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L’heure du Grexit approche...

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L’heure du Grexit approche...

 

Cet après-midi, les marchés d’actions ont brutalement chuté en Europe. Des grosses rumeurs d’un Grexit circulent en salles de marché. Un porte-parole de l’UE a signalé à l’agence Bloomberg qu’une réunion « impromptue » aura lieu ce weekend du « groupe de Bruxelles », c’est-à-dire l’ex-troïka.

 

Dans ce contexte, nous avons jugé utile de publier ici l’excellente tribune de l’ancien banquier Jean-Michel Naulot, paru dans Libération le 15 avril 2015.

 

 

Le défi Tsipras

Par Jean-Michel Naulot.

 

Le silence qui entoure les négociations entre la troïka — car c’est bien d’elle qu’il s’agit — et le gouvernement grec ne laisse rien présager de bon. Il rappelle ces quelques jours qui ont précédé la faillite de Lehman Brothers où le gouvernement américain et les autorités monétaires décidèrent de ne pas secourir la banque d’affaires pour « faire un exemple ».

 

Dans les jours qui suivirent, quelques banquiers se félicitèrent de voir tomber un concurrent. Ils regrettèrent vite leurs propos en apercevant l’onde de choc terrible qui arrivait, avec une crise de liquidités sans précédent. Cette fois, l’onde de choc pourrait être non pas financière, mais politique. À moins que la raison ne finisse par l’emporter sur un bras de fer destructeur pour l’Europe tout entière.

 

D’où vient donc la tranquille assurance des dirigeants de l’Eurogroupe, alors même que la situation financière de la Grèce se détériore de jour en jour avec la fuite des capitaux ? De la certitude que la Grèce n’a pas le choix, et qu’elle ne peut qu’accepter les réformes.

 

Les dirigeants européens ont le sentiment qu’avec une dette publique financée à 80 % par les États, le FMI et la BCE, le rapport de force est en leur faveur. De plus, ils savent qu’en cas de sortie de l’euro sans restructuration de la dette, celle-ci bondirait immédiatement puisque, lorsque la dette est financée par des prêts intergouvernementaux, ce n’est pas le droit des titres qui s’applique, mais le droit des États prêteurs.

 

Avant les élections, Angela Merkel avait tenu à faire passer le message : pour les Grecs, ce sera à prendre ou à laisser, soit l’acceptation des réformes dans la continuité de la politique précédente, soit la sortie de l’euro. Jean-Claude Juncker avait ajouté après les élections :

Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités.

 

La Grèce ne pouvait que supporter le prix des fautes commises.

 

On a un peu oublié que, tout au long de l’hiver 2010, Merkel s’était déjà opposé à toute aide à la Grèce, même minime. Jusqu’à ce fameux week-end de mai 2010, où elle prit conscience que si elle n’aidait pas la Grèce, les banques françaises et allemandes se retrouveraient en grande difficulté. Celles-ci détenaient une vingtaine de milliards d’euros de dette grecque, et leur exposition au risque approchait la centaine de milliards !

 

Le système financier menaçait de s’effondrer. Les aides débloquées par les États européens et le FMI permirent de faire face à un vrai risque systémique en substituant les contribuables aux banques et aux investisseurs. Angela Merkel fait logiquement l’analyse que ce risque systémique n’existe plus puisque les banques ne sont plus en première ligne. Mais elle sous-estime le risque politique qui, lui, s’est accru.

 

Aléxis Tsípras sait que les prêts gigantesques de la zone euro à la Grèce sont une arme politique redoutable entre ses mains, la seule qu’il lui reste. Demain, s’il décidait de rompre sur le programme de réformes, et s’il était dans l’impossibilité de faire face aux échéances financières, dans quelle situation se retrouveraient les dirigeants européens ?

 

Comment pourraient-ils expliquer à leurs électeurs, et surtout à leurs contribuables, qu’ils viennent de perdre plus de 300 milliards d’euros en l’espace de cinq ans (195 milliards au titre des prêts intergouvernementaux ; 27 milliards au titre des achats de dette souveraine par la BCE ; 91 milliards au titre de l’Eurosystème Target2 garanti par les Banques centrales nationales, donc par les États, un montant qui a doublé depuis trois mois), soit au total plus de vingt fois le montant des aides accordées à l’Argentine au début des années 2000 ?

