À Kiev, une très équivoque « idéologie d’État » ... qui aboutit à blanchir les génocideurs de 1941 et leurs épigones, tout en se réclamant des  valeurs de l’Europe occidentale | Koter Info - La Gazette de LLN-WSL-UCL | Scoop.it

Illustration : à gauche l’emblème de l’UNSO de Iouri Choukhevytch, interviewé sereinement par Le Monde

 

  

À Kiev, une très équivoque « idéologie d’État »

... qui aboutit à blanchir les génocideurs de 1941

 et leurs épigones, tout en se réclamant des

 valeurs de l’Europe occidentale


Par Patrice de Plunkett (*)

 

 

Au moment où le régime de Kiev décide de ne plus célébrer le 9 mai avec les autres descendants de 21 millions de morts de la Seconde Guerre mondiale, le journal Le Monde publie un article symptomatique. Il fait parler un député kiévien, le « nationaliste » [1] Iouri Choukhevytch. Ce personnage octogénaire est le propre fils de Roman Choukhevytch, chef national-socialiste ukrainien (OUN) durant la guerre germano-soviétique, et dont voici un extrait de notice qui ne figure pas dans Le Monde 

 

► Agent de l’Abwehr dès 1937, Roman Choukhevytch anime en 1938 un groupe paramilitaire antisémite. En 1939, Berlin l’envoie à Dantzig préparer l’invasion allemande. En 1940, il représente l’Abwehr à la tête de l’OUN de Stepan Bandera. À l’été 1941, il commande un bataillon ukrainien de la Wehrmacht qui participe au massacre de quatre mille juifs (et/ou intellectuels polonais) à LvivPuis le bataillon Choukhevytch, annexé à l’Einsatzkommando 6 de la SS, prend part à la Shoah par balles à Zborov, à Ternopil, à Vinnytsia où il tue 28 000 personnes. D’août 1941 à février 1942, le hauptmann Roman Choukhevytch est annexé au SD avec ses hommes : il prend part à la Shoah en Galicie et Podolie. En novembre 1941, Choukhevytch et les siens prêtent serment personnel à Hitler. Ils sont affectés à l’extermination des juifs et des partisans biélorusses dans la région de Vitebsk... 

 

Ce que l’article du Monde ne dit pas non plus, c’est que l’actuel député Iouri Choukhevytch est tout aussi « brun » que son père Roman. Âgé de 59 ans à la chute de l’URSS, il organise dès 1991 un groupe national-socialiste (UNA) et une milice (UNSO) fondés sur l’idéologie brune – le « biologisme » – de Dmytro Dontsov, intellectuel pronazi réfugié au Canada après 1945. L’UNA-UNSO fusionnera en 2014 avec les milices nationales-socialistes du Pravyi Sektor, dont le chef, Dmytro Iaroch, deviendra en 2015 le vrai patron de l’armée de Kiev. Iouri Choukhevytch, pour sa part, se fera élire député sous l’étiquette du « parti radical », groupe tout aussi brun que l’UNA-UNSO... C’est à ce titre que Choukhevytch fera voter la loi de 2014 donnant le statut de « héros nationaux » aux miliciens de 1941 [2]. Cette loi indignera les médias israéliens (Jérusalem Post, ici) mais elle n’indignera pas les médias parisiens, ardents à dépister la peste brune partout... sauf là où elle existe le plus.  

