BELGIQUE - ALLOCATIONS D’INSERTION :
SANCTIONS EN RAFALES
Par Yves Martens (CSCE)
Sous la précédente législature, le gouvernement Di Rupo a détricoté le système des allocations de chômage sur la base des études. Entre 2010 et 2014, le nombre de personnes indemnisées a baissé de 19.000 unités. En janvier 2015, presque autant ont été exclues...
La limitation dans le temps des allocations d’insertion (chômage sur la base des études) est la mesure qui a fait le plus de bruit. Elle a tenu en haleine les médias, les syndicats et associations et, plus tardivement, les politiques. Ce régime, aujourd’hui pratiquement démantelé, existe depuis le début de l’assurance chômage. Il a été élargi au fur et à mesure que l’accès au chômage sur la base du travail a été rendu plus difficile (1).
A contrario, les restrictions apportées depuis 2012 n’ont guère été compensées par un assouplissement de l’octroi sur la base du travail. Pour seule modification, on a allongé de trois mois la période de référence au cours de laquelle le travailleur doit accumuler le nombre de jours de travail requis – qui reste, lui, toujours aussi élevé.
Le gouvernement Di Rupo s’en est pris à la fois aux conditions d’admissibilité au chômage, aux conditions de conservation de l’allocation acquise, et à la durée d’indemnisation. Le rapport annuel 2014 de l’Onem permet un premier bilan chiffré des deux premières mesures. Un rapport de l’Onem au ministre de l’Emploi, datant de début mars 2015, donne, lui, des indications partielles sur la dernière mesure.
On accède plus difficilement aux allocations...
La première façon de diminuer artificiellement les chiffres du chômage, c’est d’en retarder l’accès. Deux dispositions adoptées par le gouvernement Di Rupo vont dans ce sens. D’abord, le stage d’insertion (anciennement stage d’attente) a été rallongé de neuf à douze mois en 2012.
Résultat ? Une forte augmentation du nombre de jeunes en stage : 21 % de plus en 2014 par rapport à 2011 ! Pour rappel, le stage est la période durant laquelle le jeune ayant terminé ses études et qui est sans emploi ne bénéficie encore d’aucune allocation. Mais c’est surtout le contrôle des efforts de recherche d’emploi durant le stage, instauré au 1er août 2013, qui complique l’accès au droit et maintien des jeunes en stage, parfois indéfiniment. Avant même d’avoir droit aux allocations, le jeune doit donc désormais subir l’activation du comportement de recherche d’emploi, appliquée depuis 2004 aux chômeurs indemnisés. Le tout assorti de conditions supplémentaires. Pour que le stage d’insertion soit considéré comme concluant, le jeune doit obtenir deux évaluations positives. Chaque évaluation négative prolonge de six mois le stage. En outre, en cas d’évaluation négative, le jeune doit demander lui-même la nouvelle évaluation, six mois plus tard, sans quoi la prolongation se poursuit automatiquement !
La première évaluation est prévue au septième mois du stage, la seconde au onzième mois. Ces entretiens d’évaluation ont débuté en février 2014. Lors de l’évaluation du septième mois, 13.148 jeunes ont vu leur stage prolongé de six mois : 6.507 pour évaluation négative, 6.641 pour absence à l’entretien. Lors de celle du onzième mois, 8.951 jeunes ont vu leur stage prolongé de six mois : 3.998 pour évaluation négative, 4.953 pour absence à l’entretien. Parmi ceux qui, après avoir reçu une première évaluation négative, ont pu passer la nouvelle évaluation six mois plus tard, on compte 388 évaluations négatives. Des jeunes voient ainsi leur droit aux allocations repoussé de semestre en semestre : la spirale de l’échec.
C’est « efficace » pour faire « diminuer le chômage », si l’on entend par là le nombre de chômeurs indemnisés. En 2014, le nombre de premières admissions au bénéfice des allocations d’insertion a ainsi diminué de 3.191 unités en 2014 par rapport à la moyenne des années 2012 et 2013 (2). On peut déjà affirmer que ce chiffre explosera en 2015.
Le gouvernement Michel a en effet décidé que la première demande d’allocations d’insertion après le stage d’insertion devra dorénavant être introduite avant le vingtcinquième anniversaire (auparavant avant le trentième anniversaire) du demandeur.
