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Guerre médiatique : l’Amérique Latine selon Le Monde (Rebelion)

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Guerre médiatique : l’Amérique Latine

selon Le Monde (Rebelion)

 

En 1970 déjà, l’influent conseiller politique du gouvernement des États-Unis, Zbigniew Brzezinski, entrevoyait dans l’avènement de la révolution technologique la naissance d’une nouvelle société globale dans laquelle « la diplomatie des canonnières » serait graduellement remplacée par la « diplomatie des réseaux ».

 

Aujourd’hui, notre société de l’information se trouve immergée dans une globalisation au sein de laquelle les moyens de communication jouent un rôle primordial : utilisés comme dispositifs d’influence géopolitique, ils peuvent servir à modeler les opinions publiques. La guerre médiatique précède souvent des actes plus violents ; cette réalité réaffirme le rôle important des médias et leur confère une grande responsabilité.

 

Cela étant, l’influent et prestigieux journal Le Monde porte en lui cette responsabilité bien particulière propre aux quelques quotidiens considérés par les faiseurs d’opinions comme des « références » au niveau international : c’est ce qui nous oblige à remettre en question la couverture médiatique que son reporter chargé de suivre les événements en Amérique Latine, M. Paulo Paranagua, impose à ses lecteurs et parmi lesquels l’on compte grand nombre de « décideurs ».

 

En effet, il n’y a rien de plus irritant pour toute personne connaissant un tant soit peu l’histoire et les faits politiques de notre continent, que de lire les inexactitudes voire les plus viles manipulations qui sont la base des articles de ce « journaliste ». N’importe quel latinoaméricaniste est à même de percevoir toutes les subtilités de l’art de la tergiversation développé par Paranaqua dans ses colonnes. En n’informant qu’à moitié, ce falsificateur ne fait que désinformer, car ses perfusions de vérités incomplètes — sorties de leur contexte à sa convenance — se transforment fatalement en pièges intellectuels pour les lecteurs inexpérimentés ou ceux dont la façon de percevoir le monde a déjà été modelée par le rouleau compresseur de la pensée unique imposé par le système médiatique dominant.

 

Dans le cas de Paulo Paranagua, la grande habilité de sa mauvaise foi et son hostilité transformée en manipulation consiste à, sous couvert d’une supposée neutralité journalistique, induire les lecteurs du Monde non pas en erreur, mais à se positionner à quelques millimètres seulement du mensonge : les préjugés occidentocentristes propres au milieu culturel français se chargent inconsciemment de refermer le piège.

 

Cette manière maligne de procéder relève d’un objectif politique : il saute aux yeux que ce personnage agit en tant que défenseur des intérêts des États-Unis dans la région et dissimule sous des apparences d’honnête impartialité une croisade implacable contre la gauche latino-américaine. Cela correspond-il bien à la ligne éditoriale du Monde ou s’agit-il d’un abus de confiance de la part du collaborateur du journal ?

 

En tout cas, il est fort triste de voir ce journal en phase avec les discours les plus conservateurs et rétrogrades tenus sur notre continent. Le journal fondé par Hubert Beuve-Mery est-il au moins conscient de cette situation ? Au travers de la plume malintentionnée de Paranagua, c’est le prestigieux journal français qui s’acharne toujours contre les mêmes gouvernements, et pire encore, garde un silence complice à propos d’autres gouvernements dont la gestion et les problématiques mériteraient peut-être d’être davantage approfondies et portées à la connaissance de l’opinion publique française.

 

Au Mexique, les chiffres laissés par la présidence de Felipe Calderon (2006-2012) parlent d’eux-mêmes : augmentation de 500 % des dénonciations de cas de torture, plus de 25 000 personnes disparues, 60 journalistes assassinés et 15 autres disparus, plus de 45 000 exécutions, 16 000 cadavres non identifiés et près de 1 500 corps retrouvés dans des fosses communes. Au total, les différentes stratégies de ce gouvernement ont provoqué plus de 120 000 morts violentes en 6 ans. Ces chiffres dépassent de loin les décomptes macabres de toutes les dictatures militaires latino-américaines du siècle dernier.