 



La presse française ne vous le dira pas : l’Ukraine est aujourd’hui le seul pays où le national-socialisme court les rues. Les exemples sont innombrables, quoiqu’ignorés de nos journaux

 

Par exemple :


En juillet 2004, à Yavoryna, cérémonie à la gloire des miliciens de Roman Choukhevytch. Oleh Tyahnybok, jeune chef du « Parti social nationaliste d’Ukraine » (qui sera le fer de lance de Maïdan sous le nom de « parti Svoboda »), fait un discours du plus pur style 1941 mais dont aucun journal parisien ne rendra compte : « Ils se sont tenus prêts et ont combattu contre les sales Moscovites, Juifs et autres ordures qui voulaient reprendre notre État ukrainien ! Et il faut rendre l’Ukraine aux Ukrainiens ! Hommes jeunes, et vous dont les cheveux grisonnent, vous formez la combinaison même que la mafia judéomoscovite au pouvoir en Ukraine craint le plus ! »


En 2006, les futurs « pro-européens de Maïdan » organisent une grande exposition intitulée La lutte des Ukrainiens pour la libération et l’indépendance. Elle honore Roman Choukhevytch, la division SS Galizien, les bataillons ukrainiens du SD...


En 2007, émeute de Svoboda à Lviv contre la commémoration de la victoire de 1945...


En janvier 2014, des portraits de Choukhevytch sont déployés et acclamés à Maïdan. Dans les mois qui suivent, le nouveau régime édite un timbre-poste à son effigie...

 



Avez-vous lu cela dans vos journaux ? Non. Mais ouvrez Le Monde daté du 09/05, page 6, et lisez la demi-page sur l’Ukraine. C’est un étonnant morceau de journalisme. Il dit les choses ; mais il les relativise, alors qu’elles feraient pousser des cris d’épouvante si elles se passaient chez nous [3]. Le Monde ne cache pas qu’en Ukraine, ceux qu’il appelle par euphémisme les « nationalistes » ont contribué (« largement ») à la Shoah ; mais il donne la parole à Iouri Choukhevitch comme à une sorte de témoin objectif, sans dire que cet homme a dirigé en Ukraine, depuis 1991, un groupe national-socialiste toujours opérationnel en 2015.

 

Le discours de Choukhevitch, reproduit sereinement par Le Monde, est celui du révisionniste : « n’importe quel peuple privé de son indépendance aurait collaboré avec n’importe qui... » (mais n’aurait pas fait – si l’on ose dire – n’importe quoi) ; « on parle beaucoup des crimes de Hitler, moins de ceux de Staline... » (mais comparer les carnages ne tient pas debout, surtout quand ça dissimule un parti-pris). Tenus par Le Pen dans Rivarol, ces mots indigneraient Le Monde ; tenus par un Ukrainien (même fils de pogromiste), ils ne l’indignent pas. Rien de russophobe ne saurait être tout à fait mauvais.

 

L’article ne nie pas que Kiev soit en train de se doter d’une « idéologie d’État » (sic) qui passe par la réhabilitation, voire l’exaltation, de choses qui n’ont pas droit de cité en Europe. Mais il en estompe l’énormité, il l’attribue aux « bouleversements survenus dans le pays en à peine plus d’un an » et qui ont « bousculé les symboles, les icônes (?), les idées préconçues... »

 

Parler d’idées préconçues est un peu cavalier en pareil domaine, mais le ton est donné par le sous-titre de l’article, citation d’un nommé Volodymyr Viatrovitch : « La décommunisation a commencé avec Maïdan, la loi ne fait que rattraper la société ». Peut-être la « décommunisation » a-t-elle tort d’aller jusqu’à blanchir la mémoire de pourvoyeurs de charniers ; peut-être faut-il tiquer devant le fait que ce M. Viatrovytch (directeur, justement, d’un « Institut de la mémoire nationale ») a inspiré les lois qui indignent le Jérusalem Post ? Mais il faut s’attendre à des embardées, n’est-ce pas, quand la loi doit « rattraper la société ». C’est un argument que l’on a aussi entendu en France récemment, appliqué à d’autres domaines.

 

 

 

Par Patrice de Plunkett (*) - plunkett.hautetfort.com – le 9 mai 2015.

