Prêt-bail de la 2e Guerre mondiale : l’aide américaine a-t-elle été vraiment si utile ? (I) | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Photo : le Président Roosevelt signe la Loi de prêt-bail

 

 

Prêt-bail de la 2e Guerre mondiale :

l’aide américaine a-t-elle été vraiment si utile ? (I)

Par Evgeniy SPITSYN (Russie)

 

La loi Lend-Lease, ou « une loi visant à promouvoir la défense des États-Unis, » qui a été signée par le Président Roosevelt le 11 mars 1941, a donné au Président américain le droit « de vendre, de transférer la propriété, échanger, louer, prêter ou disposer autrement de… n’importe quel article de défense… au gouvernement d’un pays dont le Président estime la défense vitale pour celle des États-Unis. » Le terme « n’importe quel article de défense » comprend les armes, les équipements militaires, les munitions, des matières premières stratégiques, nourriture et biens civils requis par les forces de l’armée et de la défense du sol, ainsi que tout renseignement d’intérêt militaire.

 

La structure de la loi prêt-bail exige que la nation bénéficiaire réponde à un certain nombre de conditions :

 

1) le paiement n’est pas exigé pour tous les éléments manquants, perdus ou détruits pendant les hostilités, mais tous les éléments ayant survécu qui peuvent être utilisés pour un usage civil doivent être payés en totalité ou en partie, dans le cadre d’un remboursement de prêt à long terme accordé par les États-Unis

 

2) les articles militaires étant stockés dans les pays bénéficiaires peuvent y rester jusqu’à ce que les États-Unis demandent leur retour

 

3) en contrepartie, tous les bénéficiaires doivent aider les États-Unis en utilisant toutes les ressources et informations en leur possession

La loi Lend-Lease exige des pays demandeurs de l’aide américaine de fournir aux États-Unis un rapport financier complet. Le Secrétaire américain au Trésor Henry Morgenthau, Jr. a eu raison de reconnaître cette exigence comme quelque chose de sans précédent dans les affaires mondiales, en affirmant au cours d’une audience du Comité du Sénat, que pour la première fois dans l’histoire, un État et un gouvernement fournissaient volontairement des informations à un autre sur sa propre situation financière.

 

Grâce à la loi prêt-bail, l’administration du Président Roosevelt était prête à aborder un certain nombre de questions urgentes, tant étrangères que nationales. Tout d’abord, son cadre permettrait de créer de nouveaux emplois aux États-Unis, qui n’étaient pas encore complètement sortis de la grande crise économique de 1929-1933. Deuxièmement, la loi Lend-Lease permettait au gouvernement américain d’exercer une certaine influence sur les pays qui bénéficiaient de l’assistance du prêt-bail. Et troisièmement, en envoyant à ses alliés des armes, des marchandises et des matières premières, mais sans s’impliquer sur le terrain, le Président Roosevelt a été capable de rester fidèle à sa promesse électorale, dans laquelle il s’était engagé : « vos garçons ne vont pas être envoyés dans des guerres à l’étranger. »

 

Le système de prêt-bail ne visait en aucune manière à aider l’URSS. Les Britanniques furent les premiers à demander de l’aide militaire sur la base de cette relation spéciale de location (qui ressemblait à un bail d’exploitation) à la fin de mai 1940, à une époque où l’écrasante défaite de la France avait laissé la Grande-Bretagne sans alliés militaires sur le continent européen. Londres a demandé à Washington 40 à 50 « vieux » destroyers, offrant trois options de paiement : amener gratuitement, payer en argent comptant, ou louer. Le Président Roosevelt a rapidement accepté la troisième option, et cette transaction a été achevée à la fin de l’été 1940.

 

C’est à ce moment qu’est venue l’idée aux membres du département du Trésor de reprendre le concept de cette affaire privée et de l’appliquer à toutes les relations intergouvernementales.  Les ministères de la guerre et de la marine ont été amenés à aider à développer le projet de loi prêt-bail, et le 10 janvier 1941, l’Administration présidentielle américaine a introduit cette loi pour examen devant les deux chambres du Congrès, où elle fut approuvée le 11 mars. De plus, en septembre 1941, après un long débat, le Congrès américain a approuvé ce qui a été connu comme le programme pour la victoire, dont le principe de base était, selon les historiens militaires américains (Richard Leighton et Robert Coakley), « que la contribution de l’Amérique à la guerre serait en armes, non en armées. »

 

Le 1er octobre 1941, le commissaire du peuple aux affaires étrangères Vyacheslav Molotov, le représentant du Premier ministre britannique, Lord Beaverbrook et l’envoyé spécial américain Averell Harriman signent le premier protocole (à Moscou), qui marque le début de l’expansion du programme prêt-bail à l’Union soviétique. Plusieurs protocoles additionnels ont été signés par la suite.