 

Et, comment expliquer qu’après cinq ans de réformes imposées par la troïka, ils laissent la Grèce avec un produit national en baisse de 25 %, un taux de chômage de 26 % (51 % chez les jeunes), une dette qui a progressé de 120 % à 175 % du PIB, et une pauvreté honteuse dans une zone euro pourtant censée faire converger les politiques (plus de 80 % de la population au chômage sans indemnités) ?

 

Face à Tsipras, Merkel se retrouve dans la position de l’ambassadeur d’Union soviétique venu voir de Gaulle en pleine crise de Cuba. À l’ambassadeur, qui le menaçait d’une guerre nucléaire, si les Occidentaux ne renonçaient pas à leurs missiles, de Gaulle avait répondu :

 

Eh bien, Monsieur l’Ambassadeur, nous mourrons ensemble !

 

Compte tenu de l’opinion publique allemande à l’égard de la Grèce, Merkel pourrait jouer son avenir politique sur un défaut de paiement de la Grèce. Derrière la fermeté de la chancelière, il y a une grande fragilité que l’on se garde bien d’évoquer.

 

Pour surmonter ce dilemme — une crise démocratique grave en Grèce en faisant respecter les « règles » ou bien une crise politique grave au sein de la zone euro en provoquant le défaut de paiement —, il existe une solution qu’un homme d’État de 89 ans vient d’évoquer : la « friendly exit ».

 

Prenant acte de l’impasse dans laquelle la troïka et la Grèce sont arrivées, Valéry Giscard d’Estaing a proposé d’organiser une sortie amicale de la Grèce de la zone euro. On peut en dessiner les contours : rétablissement de la drachme, conservation de l’euro pour les échanges extérieurs (cohabitation de deux monnaies comme ce fut le cas au sein de l’ensemble de la zone euro de 1999 à 2002), annulation partielle de la dette, maintien de la Grèce dans l’UE.

 

Aléxis Tsípras impressionne par sa capacité de résistance, et sa force de caractère. Jusqu’où ira-t-il ? Dans Les chênes qu’on abat… de Gaulle confiait à Malraux :

 

Au fond, vous savez, mon seul rival international, c’est Tintin ! Nous sommes les petits qui ne se laissent pas avoir par les grands.

 

À la politique hégémonique des deux superpuissances, de Gaulle opposait la détermination, l’habileté, parfois la ruse. Face à des dirigeants pour le moins intransigeants, et financièrement tout-puissants, Tsípras fera-t-il usage de qualités semblables ? Il rendrait un grand service à tous ces peuples qui, d’élection en élection, ne savent plus comment se faire entendre du côté de Bruxelles.

 

 

Par Solidarité & Progrès – le 17 avril 2015

Tribune publiée dans Libération le mercredi 15 avril 2015.

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La France, l’Europe, le monde... - Entretien avec Valéry Giscard d’Estaing - Partie 1/2

La France, l’Europe, le monde...  - Entretien avec Valéry Giscard d’Estaing - Partie 1/2 | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Photo : Valéry Giscard d’Estaing - sott.net



  

La France, l’Europe, le monde...

- Partie 1/2 -

 

Entretien avec Valéry Giscard d’Estaing *

conduit par Isabelle Lasserre **

 

Dans ce stimulant entretien exclusif, Valéry Giscard d’Estaing a accepté, pour Politique Internationale, de décrypter les turbulences qui agitent la planète. De la crise ukrainienne au conflit israélo-palestinien en passant par l’avancée de Daech en Irak et en Syrie, l’ancien président livre son interprétation des principaux dossiers du moment. Comme le lecteur s’apprête à le découvrir, celui qui est également le maître d’œuvre de l’ambitieux projet Europa — la création, au sein de l’UE, d’un ensemble fort et fédératif qui permettra à l’Union de progresser sur la voie tracée il y a soixante ans par les Pères fondateurs (1) — n’a rien perdu de sa profondeur de vue, de sa force de conviction et de son humour.


I. L.

 

— Isabelle Lasserre — Monsieur le Président, quelles sont les principales raisons qui vous ont poussé à concevoir Europa ?

