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NSA, le silence des alliés

Par Pascal Lorot

 

L’absence de réaction face aux pratiques de surveillance de Washington témoigne de la vassalisation de l’Europe aux intérêts américains.

 

La France aura été à l’honneur cette année lors de la célébration de la fête de l’Indépendance américaine. Présente le 4 juillet dernier devant la statue de la Liberté à New York, la réplique de l’« Hermione » – la fameuse frégate qui amena il y a plus de deux siècles le marquis de La Fayette vers les terres américaines – a connu un franc succès lors de son périple le long des côtes états-uniennes. « Plus ancienne alliée » de l’Amérique, comme se plaisent à le rappeler les dirigeants américains successifs, la France n’en est pas moins perçue à Washington comme une cible privilégiée par ses nombreuses agences de renseignement.

 

La révélation il y a quelques jours [le 23 juin] que les États-Unis (en d’autres termes, la NSA) avaient écouté sans interruption, de 2 006 à 2 012, les trois derniers chefs d’État français – Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande – a jeté un froid dans la relation étroite existant entre les deux nations. Créée en 1952 pour écouter l’URSS, la NSA s’est reconvertie à la chute de cette dernière dans la lutte contre le terrorisme. Il faut dire que le 11 septembre était passé par là. Peu à peu, la NSA (la communauté américaine du renseignement regroupe quelque treize « agences », dont la NSA compte parmi les plus importantes) s’est dotée de capacités technologiques colossales lui permettant de collecter en temps réel des millions d’informations circulant au niveau mondial dans les différents réseaux et tuyaux, tels Internet et ceux du téléphone. Elle bénéficie aussi d’un appareil législatif qui la protège pleinement dans un quotidien où le respect des libertés publiques n’est plus une priorité, tant s’en faut.

 

 

Une apathie coupable

 

À l’annonce de cet espionnage pour le moins discourtois entre « alliés », les réactions furent vives, mais de circonstance et, bien sûr, sans effet. Nous étions dans une séquence de communication à destination de l’opinion publique. Pourtant, ces révélations faisaient suite à d’autres, elles aussi récentes, témoignant d’un espionnage systématique de l’Europe, de ses dirigeants et ses entreprises. Or là, rien à voir avec la lutte avec le terrorisme. Derrière cet objectif noble se cache une réalité crue et moins glorieuse. Si l’Amérique, l’Europe et la France sont bien sûr des alliées, nous sommes aussi, dit plus prosaïquement, en situation de compétition économique exacerbée – de guerre économique diraient certains. Les États-Unis entendent maintenir leur domination économique, mais aussi monétaire par tous les moyens, le recours à l’espionnage en étant un des outils privilégiés.

 

Dans une perspective américaine, on peut comprendre cet objectif qui entend faire prévaloir les intérêts supérieurs du pays. Il est en revanche dommageable qu’en Europe et en France, nous n’osions pas qualifier la réalité telle qu’elle est. Ce n’est pas en faisant l’autruche que l’Europe sera demain plus forte économiquement et politiquement. La sorte de renoncement face aux menées inamicales de Washington à laquelle on assiste depuis la fin de la guerre froide témoigne d’une vassalisation croissante de notre partie du monde, et de notre intégration dans un grand ensemble atlantico-occidental où l’Europe a de moins en moins son mot à dire. La prochaine étape de ce renoncement sera sans doute l’acceptation du grand marché transatlantique qui, derrière des arguments économiques très largement contestables, nous ligotera définitivement.

 

Pour en revenir au cas d’espionnage qui nous intéresse, l’absence de réaction est souvent mise sur le compte du fait que « tout le monde espionne tout le monde ». Oui, peut-être est-ce le cas, mais, à moins de faire preuve d’une cécité confondante, force est de constater que, du fait notamment de l’indigence de ses moyens, le David européen ne risque pas demain de terrasser le Goliath américain…

 

 

 

Par Pascal Lorot - lenouveleconomiste.fr – le 8 juillet 2015.