 

Cependant, si nous n’examinons L’Amérique Latine qu’au travers de la loupe de Paulo Paranaqua, certains pays monopoliseraient notre attention tandis que d’autres nous resteraient invisibles. Quel aurait été le traitement médiatique de la récente disparition des 43 étudiants d’Ayotzinapa si elle avait eu lieu en Bolivie, à Cuba, en Équateur ou au Venezuela ? Paranagua aurait probablement appelé à une intervention extérieure. Mais ce terrible événement s’est produit au Mexique et n’a jamais été mentionné par le chargé de la rubrique « Amérique Latine » du journal français.

 

L’heure est venue pour Le Monde d’accepter un fait : Paranagua abuse de sa position pour inoculer dans l’opinion publique française ses propres désirs et considérations politiques. Quand l’aversion se combine avec l’animosité, le résultat ressemble beaucoup à de la propagande. Le Monde et ses lecteurs méritent de pouvoir compter sur un journaliste qui s’acquitte de sa responsabilité – la difficile tâche d’informer objectivement au sujet d’une réalité régionale complexe – au lieu de mener une guerre de basse intensité contre la gauche latino-américaine.

 

 

 

Par Luis Alberto Reygada (analyste international franco-mexicain) - version originale publiée par Rebelion.org (6 février 2015) , traduction pour Le Grand Soir par Aline, revue et actualisée par LAR - le 20 avril 2015.

 

Cet article est une synthèse de la lettre ouverte adressée au Médiateur du journal Le Monde le 09/11/2014, sous le titre « Paulo Paranagua écrira-t-il un article sur les 43 étudiants mexicains assassinés ? » publié sur le site LeGrandSoir.info pour la version française et Rebelion.org. pour la version en espagnol.

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Ukraine : où en est-on ? (Partie 1/2)

Ukraine : où en est-on ? (Partie 1/2) | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Source de la carte : liberation.fr


 

Ukraine : où en est-on ? (Partie 1/2)

 Par Bernard Frederick,

Journaliste, ancien correspondant de « l’Humanité » à Moscou

 

Près de 6 000 morts dans le Donbass ; une économie en ruine ; une situation sociale explosive ; l’autoritarisme croissant d’un pouvoir aux abois, en grande partie contrôlé par les groupes fascistes et leurs milices armées ; une rupture catastrophique des liens ancestraux – économiques, mais aussi culturels et religieux — avec la Russie et la quasi-totalité de l’ex-URSS à l’exception des États baltes ; une souveraineté limitée à la fois par la puissance tutélaire américaine et par les contraintes de l’Union européenne : tel est, pour être rapide, le bilan de l’Ukraine un an après le coup d’État ; tel est aussi le bilan de l’UE et celui des États-Unis, les grands instigateurs de la « transition démocratique » qui s’opère à Kiev sous les couleurs de l’UPA — l’Armée insurrectionnelle ukrainienne – et son leader pronazi, Stepan Bandera. Soixante – dix ans après la capitulation du Reich !

 

Cependant, deux événements majeurs marquent cet anniversaire en ce mois de février 2015 : la défaite totale des troupes de Kiev – armée régulière et bataillons fascistes – dans l’opération « antiterroriste » au Donbass et l’accord intervenu le jeudi 12 février au matin entre Angela Merkel, François Hollande, Vladimir Poutine et le président ukrainien Petro Porochenko.

 

L’abandon de la ville de Debaltsevo, la piteuse retraite des forces kiéviennes et les lourdes pertes humaines et matérielles qu’elles ont subies témoignent de l’impossibilité de résoudre la crise par les armes. On pouvait le concevoir dès le mois d’avril au lancement de cette aventure, le lendemain d’une visite sur place du vice-président américain Jo Biden dont le fils, Hunter, après avoir été viré de la Navy pour usage de cocaïne, a rejoint le conseil d’administration de Burisma Holdings, très intéressé par la prospection de gaz de schistes dans l’est et le sud de l’Ukraine.

 

L’accord de Minsk du 12 février est la conséquence directe de cette défaite militaire annoncée. La France et l’Allemagne ont commencé à mesurer, semble-t-il, l’extrême gravité de la situation en Ukraine et les répercussions qu’elle a déjà sur l’Europe et qui risquent de s’aggraver encore si les États-Unis livraient de l’armement à Kiev comme il l’envisagent. En outre, la guerre des sanctions que se livrent Occidentaux et Russes atteint économiquement et financièrement l’UE aussi bien que la Russie, sans parler des mouvements d’opinions de plus en plus sensibles à la catastrophe humanitaire que subissent les régions de Donetsk et Lougansk.