 

Valéry Giscard d’Estaing — Mon projet repose, d’abord, sur un constat. Dans le monde actuel, caractérisé par la montée des grands États, la France est une puissance moyenne, tant par sa population que par sa taille. Elle a une histoire ancienne très glorieuse qui lui a valu, par le passé, une influence mondiale et une culture toujours vivante. Mais, aujourd’hui, son économie est très affaiblie ; son produit intérieur brut stagne ; et elle est, par surcroît, en cours de désindustrialisation rapide. L’une des raisons principales à cela, en dehors du laxisme économique et financier de sa politique, tient au fait que la trajectoire qu’avaient dessinée les créateurs français de l’Europe, Jean Monnet et Robert Schuman, a été interrompue au début des années 1990. Le traité de Maastricht a été signé en 1992 entre douze États membres, dont les six États fondateurs. Or le système européen s’est brusquement élargi à seize nouveaux États membres, sur un laps de temps relativement court, sans que ses structures aient été adaptées pour accueillir les nouveaux entrants et sans que les objectifs poursuivis par l’Union leur aient été précisés. Lorsqu’il avait été suivi, entre 1950 et 1992, le chemin tracé par les pères de l’Europe avait permis d’obtenir de brillants résultats, en particulier la mise en place d’une monnaie commune. Aujourd’hui, il faut impérativement reprendre la bonne voie. C’est le sens du projet Europa qui permet aux pays qui veulent poursuivre l’intégration européenne d’en franchir de nouvelles étapes.

 

— I. L. — L’Europe manque de leaders charismatiques, de leaders d’envergure. Qui donc peut incarner ce projet Europa ?

 

V. G. E. — C’est bien le problème. De tels leaders n’existent pas de nos jours. Nous assistons à la fin d’une génération. Avec l’avènement de la société de consommation, les responsables politiques se sont détournés des grands objectifs pour se consacrer à la satisfaction des besoins individuels, à dimensions électorales. Les dirigeants d’exception ont disparu. Certes, on voit apparaître une nouvelle génération dans les élections locales, en Italie, en Pologne et même en France — une nouvelle génération qui produira en son temps des leaders d’envergure internationale. Mais, en attendant, nous pourrions quand même avancer. La carence est avant tout française dans la mesure où toutes les grandes initiatives européennes ont, jusque-là, été proposées par la France. L’Allemagne, elle, s’est plus rarement mobilisée pour fournir des idées. Voilà pourquoi la France devrait aujourd’hui proposer de réunir plus régulièrement le Conseil des chefs d’État de la zone euro et de le doter d’un indispensable secrétaire général, qui devrait être français. L’Europe possède la deuxième monnaie internationale — ce qui, dans un monde en crise, comme on le constate en ce moment avec les secousses du rouble, n’est pas sans importance. Or les plus hauts responsables des États de la zone euro ne se réunissent que rarement, deux fois par an tout au plus. La situation de la France est si faible aujourd’hui qu’elle n’ose plus avancer de propositions audacieuses. Elle traverse une crise de crédibilité. Il lui faut reprendre l’initiative.

 

— I. L. — Ces dernières années, la France a-t-elle commis des erreurs en matière de politique européenne ?

 

V. G. E. — La principale erreur de la France, c’est de ne pas avoir réalisé les réformes indispensables, qui sont bien connues. L’autre est d’avoir refusé d’appliquer les accords qu’elle a signés et votés dans le domaine budgétaire. Nous refusons l’application du Pacte de stabilité et de croissance (2) et nous demandons des dérogations à nos partenaires pour pouvoir maintenir un déficit budgétaire excessif et accroître encore notre endettement, ce qui constitue pour nous une bombe à retardement dans la perspective confirmée de la hausse des taux d’intérêt américains en 2015 ! Si l’on met de côté la Grèce et l’Italie, la France est, dans ce domaine, le dernier pays du groupe de la zone euro. C’est une erreur grave : elle a affaibli notre crédibilité européenne, qui avait déjà été largement entamée par le non au référendum de 2005 sur la Constitution européenne (3).

 

— I. L. — David Cameron est-il l’homme qui fera sortir la Grande-Bretagne de l’Union européenne ? Pensez-vous qu’une telle tournure des événements serait une bonne ou une mauvaise chose ?