 

(*) Patrice de Plunkett, né à Paris le 9 janvier 1947, est un journaliste et essayiste français, qui codirigea le Figaro Magazine… (Source Wikipédia)

 

_______________ 

[1] Iouri Choukhevytch est élu du « parti radical » (radicalement nationaliste) d’Oleg Lyashko : l’homme qui jette ses adversaires dans les bennes à ordure. Ce parti est la vitrine politique du bataillon Azov (groupe d’épuration ethnique contre les russophones).

http://www.points-de-vue-alternatifs.com/2014/08/ukraine-oleg-lyashko-membre-du-parti-radical-mis-en-cause-par-amnesty-international.html.


[2] << En mai 1941, lors d’une réunion à Cracovie, la direction de l’OUN-B (l’organisation des nationalistes ukrainiens) indiqua que « les Juifs en URSS constituent le soutien le plus fidèle du régime bolchevique, et l’avant-garde de l’impérialisme moscovite en Ukraine... L’OUN combat les Juifs en tant que pilier du régime moscovito-bolchévique et, simultanément, il rend les masses conscientes du fait que l’ennemi principal est Moscou. » Lors de cette réunion, l’OUN a adopté le programme « Lutte et l’action de l’OUN pendant la guerre » qui décrit le plan d’action lors du début de l’invasion nazie de l’URSS. Dans la section G de ce document, « Directives pour les premiers jours de l’organisation du nouvel État ukrainien », est dressée la liste des activités à mener durant l’été 1941. Dans le paragraphe « Politique envers les minorités », l’OUN-B ordonne : « Les Moscovites, les Polonais et les Juifs nous sont hostiles et doivent être exterminés dans cette lutte, en en particulier ceux qui résisteraient à notre régime : il faut les reconduire dans leurs terres, surtout : détruire leur intelligentsia qui pourrait être dans des positions de pouvoir. […] Les soi-disant paysans polonais doivent être assimilés, et il faut détruire leurs leaders. […] Les Juifs doivent être isolés, relevés de leurs fonctions gouvernementales pour empêcher le sabotage, et ceux qui sont jugés nécessaires ne pourront travailler qu’avec un surveillant. […] L’assimilation des Juifs n’est pas possible. » Le 25 juin 1941, Stetsko – le futur « chef de l’État », donc -, dans un rapport à Bandera, écrivait déjà : « Nous créons une milice qui aidera à éliminer les Juifs et à protéger la population. » Déclaration de I. Stetsko, nationaliste ukrainien désigné comme président de l’éphémère « Ukraine libérée » en juillet 1941 : « Bien que je considère que c’est Moscou, qui en fait tient l’Ukraine en captivité, et non pas les Juifs, comme l’ennemi principal et décisif, je considère tout de même pleinement le rôle indéniablement nuisible et hostile des Juifs, qui aident Moscou à asservir l'Ukraine. Je soutiens donc la destruction des Juifs et la pertinence de l’apport des méthodes allemandes d’extermination des Juifs en Ukraine, plutôt que de tenter de les assimiler. » (août 1941…). Un ghetto de 120 000 Juifs est créé à Lviv fin 1941. Il sera entièrement liquidé en deux ans dans le camp d’extermination de Belzec. Au retour des Soviétiques en juillet 1944, il ne restait environ que 800 Juifs survivants – dont le célèbre chasseur de nazis Simon Wiesenthal – dont on comprend la vigilance du centre en Ukraine…  >> 

Source : centre-simon-wiesenthal.


[3] Si M. Valls voit (c’est son droit) « le spectacle effrayant d’une extrême droite qui ne change pas » dans la rixe du FN et des Femen le 1er mai à Paris, quels termes lui restera-t-il pour commenter les discours ukrainiens contre « les sales Juifs » ? Mais ma question est naïve : M. Valls ne parlera pas de Kiev. (Silence imprudent, d’ailleurs : il donne une arme à M. Todd).


Sur Iouri Choukhevytch :

http://la-flamme.fr/2014/01/mikhail-mihailovitch-jizdniesvki-militant-nationaliste-bielorusse-assassine/