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France - Comment les agrocarburants ont conduit aux fermes usines

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Dessin : Tommy Dessine pour Reporterre

 

 

France - Comment les agrocarburants ont

conduit aux fermes usines

 

Si Sofiprotéol a bâti sa fortune sur les agrocarburants, bien aidé par les pouvoirs publics, il assied désormais sa puissance dans le monde agricole par l’élevage. Rebondissant sur la crise du lait, il s’est positionné comme le leader de l’alimentation animale. Et favorise le développement des fermes usines pour écouler ses stocks. Avec une nouvelle astuce pour faire accepter le tout : la méthanisation, nouvelle énergie propre à la mode.

 

Sofiprotéol a donc construit son empire sur un agrocarburant, le diester, qu’il a abondamment financé grâce aux fonds publics. Soit. Mais il reste un problème à régler : que faire des déchets issus de sa production ?

 

Car la trituration, l’étape industrielle qui transforme le grain de colza ou de tournesol en huile végétale, laisse à sa suite un coproduit, qu’on appelle le tourteau. Pour 1 000 kg de ces graines qui donneront le diester, on obtient 560 kg de tourteaux.

Or la production de diester se faisant plus importante avec le boom des années 2000, le volume de tourteaux disponible est devenu chaque année plus conséquent.

 

Heureusement pour Sofiprotéol, ce tourteau constitue une nourriture très protéinée, parfaite pour remplacer dans l’alimentation animale le soja OGM tant décrié, venu d’Amérique. Cela tombe d’autant mieux que la filière des agrocarburants ne s’avère plus si rentable : « Les tourteaux sont indispensables à l’équilibre économique de la filière huile alimentaire et carburant », explique Luc Ozanne, à la direction des engagements Sofiprotéol.

 

 


Valorisation indispensable en alimentation animale

 

Compte tenu des volumes à écouler, l’avenir du diester s’avère dépendre de la capacité des animaux à absorber ces tourteaux. C’est pourquoi, en 2007, Sofiprotéol prend le contrôle de Glon-Sanders, alors le n° 1 en France de l’alimentation animale. La « pieuvre Sofiprotéol«, comme la qualifie Attac, participe également à l’offre publique d’achat d’Evialis, une autre entreprise spécialisée dans l’alimentation animale.

 

 

Le colza est mis à la mode dans l’alimentation animale. Les coopératives s’y mettent, à l’image d’InVivo qui « engage des études sur les coproduits (du colza énergétique NDLR) et leur utilisation en alimentation animale ».

 

Les chambres d’agriculture font de la réclame, comme celle de la Haute-Marne avec cette accroche : « Le tourteau de colza pur, ça marche aussi !! ».

 

Dans le même temps, afin de rendre le colza digeste pour tous les animaux, l’entreprise met à contribution la recherche, celle de l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) notamment. On le teste même pour nourrir le canard.

 

Le tourteau se vend partout via des alliances, car « Sofiprotéol est associé à la plupart des acteurs économiques de l’agriculture, coopératives et négociants ».

 

Mais le résultat tarde à venir : en 2009, les incorporations de tourteaux de colza dans l’alimentation animale sont de 31 000 tonnes alors que la production de diester atteint 1,8 million de tonnes. Le compte n’y est pas.

 

 

Le défaut de l’herbe : elle pousse toute seule

 

Pour Sofiprotéol, il faut donc s’assurer de meilleurs débouchés. Les vaches laitières, très gourmandes en protéines, en représentent un très intéressant : la France, deuxième producteur laitier d’Europe, en compte alors pas loin de 4 millions. Problème, nos bovins consomment encore en majorité « cette herbe suspecte de pousser toute seule », dixit un ancien dirigeant de la FNSEA.

 

C’est à ce moment-là qu’intervient la crise du lait, en 2008 et 2009. Elle marque le tournant. La FNPL (Fédération nationale des producteurs de lait), branche laitière de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) prône la contractualisation comme solution à la crise.

 

De quoi s’agit-il ? En échange de la collecte d’un volume de lait garanti, l’éleveur doit s’engager à acheter à sa coopérative tous les produits qu’elle peut lui vendre. En tête desquels… l’alimentation animale.

 

La contractualisation selon le rapport Racine :

http://www.reporterre.net/IMG/pdf/doc_no2_rapport_racine_page_19_et_1.pdf

 

La Fédération nationale des coopératives laitières (FNCL) avait commandé la rédaction d’un règlement intérieur de coopérative laitière au cabinet Racine de droit des affaires, en 2009, avant la contractualisation.

 

L’effet de levier d’un tel contrat serait une aubaine pour Sofiprotéol. Et qui est alors le vice-président de la FNSEA qui pousse dans le sens de cette contractualisation ? Xavier Beulin, qui dirige en même temps Sofiprotéol…

 

Mais la majorité des éleveurs refuse cette clause, tout comme de négocier un contrat en direct avec leur laiterie — souvent des géants comme Lactalis ou Sodiaal. Et devant la levée de boucliers provoquée par cette idée, le projet est plus ou moins abandonné.