 

V. G. E. — Je souhaite vivement que la Grande-Bretagne reste dans l’Union européenne des 28 États membres. Elle agit correctement dans ce cadre, où elle a tout à fait sa place. Mais la Grande-Bretagne a peur d’être embarquée dans un système d’intégration dont elle ne veut pas et ne voudra jamais. L’Union à 28 est un espace commercial doté de très peu de compétences d’intégration et qui n’a rien à voir avec la zone euro. Il vaut mieux que la Grande-Bretagne demeure dans l’UE : pour elle, pour nous et pour tout le monde. Son histoire est très mêlée à celle de l’Union, elle appartient au groupe des trois ou quatre grands pays européens. Ses soldats ont combattu sur le sol de la France pendant les deux dernières guerres. Ce qu’elle demande, à savoir l’arrêt de la prolifération de textes émis par les institutions européennes et le respect strict des compétences de l’Union, n’a, en réalité, rien d’excessif ; je n’en regrette que davantage la réaction négative que ces requêtes suscitent chez ses partenaires européens ; je déplore, surtout, le fait qu’il n’y ait aucune négociation avec Londres. Le ministre français des Affaires étrangères serait bien inspiré de conduire des discussions avec la Grande-Bretagne, dont les demandes devraient être calmement étudiées par les Européens et faire si possible l’objet d’un accord. Certes, la situation est difficile et compliquée depuis la victoire du parti Ukip aux élections européennes (4) et le référendum sur l’indépendance en Écosse (5) — ce qui, comme vous le savez, a suscité un débat parmi les Gallois et les Anglais. Je crois que David Cameron n’en souhaite pas moins rester dans l’Union européenne, mais il ne pourra le faire que si le prix politique à payer pour cela n’est pas trop élevé.

 

— I. L. — Quelles seraient les conséquences d’une sortie de la Grande-Bretagne ?

 

V. G. E. — À court terme, il n’y aurait pas tellement de conséquences. C’est sur le plan de la vocation de Londres, une capitale monétaire largement investie dans l’euro, que les choses changeraient. On assisterait à une érosion de la position de la Grande-Bretagne. Mais pour l’Europe continentale, il n’y aurait pas de conséquences majeures.

 

— I. L. — Quel regard portez-vous sur l’annexion de la Crimée et la déstabilisation de l’est de l’Ukraine par la Russie ?

 

V. G. E. — Concernant le « retour » de la Crimée en Russie, très franchement je l’ai jugé conforme à l’Histoire. J’ai relu des livres décrivant l’histoire russe du XVIIIe siècle. La Crimée a été conquise sous le règne de Catherine II, avec l’action prédominante du prince Potemkine, lorsque la Russie descendait vers le sud en direction de la Turquie dans l’idée de reconquérir Constantinople. La conquête de la Crimée fut assez dure. Elle ne s’est pas faite au détriment de l’Ukraine, qui n’existait pas, mais d’un souverain local qui dépendait du pouvoir turc. Depuis, elle n’a été peuplée que par des Russes. Quand Nikita Khrouchtchev a voulu accroître le poids de l’URSS au sein des Nations unies qui venaient de naître, il a « inventé » l’Ukraine et la Biélorussie pour donner deux voix de plus à l’URSS, et il a attribué une autorité nouvelle à l’Ukraine sur la Crimée qui n’avait pas de précédent. À l’époque, déjà, je pensais que cette dépendance artificielle ne durerait pas. Les récents événements étaient prévisibles. D’ailleurs, le retour de la Crimée à la Russie a été largement approuvé par la population. Ce n’est que lorsque les problèmes se sont étendus à l’est de l’Ukraine qu’on s’en est inquiété...

 

— I. L. — De nombreux analystes et responsables politiques plaident pour une plus grande « compréhension » à l’égard de Vladimir Poutine. Bien que vous ayez toujours été un partisan de la détente vis-à-vis de Moscou, à l’époque de la guerre froide comme aujourd’hui, acceptez-vous qu’on puisse ainsi violer le droit international et déstabiliser un pays ?

