée d’un financement des « inactifs » par les « actifs ». Dans un contexte de chômage de masse, elle prête donc naturellement le flanc aux discours alarmistes sur l’insoutenabilité du déséquilibre qui en résulte, justifiant à la fois la lutte contre les « profiteurs » et la baisse généralisée des conditions d’indemnisation. Ne reste alors aux syndicats que le recours à un registre moral qui ne pèse pas lourd face à l’évocation des « contraintes économiques » et une défense de l’emploi dont on sait tout ce qu’elle a pu signifier de reculs sociaux ces dernières décennies.

 

Pourtant, une autre solution existe. Elle consiste à défendre le droit au chômage comme expression d’un droit politique au salaire, déconnecté de toute référence à l’emploi. Un tel droit s’appuie évidemment sur la revendication connexe d’une maîtrise collective (et politique !) des conditions de production et de reconnaissance de la valeur économique, dont la socialisation du salaire initiée à partir de 1945 a justement offert un vecteur privilégié avec lequel il serait dès lors urgent de renouer.

 

Ni suspect, ni victime, le chômeur devient ainsi un producteur à part entière, dont la rémunération préfigure une pratique salariale débarrassée des institutions capitalistes du marché du travail, de la propriété lucrative et de la mesure de la valeur par le temps [4]. Outre son intérêt politique, cette position a l’avantage de rejoindre les préoccupations d’un nombre croissant d’actifs pour qui le problème n’est pas tant de « trouver du travail » que de faire reconnaître, notamment par le biais d’un salaire, le travail qu’ils réalisent déjà, mais en dehors de la sphère de l’emploi. En effet, pour ces militants, bénévoles, artistes et autres « producteurs hybrides », l’allocation de chômage est moins vécue comme une « aide » temporaire que comme la condition de possibilité de leur propre production alternative. Or, face à cette réalité, le discours syndical du retour à l’emploi ignore tout ce qui s’est développé, précisément sans subordination à un employeur, durant ces trente dernières années, en Belgique comme ailleurs, mais particulièrement en Belgique du fait du caractère illimité dans le temps de l’allocation de chômage [5].


En le reconnaissant et en passant de la revendication du plein emploi à celle du salaire à vie et de maîtrise par les salariés de l’outil de travail, les syndicats ne sortiraient-ils pas d’une double impuissance ? Vis-à-vis du gouvernement et des employeurs tout d’abord, qui se heurteraient alors à des mots d’ordre qu’ils récusent radicalement alors qu’ils ont beau jeu aujourd’hui de prétendre qu’ils partagent les mêmes préoccupations fondamentales que les syndicats en matière de création d’emplois. Vis-à-vis, ensuite, de nombre de jeunes qui refusent le marché du travail et de chômeurs qui, en n’étant plus vus par les syndicats comme des « travailleurs sans-emploi », viendraient enrichir l’action collective de leur militantisme.

 

 

 

Par Cédric Leterme econospheres.be – le 3 juin 2015

 

Références :

Faniel J., « Belgique — Le système d’assurance-chômage : un particularisme en sursis ? », Chronique internationale de l’IRES, n° 108, 2 007.

Friot B., L’enjeu du salaire, La Dispute, Paris, 2 012.

Higelé J.-P., « Quel salaire pour les chômeurs ? », Les notes de l’IES, n° 4, 2 009.

Monaco M., Müller T. et Pascon G., Choming Out, D’Une Certaine Gaieté, Liège, 2 012.

Palsterman, P., « La notion de chômage involontaire (1945-2003) », Courrier hebdomadaire du CRISP, vol. 21, n° 1806, 2 003, p. 5-48.

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