 

 

Un fonds laitier géré par Sofiprotéol

 

Au même moment (2008), un fonds interprofessionnel laitier se crée, le Fedil, doté de 15 millions d’euros, pour soutenir la filière laitière. Et à qui est confiée la gestion du Fédil ? À Sofiprotéol.


Joli tour de passe-passe : on ouvre la porte du marché laitier à l’activité industrielle de Sofiprotéol, mais on justifie ce choix par son activité financière. Le mélange des genres est total : « Les élevages laitiers constituent le premier débouché des tourteaux de colza. Il était donc naturel que Sofiprotéol mît son savoir-faire d’établissement financier à la disposition du Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (Cniel) pour gérer son Fonds de développement des entreprises de transformation laitière (FeDil) », déclare Sofiprotéol dans son rapport d’activité 2011.

 

L’extrait du rapport d’activité :

http://www.reporterre.net/IMG/pdf/doc_no_4._page16_rapport_activite_sofiproteol_2011.pdf

 

Les fermes tombent les unes après les autres. Les éleveurs sont pris en tenaille entre un prix du lait qui baisse et des charges en hausse : le prix de l’alimentation animale s’est envolé avec celui des céréales (en partie à cause des agrocarburants, qui réduisent l’offre), tandis que le prix du pétrole — nécessaire aux tracteurs, aux machines agricoles, aux engrais, etc. — flambe. Ils demandent une régulation des volumes de lait et un prix qui tienne compte de ces hausses. Sans être entendus. La contractualisation est finalement rendue obligatoire par la Loi de modernisation agricole en 2010. Elle impose un bras de fer très inégal. L’industrialisation de l’élevage est en route, comme le chantent les éleveurs laitiers :

 

 Vidéo des laitiers

 

Le Haut conseil à la coopération agricole (HCCA), alors présidé par… Xavier Beulin, chiffre en 2010 les conséquences dans un rapport au titre explicite : La filière laitière française : la compétitivité aura un prix, des choix inéluctables.

 

 Télécharger le rapport :

http://www.reporterre.net/IMG/pdf/hcca_la_compe_titivite_aura_un_prix.pdf

 

 

Le scénario prévoit la réduction par deux ou par trois du nombre de fermes laitières à l’horizon 2035. Le résultat est connu : il faut compenser par de grandes fermes.

 

 

Le colza, la solution à tous vos problèmes...

 

D’ailleurs, Xavier Beulin ne s’en cache pas : les troupeaux doivent s’agrandir nous dit-il. C’est le seul moyen de s’en sortir.

 

De son côté, un éleveur d’Ille-et-Vilaine, premier bassin laitier de France explique : « On fait grandir les exploitations laitières pour que les éleveurs achètent de plus en plus de colza. Plus le troupeau grandit, moins les vaches vont dehors. C’est trop compliqué de les sortir entre deux traites, de trouver assez de prairies à proximité. Vous verrez : plus il y a de vaches dans une ferme, plus les silos de granulés sont gros ! » Pour lui, pas d’alternative : ses animaux consomment du colza de Glon-Sanders, première filiale dans l’alimentation animale de Sofiprotéol.

 

Sans surprise, la ferme usine des Mille vaches prévoit elle aussi un régime à base de colza. Un vrai avantage selon ce document extrait du dossier présenté par l’actionnaire unique, M. Ramery, pour l’obtention des autorisations.

 

 Dossier de la SCEA de La Cote de la justice, promoteur de la ferme usine des Mille vaches :

http://www.reporterre.net/IMG/pdf/doc_no5_tourteaux_de_colza_1000_vaches.pdf

 

La ferme usine des Mille vaches se fournit-elle chez Sofiprotéol pour son colza ? Rien ne permet de le dire.

 

En tout cas, pour toutes les autres fermes usines, faites le calcul : une vache ingère en moyenne 3,5 kg de tourteau de colza par jour. Soit, pour 1 000 vaches, 3 500 kg de tourteau de colza par jour et 1 277 tonnes par an. Une bénédiction pour le diester ! Comment ne pas souhaiter leur multiplication sur le territoire, quand on produit des tourteaux de colza ?

 

Mais cela ne suffit pas. Car en élevage laitier, la taille ne fait pas la compétitivité. Les fermes les plus rentables sont celles qui transforment le lait et récupèrent la valeur ajoutée autrement captée par les laiteries. Le meilleur exemple est celui des AOC de montagne (Beaufort, Comté, Abondance…) qui sont restées à l’abri de la crise.

 

 

La rente de la méthanisation

 

Alors, comment permettre à une ferme géante d’être compétitive ? La solution prônée, notamment par le rapport sur l’élevage laitier et allaitant du député Germinal Peiro en 2013, est de valoriser les effluents d’élevage. C’est-à-dire la bouse. Ou le lisier pour les cochons. Bienvenue dans le monde enchanté de la méthanisation.

Pour Xavier Beulin, c’est un avenir d’autant plus intéressant qu’il lui permet de nouveau de se draper d’une logique écologique.

 

Le processus est en marche : le gouvernement adopte un plan de méthanisation, doté de 2 milliards d’euros, visant mille fermes avec méthaniseurs d’ici 2020 en France.