 

V. G. E. — Les règles conventionnelles adoptées lors de la paix de Westphalie en 1648 (6) posaient le principe du respect de la souveraineté nationale et des frontières. En vertu de ce principe, certains estiment que l’Ukraine doit absolument conserver la totalité du territoire qui était le sien au moment de son indépendance en 1991. Mais n’oublions pas que la décomposition de l’URSS s’est faite dans la débandade et a provoqué un émiettement des frontières ! La méthode de Vladimir Poutine aurait pu être différente. Mais, aujourd’hui, la question de la Crimée doit être laissée de côté. Celle de l’est ukrainien est, en revanche, plus difficile. N’oubliez pas que l’Ukraine a longtemps été russe, Kiev fut la capitale de la Russie. Lorsque, ministre des Finances, je suis allé en Union soviétique à la demande du général de Gaulle, j’ai été reçu par Khrouchtchev à Kiev...

 

Pour y voir vraiment clair, il faut se demander ce qui s’est réellement passé il y a un an dans la capitale ukrainienne. Quel rôle la CIA a-t-elle joué dans la révolution du Maïdan ? Quel est le sens de la politique systématiquement anti-russe menée par Barack Obama ? Pourquoi les États-Unis ont-ils voulu avancer leurs pions en Ukraine ? Existe-t-il un lobby ukrainien influent aux États-Unis ? Les Américains ont-ils voulu « compenser » leur faiblesse au Moyen-Orient en conduisant, sur le continent européen, une politique plus « dure » contre la Russie ?

 

— I. L. — Pensez-vous vraiment que les États-Unis sont responsables de la crise ukrainienne ? N’est-ce pas plutôt la corruption de l’équipe au pouvoir qui a provoqué le ras-le-bol des Ukrainiens ?

 

V. G. E. — Les deux éléments sont à prendre en compte. Il est indéniable que le pouvoir ukrainien était insupportable et corrompu. Ce qui explique, au moins partiellement, que le président Ianoukovitch ait été contraint au départ. Mais la situation est restée confuse et il faut reconnaître que la transition ukrainienne a un aspect peu démocratique. Ce sont des clans dirigés par des oligarques qui mènent le jeu. Quant aux États-Unis, ils ont probablement soutenu et encouragé le mouvement insurrectionnel. Et, ensuite, ils ont pris la tête de la politique de sanctions visant la Russie — une politique qui a enfreint le droit international. Qui peut s’arroger le droit, en effet, de dresser une liste de citoyens à qui l’on applique des sanctions personnelles sans même les interroger, sans qu’ils aient la possibilité de se défendre et même d’avoir des avocats ? Cette affaire marque un tournant préoccupant. Concernant les sanctions économiques visant non des personnes, mais l’État russe, comment ne pas considérer qu’elles font du tort aux deux protagonistes — Russie et Occident — en altérant leurs échanges commerciaux ? Cette montée des tensions va continuer de faire du mal à l’économie russe. Soit dit en passant, quel est le nom de l’expert qui avait prévu et annoncé la chute des cours du pétrole ? Aucun expert n’avait anticipé cet événement ! Quoi qu’il en soit, aujourd’hui l’économie russe est fragilisée en raison de la spéculation contre le rouble qui est à son cours le plus bas, par rapport au dollar, depuis 1998. Les Américains ont-ils intérêt à provoquer la chute de l’économie russe ? Pour l’Europe, les Russes sont des partenaires et des voisins. Dans le désordre international actuel, face à la flambée des violences au Moyen-Orient, devant l’incertitude provoquée par les élections de mi-mandat aux États-Unis, il serait irresponsable de souhaiter que l’économie russe s’effondre.

 

 

 

Par politiqueinternationale.com – La Revue n° 146 – hiver 2015 par Patrick Wajsman

 

 * Président de la République française de 1974 à 1981.

** Rédactrice en chef adjointe au service étranger du Figaro.

 

 

Notes :

(1) La déclaration du 9 mai 1950, appelée déclaration Schuman, est considérée comme le texte fondateur de la construction européenne. Elle a débouché sur la signature du Traité de Paris en avril 1951, qui fonde la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca), entre six États européens.

(2) Adopté en 1997, le Pacte de stabilité et de croissance désigne l’ensemble des critères que les États de la zone euro se sont engagés à respecter vis-à-vis de leurs partenaires. Il est censé permettre aux États de coordonner leurs politiques budgétaires et d’éviter l’apparition de déficits trop importants. Il impose en théorie aux pays de la zone euro de tout faire pour avoir des budgets équilibrés ou excédentaires.