 

 

Quelle a été l’importance du prêt-bail américain ?

 

Pendant la guerre, les usines soviétiques produisaient plus de 29,1 millions d’armes légères de tous les principaux types, alors que seulement 152 000 armes légères (0,5 % du total) ont été fabriquées par les usines américaines, britanniques et canadiennes. En regardant tous les types de systèmes d’artillerie de tous calibres, nous voyons une image similaire – 647 600 armes et mortiers soviétiques contre 9 400 d’origine étrangère, ce qui représente moins de 1,5 % du total.

 

Les chiffres sont moins sévères pour les autres types d’armes : le ratio entre la production intérieure de chars et d’artillerie automotrice, et celle des alliés est respectivement de 132 800 contre 11 900 (8,96 %), et pour les avions de combat – 140 500 contre 18 300 (13 %).

 

Sur les près de 46 milliards de dollars qui ont été dépensés pour l’ensemble des aides de prêt-bail, les États-Unis ont attribué seulement $ 9,1 milliards – c’est-à-dire seulement un peu plus de 20 % des fonds – à l’Armée Rouge qui a battu l’immense majorité des divisions de l’Allemagne et de ses satellites militaires.

 

Durant cette période, l’Empire britannique a reçu plus de $ 30,2 milliards, la France – $ 1,4 milliard, la Chine – $ 630 millions et même l’Amérique latine (!) a reçu $ 420 millions. Des fournitures en prêt-bail ont été distribuées à 42 pays.

 

Mais peut-être, malgré le fait que l’assistance transatlantique aient été quantitativement assez négligeable, est-il possible qu’elle ait joué un rôle décisif en 1941, quand les Allemands étaient aux portes de Moscou et de Leningrad, et à moins de 24-40 km de la Place Rouge ?

 

Regardons les statistiques relatives aux livraisons d’armes de cette même année. Dès le début de la guerre jusqu’à la fin de 1941, l’Armée Rouge a reçu 1,76 million de fusils, armes automatiques et mitrailleuses, 53 700 pièces d’artillerie et mortiers, 5 400 chars et 8 200 avions de combat. Parmi ceux-ci, nos alliés dans la coalition antihitlérienne ont fourni seulement 82 pièces d’artillerie (0,15 %), 648 chars (12,14 %) et 915 avions (10,26 %). En outre, une grande partie du matériel militaire envoyé – en particulier, 115 des 466 chars fabriqués au Royaume-Uni – n’ont même pas atteint le front pendant la première année de la guerre.

 

Si nous convertissons ces livraisons d’armes et de matériel militaire en leur équivalent monétaire, puis, selon l’historien bien connu Mikhail Frolov, DSc (Bolchaïa Otechestvennaya Voina 1941-1945, v Nemetskoi Istoriografii. [Grande Guerre Patriotique 1941-1945 dans l’historiographie allemande], Saint-Pétersbourg : 1994), « jusqu’à la fin de 1941 – la période la plus difficile pour l’État soviétique – en vertu de la loi Lend-Lease, les États-Unis envoyèrent à l’URSS du matériel pour une valeur de 545 000 dollars, sur les 741 millions de dollars de fournitures expédiées à tous les pays qui faisaient partie de la coalition anti-hitlérienne. Cela signifie que, durant cette période extraordinairement difficile, moins de 0,1 % de l’aide de l’Amérique est allée vers l’URSS.

 

« En outre, les premières livraisons de prêt-bail au cours de l’hiver 1941-1942 arrivèrent en URSS très tard, alors qu’au cours de ces mois critiques la Russie avait été en mesure de mener, à elle seule, une lutte impressionnante contre les agresseurs allemands, sans aucune assistance, pour ainsi dire, des démocraties occidentales. À la fin de 1942 seulement 55 % des livraisons prévues avaient été faites à l’URSS. »

 

 

Par exemple, en 1941 les États-Unis avaient promis d’envoyer 600 chars et 750 avions, mais seulement respectivement 182 et 204 avaient été effectivement envoyés.


En novembre 1942, c’est-à-dire, au plus fort de la bataille pour le Caucase et Stalingrad, les livraisons d’armes s’étaient pratiquement arrêtées. Des perturbations dans les livraisons avaient déjà commencé en été 1942, quand des sous-marins et des avions allemands avaient presque entièrement anéanti le tristement célèbre convoi PQ 17 qui avait été abandonné (sur ordre de l’Amirauté) par les destroyers britanniques assignés à l’escorter. Tragiquement, seulement 11 des 35 navires de départ sont arrivés sains et saufs dans un port soviétique — une catastrophe qui a été utilisée comme prétexte pour suspendre les convois ultérieurs de la Grande-Bretagne jusqu’en septembre 1942.