 

Dans ces conditions, les termes de l’accord empruntent beaucoup aux postillons défendues par Vladimir Poutine depuis le début de la crise : neutralité de l’Ukraine par rapport à l’OTAN ; examen des conséquences pour la Russie du contrat d’association entre Kiev et Bruxelles ; large autonomie des régions de l’est du pays…

 

Un tel document aurait pu être signé dès mars ou avril 2014. On aurait économisé 6.000 vies humaines !

 

Alors pourquoi a-t-il fallu attendre la Bérézina des troupes kiéviennes ? Pour le comprendre, il faut remonter dans le temps.

 

 

Un coup d’État venu d’ailleurs

 

Il y a donc un an le 21 février 2014, à l’issue de près de quatre mois de manifestations, des émeutes sanglantes dont l’origine prête encore à interrogation [1] et de deux jours de négociations, le président élu [2], Viktor Yanoukovitch, et les dirigeants des partis d’opposition Vitali Klitschko (UDAR), Arseni Iatseniouk (Batkivchtchina) et Oleg Tiagnibok (Svoboda), animateurs de l’« Euromaïdan », concluaient un accord sur le règlement de la crise en Ukraine. Ce document, qui prévoyait entre autres d’une élection présidentielle anticipée et un accroissement des pouvoirs de la Verkhovna Rada (La Rada suprême, Parlement) et du Premier ministre, était signé en présence du ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier, de son homologue polonais Radoslaw Sikorski et du directeur d’Europe continentale du ministère français des Affaires étrangères Éric Fournier qui agissait au nom de Laurent Fabius, lui-même présent à Kiev. Le représentant spécial du président russe, Vladimir Loukine, participait également aux négociations. [3]

 

Quelques heures après la signature de l’accord, Viktor Yanoukovitch était contraint de prendre la fuite ; un pouvoir « révolutionnaire » se mettait en place, aussitôt reconnu par les Occidentaux.

 

Au début de ce mois, Barack Obama a reconnu l’implication directe des USA dans ce putsch. Dans une interview accordée à CNN, il a affirmé que les USA avaient réussi à « faire transférer le pouvoir » en Ukraine. On le savait. Sa secrétaire d’État adjointe, Victoria Nuland, a même laissé tombé un chiffre : le 13 décembre 2013, dans une intervention à la US-Ukraine Foundation ; elle révélait que depuis l’indépendance de l’Ukraine en 1991, les États-Unis « ont investi près de 5 milliards de dollars » afin d’assister l’Ukraine dans « sa transition démocratique ».

 

L’Ukraine est pour les Américains, la pierre angulaire de leur nouveau « containment » de la Russie. Dans un livre publié en France en 1997, Zbigniew Brzezinski, l’ancien conseiller pour la sécurité nationale du président Carter, écrit : « Le nouvel État important qu’est l’Ukraine est un centre géopolitique. Son existence même permet à la Russie de changer. Sans l’Ukraine, la Russie n’est plus qu’une grande puissance asiatique. Si la Russie obtient à nouveau sous son contrôle l’Ukraine avec ses 52 millions d’habitants, les richesses de son sous-sol et son débouché sur la mer Noire, alors la Russie redevient une grande puissance qui s’étend sur l’Europe et l’Asie. L’Europe doit être un tremplin pour poursuivre la percée de la démocratie en Eurasie. Entre 2005 et 2010, l’Ukraine doit être prête à des discussions sérieuses avec l’OTAN. Après 2010, le principal noyau de sécurité en Europe consistera en : la France, l’Allemagne, la Pologne et l’Ukraine. Via un partenariat transatlantique plus consistant, la tête de pont américaine sur le continent eurasien doit se renforcer ». Tout cela pour empêcher la Russie de « recouvrer un jour le statut de deuxième puissance mondiale ». [4] Toute « l’école » des « révolutions » de couleur découle directement de la « théorie » Brzezinski. Le rôle des États-Unis dans les révolutions colorées, est mis en évidence dans un article de G. Sussman et S. Krader de la Portland State University [5] : « Entre 2000 et 2005, les gouvernements alliés de la Russie en Serbie, en Géorgie, en Ukraine et au Kirghizistan ont été renversés par des révoltes sans effusion de sang. Bien que les médias occidentaux en général prétendent que ces soulèvements sont spontanés, indigènes et populaires (pouvoir du peuple), les « révolutions colorées » sont, en fait, le résultat d’une vaste planification. Les États-Unis, en particulier, et leurs alliés ont exercé sur les États postcommunistes un impressionnant assortiment de pressions et ont utilisé des financements et des technologies au service de l’aide à la démocratie ».