(3) En 2005, la France a rejeté le Traité constitutionnel. Le non au référendum sur la constitution a recueilli 54,87 % des suffrages.

(4) Aux dernières élections européennes, en mai 2014, le parti indépendantiste Ukip (United Kingdom Independence Party) est arrivé en tête au Royaume-Uni, avec 27,5 % des voix.

(5) Le 18 septembre 2014, le référendum sur l’indépendance de l’Écosse s’est soldé par une victoire du « non ». Il avait été organisé conformément à l’accord passé entre le Premier ministre britannique David Cameron et son homologue écossais Alex Salmond à Édimbourg en octobre 2012. Si le vote avait été favorable, l’indépendance aurait été proclamée en mars 2016.

(6) Le 24 octobre 1648, les traités de Westphalie ont mis fin à la guerre de Trente Ans. Ils sont à l’origine du « système westphalien » qui désigne le nouveau système de relations internationales, basé sur les principes du respect de la souveraineté des États et de l’équilibre des puissances.

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La France, l’Europe, le monde... - Entretien avec Valéry Giscard d’Estaing - Partie 2/2

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Photo : Valéry Giscard d’Estaing - sott.net

 

 

La France, l’Europe, le monde...

- Partie 2/2 -

 

Entretien avec Valéry Giscard d’Estaing *

conduit par Isabelle Lasserre **

 

 

 

— I. L. — Quelle solution proposeriez-vous pour tenter de résoudre la crise ?

 

V. G. E. — L’Ukraine telle qu’elle est n’est pas en état de fonctionner démocratiquement. Il faut donc qu’elle se réorganise. Je souhaite que la diplomatie française prenne le leadership européen de la recherche d’une solution politique en Ukraine. Cette solution pour l’Ukraine semble être celle d’une confédération multiethnique, sur le modèle suisse des cantons, avec une partie russophone, une partie polonaise et une partie centrale. Un système à la fois fédéral et confédéral, sponsorisé par les Européens et soutenu par les Nations unies.

 

— I. L. — Dans un tel scénario, qu’advient-il de la Crimée ? On la fait passer par pertes et profits ?

 

V. G. E. — Je n’aime pas cette expression ; mais la Crimée, conquise — je le répète — alors qu’elle était gérée par un souverain d’allégeance turque et non ukrainienne, et où les Alliés de la dernière guerre sont venus tenir la conférence de Yalta, a vocation à rester russe !

 

— I. L. — Si vous étiez au pouvoir, que diriez-vous à Vladimir Poutine pour lui faire entendre raison ?

 

V. G. E. — La gestion de la crise par Vladimir Poutine n’a pas été judicieuse. Le président russe poursuit un rêve : rétablir l’influence qu’avait jadis l’Union soviétique. Mais ce rêve n’est pas réalisable, car une partie de l’empire soviétique a été construite par la force. Et quand la force n’est plus ce qu’elle était, ces méthodes ne sont plus envisageables. La Pologne et les pays baltes ne risquent rien. La Russie ne va pas se lancer dans ce type d’aventure. Mais dans les endroits qui sont en désordre politique, c’est moins évident. Il aurait fallu recommander à Vladimir Poutine de ne pas jouer avec le feu, et essayer de rechercher avec lui des solutions raisonnables. Ce qui est sûr, c’est que l’Ukraine n’entrera pas dans le système européen : c’est impossible ! Elle n’a ni la maturité économique ni la pratique politique nécessaire. Sa place est entre deux espaces, la Russie et l’Union européenne, avec lesquels elle doit entretenir des rapports normaux. Quant à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, il n’en est, bien évidemment, pas question et la France a raison d’y être défavorable ! À présent, voulez-vous ma prophétie ? La voici : l’Ukraine risque la faillite financière. Elle demandera des aides. Qui les lui donnera ? Sans doute le FMI puisque l’Union européenne n’a pas le dispositif pour le faire.

 

— I. L. — Sur la place Maïdan à Kiev, des Ukrainiens sont morts en défendant les valeurs européennes et en brandissant le drapeau de l’Union. Est-il possible de décevoir l’enthousiasme de ces hommes qui regardent vers nous avec autant de confiance ?