 

Oserait-on encore y voir un hasard ? Sofiprotéol se lance dans la méthanisation, nouvelle voie de croissance. Il investit dans les entreprises de méthanisation Biogasyl et Fertigaz et a pris des parts dans un fonds d’investissement notamment tourné vers la méthanisation.

 

Bien sûr, l’installation d’un méthaniseur n’est concevable que pour de grosses exploitations… La boucle est bouclée, et l’économie circulaire devient la caution qui justifie l’industrialisation en marche de l’agriculture. Les agrocarburants ont beau marquer un coup d’arrêt, Sofiprotéol a su devenir indispensable à l’élevage français, intérêt stratégique pour écouler ses tourteaux. Finis les pâturages, adieu, les paysans, voici venues les grandes fermes usines.

 

Tout ceci doit beaucoup à un homme, qui a su forcer les verrous et les clivages du monde agricole. Pour cela, Xavier Beulin a su s’entourer et faire peser son influence dans les plus hautes sphères de la société française. C’est l’objet du dernier volet de notre enquête : 5 — Xavier Beulin, l’homme aux mille bras.

 

 

 

Par Barnabé Binctin et Laure ChanonReporterre – le 26 février 2015


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La faim profite (encore) aux banques

La faim profite (encore) aux banques | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Photo : Issouf Sanogo/AFP

 

La faim profite (encore) aux banques

 

Deux ans après un premier rapport, l’ONG Oxfam France dévoile que les financiers spéculent toujours sur les matières premières agricoles.

 

En lançant, en 2013, une campagne contre les activités spéculatives des banques françaises sur les matières premières agricoles, l’ONG Oxfam France avait jeté un pavé dans la mare boueuse des pratiques bancaires. Prises en défaut par les révélations d’Oxfam, les mastodontes Crédit Agricole, BNP Paribas, Société Générale et le groupe BPCE s’étaient engagés – ou pas – à réduire significativement le volume de leurs fonds spéculatifs sur ce marché.

 

Deux ans après, où en sommes-nous ?

 

C’est la question à laquelle répond l’ONG dans un rapport publié aujourd’hui. Et le constat est sans appel : la faim aiguise toujours les appétits des grandes banques françaises.

 

En 2013, Oxfam avait calculé que la valeur totale des 18 fonds permettant aux quatre grandes banques soupçonnées de spéculer sur les matières premières agricoles était de 2 583 millions d’euros. Après engagements pris par les banques de faire diminuer ces chiffres, ces mêmes fonds représentent aujourd’hui… 3 561 millions d’euros !

 

Oxfam révèle dans le détail que seul le Crédit Agricole a respecté ses engagements et ne possède plus aucun fonds de ce type. BNP Paribas et la Société Générale spéculent toujours autant et le groupe BPCE, qui n’avait pas eu l’outrecuidance de s’engager en 2013, a fait grimper le montant de ses fonds agricoles de 43 % en deux ans. Une liste de chiffres et de produits bancaires qui pourraient paraître un peu techniques, voire obscurs. À ceci près que spéculer sur les matières premières agricoles n’est pas anodin. « Ces activités aggravent la volatilité des prix et rendent l’accès aux denrées alimentaires de base de plus en plus difficile pour les populations les plus pauvres du monde », rappelle Oxfam.

 

Et si l’ONU estime à 800 millions le nombre de personnes souffrant de la faim à travers le monde – une personne sur neuf –, la production de nourriture à l’échelle mondiale est largement suffisante pour tous nous rassasier.

 

 

Jusqu’à 181 % d’augmentation 
pour le blé en trois ans

 

Le nœud du scandale se situe donc entre le producteur et le consommateur, dans cette vaste zone grise qu’est la finance. « Les marchés agricoles se financiarisent de manière spectaculaire », souligne Oxfam, qui précise que, « conjuguée à la promotion des agrocarburants, à l’abandon des politiques de stockage, aux effets du changement climatique et au manque d’investissements structurel dans les agricultures paysannes (cette) spéculation excessive (…) pousse des millions de personnes dans la pauvreté absolue, et augmente l’insécurité alimentaire mondiale ».

 

Ainsi, de février 2005 à février 2008 (année d’une crise alimentaire sans précédent), « les prix alimentaires ont globalement augmenté de 83 % », et jusqu’à 181 % pour le blé ! Une hausse des prix qui « touche plus sévèrement les ménages les plus pauvres des pays du Sud, qui peuvent consacrer jusqu’à 75 % de leur budget à l’alimentation, alors que les ménages des pays développés n’y consacrent, en moyenne, que 10 à 20 % de leurs revenus », explique Oxfam.

 

Dans la spirale infernale de la faim, la responsabilité du secteur bancaire est accablante. Celle des politiques aussi. Dans son rapport, l’ONG rappelle qu’en 2012, le candidat Hollande s’était engagé à « mettre fin aux produits financiers toxiques qui enrichissent les spéculateurs et menacent l’économie ». Promesse non tenue.

 

 

 

Par MARION D’ALLARDL’Humanité – le 23 février 2015

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