 

Pour ce faire les Américains ont installé à Belgrade un centre de « formation », le Center for Applied Non Violent Action and Strategies (CANVAS) pour des opposants de tout acabit, pro-occidentaux va s’en dire, et qu’inspire la théorie de l’Américain Gene Sharp dont l’ouvrage « From Dictatorship to Democracy » (De la dictature à la démocratie) est le bouquin de chevet des « élèves » de la CANVAS.

 

Autre « école » pour « révolutionnaire » de couleur et, notamment les Ukrainiens, c’est en Europe celle du Parti populaire européen (PPE) qui rassemble les principaux partis de la droite européenne dont le CDU (Union chrétienne-démocrate d’Allemagne) de la chancelière allemande Angela Merkel et sa Fondation Konrad Adenauer (Konrad Adenauer Stiftung). Les États-Unis ne sont pas loin, il est vrai. Le PPE entretient des relations étroites avec l’International Republican Institute (IRI) du sénateur John McCain. Les « chefs » du Maïdan, Ioulia Timochenko, Vitali Klitschko, Arseni Iatseniouk et leurs partis réciproques ont tous été formés, encadrés, financés, en Europe, par le PPE, la CDU et leurs organes et, bien entendu, par les officines américaines dont l’IRI de McCain.

 

Ni les Allemands ni les Américains n’ont estimé que le copinage de leurs amis « libéraux » avec les fascistes du parti « Svoboda » ou du « Pravy sektor (Secteur droit) [6] pouvait ternir la cause de la « démocratie ». Bien au contraire, ces néonazis et leurs équipes de choc – dit « service d’ordre » du Maïdam – ont été le fer de lance du putsch et le sont depuis avril et jusqu’aujourd’hui dans la guerre contre Donetsk et Lougansk, mais aussi contre l’opposition démocratique et les communistes dans toute l’Ukraine. De ce point de vue, il est scandaleux que les médias européens et notamment français, aient pratiquement passé sous silence le crime de ces fascistes le 2 mai 2014 à Odessa où l’incendie criminel de la Maison des syndicats et les tirs d’armes à feu ont causé la mort de plus de quarante personnes – les assassins courent toujours !

 

Il n’y avait donc de spontané à Kiev, il y a un an, que la colère des gens face à la corruption avérée du pouvoir en place et aux effets d’une crise économique qui n’en finissait pas d’appauvrir le peuple en enrichissant les oligarques. Et c’est cette colère qui a été détournée – comme elle l’a été ailleurs – pour lui faire prendre un tour nationaliste et xénophobe : ici l’hystérophobie des Russes et de la Russie. À quoi cela a-t-il conduit outre à une guerre fratricide qu’on devine perdue ? À une aggravation sans précédent de la crise économique et sociale.

 

 

L’abîme économique

 

L’Ukraine, jadis l’une des républiques soviétiques les plus riches, ne survit plus que sous perfusion occidentale. Elle risque d’entraîner l’Union européenne dans un bourbier où même la Grèce dont elle a si peur ne pourrait pas l’y conduire. À moins qu’au final, Bruxelles n’abandonne Kiev à son triste sort comme on laisse une maîtresse dont les charmes sont fanés.

 

Une récente étude économique de la Coface, un leader mondial de l’assurance-crédit, établit que « Le repli de l’économie ukrainienne se poursuivra en 2015, mais pourrait être atténué par une légère reprise des investissements en fin d’année, sous réserve que la situation politique ne se détériore pas à nouveau ». Selon l’étude, « La consommation des ménages devrait rester contrainte par le niveau élevé de l’inflation et le coût du crédit. Les prix à la consommation augmenteront encore en 2015, sous l’effet d’une nouvelle hausse des tarifs du gaz (40 % en mai 2015) conformément à l’accord conclu avec le FMI en 2014 ainsi qu’à l’impact de la dévaluation continue du cours de l’Hryvnia » [7]. Les statistiques de la Coface révèlent que le PIB de l’Ukraine pourrait chuter de 6 % en 2015 après un repli de 8 % en 2014, tandis que l’inflation passerait de 12,5 % à 15 % et que la Dette publique atteindrait 66 % du PIB.