 

V. G. E. — Les aspirations européennes de Kiev étaient un songe. Comme ils n’entrevoyaient aucune perspective, il fallait bien que les Ukrainiens rêvent de quelque chose. Mais soyons réalistes : les Hongrois, qui sont dans l’Europe, n’en veulent plus (7), et l’Union, après sept ans, n’a pas réussi à régler de manière satisfaisante l’intégration de la Bulgarie et de la Roumanie... Pour des gens qui se sentent abandonnés, l’Union européenne est tentante. C’est une zone pacifique. Mais tout cela ne suffit pas à justifier une adhésion. En tant qu’ancienne partie de la Russie, l’Ukraine ne peut pas être dans l’Union européenne.

 

— I. L. — Quel regard portez-vous sur Barack Obama ? On avait espéré qu’il serait un mélange de Roosevelt et de Kennedy ; finalement, il fait plutôt songer à Jimmy Carter... Quel bilan dressez-vous de sa politique étrangère ?

 

V. G. E. — Barack Obama est un homme humainement sympathique et chaleureux, et qui cherche à être utile. Il apporte la preuve que, surtout dans le monde actuel, l’exigence de compétences est un élément essentiel ! Prenez le président chinois actuel : il avait occupé quatre ou cinq postes d’envergure avant d’arriver là où il est...

 

Au début, Barack Obama était très déterminé. Il a voulu se démarquer de George W. Bush en décidant le retrait d’Irak. Mais il a commis des erreurs dans la façon dont il a géré ce retrait. Car il a voulu le compenser, aux yeux d’une partie de l’opinion américaine, par l’annonce d’un engagement supplémentaire en Afghanistan, ce qui était une cause perdue d’avance, comme l’ont expérimenté les Britanniques, puis les Soviétiques.

 

Quant aux comparaisons que vous effectuez, je dirais que, s’il est vrai qu’Obama ne ressemble pas à Roosevelt, il ne ressemble pas davantage à Jimmy Carter. En effet, il ne change pas d’avis, il renonce à certains projets. Mais il ne faut pas se montrer trop sévère vis-à-vis de Barack Obama, pour la raison suivante : à notre époque, l’élection se fait avant tout sur l’appréciation audiovisuelle bien davantage que sur les compétences requises pour la fonction...

 

— I. L. — En Syrie, personne ne voit de porte de sortie à court ou moyen terme à cette guerre qui a déjà fait plus de 200 000 morts. Comment en sommes-nous arrivés là ? Quelle fut la première erreur commise, quand et par qui ? Qu’aurait-on dû faire ou ne pas faire à l’époque ? Que faire aujourd’hui ?

 

V. G. E. — Je n’ai aucune réponse à vos questions. Nous ne comprenons pas le phénomène, ces affrontements historiques, ces querelles de frontières, cet islam extrême. Au début, s’agissait-il d’un mécontentement populaire à caractère social vis-à-vis d’un pouvoir dictatorial ? D’une révolte contre la brutalité du régime ? Il fallait, d’abord, essayer de voir si le système était réformable. Il l’était sans doute. C’est alors que, progressivement, nous avons assisté à la montée d’un islam fanatique qui n’a pas de rapport direct avec la situation politique et que nous ne nous expliquons pas. La rivalité entre chiites et sunnites remonte au VIIe siècle. Pourquoi ressort-elle avec une telle violence maintenant alors qu’elle était plus modérée dans l’Empire turc ? Pourquoi exerce-t-elle autant d’attrait sur des jeunesses lointaines ? C’est une réflexion très difficile à mener, mais qu’on doit conduire au niveau européen.

 

— I. L. — Le péril que font peser sur la planète ces djihadistes de Daech ne mérite-t-il pas que la coalition s’implique davantage pour en venir à bout ? Ne faudrait-il pas aller jusqu’à envoyer des troupes au sol ?

 

V. G. E. — Je suis totalement opposé à une telle intervention au sol. D’ailleurs, elle ne se fera pas. Ce n’est pas à la coalition occidentale, mais aux pays arabo-musulmans de régler ce problème. La solution, à mes yeux, ne peut être que régionale. Naturellement, on peut effectuer des bombardements quand c’est nécessaire techniquement pour interdire une conquête. Ce qui est plus difficile, c’est de savoir quel avenir les intéressés veulent se donner...