... et on les conserve plus difficilement
Depuis 2004, pour conserver son allocation, il faut sans cesse prouver à l’Onem ses efforts de recherche d’emploi. Les sanctions pour évaluation négative sont, depuis le début, plus fortes pour les bénéficiaires d’allocations d’insertion. Le gouvernement Di Rupo leur a de surcroît appliqué une nouvelle procédure « d’activation du comportement de recherche d’emploi plus intensive (contrôles plus fréquents et sanctions encore plus lourdes). Elle est entrée en vigueur le 9 août 2012.
La procédure se caractérise par le choix que doit faire le chômeur entre une réponse écrite et un entretien avec un « facilitateur ». Ceux qui ont déjà vécu une mauvaise expérience avec l’Onem peuvent être tentés d’opter pour la procédure écrite. Mais attention au piège ! Une chose est de répondre en direct aux questions d’un contrôleur ; une autre, de compléter de manière exhaustive un document écrit. La différence est frappante : sur les 17.705 informations écrites reçues et traitées, 32,3 % seulement ont donné lieu à une évaluation positive, pour 54,2 % des 24.617 entretiens menés.
En cas d’évaluation non concluante, le chômeur est convoqué, en principe dans le mois, pour une évaluation définitive. Sur 15.903 entretiens d’évaluation définitive, 73,7 % ont donné lieu à une évaluation négative, soit 9.586 personnes subissant une suspension des allocations de six mois (au lieu de quatre mois précédemment). La grande majorité n’arrive donc pas à renverser l’évaluation négative initiale. 2.968 personnes ont demandé la réouverture de leur droit après les six mois de suspension. 92,4 % ont opté pour l’entretien d’évaluation, ce qui montre sans doute qu’elles ont compris le danger de la procédure écrite. Parmi l’ensemble des demandes déjà traitées, 39 % ont subi une nouvelle évaluation négative et ont vu leurs droits suspendus pour une nouvelle période de six mois minimum. Les suspensions des allocations arrivent donc plus tôt et sont plus longues dans cette nouvelle procédure (3).
La fin de droit
Le gouvernement Di Rupo a limité à trente-six mois, à partir du 1er janvier 2012, les allocations d’insertion. La FGTB wallonne a régulièrement dénoncé cette mesure et ses impacts, en faisant des estimations périodiques du nombre de personnes concernées. Suite aux différentes mobilisations, des dispositions ont été prises dans les semaines précédant les élections de mai 2014 pour adoucir partiellement la mesure et prendre (mieux) en compte la situation des travailleurs à temps partiel (prise en compte de périodes de travail prolongeant le droit), ainsi que celle des personnes présentant des difficultés d’ordre médical ou psychologique (le statut MMPP prolonge le droit de la personne de deux ans si elle bénéficie d’un accompagnement spécifique de la part de l’organisme régional de l’emploi).
Les Régions avaient obtenu jusqu’à la fin du mois de février 2015 pour dé- terminer les personnes pouvant bénéficier de la prolongation de deux ans pour raisons d’ordre médical ou psychologique. Les résultats de ce processus n’ont pas été clairement communiqués : les organismes régionaux argumentent qu’il est trop tôt pour en tirer toutes les conclusions (lire l’article en p. 10). Pour la prise en compte des périodes de travail, la situation est, s’il est possible, plus confuse encore. Des prolongations de droit qui auraient dû être automatiques n’ont pas du tout été appliquées, ou alors seulement à la demande expresse du bénéficiaire. Dans ce contexte, beaucoup de personnes n’ont pas eu accès à leurs droits. Les acteurs (Onem, Forem/Actiris, organismes de paiement) ont joué au ping-pong, souvent de bonne foi, l’application concrète des décisions politiques ayant manifestement été insuffisamment préparée et coordonnée.
Du coup, le bilan chiffré n’est pas clair non plus. L’Onem a établi, début mars, à 18.432 le nombre de personnes en fin de droit au 30 janvier 2015. Il s’agit donc de celles qui étaient arrivées au bout de leur crédit de trente-six mois au 31 décembre 2014, auxquelles s’ajoutent celles qui avaient eu quelques jours de prolongation se terminant avant la fin janvier. Le nombre de 18.432 est supérieur aux estimations de l’Onem, et inférieur à celles de la FGTB wallonne. La différence vient certainement, d’une part, des exclusions intervenues avant la date fatidique du 31 décembre 2014 et de l’autre, des prolongations de droit. Mais, tant que l’on ne connaîtra pas le nombre exact de MMPP et de prolongations pour périodes de travail ou pour formation, le brouillard restera épais. Il faudra sans doute attendre le printemps 2016 et la parution du rapport annuel 2015 de l’Onem pour y voir enfin totalement clair.