 

Les données officielles montrent, de leur côté, que les prix des produits alimentaires et boissons non alcoolisées ont augmenté de 25 % ; ceux des fruits et céréales de 56 % à 77 % ; ceux des services médicaux de 17 % à 30 % et le transport de 42 %. Les services de base (électricité, eau et gaz) ont augmenté de 34,3 %.

 

Des programmes sociaux ont subi de lourdes coupes, tandis que les salaires et les pensions ont été gelés. L’Organisation internationale du travail (OIT) estime que chômage en Ukraine a augmenté de 9,3 % entre janvier et septembre 2014. L’agression armée contre Donetsk et Lougansk, outre qu’elle engloutit une bonne partie des financements internationaux, s’est retournée comme un boomerang contre Kiev. L’Est correspond à l’essentiel de la production industrielle, puisqu’avec ses 6 régions il réalise plus de 40 % du PIB de l’Ukraine, mais aussi près de 60 % de ses exportations. La zone Centre est une zone de consommation, avec le poids de Kiev, qui est la capitale du pays, et qui reçoit une large part des recettes fiscales du pays (qui sont en partie issues de la zone Est). La zone Ouest est composée des régions agricoles du pays. L’industrie, écrit le chercheur Jacques Sapir, « est largement liée à la Russie, que ce soit par l’énergie consommée ou par les matières premières. Mais, les exportations de cette zone sont néanmoins supérieures à ses importations. La balance commerciale de la zone Est est ainsi excédentaire alors que la zone centrale du pays est très largement déficitaire. Cela implique que si le déficit extérieur de l’Ukraine est de 13,6 milliards de dollars (en 2013), si on ne prend que les zones Ouest et Centre, il se monte à 22,6 milliards de dollars (en 2013). C’est l’une des raisons pour lesquelles il est impératif de garder l’Ukraine unie. De même, si le déficit budgétaire est élevé (4,3 % du PIB en 2013), si l’on ne prend que les zones Ouest et Centre il passe à 13 % du PIB, une valeur qui devient insupportable ».

 

Dans ces conditions, pour Jacques Sapir « La réduction des dépenses, que le FMI est déjà en train d’imposer au gouvernement provisoire, va aggraver considérablement la situation de toute la population, mais en particulier des segments les plus pauvres. Cependant, si l’on veut chercher à ramener le déficit à 3 % du PIB, cela implique d’imposer à la population des zones Ouest et Centre un ajustement de 10 % du montant du PIB de l’Ukraine unie, et de 16,6 % de l’Ukraine ramenée aux zones Ouest et Centre » [8].

 

En lançant la guerre contre l’Est qui ne voulait que la fédéralisation du pays afin d’y pouvoir parler sa langue – le russe – et d’y cultiver son histoire – celle notamment de la résistance à l’occupant nazi quand l’Ouest s’enfonçait dans la collaboration et les massacres de Juifs, de Polonais, de Résistants et de soldats soviétiques — Kiev s’est tiré une balle dans les deux pieds.

 

On se demande bien comment les Américains qui n’en ont que faire ou les Européens empêtrés dans leur propre crise, pourrait remplacer le manque à gagner des échanges avec la Russie abandonnés. Au demeurant l’UE elle-même doit faire ses comptes.

 

 

 

Par Bernard Frederick (journaliste, ancien correspondant de « l’Humanité » à Moscou) - josefort.over-blog.com - le 23 février 2015

 

 

Notes :