 

Un nouveau convoi, le PQ 18, perdit en route 10 de ses 37 navires, et aucun autre convoi n’a été envoyé jusqu’en décembre 1942. Ainsi, pendant trois ans et demi, quand une des batailles les plus décisives de toute la Seconde Guerre mondiale a été menée sur la Volga, moins de 40 navires transportant des cargaisons de prêt-bail sont arrivés par intermittence à Mourmansk et Arkhangelsk. Pour cette raison, beaucoup ont naturellement soupçonné Londres et Washington, durant cette période, d’avoir attendu pour voir qui serait encore debout après la bataille de Stalingrad.

 

 

Ainsi, entre 1941 et 1942, seulement 7 % de la cargaison expédiée en temps de guerre par les États-Unis ont atteint l’Union soviétique. La majeure partie des armes et autres matériels sont arrivés en Union soviétique en 1944-1945, une fois que le vent de la guerre avait résolument tourné.

Quelle était la qualité de l’équipement militaire du prêt-bail ?

 

Sur les 711 avions de chasse qui étaient arrivés en URSS à partir du Royaume-Uni à la fin de 1941, 700 étaient des modèles désespérément archaïques tels que Kittyhawk, Tomahawk, et Hurricane, qui étaient nettement inférieurs aux Messerschmitts allemands et aux Soviétiques Yakolev Yaks, tant dans la vitesse que pour l’agilité, et n’étaient même pas équipés de canons. Même si un pilote soviétique a réussi à avoir dans la ligne de mire de ses mitrailleuses un As de l’aviation allemande, ces canons de petit calibre étaient souvent complètement inefficaces contre le blindage robuste de l’avion allemand. En ce qui concerne les nouveaux avions de chasse Airacobra, seuls 11 ont été livrés en 1941. Et les premiers Airacobra sont arrivés en Union soviétique, démontés, sans aucune sorte de documentation, ayant dépassé depuis longtemps leur durée de vie.

 

Soit dit en passant, c’était aussi le cas avec les deux escadrons de chasseurs Hurricane qui étaient armés de canons antichars de 40 mm conçus pour combattre les blindés allemands. Mais ces avions de chasse se sont avérés complètement inutiles, à tel point qu’ils ont été mis au rancart pendant toute la guerre en URSS, car on n’a pu trouver aucun pilote de l’Armée Rouge prêt à voler avec.

 

Une situation similaire a été observée avec le fameux char léger britannique Valentine que les opérateurs de char soviétiques avaient surnommé « Valentinas », et le char mi-lourd Matilda, auquel avait été réservée une expression plus cinglante : « Adieu patrie ». Leur blindage mince hautement inflammable avec son moteur à essence, leurs transmissions plus que préhistoriques, en faisaient une proie facile pour les artilleurs allemands et les lance-grenades.

 

Selon Valentin Berezhkov, un interprète de Joseph Staline, qui a participé à toutes les négociations entre les dirigeants soviétiques et les visiteurs anglo-américains, Staline a été souvent profondément offensé par les actions britanniques, comme celle de fournir des avions obsolètes tels que le Hurricane dans le cadre du prêt-bail, au lieu des nouveaux avions de combat comme le Spitfire. En outre, en septembre 1942, au cours d’une conversation avec Wendell Willkie, un chef de file dans le parti républicain américain, Staline lui a demandé de but en blanc devant les ambassadeurs américain et britannique, William Standley et Archibald Clark Kerr : pourquoi les gouvernements britannique et américain fournissent-ils ces équipements de mauvaise qualité à l’Union soviétique ?

 

Il a expliqué qu’il parlait avant tout de transferts d’avions américains P-40, au lieu de vieux Airacobras, et il a ajouté que les Britanniques fournissaient des chasseurs Hurricane complètement inadaptés, bien inférieurs à ce que les Allemands avaient. Staline affirma que, une fois, lorsque les Américains se préparaient à expédier 150 Airacobras à l’Union soviétique, les Britanniques étaient intervenus et les avaient gardés pour eux-mêmes. « Nous savons que les Américains et les Britanniques ont des avions qui valent mieux que les modèles allemands, mais pour une raison quelconque, beaucoup de ces avions ne parviennent pas jusqu’à l’Union soviétique ».

 

L’ambassadeur américain, l’amiral Standley, ne savait rien à ce sujet, mais l’ambassadeur britannique, Archibald Clark Kerr, a admis qu’il était au courant de l’épisode Airacobra, mais il a défendu leur détournement sous prétexte que, entre les mains des Britanniques, ces avions de combat seraient beaucoup plus précieux pour la cause commune des alliés que s’ils se retrouvaient en Union soviétique…

 

À suivre…

 

 

Par Evgeniy Spitsyn, historien russe et blogueur (orientalreview.org) - Traduction Avic – Réseau International – le 14 mai 2015.