On peut néanmoins mettre en évidence quelques tendances qui ne seront vraisemblablement pas remises en cause par ces corrections. 63 % des exclus sont des femmes. 29 % sont des chefs de ménage, et, parmi ceux-ci, 75 % de femmes. Donc, dans beaucoup de cas, des familles monoparentales. En théorie, il s’agit de la catégorie pour laquelle le CPAS devrait d’office prendre le relais. En pratique, c’est loin d’être le cas (lire les articles des pp. 20 à 27).
Les quinze communes les plus touchées (en nombre absolu) se répartissent comme suit : dix en Wallonie (Charleroi, Liège, La Louvière et Mons en tête), quatre à Bruxelles (dans l’ordre Bruxelles Ville, Schaerbeek, Molenbeek et Anderlecht) et une en Flandre (Anvers). Il s’agit des communes déjà les plus frappées par la pauvreté, et dont les CPAS sont dès lors souvent déjà à la limite de leur capacité d’accueil.
Des exclusions, mais pas d’emploi
Les nouvelles procédures (pendant le stage d’insertion et pour les bénéficiaires d’allocations d’insertion) ont abouti à un total de 33.002 suspensions de six mois. Sur une année complète, cela représente, dans les statistiques, une « diminution » du nombre de chômeurs de 16.501 unités (33.002 divisés par 2), sans que cela corresponde à un seul emploi gagné ! Il faut y ajouter 6.326 allocataires d’insertion suspendus à durée indéterminée pour absence à un entretien. Notons que toutes ces périodes de suspension, pendant lesquelles le chômeur ne perçoit aucune indemnité, sont comptées dans le calcul du crédit de trente-six mois de droit aux allocations d’insertion. Des personnes peuvent donc se retrouver en fin de droit tout en n’étant déjà plus indemnisées depuis une ou plusieurs périodes de six mois.
**
Les chiffres clés de 2014
— Stage prolongé de six mois : 22.487
— Nouveaux bénéficiaires : 3.191 en moins (par rapport à la moyenne 2012-2013)
— Suspension de six mois des allocations : 10.515
— Bénéficiaires : 19.071 en moins (par rapport à 2010)
— Fin de droit aux allocations : 18.432 (en janvier 2015), dont 63 % de femmes
**
Ces différentes mesures combinées permettent de présenter des chiffres du chômage indemnisé en baisse, mais sans pour autant que la situation sociale des personnes se soit améliorée, bien au contraire.
Ces sanctions ont entraîné en 2014 une diminution de 9,4 % du nombre de bénéficiaires d’allocations sur la base des études par rapport à 2013 (4). La baisse est encore plus forte par rapport à la période précédant toutes ces mesures : près de 20.000 bénéficiaires en moins. Cela sans tenir compte donc des milliers de personnes arrivées en fin de leur droit aux trente-six mois d’allocations. Celles-là n’apparaîtront pleinement que dans le rapport annuel 2015 de l’Onem qui sera publié au printemps 2016.
Le droit aux allocations sur la base du travail n’a, lui, guère été assoupli, et laisse de nombreux travailleurs à temps partiel, en majorité des femmes, dans une situation de stress permanent : il faut jongler entre la charge de travail, le respect des obligations imposées aux chômeurs et le calcul de leur crédit de trente-six mois qui, malgré les périodes de travail, s’épuise, petit à petit, inexorablement…
Par Yves Martens (CSCE) - article extrait du numéro 87 de la revue Ensemble ! – juin 2015.
Notes :
(1) Pour plus de détails sur l’histoire et l’évolution des allocations de chômage sur la base des études, lire notre étude sur le site www.ensemble.be
(2) Onem, Rapport annuel 2014, Vol. II, pp. 129 à 134 et p. 207
(3) Onem, Rapport annuel 2014, Vol. II, pp. 118 à 128
(4) Onem, Rapport annuel 2014, Vol. II, pp. 4 et 52-53