[1] Le 20 février des manifestants e t des policiers sont tués par des snipers. Yanoukovitch en est accusé. Depuis, un document a été présenté lors d’un séminaire le 1er octobre 2014 par le professeur Katchanovski du département de Science Politique de l’Université d’Ottawa au Canada. Celui-ci indique : « le massacre des manifestants et de policiers a représenté un renversement du gouvernement de l’Ukraine et un crime majeur contre les droits de l’homme. Ce renversement violent a constitué un changement de gouvernement par des moyens non démocratiques. Il a donné lieu à un violent conflit qui a tourné à la guerre civile dans l’Est de l’Ukraine, à une intervention russe en soutien aux séparatistes de Crimée et du Donbass, et à l’éclatement de facto de l’Ukraine. Il a aussi été la cause d’une escalade internationale entre l’Ouest et la Russie au sujet de l’Ukraine. Les évidences indiquent qu’une alliance entre les mouvements d’opposition de Maïdan et l’extrême droite est impliquée dans le meurtre de masse de manifestants et de policiers, tandis que l’implication des forces spéciales de la police dans le meurtre d’autres manifestants ne peut être exclue sur la base des évidences publiquement disponibles ». La vérité sur Maïdan, blog de Jacques Sapir, 19 novembre 2014.

[2] Le 8 février 2010, le lendemain du scrutin présidentiel, Joao Soares, le président de l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) déclarait : « L’élection a offert une démonstration impressionnante de démocratie. C’est une victoire pour tout le monde en Ukraine. Il est temps maintenant pour les dirigeants politiques du pays d’écouter le verdict du peuple et de faire en sorte que la transition de pouvoir soit pacifique et constructive ». Le Monde du 8 février 2010.

[3] Cf Bernard Frederick La crise ukrainienne point par point, 6 mars 2014, sur ce site : http://www.lafauteadiderot.net/

[4] Le Grand Echiquier, paru en France en 1997 aux éditions Bayard, et sous-titré : L’Amérique et le reste du monde.

[5] G. Sussman et S. Krader, « Template Revolutions : Marketing U.S. Regime Change in Eastern Europe », Westminster Papers in Communication and Culture, University of Westminster, London, vol. 5, n° 3, 2008, p. 91-112

[6] Cf mon article du 6 mars 2014 sur ce site.

[7] http://www.coface.com/fr/Etudes-eco....

[8] En Ukraine, le temps presse.26 mars 2014 Par Jacques Sapir. http://russeurope.hypotheses.org/2148

 

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À l’Ouest rien de nouveau, on détruit, à l’Est on construit

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À l’Ouest rien de nouveau, on détruit,

à l’Est on construit

Par Pepe Escobar (*)

 

 

« Il est impératif qu’aucune puissance eurasienne concurrente (des USA) capable de dominer l’Eurasie ne puisse émerger et ainsi contester l’Amérique. » Zbigniew Brzezinski, Le Grand Échiquier, 1997

 

 

Que recèle un nom, ou même un idéogramme ? Tout. Un simple caractère chinois, jiè (), qui signifie entre, illustre de façon éloquente l’initiative de politique étrangère la plus ambitieuse du nouveau rêve chinois.

 

Dans la partie supérieure de ce caractère à quatre traits qui, symboliquement, évoque le toit d’une maison, le trait à gauche correspond à la Ceinture économique de la route de la soie, et le trait à droite représente la Route de la soie maritime du XXIe siècle. Dans la partie inférieure, le trait à gauche est le corridor Chine-Pakistan, et celui à droite est le corridor Chine-Myanmar-Bengladesh-Inde, qui passe par la province du Yunnan.

 

La culture chinoise fait ses choux gras d’une ribambelle de formules, d’adages et de symboles. Même si bien des érudits chinois craignent que la nouvelle allusion au pouvoir souple de l’Empire du Milieu ne se perde en conjectures, le caractère jiè, avec toute la connectivité dont il est empreint, sert déjà de point de référence pour amener 1,3 milliard de Chinois et toute la diaspora à l’étranger à se faire une idée de la vision double (continentale et maritime) de la Nouvelle route de la soie dévoilée par le président Xi Jinping, appelée aussi Initiative de la Ceinture et de la Route.

 

Concrètement, la Nouvelle route de la soie sera dynamisée par le financement qui lui sera accordé en vertu d’un fonds spécial s’élevant à plusieurs milliards de dollars et par la nouvelle Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB). Les investisseurs européens en ont pris bonne note.

 

La Nouvelle route de la soie (les routes, en fait) symbolise le pivot de la Chine vers le cœur du continent qu’est l’Eurasie. Cela implique l’existence d’une Chine puissante enrichie encore plus par son voisinage, sans pour autant perdre son essence en tant qu’État de civilisation. On pourrait y voir une version remixée postmoderne des dynasties Tang, Song et des premiers Ming, que Pékin a habilement fait valoir dernièrement, dans le cadre d’une superbe exposition au Musée national de Chine, qui réunit des pièces rares de la Route de la soie de jadis en provenance de divers musées régionaux.