 

L’Occident, cela va de soi, doit être hostile à Daech. Mais « être contre » ne veut pas dire « éradiquer ». Ne serait-ce que parce que c’est impossible. C’est à l’Iran et à l’Arabie saoudite d’agir !

 

— I. L. — Comment jugez-vous le jeu trouble mené par le Qatar et l’Arabie saoudite dans la région ?

 

V. G. E. — Ils ont fait de grandes erreurs et en subiront vraisemblablement les conséquences dans leur propre pays.

 

— I. L. — Pensez-vous que l’initiative du Sénat et de l’Assemblée nationale visant à reconnaître un État palestinien soit une bonne chose ?

 

V. G. E. — C’est leur responsabilité. Pour dire les choses franchement, je ne crois pas qu’une négociation directe israélo-palestinienne puisse aboutir à un accord : les exigences des deux parties sont trop substantiellement incompatibles. Un gouvernement israélien ne peut pas accepter les demandes auxquelles l’Autorité palestinienne, quant à elle, ne peut pas renoncer ! En fait, Israël a joué de cette proposition de négociation pour apaiser son allié américain. La diplomatie israélienne mise à 90 % sur le soutien de Washington... Je pense que la solution devra nécessairement passer par les Nations unies : un vote unanime du Conseil de sécurité, sans que les Américains n’utilisent leur droit de veto, actualisant la résolution fondatrice de l’État d’Israël.

 

— I. L. — Un vote unanime proposant quel schéma ?

 

V. G. E. — Un retour aux frontières de 1967 ; Jérusalem comme capitale commune d’Israël et de l’État palestinien ; mais le contenu nouveau consistera en des garanties de sécurité énergiquement défendues par la communauté internationale et, au premier chef, par les États-Unis.

 

— I. L. — Mais le Hamas refuse de reconnaître Israël !

 

V. G. E. — Je le répète : on imposera au Hamas la solution qui serait décidée par un vote unanime du Conseil de sécurité.

 

— I. L. — En quelques mots, quels sont, depuis deux ans, les points forts et les points faibles de la diplomatie française ?

 

V. G. E. — La conduite de la diplomatie française par le ministre des Affaires étrangères est raisonnablement compétente, dans un gouvernement qui ne l’est guère. Elle représente et défend bien les intérêts de la France.

 

Deux remarques : il convient d’éviter les interventions isolées dans des conflits lointains, qui font apparaître la faiblesse de nos moyens ; et de mettre fin à l’absence de la France dans les postes clés de l’Union européenne (présidences du Parlement européen, de la Commission européenne, du Conseil européen et de la Banque centrale européenne), Union qu’elle a contribué à créer.

 

Deux tâches diplomatiques, que j’ai déjà évoquées, sont urgentes : proposer une démarche politique pour l’Ukraine, à égale distance de l’Union européenne et de la Russie, et s’opposer à son entrée dans l’OTAN ; et contribuer à la recherche d’une solution permettant à la Grande-Bretagne de rester membre de l’UE.

 

— I. L. — Qu’auriez-vous fait de différent, dans tous ces domaines, si vous aviez été au pouvoir ?

 

V. G. E. — J’aurais proposé aux États membres de la zone euro qui le souhaitent de franchir une étape importante de l’intégration européenne en allant vers une Union fiscale à l’échéance de 2030 ; et j’aurais proposé, aussi, la création d’un Trésor européen gérant la dette commune.

 

— I. L. — Monsieur le Président, si vous deviez décerner le « Prix du courage politique », à qui l’attribueriez-vous aujourd’hui ?

 

V. G. E. — Des géants tels de Gaulle, Roosevelt et Churchill, il n’y en a plus. Ce sont les grands événements qui mettent en valeur les grands hommes. Des Kennedy, il nous en faudrait pour s’adresser à la jeunesse. Ne désespérons pas. Peut-être, un jour, les verrons-nous apparaître...

 

 

 

 

Par politiqueinternationale.com – La Revue n° 146 – hiver 2015 par  Patrick Wajsman

 

 * Président de la République française de 1974 à 1981.

** Rédactrice en chef adjointe au service étranger du Figaro.

 

 

Note :

(7) En Hongrie, le sentiment pro-européen est évalué à 35 % dans les sondages.

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