 

Hier, la Chine a mis en œuvre des projets d’infrastructure unificateurs comme la Grande muraille. Demain, elle se lancera dans un grand projet d’unification de l’Eurasie au moyen d’un train à grande vitesse. Lorsqu’on se penche sur l’ampleur de cette vision, la description de Xi comme un chef d’État qui aspire à devenir un nouveau Mao Zedong ou Deng Xiaoping se distingue par sa banalité.

 

La nouvelle aspiration de la Chine pourrait bien sûr être interprétée comme la fermentation d’un nouveau système d’influence, ordonné et centré à Pékin. Aux USA, ils sont nombreux à craindre que la Nouvelle route de la soie ne devienne, sur le plan géopolitique, un développement pacifique, une alternative avantageuse pour tous au pivot vers l’Asie de l’administration Obama, en fait mené par le Pentagone.

 

Pékin rejette l’idée même d’hégémonie. Il maintient qu’il ne s’agit pas d’un Plan Marshall. Il est indéniable que le Plan Marshall ne concernait que les pays occidentaux et excluait tous les pays et les régions que l’Occident considérait comme idéologiquement proches de l’Union soviétique. La Chine, en revanche, cherche à intégrer les économies émergentes dans un vaste réseau d’échanges et de commerce paneurasiatique.

 

 

Achtung ! Seidenstrasse ! (Attention ! Route de la soie !)

 

Il ne faut donc pas s’étonner de voir les grandes nations d’une Union européenne (UE) aux abois graviter autour de la banque AIIB [Banque d’investissement pour les infrastructures asiatiques, NDT], qui jouera un rôle clé dans la (les) nouvelle(s) route(s) de la soie. C’est à un géographe allemand, Ferdinand von Richthofen, que l’on doit le concept de Seidenstrasse (route de la soie). Marco Polo a lié à jamais l’Italie à la route de la soie. L’UE est déjà le partenaire commercial numéro un de la Chine. C’est aussi le 40e anniversaire des relations entre la Chine et l’UE, avec tout le symbolisme qui va avec. La constitution d’un fonds sino-européen pour financer des projets d’infrastructure, voire d’énergie verte, à la grandeur d’une Eurasie intégrée, est une possibilité bien réelle.

 

C’est comme si le tableau saisissant de Paul Klee, Angelus Novus, l’Ange de l’Histoire, dont le philosophe Walter Benjamin a fait l’éloge, essayait maintenant de nous démontrer l’inexorabilité de la synergie qui émane de la Seidenstrasse sino-européenne en ce XXIe siècle. Fait crucial, elle engloberait la Russie, qui constitue un élément vital de la Nouvelle route de la soie, avec la transformation prévue du Transsibérien en TGV, un projet de 280 milliards de dollars financé par la Russie et la Chine. C’est la fusion du projet de Nouvelle route de la soie à l’idée initiale du président Poutine de créer un vaste empire commercial s’étendant de Lisbonne à Vladivostok.

 

Parallèlement à cela, la Route de la soie maritime du XXIe siècle va affermir les échanges commerciaux par mer déjà frénétiques qui se font entre la Chine et l’Asie du Sud-Est. La province du Fujian, juste en face de Taiwan, où Xi a passé bien des années de sa vie, jouera un rôle déterminant. Hong Kong ne veut évidemment pas être en reste.

 

Tous ces changements sont proposés par la Chine, qui est enfin disposée à devenir un exportateur net d’une quantité massive de capitaux et la principale source de crédit pour le Grand Sud. D’ici quelques mois, Pékin va lancer le système de paiement international de la Chine (CIPS), qui devrait turbopropulser le yuan comme une importante devise mondiale pour tous les types d’échanges. Comme si la Banque AIIB ne suffisait pas, il y a aussi la Nouvelle banque de développement, fondée par les BRICS pour faire concurrence à la Banque mondiale, dont le siège social est à Shanghai.

 

On pourrait soutenir que tout le succès de la Route de la soie repose sur la façon dont Pékin va s’occuper de la rétive Xinjiang et sa population de Ouïghours [un peuple turcophone et musulman sunnite, NDT], qui devrait être considérée comme l’un des principaux maillons de l’Eurasie. Il s’agit là d’une intrigue secondaire qui pose de nombreux problèmes de sécurité, c’est le moins qu’on puisse dire, et qu’il faudra suivre attentivement d’ici la fin de la décennie. Chose certaine, la puissance du vent en provenance de Chine qui souffle vers l’Eurasie se fera sentir dans la majeure partie de l’Asie.

 

Par opposition à la sempiternelle pensée magique de Brzezinski, l’Eurasie deviendra probablement un enjeu politique : un partenariat stratégique sino-russe de facto, qui se manifeste dans les diverses facettes de la Nouvelle route de la soie, tout en déployant la force de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS).

 

À ce moment-là, l’Iran et le Pakistan seront membres de l’OCS. Les relations étroites entre l’ancienne Perse et la Chine s’étendent sur deux millénaires et sont perçues aujourd’hui par Pékin comme une question de sécurité nationale. Le Pakistan est un maillon essentiel de la Route de la soie maritime, surtout lorsqu’on prend en compte le port de Gwadar, dans l’océan Indien, appelé à devenir aussi, d’ici quelques années, un point de transit du gazoduc IP ou Iran-Pakistan. Il pourrait être aussi le point de départ d’un autre grand schème du pipelinistan chinois, qui prendrait la forme d’un gazoduc longeant la route de Karakorum pour ravitailler le Xinjiang.

 

Pékin considère l’Iran et le Pakistan, qui forment l’intersection entre l’Asie du Sud-Ouest et l’Asie du Sud, comme des maillons stratégiques de la Nouvelle route de la soie. Ce qui amène Pékin à faire sentir sa puissance commerciale non seulement dans l’océan Indien, mais aussi dans le golfe Persique.

 

 

Nous avons une vision, nous voyagerons

 

L’inquiétude que la tournure des événements suscite à Washington fait ressortir l’absence flagrante de la moindre vision Made in the USA afin de charmer l’opinion publique paneurasiatique à ses vues. Tout ce qu’il propose, c’est une posture militaire brumeuse qui pivote parallèlement à une expansion effrénée de l’OTAN, ainsi que le racket corporatiste connu sous le nom de Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI), qu’on appelle communément en Asie la version commerciale de l’OTAN.

 

Le contrecoup de ce qui précède pourrait être déjà en préparation par l’entremise des BRICS, de l’OCS et du renforcement continuel du partenariat sino-russe. À cela s’ajoute l’expansion de l’Union économique eurasiatique (Arménie, Biélorussie, Kazakhstan et Russie, que rejoindra bientôt le Kirghizistan, puis le Tadjikistan). Au Moyen-Orient, la Syrie étudie sérieusement la possibilité d’en faire partie, et un accord commercial avec l’Égypte a déjà été conclu. En Asie du Sud-Est, un pacte avec le Vietnam sera chose faite d’ici la fin de 2015.

 

Le programme caché de la Russie et de la Chine dans leur contribution à la conclusion d’un accord sur le nucléaire entre l’Iran et le P5+1 ouvre la voie à l’admission de l’Iran comme membre à part entière de l’OCS. Au début de 2016, attendez-vous à ce que l’OCS représente au moins 60 % de l’Eurasie, une population regroupant 3,5 milliards d’habitants et une réserve pétrolière et gazière à la hauteur de celle des pays membres du Conseil de coopération du Golfe.

La véritable histoire, ce n’est pas de savoir comment la Chine va s’effondrer, comme le prétend David Shambaugh, le soi-disant expert numéro deux de la Chine aux USA (c’est qui le premier ? Henri Kissinger ?). Ce mythe a été démoli par de nombreuses sources. La véritable histoire, qu’un Asia Times revigoré va couvrir en détail dans les prochaines années [tout comme Le Saker francophone d’ailleurs, NDT], se trouve dans la manière dont les multiples aspects liés à la Nouvelle route de la soie vont configurer un nouveau rêve eurasiatique. Nous avons une vision, nous voyagerons. Bon voyage.

 

 

 

Par Pepe Escobar (*) (Asia Times) – traduit par Daniel, relu par jj et Diane pour Le Saker francophone – le 21 mars 2015

  

(*) Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan : How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).

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